Gilets Noirs | Autodéfense immigrée
Contre le Covid-19 et ses complices, autodéfense sanitaire !
On n’a pas attendu la répression sanitaire pour s’organiser et se défendre. Dans les foyers, on a une culture de la solidarité. On gère nous-mêmes la propreté et la désinfection. Les petits frères, on s’organise pour que les grands frères âgés ne fassent plus les courses. On doit faire cette mission pour nos camarades, nos frères, nos sœurs, nos enfants et nos vieux, car personne ne va le faire sinon.
Avril 2020
Depuis novembre 2018, nous les Gilets noirs, immigrés avec ou sans papiers, fils et filles d’immigrés et personnes solidaires, habitants des foyers et locataires de la rue, nous organisons contre l’État et ses complices. Nous exigeons des papiers pour tous et toutes, sans condition. Qu’on soit là depuis un jour ou dix ans, qu’on travaille ou qu’on ne travaille pas. Ce papier qu’on nous refuse c’est celui de la dignité et nous attaquerons l’État français et tous ses complices pour l’arracher. Nous ne voulons pas seulement des papiers, mais casser le système qui crée des sans-papiers. Chaque jour, nous discutons de comment améliorer notre vie, se défendre de la police, du CRA, des patrons, de résister à la préfecture. Mais les papiers viendront par la lutte ! Et la lutte c’est pas que pour les papiers : la chose que tu n’as pas vue, c’est dans la lutte que tu vas la voir.
Nous avons manifesté devant le musée de l’immigration, devant le CRA du Mesnil-Amelot, nous avons occupé la Comédie française, bloqué la préfecture de Paris, occupé l’aéroport de Roissy où Air France déporte les immigrés. Nous avons attaqué le siège de l’entreprise Elior qui fait son argent sur le dos des sans-papiers, et nous nous sommes invités à 600 au Panthéon. Pour exiger des papiers et un rendez-vous avec le Premier ministre, pour interpeller les « grands hommes », et pour honorer nos morts en Méditerranée et dans le désert qui n’ont pas de tombe.
Contre le Covid-19 et ses complices, autodéfense sanitaire !
Depuis que le Covid-19 est en France, on lutte contre le virus, mais ce sont l’État et les gestionnaires qui nous pourrissent la vie. On vit dans les foyers comme dans des prisons. Les foyers, gérés par des associations « gestionnaires » (comme Adoma, Coallia, ADEF) ont été construits pour loger les travailleurs immigrés. Depuis plusieurs années, les gestionnaires veulent détruire l’organisation de nos vies collectives d’immigrés exploités. Ils construisent des résidences « sociales » qui nous enferment dans des chambres-cellules, sans espaces collectifs. C’est nos solidarités et nos luttes qu’ils étouffent. On doit rester seul, sans famille, en espérant ne pas mourir avant le titre de séjour qui nous permettra peut-être d’aller enterrer nos morts au pays ou de voir naître nos enfants. Dans ces foyers, nous vivons avec nos frères qui ont des papiers. Mais les foyers sont nos lieux de vie politique.
Au début du confinement, les gestionnaires ont fui leurs responsabilités : pas de consignes, pas de nettoyage, pas de soutien. Ils collent sur les murs du foyer des affiches en français et ferment les salles de prières et de réunion. Ils ne nettoient pas, car « la javel c’est trop cher ». La seule présence des gérants c’est pour venir prendre les loyers. L’État français main dans la main avec les patrons nous fait trimer sur les chantiers, dans les cantines, à nettoyer tout le pays. Sans papiers, on est à la merci des marchands de sommeil, de la surexploitation. On doit travailler au noir. Au confinement, on s’est retrouvés sans rien. Pas de chômage, alors pas d’argent pour le loyer, pour la famille ou pour la nourriture. Les gérants veulent notre argent, mais on doit manger et se soigner !
Après quelques semaines, sous la pression des préfectures et de ceux qui ne devraient pas crier avec les loups que les foyers sont des « bombes sanitaires », les gestionnaires sont revenus dans quelques foyers. Mais on sait qui est qui. Soi-disant pour vérifier les règles de confinement alors qu’ils connaissent la situation dans laquelle on vit, ils tentent de séparer les pères des fils. Ils mentent, menacent de couper l’eau et l’électricité, font des simulacres de dépistages. Devant certains foyers, ce sont les flics qui rackettent et rôdent. L’État ne veut pas éviter la maladie, les gérants ne le veulent pas non plus. Ils veulent qu’on meure et ils veulent notre argent.
On n’a pas attendu la répression sanitaire pour s’organiser et se défendre. Nous avons mis en place une cagnotte et organisé un réseau de ravitaillement des foyers pour se protéger de la maladie. À l’aide de nos camarades des Brigades de solidarité populaire qui soutiennent cette auto-organisation, nous sillonnons les foyers pour distribuer du matériel. Ils se fichent de nous : c’est nous-mêmes qui nous protégeons ! Dans les foyers, on a une culture de la solidarité. On gère nous-mêmes la propreté et la désinfection. Les petits frères, on s’organise pour que les grands frères âgés ne fassent plus les courses. On doit faire cette mission pour nos camarades, nos frères, nos sœurs, nos enfants et nos vieux, car personne ne va le faire sinon.
Lutter pour notre dignité, pour la vie collective, pour arracher les papiers
On se défend pour ne pas se cacher. Nous voulons des papiers. Mais nous ne voulons pas d’une régularisation comme au Portugal, pour quelques mois, seulement pour certains qui ont leur dossier en préfecture ou pour ceux qui n’ont pas de casier judiciaire ou ne sont pas menacés de déportation. On ne veut pas d’une régularisation comme en Italie, en offrant nos corps pour que les pays européens subsistent sur notre dos. Travail contre papiers, c’est un chantage d’esclavagiste. Nous ne voulons pas des papiers pour raison « de santé publique » ou pour plus « d’efficacité économique ». Pour ce papier, nos âmes sont sacrifiées. On est des humains, nos droits devraient être entendus. On devrait échanger son âme contre l’industrie ou l’économie des autres ? C’est un manque de respect envers les immigrés. C’est une injure.
On veut que tous les immigrés, avec ou sans papiers, nous rejoignent. Car ce que nous subissons, les immigrés avec papiers en ont été victimes et le seront aussi. Les immigrés, et tous les exploités du monde, doivent se joindre à nous les immigrés sans-papiers. Nous ne sommes pas des ennemis entre nous. La France veut diviser entre ceux qui sont régularisés et ceux qui ne le sont pas. Ici, on vit ensemble : le foyer c’est la famille, c’est ton parent. Ils appellent les sans-papiers les « sur-occupants » et nos frères avec des papiers, des « résidents ». C’est maintenant qu’il faut défendre notre vie collective, c’est notre lutte. Les résidents avec des papiers ne seront jamais libres tant que leurs fils n’auront pas les papiers.
Les papiers, jusqu’à nouvel ordre, c’est la clef de toute vie sociale digne : vivre en famille, circuler librement, travailler, étudier, se soigner, se loger. Nous avons trop demandé aux députés, aux gestionnaires, aux patrons, aux syndicats, aux associations de nous aider à nous « régulariser ». Il y a eu trop de pétitions, de tribunes qui disent l’État de « protéger les sans-papiers », trop de députés qui veulent « régulariser » pour mieux nous envoyer faire le sale travail que personne ne veut faire. Nous ne voulons pas de papiers parce que nous faisons le boulot que « les français ne veulent pas faire », mais pour pouvoir vivre dignement.
Nous irons chercher les papiers nous-mêmes, car on ne veut pas de tri : nous ne voulons pas avoir besoin de mériter les papiers ou de les mendier. Nous avons besoin de combat. Dans la lutte déjà, on trouve notre liberté, car on n’a plus peur. Après le confinement, nous appelons tous les immigrés sans-papiers et les gens qui partagent nos idées et nos manières d’agir, à soutenir notre lutte, à nous contacter, à rentrer dans le combat.
Avec ACTA, les Brigades de solidarité populaire, Act-Up, le Collectif place des Fêtes, Genepi, le NPSP (Nagkakaisang Pilipino Sa Pransya), la CREA (Campagne de réquisition d’entraide et d’autogestion), l’Action antifasciste Paris-banlieue, l’Observatoire de l’état d’urgence sanitaire, la Coordination militante Dijon, Ipeh Antifaxista, qui appuient ce texte, nous partageons déjà ce combat. Notre force c’est les soutiens, mais la force des soutiens, c’est nous aussi. Il faut organiser des actions, des occupations, des manifestations, des grèves, des blocages. On peut construire des actions ensemble dans les semaines qui viennent. Nous ne gagnerons les papiers que par la force.
Pour exiger des papiers pour toutes et tous maintenant et pour toutes celles et ceux qui vont arriver, la destruction des centres de rétention, la fin des foyers-prisons, et des logements dignes pour tous. Contre le racisme et l’exploitation. Pour notre dignité et notre liberté.
Ni rue ni prison, papiers et liberté ! La peur a changé de camp, les Gilets noirs sont là !
Les Gilets noirs en lutte
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Publication originale du texte (25/04/2020) :
Paris-Luttes.info
Publication originale de la vidéo (22/04/2020) :
Acta.zone