21 mai 2023 · Communisme du soin
Bonjour,
Il y a un an, nous avons commencé cette série de dossiers sous la bannière de l’autodéfense sanitaire. Cette notion d’autodéfense sanitaire que nous avions essayé d’enrichir dans Face à la pandémie, nous la reprenions à divers collectifs et réseaux d’entraide qui au cours du printemps 2020 s’étaient mobilisés pour fournir des outils de prévention (des masques, du gel hydroalcoolique, un soutien matériel et psychologique à l’isolement) aux travailleur·euses mis·es en danger, à leur camarades et à leurs voisin·es, comme le collectif autonome des Gilets Noirs ou les Brigades de solidarité populaire qui se sont formées sur tout le territoire.
Cette autodéfense sanitaire, que nous avons toujours compris comme lutte collective, nous l’inscrivions dans la longue et riche histoire des luttes populaires pour la santé et la prévention, et les différentes conceptions de la santé communautaire qui en sont issues. Mais cela prenait également place pour nous dans un mouvement plus profond, dans un horizon révolutionnaire qui se dessine au présent : le communisme du soin.
Il est sûrement utile de préciser ici ce que nous entendons par communisme, et plus spécifiquement par communisme du soin. Notre communisme n’a évidemment rien à voir avec les différents capitalismes d’État qui ont si efficacement salit ce nom au grand bénéfice de la contre-révolution. Notre communisme, anti-autoritaire, est synonyme d’autonomie, de lutte collective pour l’autodétermination de nos conditions matérielles et politiques d’existence, de mise en commun de nos moyens de subsistance.
Si le communisme désigne bien une continuité c’est celle qui relie la multitude innombrable des résistances quotidiennes les plus infimes qui s’opposent aux formes d’accaparement de la machine capitaliste, à leur condensation dans les luttes organisées des classes populaires. « Le communisme est un mouvement qui s’inscrit dans le cours des luttes et qui vit par elles » écrivaient récemment des camarades.
De la même manière que le capitalisme du désastre n’est pas un type spécifique de capitalisme mais un opérateur stratégique intrinsèque au capitalisme lui même, qui va s’intensifiant à mesure que s’accumule les catastrophes qu’il provoque, le communisme du soin n’est pas un nouveau type de communisme mais une dimension essentielle de ce mouvement de lutte historique.
Le communisme du soin a trouvé une forme d’explicitation dans les mouvements féministes et queer qui à travers les théories de la reproduction sociale et de l’abolition de la famille, ont mis en lumière la façon dont le capitalisme reposait structurellement sur l’exploitation d’un travail gratuit genrée, ainsi que sur sa marchandisation racialisée.
Pas de travailleur·euses suffisamment en forme pour être exploité·es sans la préparation des repas, la gestion des humeurs, l’attention aux problèmes de santé, la lessive effectuée et le maintien d’un cadre de vie vivable. Pas de travailleur·euses non plus sans grossesses, éducation et soin des enfants, et l’organisation des milles tâches qui inculquent les normes de genre et permettent leur intégration sociale. Tout ce travail, toutes ces activité naturalisées comme féminines au sein du capitalisme hétéropatriarcal, sont des lieux de résistance et de luttes. Pour les déprivatiser. Pour les communiser.
Elles sont aussi un enjeu au sein même des luttes, qui ne sont en rien épargnées par l’hégémonie de la culture patriarcale, raciste et validiste, oubliant bien souvent que nulle lutte, nulle insurrection, nulle révolution ne se déploit et n’est victorieuse sans un intense travail de reproduction et de soin. Qui est même peut-être bien le lieu de leur plus grande vitalité. Négliger cette dimension nous épuise, nous mutile, nous défait. Nous ne cessons de le constater. Pas d’offensive conséquente sans communisation du soin.
Au sein de cette pandémie de COVID-19 plus que jamais en cours la logique du communisme du soin s’oppose point par point à la culture de l’abandon libérale et à son individualisation de la réponse sanitaire, à l’eugénisme capitaliste et à sa hiérachisation de la valeur des vies, entérinés par la quasi-totalité de la gauche, et ce jusque dans ses rangs les plus “révolutionnaires”.
Le communisme du soin dit que face aux tempêtes qui s’annoncent la seule façon de nous en sortir est de nous doter, par la lutte et l’expropriation, d’infrastructures collectives de soin, et d’avancer ensemble, en ne laissant personne de côté.
Très bonne lecture et
prenons soin de nos luttes,
Cabrioles
· Carnet de recherche pour l’Autodéfense Sanitaire face au Covid19 ·
P.s : Ceci est notre dernier dossier. On vous en dit plus dès que possible.
En attendant quand vous aurez lu tous les articles foncez écouter le dernier épisode de Minuit Décousu qui parle de soin, pandémie, Covid Long et autodéfense sanitaire, le tout soutenu par une bande son incroyable ! Déjà en juin 2022 iels avaient fait un super ‘récit d’action militante’ sur l’autodéfense sanitaire et l’antivalidisme. Et à l’automne dernier, au moment de notre départ de Twitter, iels nous avaient consacré un hommage (rien que ça !) qui nous avait touché très fort. Coeur sur elleux.
Nous sommes le commun : les principes de l'autonomie sanitaire | Silvia Federici
L'autonomie en matière de santé est au cœur des nombreuses mobilisations dans lesquelles je pense que nous devons nous engager. Si nous parlons de construire une société sur le principe de l'autonomie et du partage, alors cette société doit être organisée de manière à reproduire notre vie. Cela signifie qu'une lutte pour le commun doit inclure une lutte pour la terre, la nourriture, l'eau et, en son centre, la santé.
Soin pour toustes | Beatrice Adler-Bolton, Artie Vierkant, Charlie Markbreiter
Beaucoup de gens aiment à dire que le COVID nous a enseigné des leçons très douloureuses, mais ce n'est absolument pas le cas. Il ne s'agit pas de nouvelles leçons. Il ne s'agit pas de nouvelles horreurs. Nous assistons à l'accélération d'un phénomène politico-économique existant qui condamnait déjà les gens à une mort lente. Ce que nous avons vu, c'est que la pandémie a exercé une pression supplémentaire sur un système qui n'était déjà pas viable et qui n'était en aucun cas propice à la "bonne santé". Le SPK voulait unir les malades et les bien-portant·es dans la lutte pour un avenir où la "santé" n'est pas une forme de marchandise, mais un moyen de comprendre notre interdépendance, et iels ont reconnu que nous devons prendre soin les un·es des autres pour survivre.
L'autoreproduction et la Commune de Oaxaca | Barucha Peller
La contradiction centrale de la Commune de Oaxaca était basée sur les questions sociales, politiques et stratégiques qui se posaient lorsque les hommes tentaient de maintenir la division genrée du travail et de forcer les femmes à retourner à la maison. Les barricades qui composaient le paysage urbain de la Commune de Oaxaca n'étaient pas seulement des lieux de défense physique contre les attaques militaires, elles abritaient également une myriade d'activités reproductives dans lesquelles le travail historiquement féminisé devenait la base de relations sociales transformées. Révolutionner la vie quotidienne en expropriant les espaces et les ressources de leurs formes marchandisées et privatisées était un principe central de la Commune de Oaxaca.
Communiser le soin | M. E. O'Brien
Lorsqu'ils évoquent l'abolition de la famille, Marx et Engels utilisent le mot Aufhebung pour abolir. Concept hégélien parfois traduit par "dépassement positif", Aufhebung signifie préserver, élever et transformer radicalement. Les revendications visant à abolir la famille ne visent pas à détruire la capacité des gens à nouer des liens affectifs, romantiques ou parentaux, ni à célébrer les formes de pression exercées par les économies de marché sur la vie domestique. Au contraire, abolir la famille, c'est libérer notre capacité à prendre soin les un·es des autres sous des formes plus humaines. Les communes sont des réponses à la question essentielle qui se posera dans un processus révolutionnaire : "Comment pouvons-nous prendre soin les un·es des autres ?"
Le Covid-19 fragilise le concept de famille. Brisons-le | Sophie Lewis
Ce que le déferlement du COVID-19 a rendu plus palpable, entre autres choses, c'est que la famille - en tant que logique de propriété et mode de reproduction sociale au cœur du capitalisme - est en train de nous tuer. Envisager d'organiser l'intimité et les soins au-delà de la famille, c'est moins renoncer à la sécurité et au confort qu'étendre ces mêmes conditions à toustes, quelle que soit leur façon de vivre et d'aimer. S'il y a quelque chose à faire, après le COVID, c'est de ne plus jamais nous traiter les un·es les autres "comme une famille". Nous devons au contraire nous traiter les un·es les autres avec toute la tendresse et la responsabilité dues à des étranger·es ou, si j'ose dire, à des camarades.
Pour l'autonomie sanitaire : réflexions depuis la Grèce | Carenotes Collective
Nous devons comprendre comment la désindividualisation des soins, ce que nous pourrions appeler la communisation des soins, est essentielle pour lutter contre les formes d'abandon racialisées et genrées de l'État et du capital. Garantir l'accès à la médecine et aux soins de santé est tout aussi important que de libérer des espaces inutilisés pour le logement ou de défaire l'emprise de la police sur des quartiers. Les expériences récentes d'espaces de soins autonomes en Grèce sont au cœur de l'expansion des luttes anticapitalistes mondiales autour de la reproduction des soins et de la communisation.
La mise en commun des soins aux enfants comme vecteur de changement politique | Manuela Zechner
Le soin et l’attention ne sont pas synonymes de bonté ou de bienveillance, mais plutôt un champ de pratique et de tension. Prendre soin n'est pas quelque chose que nous choisissons simplement, comme un article dans un panier ou un style de vie, c'est quelque chose pour lequel nous luttons. Chaque jour, de multiples façons. Cela concerne notre capacité à nous laisser affecter par la souffrance d'autrui, une question incarnée non seulement parce qu'elle peut nous faire trembler, transpirer, pleurer ou ne pas dormir, mais aussi parce qu'elle peut construire des ponts concrets, corporels et matériels entre des mondes. Comment nos soins peuvent-ils devenir une source de pouvoir collectif ? Nous avons plus de questions que de réponses à ce sujet, et ce n'est pas grave si nous continuons à les poser. Une chose est claire : le soin-avec se doit d'être pratique, et pas seulement mental.
Re/Lire
Perspective anarchiste sur les vaccins, les masques et l’égale liberté | Søren Hough
Le refus des masques et des vaccins est l'expression d'un mépris total pour les pauvres, les personnes immunodéprimées, les personnes âgées et les personnes handicapées. Il est anti-science, et il est fondamentalement anti-anarchiste.
Les valides de gauche ne peuvent pas abandonner la solidarité avec les personnes handicapées pour "tourner la page" du Covid | Leah Lakshmi Piepzna-Samarasinha
"Nous avons toujours le choix. Et la capitulation n'en est qu'un." Pour reprendre les mots des militant·es sud-africain·nes de la lutte pour la liberté, cité·es par bell hooks, "Notre lutte est une lutte de la mémoire contre l'oubli." Nous, en tant que révolutionnaires handicapé·es, sommes des gardiens de la mémoire handicapée. Et notre refus d'oublier, tant nos mort·es que le travail de notre survie, fait partie de notre travail révolutionnaire. Nous vivons dans un monde qui veut nous voir mort·es, et qui veut effacer notre existence après nous avoir tué·es. En tant que révolutionnaires handicapé·es - en particulier les personnes invalides, malades, sourdes, neurodivergentes et ayant une déficience visuelle - notre refus d'oublier nos mort·es, nos pertes et notre survie est un acte de résistance.
Le soin radical des travailleur·euses du sexe au Brésil | Mariana Prandini, Carolina Moraes, et Juma Santos
Les travailleur·euses du sexe ont été à l'avant-garde de la solidarité et des réponses communautaires à la pandémie de COVID-19, en créant des fonds d'urgence et des initiatives d'entraide. Le projet d'entraide des Tulipas propose des mesures pour rester en vie qui vont au-delà de la simple subsistance. Leurs actions contribuent au maintien de la vie communautaire, à la consolidation d'environnements plus sains et produisent un système informel de soins collectifs radicaux. Nous affirmons que les structures de soins autonomes créées par les travailleur·euses du sexe de rue ne doivent pas seulement être reconnues et appréciées, mais qu'elles nous fournissent également un exemple précieux de ce à quoi ressemble une entraide transformatrice et auto-organisée.