Communiser le soin | M. E. O'Brien
Lorsqu'ils évoquent l'abolition de la famille, Marx et Engels utilisent le mot Aufhebung pour abolir. Concept hégélien parfois traduit par "dépassement positif", Aufhebung signifie préserver, élever et transformer radicalement. Les revendications visant à abolir la famille ne visent pas à détruire la capacité des gens à nouer des liens affectifs, romantiques ou parentaux, ni à célébrer les formes de pression exercées par les économies de marché sur la vie domestique. Au contraire, abolir la famille, c'est libérer notre capacité à prendre soin les un·es des autres sous des formes plus humaines. Les communes sont des réponses à la question essentielle qui se posera dans un processus révolutionnaire : "Comment pouvons-nous prendre soin les un·es des autres ?"
M. E. O'Brien écrit sur le genre et la théorie communiste. Elle coédite deux magazines, Pinko, sur le communisme gay, et Parapraxis, sur les théories psychanalytiques et la politique. Son travail sur l'abolition de la famille a été traduit en chinois, allemand, grec, français, espagnol et turc. Elle a récemment publié Everything for Everyone: An Oral History of the New York Commune, 2052–2072 (avec Eman Abdelhadi) chez Common notions. Son dernier livre Family Abolition: Capitalism and the Communizing of Care sortira en juin 2023 chez Pluto Press.
· Cet article fait partie de notre dossier Communisme du soin du 21 mai 2023 ·
La revendication de l'abolition de la famille a permis d’imaginer une vie au-delà de l'hétérosexualité obligatoire, de l'assujettissement misogyne et des violences familiales1. Elle suscite une anxiété profondément intime chez de nombreuses personnes qui pensent que la famille est la seule protection contre la violence de l'État, la suprématie blanche ou la pauvreté. Les opposant·es assimilent l'abolition de la famille à une négligence envers les enfants et à une prohibition de l'affection et des soins.
Marx et Engels étaient connus pour se garder de toute description spéculative de la vie communiste, s'opposant à tout imaginaire dépourvu de stratégie quant à la manière dont une telle société pourrait émerger des contradictions du capitalisme. Dans Anti-Dühring et dans Socialisme : Utopie et science, Engels définit la division que les marxistes devraient utiliser pour écarter toute possibilité de devenir par inadvertance des auteurs de romans de science-fiction. Si je conviens que des descriptions concrètes de la vie communiste ne peuvent pas facilement remplir la fonction programmatique imaginée par les socialistes utopistes, je crois aussi qu'un retour à des visions spéculatives du communisme peut à nouveau nous être utile aujourd'hui. L'horreur des États soviétiques du XXe siècle qui qualifient de "communistes" leurs sociétés fondées sur les classes et le travail salarié nous invite à faire ce que Marx et Engels ont évité : écrire de la science-fiction sur les devenirs que nous voulons créer. De telles visions peuvent stimuler ou enrichir, mais leur utilité ne réside pas dans leur lecture en tant que propositions à mettre en œuvre par des convaincu·es. Leur pouvoir consiste à rendre visibles la fragilité et l'horreur du présent et à soutenir un processus d'exploration et de découverte au cœur de la lutte.
Lorsqu'ils évoquent l'abolition de la famille, Marx et Engels utilisent le mot Aufhebung pour abolir. Concept hégélien parfois traduit par "dépassement positif", Aufhebung signifie préserver, élever et transformer radicalement. Ce sens ne correspond pas du tout à l'héritage américain des abolitionnistes anti-esclavagistes. Les revendications visant à abolir la famille ne visent pas à détruire la capacité des gens à nouer des liens affectifs, romantiques ou parentaux, ni à célébrer les formes de pression exercées par les économies de marché sur la vie domestique. Au contraire, abolir la famille, c'est libérer notre capacité à prendre soin les un·es des autres sous des formes plus humaines. Je propose ici une esquisse spéculative d'une forme de reproduction sociale qui remplacerait la famille, à savoir la commune, comme l'a d’abord proposé le socialiste français Charles Fourier au début du 19e siècle.
Qualités de la reproduction sociale communiste
La famille est la principale institution qui sert de médiation à la dépendance du prolétariat vis-à-vis du salaire. Avec le salaire, les programmes d'aide sociale et le système carcéral, nous dépendons de celleux que nous appelons famille pour survivre. Pour de nombreux·ses prolétaires incapables de travailler, notamment les nourrissons, les enfants en bas âge, les personnes handicapées et les personnes très âgées, les principaux moyens d'obtenir des ressources sont les relations personnelles et familiales de dépendance à l'égard d'un·e travailleur·euse salarié·e. Les systèmes croissants de soins reproductifs marchandisés n'échappent pas à cette double dépendance à l'égard de la famille ou du salaire, puisqu'ils sont financés par les salaires personnels ou ceux d'un·e membre de la famille.
Dans notre société, l'amour et les soins sont inscrits dans la dépendance et l'obligation à la famille, et avec eux une grande partie du travail de reproduction sociale. La famille prend donc une forme contradictoire dans notre monde, à la fois source d'amour dans un monde dur et dangereux, et espace de dépendance privée avec peu de protection contre le risque d'abus interne, de violence et d'hétéronormativité. Aussi bonnes que soient certaines familles, leur intimité et leur insularité les préservent du processus nécessaire de lutte. Pour celleux qui ne peuvent pas vivre correctement sous ce régime de genre, l'enjeu de savoir qui est votre famille est une question de vie ou de mort. L'État, le salaire et la famille s'opposent à la liberté de genre et de sexualité et sont incompatibles avec la pleine et libre expression de l'épanouissement humain à travers la diversité de genre et de sexualité. L'abolition de la famille doit être la création positive de nouvelles institutions et pratiques d'amour, de reproduction et de vie érotique.
En lieu et place du système coercitif des unités familiales atomisées, l'abolition de la famille généraliserait ce que nous appelons aujourd'hui le soin. Le soin de l'amour et du soutien mutuels ; le soin du travail d'éducation des enfants et le soin des malades ; le soin de la connexion érotique et du plaisir ; le soin de l'entraide dans l'accomplissement des vastes possibilités de notre humanité, exprimées d'innombrables façons, y compris des formes d'expression de soi que nous appelons aujourd'hui le genre. Dans notre société capitaliste, le soin est un acte marchand, assujettissant et aliéné, mais nous pouvons y voir le noyau d'une interdépendance non aliénante.
Autour des cuisines du peuple
Pendant les périodes d'insurrection prolongée, les gens forment spontanément des communautés auto-organisées basées sur la reproduction collective. J'appelle ces communautés des communes et je les considère comme des formes précoces de reproduction socialisée qui pourraient devenir dominantes sous le communisme. Lorsqu'un grand nombre de personnes affrontent directement l'État et le capital sous des formes qui les amènent à partager un même lieu pendant plusieurs jours, elles développent souvent des pratiques collectives d'approvisionnement en nourriture, de cuisine et de repas en commun, de couchage à proximité les un·es des autres, de partage des responsabilités liées à l'éducation des enfants et d'aide aux camarades handicapé·es. Toutes ces pratiques visent à partager le travail de soins, à permettre une participation diversifiée et à se protéger les un·es les autres contre les dangers.
Nous observons des déclinaisons de ce phénomène partout où des occupations prolongées prennent racine : dans les camps de protestation ruraux d'action directe comme Standing Rock dans les Dakotas ou les ZAD en France, ou dans le mouvement des places. Dans la Commune de Oaxaca en 2006, les femmes ont créé des activités de reproduction collective sur les barricades comme moyen de soutenir les protestations et de résister à la domination de genre de la vie domestique :
Les barricades étaient des lieux où les habitant·es d'Oaxaca dormaient, cuisinaient et partageaient la nourriture, avaient des relations sexuelles, échangeaient des nouvelles et se réunissaient à la fin de la journée. Les ressources telles que la nourriture, l'eau, l'essence et les fournitures médicales ont été réappropriées et redistribuées, et de la même manière, le travail reproductif a été réapproprié depuis la sphère spécialisée du foyer et est devenu le moyen de réimaginer la vie sociale et les liens collectifs2.
Ces arrangements répondent à des besoins immédiats dans le cadre d'une lutte permanente. Ils collectivisent le travail reproductif, créent de nouvelles formes partagées d'intimité et d'amitié, ouvrent de nouvelles voies pour contester les relations sexuelles et de genre, et peuvent contribuer à remettre directement en question la structure domestique atomisée de la famille nucléaire. Même si la misogynie, l'homophobie et la violence sexuelle ont souvent été le lot de ces lieux de protestation partagés, leur caractère collectif et politique offre un meilleur espace de contestation et de remise en question de ces dynamiques que la famille isolée. Le camp des luttes dont nous avons besoin doit combiner des formes émergentes de reproduction communiste avec des pratiques féministes et queer, et en fin de compte, peut-être, de meilleures pratiques sexuelles.
Tout comme les cuisines communales sont apparues dans les insurrections passées, la commune en tant que mode prévalent de reproduction sociale pourrait apparaître dans un contexte plus large de communisation. Si nous ne pouvons pas connaître les conditions des insurrections futures, quelques traits caractérisent des mesures communistes : une masse critique de prolétaires s'emparant rapidement des infrastructures et de la terre, les transformant et les mettant à profit pour permettre la survie et l'épanouissement humains non marchands. Les relations familiales nucléaires obligatoires et le travail salarié constitueraient des obstacles directs à cette survie partagée, à la liberté et à la persistance de l'insurrection. Si la famille nucléaire n'est pas radicalement remise en question, ses pernicieuses logiques contre-révolutionnaires de propriété, de misogynie, d'hétéronormativité et de domination restent intactes. La reproduction communiste de la vie matérielle doit résister à la dépendance vis-à-vis des relations familiales obligatoires et de la participation au travail salarié. Elle doit au contraire être soutenue par l’organisation démocratique et collective, et la circulation globale de l'activité productive sans la médiation du marché.
Dans leur article de 2016 intitulé "Insurrection and Production", Angry Workers imaginent un potentiel processus révolutionnaire communisateur au Royaume-Uni, en se concentrant sur les industries essentielles qui doivent être prises en charge pour qu'une insurrection persiste. Des études similaires sont nécessaires ailleurs, bien qu'une grande partie de leur analyse soit parallèle aux conditions américaines. Iels proposent la formation d'unités domestiques collectives, chaque unité collectivisant la production et la consommation de nourriture. La commune ici n'est pas une préfiguration mais exige la généralisation des conditions du communisme. Iels écrivent :
Le soulèvement et la prise de contrôle des industries essentielles doivent aller de pair avec la formation d'unités domestiques comprenant 200 à 250 personnes : des espaces communs (anciens hôtels, écoles, immeubles de bureaux, etc.) comme points centraux pour la distribution, le travail domestique et la prise de décision locale. La formation rapide de ces unités domestiques est aussi importante que la reprise des industries essentielles. Principalement pour briser l'isolement du travail domestique et les hiérarchies de genre, mais aussi pour créer une contre-dynamique à la centralisation dans les industries essentielles : une décentralisation de certaines tâches sociales et de la prise de décision.
Ceci est très différent de ce que l'on appelait les communes au 20ème siècle : des communautés contre-culturelles délibérées et de petite taille qui tentaient de survivre dans une société de marché. Ces communes du XXe siècle englobent les communautés agricoles collectives de retour à la terre des années 1960 et 1970, les maisons collectives des hippies et des punks, les squats urbains, les familles queer vivant ensemble et les communautés utopiques planifiées. Il s'agit de stratégies légitimes pour tenter de vivre des vies moins aliénées dans les conditions d'atomisation du marché. Ces pratiques constituent une part admirable des traditions radicales, mais comme elles opèrent dans des conditions capitalistes, leurs limites sont profondes.
Dans une société capitaliste, les communes sont contraintes à la pauvreté partagée de l'autosuffisance économique et de l'isolement, ou dépendent de contributions significatives du travail salarié ou de la richesse héritée. Les pressions exercées par les politiques de l'État, la pauvreté, les contradictions de classe entre les résident·es ou le manque de soins de santé mentale exacerbent inévitablement les conflits interpersonnels et conduisent souvent à l'effondrement de ces communautés délibérées. Seul un privilège de classe considérable offre une stabilité à long terme.
En outre, de nombreux·ses promoteur·ices de ces communautés planifiées s'imaginent à tort que leur existence même favorisera leur propagation progressive au sein de la société capitaliste, fournissant ainsi les moyens de vivre un communisme anti-étatique dans le présent. Une telle pensée a permis l'éclosion de contre-cultures isolées, mais rien ne permet de penser qu'elle puisse jamais offrir une issue à la domination du capital et de l'État capitaliste. Les conditions structurelles de la prolétarisation, de la dépendance au marché et de la violence de l'État rendent une telle vision d'une transition révolutionnaire impossible sans une insurrection généralisée, et laissent ces communautés intrinsèquement instables, inaccessibles et isolées.
Pour Angry Workers, et l'analyse que je mène ici, la commune est plutôt la collectivisation du travail reproductif et de la consommation, l'abolition de la famille, et la libération de l'amour, du soin et de l'érotisme dans un espace collectif et démocratique de vie partagée. Pour survivre en tant que base de la liberté, la commune doit faire partie d'un effort plus large et réussi pour détruire les mécanismes coercitifs de l'État racial, pour s'emparer des moyens de production et de survie collective, et pour vaincre les ennemi·es de classe de la lutte révolutionnaire. La commune ne peut survivre que dans les conditions de la communisation mondiale.
À propos de Charles Fourier
Cette vision de la commune en tant que lieu collectif, érotique et joyeux du travail reproductif ressemble beaucoup aux théories de Charles Fourier. Fourier était un marchand, un clerc et un écrivain français, et une figure majeure de ce que l'on appelle aujourd'hui la tradition socialiste utopique. Il est né peu avant la Révolution française et a publié la plupart de ses travaux au début du XIXe siècle, avant de mourir en 1837. Les écrits de Fourier sur les maux du marché, la famille bourgeoise et les communes ont exercé une influence considérable sur les politiques socialistes du XIXe siècle. Il est clairement établi que Marx a lu Fourier de près, et nombre des plus grandes déclarations de Marx en faveur des droits des femmes, de l'égalité des sexes et de la liberté des femmes sont des citations quasi mot pour mot de Fourier.
Fourier est surtout connu pour trois contributions théoriques et politiques. Premièrement, il a très tôt compris que les ravages de la pauvreté étaient dus à l'essor de l'économie de marché et que les socialistes devaient abolir les marchés et la propriété privée. Cette nouvelle société garantirait à tous·tes un "minimum social", une notion désignant une prestation matérielle universelle qui est devenu central dans la nouvelle pensée socialiste. Fourier le définit comme essentiel au bien-être partagé de la société à venir : "Enfin, que le peuple jouisse dans ce nouvel ordre, d’une garantie de bien-être, d’un minimum suffisant pour le temps présent et à venir, et que cette garantie le délivre de toute inquiétude pour lui et les siens."3 Deuxièmement, Fourier était un grand défenseur des droits des femmes, considérant l'assujettissement des femmes comme la pierre angulaire de la société bourgeoise, de la famille, du mariage monogame et de l'ordre social oppressif. Il a beaucoup défendu les droits sociaux, économiques et sexuels des femmes, et on pense qu'il a inventé le mot "féminisme". Il est à l'origine d'une théorie adoptée plus tard par Marx et d'autres, selon laquelle le degré de liberté d'une société est mieux mesuré par le niveau d'émancipation des femmes.
Troisièmement, Fourier propose que la solution aux ravages du marché et de la monogamie soit une forme de commune qu'il appelle la phalange, comptant 1 600 personnes dans un vaste bâtiment du phalanstère. La vision de Fourier de la phalange était ancrée dans sa science des passions humaines, une "théorie de l'attraction passionnelle". En examinant attentivement les instincts naturels, les inclinations, les plaisirs et les capacités de développement des humains, nous pourrions concevoir des communautés délibérées qui assembleraient parfaitement les types de personnalité. Les phalanges seraient des espaces de travail partagés en tant que centres de production exportant une denrée alimentaire ou un produit manufacturé particulier. Elles collectiviseraient tout le travail reproductif, conçu pour maximiser le service des divers plaisirs de la nourriture et de la consommation quotidienne de tous·tes les résident·es. Des communes fouriéristes ont vu le jour aux États-Unis et en Europe dans les années 1830 et 1840.
Plutôt que de s'appuyer sur la contrainte pour maintenir l'ordre social ou le travail productif, ces communautés pourraient concevoir un "travail amoureux" qui utiliserait habilement le plaisir, l'érotisme et la joie comme des incitations, de sorte que les avantages collectifs et individuels s'alignent. "La galanterie, aujourd’hui si inutile, deviendra donc un des ressorts les plus brillants du mécanisme social" . Les théories de Fourier sur les passions humaines étaient fondamentales pour sa vision de l'harmonie sociale. L'amour et l'attirance remplaceraient la domination comme lien social central de la société.
Si les écrits de Fourier sur l'érotisme n'ont pas été aussi largement considérés, il voyait ses engagements en faveur de la liberté et de l'épanouissement sexuels comme essentiels à sa théorie sociale. Outre un minimum social, il préconise un "minimum sexuel", où les besoins physiques et érotiques de chacun·e sont garantis par la communauté, ce qui permet à chacun·e d'être libre de rechercher un amour plein et authentique.
Nous allons traiter d’un nouvel ordre amoureux où le sentiment, qui est la portion noble de l’amour, jouira d’un lustre éclatant et répandra du charme sur toutes les relations ; or à quoi tiendra son empire ? à ce que le matériel, loin d’être entravé, sera pleinement satisfait et que le besoin en ce genre ne sera pas plus indécent que ne le sont les appétits des autres sens.
Fourier aurait sûrement critiqué férocement la misogynie du mouvement incel d'aujourd'hui, néanmoins il s'inquiétait du désespoir de celleux à qui l'on refuse le plaisir sexuel : "ce désordre n’est pas apparent comme celui d’une populace mutinée par la famine, mais en amour c’est mutinerie cachée et d’autant mieux établie qu’elle agit sourdement et se couvre de tous les masques". Il est persuadé que les humains sont naturellement polyamoureux, bisexuels et érotiquement joyeux. L'amour libre de la phalange serait l'un de ses plus grands attraits, et bientôt plus personne ne serait attiré par les affres hypocrites de la famille conjugale.
Fourier s'est autorisé un degré considérable de fantaisie dans ses écrits sur la liberté sexuelle. Il décrit longuement le rôle essentiel que les orgies soigneusement chorégraphiées joueront dans les futures communes. Parodiant l'Église catholique, il décrit une nouvelle hiérarchie cléricale volontaire fondée sur l'habileté sexuelle, l'altruisme sexuel et la capacité d'apporter du plaisir sexuel aux plus laid·es de la société. Pour remplacer les horreurs de la guerre, il a imaginé des armées itinérantes de jeunes gens amoureux qui s'affrontaient sur les champs de bataille en démontrant leurs prouesses érotiques. Celleux qui seraient suffisamment impressionné·es signaleraient leur défaite en se soumettant à un asservissement érotique volontaire et à des punitions sexuelles orchestrées pour une durée limitée. L'une de ces rencontres futures entre des armées érotiques itinérantes et leurs hôtes se déroulerait comme suit :
Au signal donné par la baguette de la fée, on se livre à une demi-bacchanale. Les deux troupes se précipitent dans les bras l’une de l’autre, la mêlée est générale et chacun reçoit et distribue confusément les caresses et chacun parcourt les appâts qui lui tombent sous la main et se livre aux franches impulsions de la simple nature. On voltige de l’un à l’autre, on baise les appâts de tous les champions, acteurs ou actrices, avec autant d’empressement que de célérité.
Cette orgie initiale est perturbée par l'intervention du désir homosexuel : "Pour séparer la mêlée, il faut y jeter du dissolvant : puisque tout se fait par attraction dans l’harmonie, il faut entremettre aussi des attractions mixtes et lancer dans la foule deux groupes, l’un de saphiennes et l’autre de spartiates, qui s’attaqueront d’abord aux champions de leur acabit" Cela permet à la prêtrise sexuelle d'émettre ses recommandations pour les couples romantiques les plus compatibles, car "l’harmonie opère en sens bien différent et, au lieu d’un lien sensuel et simple, elle tend à faire naître pour chacun deux unions d’amour composé, de pleine sympathie, dont cette mêlée sensuelle est un prélude nécessaire."
Après cet exposé érotique aride, Fourier nous taquine : "cependant les accessoires auxquels j’ai touché auront déjà suffi pour faire entrevoir que cet ordre ouvrira aux amours une carrière si brillante et si variée, qu’on regardera en pitié les chroniques galantes de la civilisation"
Fourier, en bref, était un auteur de science-fiction délicieusement pervers, et une source d'inspiration pour imaginer les communes pro-queer du futur. L'œuvre de Fourier peut inspirer en nous non seulement une alternative concrète à la famille en tant qu'unité de reproduction sociale, mais aussi un désir érotique illimité pour un meilleur mode de vie que nous n'avons pas encore découvert.
Les communes à venir
Plutôt que de la réalisation d'un plan, la commune pourrait naître spontanément de l'insurrection. Les masses de prolétaires affrontant directement l'État, le capital et l'oppression dans leur vie personnelle devront se tourner vers des stratégies de survie collective qui débordent la famille. Au cours d'une période insurrectionnelle, les gens s'approprieraient d'abord de grands bâtiments comme centres de reproduction sociale, avec des cantines collectives, des abris, des garderies, des soins médicaux et des salles pour les assemblées démocratiques. Les parents qui se joindraient à l'insurrection en viendraient probablement à partager le travail de soins aux enfants pour permettre leur pleine participation. Ces nouvelles institutions pourraient assurer à la fois la survie partagée et de nouvelles formes de joie et d'appartenance.
À mesure qu'une insurrection se déploie et consume des pans entiers de la société, la collectivisation du travail domestique et social de reproduction offre une stratégie de survie et de communauté. Il y aurait une tendance spontanée et générale à la formation de la commune en tant qu'unité primaire de la vie domestique. Les ménages isolés n'auraient pas les moyens de se reproduire matériellement sans accès au marché et aux systèmes de distribution basés sur le marché, tels que les supermarchés et les magasins à grande surface et les chaînes d'approvisionnement qui leur sont associées. Le bouleversement de la production capitaliste, de l'État et de la famille nécessiterait leur remplacement rapide par de nouvelles institutions, principalement la vie collective de la commune. Les communes sont des réponses à la question essentielle qui se posera dans un processus révolutionnaire : "Comment pouvons-nous prendre soin les un·es des autres ?"
Lorsque les communes commenceront à offrir une stabilité matérielle et une communauté de soutien, de nombreuses familles moins normatives choisiront de s'auto-abolir, en rejoignant les communes et en dissolvant leur insularité économique et sociale au sein de la communauté élargie. De nombreux débats récents ont opposé l'abolition de la famille aux formes de familles alternatives, aimantes et non normatives forgées par certaines personnes de couleur et homosexuelles contre l'hétéronormativité suprémaciste blanche. Plutôt qu'un repli sur la famille, ces formes choisies peuvent être une stratégie particulière que l'aspiration à l'abolition de la famille et aux soins partagés adopte souvent dans notre monde actuel. Dans un processus révolutionnaire, les familles choisies par les queers, les familles de couleur dirigées par des femmes et touchées par la migration et l'incarcération de masse, les familles vivant dans la pauvreté et celles qui survivent grâce à d'autres relations de parenté non hétéronormatives au sein de la classe ouvrière seraient les plus susceptibles d'adhérer à la commune.
L'abolition de la famille n'est pas la destruction des liens qui servent actuellement de protection contre la suprématie blanche, la pauvreté et la violence de l'État, mais plutôt l'extension de cette protection à des communautés de lutte plus larges. Les chefs de famille les plus résistants à l'auto-abolition (les propriétaires blancs, les patriarches abusifs, les homophobes et les autres personnes les plus investies dans la famille normative) devraient être remis en question par des luttes féministes, queer et communistes, à la fois au sein de leur famille et dans la société au sens large. Plus la famille est aimante et choisie, plus elle est susceptible de s'auto-abolir en rejoignant une grande commune fonctionnelle.
L'estimation d'Angry Workers d'environ 200 personnes me semble raisonnable, peut-être préférable aux 1 600 de Fourier. Deux cents personnes pourraient constituer un immeuble d'habitation important, des maisons individuelles regroupées autour d'une école ou d'un autre centre, ou un ensemble de petits immeubles d'habitation. La cuisine partagée créerait une dimension initiale appropriée, compte tenu de la logistique nécessaire pour cuisiner pour des groupes importants. D'autres activités de consommation partagée et de travail reproductif se développeraient rapidement et, en fonction de la distribution et de la concentration démographiques (enfants, personnes âgées et handicapés), pourraient englober plusieurs communes proches dans des activités partagées.
L'établissement de ces communautés libres doit faire partie d'un processus d'expansion, d'universalisation et de révolution qui développe également des modes pleinement communistes de production et de circulation des biens matériels. Ces communes ne seraient pas des communautés agricoles autosuffisantes ou des unités isolées luttant pour leur survie dans une société de marché. La transition communiste prendra du temps et se déroulera de manière inégale selon les lieux. Mais pour survivre, elle doit continuer à s'étendre et, en fin de compte, détruire les moyens de rétablir la domination de l'État ou du marché où que ce soit. La production communiste, sans salaire, sans argent ni échange, serait la coordination démocratique de la fabrication de biens matériels, de la prestation de services et du partage de la culture, le tout géré par de nombreuses couches d'évaluations virtuelles et en présence, d'enquêtes, d'algorithmes débattus, d'assemblées, de réunions et de bien d'autres délibérations multiples pour identifier et satisfaire durablement les besoins humains. Ces communes seraient intégrées à un système de production communiste s'étendant à l'échelle mondiale, en recourant au plus haut niveau de technologie compatible avec la décence humaine et la durabilité écologique.
Ces communes pourraient regrouper en leur sein des services collectifs de reproduction, incluant la garde et l'éducation des enfants, la blanchisserie collective, le nettoyage des appartements, la cuisine et le service de la cantine, la réparation et l'entretien des biens ménagers, la santé mentale et les soins médicaux réguliers, ainsi que les activités de divertissement en groupe. La collectivisation de nombreuses formes de consommation réduirait les ressources sociales et la consommation de carbone nécessaires pour assurer l'abondance à toustes. Les services avancés et hautement qualifiés nécessitant des installations et des infrastructures importantes pourraient être organisés au niveau régional, comme les soins chirurgicaux ou l'éducation spécialisée. Toustes les membres pourraient bénéficier d'un accès numérique complet aux réseaux mondiaux de communication et de collaboration, et pourraient être encouragé·es à nouer diverses relations en réseau avec d'autres communautés. Ces communes pourraient constituer les principales institutions chargées de répondre aux besoins matériels, tout en étant le centre de nouvelles formes de socialités communistes, d'art, d'expression, de communauté, de sexe et d'amour.
Une gouvernance démocratique directe et une lutte interne seraient essentielles pour ces communes afin d'éviter les stratifications internes de classe. Bien que certaines tâches puissent être déléguées à des organes élus, les décisions essentielles de la communauté doivent être prises par le biais d'une assemblée collective, de délibérations dans le cadre d'une conversation prolongée, et en tenant compte des préoccupations de toutes les personnes concernées. La démocratie directe pourrait servir de contrepoids à de nouvelles formes de domination de classe et de domination interne au sein des communes. Là où la production mondiale devrait être organisée par d'autres mécanismes, basés sur internet et en réseau, les décisions relatives à la vie quotidienne pourraient être prises par l'assemblée de chaque commune. Deux cents personnes, c'est à peu près la taille maximale d'une assemblée en personne où chacun est en mesure de participer directement à la prise de décision et d'avoir la possibilité de s'adresser à l'ensemble du groupe.
S'inspirant de l'engagement de Fourier en faveur de l'harmonie entre les différents types de personnalité, les communes devraient être caractérisées par une diversité interne, plutôt que par des communautés d'affinités. La libre circulation et la migration des personnes entre les communes pourraient être une contribution essentielle à cette hétérogénéité. Pour éviter de devenir des centres de survivalisme, d'ethnonationalisme ou de fascisme de genre, ces communes doivent également résister aux tendances à l'homogénéité religieuse et sociale. Bien que les individus puissent nourrir les croyances de leur choix, leurs relations avec les autres seraient sujettes à des débats publics et à des luttes politiques, brisant ainsi une division rigide entre le privé et le public.
Parmi les innombrables questions non résolues dans l'imaginaire du communisme, il y a celle de la prévention de la stratification entre les communes. Quelles pratiques pourraient garantir l'universalité du principe "à chacun·e selon ses besoins", sans la domination impersonnelle d'un État éloigné du corps social et le gouvernant ? L'absence de propriété, de travail salarié et de marché limiterait la capacité des communes à dominer les autres, mais les communes pourraient essayer de consolider certaines formes de production privée pour leur propre consommation interne. Comment la société pourrait-elle empêcher certaines communes de jouir d'un niveau de vie nettement supérieur à celui des autres ? Ou négocier des conflits de ressources entre communes ? Ou démanteler la distribution existante de l'inégalité géographique, du développement inégal et de la stratification raciale qui organise l'espace capitaliste ?
Celleux qui imaginent le socialisme comme des services impersonnels fournis par un État gérant une économie de marché ont des réponses intelligibles et prêtes à l'emploi : iels peuvent esquisser des politiques qui contrebalancent délibérément les inégalités en investissant bureaucratiquement dans les zones sous-développées, en taxant les zones plus riches et en promouvant des politiques de déségrégation. Mais avec une prise de décision dispersée dans l'ensemble de la société, et les communes fonctionnant comme un site primaire de consommation, nous aurions besoin de pratiques nouvelles et inconnues à ce jour pour atténuer l'inégalité potentielle de consommation entre les communes, et pour assurer le bien-être matériel de base pour toustes. Je soutiens ici la combinaison inhabituelle de Fourier qui appelle à la fois à des infrastructures sociales non marchandes dispersées et à un minimum social universel garanti.
À mesure que les gens expérimenteront une société libre, le nombre de personnes s'identifiant à une sexualité non normative pourrait augmenter, comme nous le constatons actuellement chez les jeunes qui, de plus en plus, ne s'identifient pas comme hétérosexuel·les. De même, lorsque Fourier traite les normes d'attractivité et de laideur comme transhistoriques, je soutiens au contraire qu'elles se transformeront et s'élargiront nécessairement. La culture queer, le leadership queer et les mouvements queer sont une ressource essentielle pour les luttes communistes qui poursuivent des formes plus riches de liberté humaine. Combinées au caractère collectif de la commune, ces tendances queer pourraient se déployer en de nouvelles dynamiques valorisant des relations sexuelles consensuelles, positives et saines.
Le sexe et le plaisir sexuel pourraient devenir des préoccupations collectives, à la fois en contestant la coercition et les abus sexuels, et en aidant les gens à trouver des voies vers l'épanouissement sexuel. Contrairement à Fourier, je reconnais que la pleine satisfaction sexuelle et l'harmonie parfaite ne sont probablement pas possibles compte tenu des connaissances psychanalytiques sur le développement humain ; mais la commune offre la possibilité de transformer les pratiques sexuelles et l'érotisme en quelque chose qui pourrait être considéré collectivement comme un besoin humain, une source de bien-être et un domaine de soins éthiques. Cela pourrait occasionnellement prendre la forme des orgies collectives planifiées imaginées par Fourier, mais plus souvent il s'agirait de soutenir les personnes dans leur santé sexuelle et leur satisfaction sexuelle en l'intégrant dans les soins de santé mentale et physique ; les relations polyamoureuses pourraient être plus courantes ; et la reconnaissance sociale que du bon sexe peut être une source de bien-être humain pourrait aider à défaire la misogynie hétéronormative.
Pour réussir, les communes doivent inclure les personnes incapables de travailler. L'expérience récente des sans-abri rejoignant les campements d'Occupy montre clairement le besoin de stratégies intelligentes, collectives et non exclusives pour faire face au handicap, à la toxicomanie et à la maladie mentale. La réduction des risques, l'aide à la santé mentale et la prise en charge des addictions devraient être au cœur des préoccupations de celleux qui mettent en place les communes. Il faudra plusieurs générations à la société communiste pour guérir des traumatismes du capitalisme et de la guerre, et prendre soin de la complexité des variations biologiques humaines sous les formes que nous définissons aujourd'hui comme handicap, neurodivergence ou maladie mentale.
Au fur et à mesure que l'insurrection assure des conditions matérielles plus stables et à plus grande échelle, il pourrait y avoir une contre-tendance à la réaffirmation de la famille. Si ces communes ne parviennent pas à devenir la forme généralisée de reproduction sociale et que la famille nucléaire redevient la principale unité de consommation, la société verrait le retour de la logique actuelle de la famille capitaliste, à savoir le conservatisme, la blanchité, la propriété et l'auto-isolement. Le retour de la famille contribuerait à la contre-révolution, à la réaffirmation de l'État et à l'échec du communisme.
Pour résister à cette contre-tendance, les contradictions de genre et de sexualité pourraient devenir centrales pour refuser un tel retour à la famille. Comme Fourier, j'imagine que l'intérêt personnel associé à une conscience transformée serait essentiel pour maintenir l'engagement collectif dans la commune. Les femmes et les partenaires féminisées pourraient refuser la réimposition de la famille, ayant été témoins de la réduction du travail domestique dans la commune collective, et des opportunités que la commune offre pour contester les dynamiques relationnelles sexistes. Les personnes queer et trans pourraient reconnaître dans la commune les moyens de résister aux abus et à la domination de la famille pour elles-mêmes et pour leurs futurs enfants queer et trans. Celleux qui ont fait l'expérience de la commune insurrectionnelle pourraient y reconnaître la base matérielle d'un ordre sexuel et de genre plus libre, et choisir de défendre et d'étendre sa portée. Toustes celleux qui prennent conscience de l'enjeu de la victoire du communisme pourraient se joindre aux queers, aux trans et aux féministes pour résister au retour de la famille et lutter pour son remplacement total par la commune.
Si les communes réussissent, de nouvelles formes d'architecture, de conception et de construction refléteront progressivement les besoins d'une combinaison d'espaces de vie privés hétérogènes pour les individus et les petits groupes choisis, et d'espaces partagés pour le travail reproductif et la consommation. Dans la conception de nouveaux espaces physiques pour les communes, les gens pourraient disposer d'un espace privé et personnel suffisant pour elleux-mêmes et les membres de leur famille qu'iels auraient choisis. Mais beaucoup de choses qui se font aujourd'hui dans la maison privée pourraient être mieux faites dans un espace partagé : les cantines peuvent remplacer la plupart des cuisines et des salles à manger ; les crèches remplacerait la salle de jeux individuelle d'un enfant ; les salles de divertissement peuvent servir d'endroits pour regarder la télévision ou se retrouver en groupe ; les bureau personnels peuvent être remplacés par des bibliothèques et des espaces de travail partagés ; le matériel d'entretien et de nettoyage des maisons peut être disponible dans un espace commun ; les véhicules peuvent être partagés de la même manière. La commune d'environ 200 personnes est suffisamment petite pour que toutes ces choses soient à portée de main et facilement accessibles à toute heure. D'autre part, la commune étant beaucoup plus grande que les ménages actuels, la nécessité d'une consommation individualisée et d'un espace de vie isolé est réduite à un minimum raisonnable. Dans la plupart des cas, l'espace privé pourrait se limiter à des groupes de chambres confortables pour celleux qui choisissent de vivre dans un arrangement de type familial, regroupés autour d'une seule pièce partagée, facilement accessible à l'ensemble de la commune.
Au sein de la commune, les liens de parenté peuvent persister sous de nombreuses formes, mais ils sont intégrés à une communauté plus large et interdépendante. Les individus pourraient opter pour un arrangement de co-parentalité avec un·e ou plusieurs adultes, créant ainsi des arrangements de type familial pour élever les enfants. Au cours des dernières décennies, la recherche sur le développement psychologique a établi que les enfants ont besoin de l'attention constante d'un petit nombre d'adultes au début de leur vie. Cette constatation remet en question certains courants historiques abolitionnistes de la famille qui considéraient à tort les liens mère-enfant comme intrinsèquement oppressifs et devant être totalement interdits. Parmi les arrangements hétérogènes de relations étroites au sein d'une commune, les gens peuvent choisir d'élever les enfants qu'iels ont conçus ou avec lesquel·les iels ont une relation biologique, ou iels peuvent choisir d'autres arrangements, ou elleux-mêmes, leur enfant, ou celleux qui l’entourent peuvent changer ces arrangements au fur et à mesure que l'enfant grandit. De même, quelques personnes peuvent choisir de former des relations à vie avec leur famille biologique, ou de s'associer romantiquement à long terme avec une autre personne et d'intégrer l'éducation des enfants dans leur pratique.
Cependant, ces unités parentales ou familiales étroites ne serviraient en aucun cas d'unité économique et n'organiseraient pas la consommation matérielle. Au contraire, elles n'agiraient que comme un arrangement volontaire et personnel à conclure au sein d'une unité économique plus large, dans le cadre de la disponibilité immédiate de multiples alternatives permettant à quiconque de s'y soustraire. Si un enfant trouvait sa situation de vie intolérable, il y aurait beaucoup d'autres adultes interdépendant·es et proches socialement qui pourraient observer la situation, intervenir collectivement si nécessaire et proposer des solutions de logement alternatives facilement accessibles, y compris d'autres familles que l'enfant pourrait rejoindre, ou des crèches spécialisées dans ce type de tâches. En grandissant, les enfants peuvent passer par de multiples ménages et conditions de vie, y compris dans des logements collectifs centrés sur les enfants, toujours à proximité du groupe d'adultes d'origine qu'iels peuvent identifier comme leurs parents. Lorsqu'iels atteignent l'âge adulte, comme l'a imaginé Fourier, iels pourraient se mettre à voyager à travers les continents pour explorer la richesse du monde, tout en gardant un contact numérique à distance avec leurs ami·es et de nombreuses formes de relations familiales. Ces alternatives permettraient également aux parents de se retirer, assurant ainsi que les besoins matériels et sociaux de leurs enfants seront satisfaits par d'autres.
La commune pourrait en venir à donner la priorité à la découverte, à l'exploration et à l'expression du genre chez chaque personne. De nouvelles modalités de genre pourraient être intégrées à l'éducation des enfants, aux jeux et aux espaces sociaux, aux divertissements et aux soins médicaux. La libération du genre est une caractéristique essentielle de la création d'une nouvelle base pour le bien-être humain communiste. Dans la communisation de la société et l'abolition de la famille, le genre subirait des transformations massives pour ne plus servir de base à la division du travail, aux dominations interpersonnelles ou aux violences sexuelles. Au contraire, le genre pourrait devenir ce qui est déjà préfiguré dans l'expérience trans : une forme d'expression de la subtile vérité personnelle, de la beauté et de la richesse de l'expression humaine, de la maîtrise de l'esthétique, de l'érotisme et de l'épanouissement personnel.
En 1808, Fourier décrit la chronologie de la révolution complète de toutes les relations sociales. Si, comme toustes les révolutionnaires du passé, il s'est trompé dans sa chronologie, il a raison de dire que le communisme est toujours immanent au présent, en tant que mouvement réel qui abolit l'état de choses existant :
Ne vous laissez point abuser par les gens superficiels qui croiraient voir dans l’invention des lois du mouvement un calcul systématique. Songez qu’il ne faut que quatre à cinq mois pour le mettre à exécution sur une lieue carrée, que l’essai en sera peut-être achevé dans le cours de l’été prochain; qu’alors le genre humain tout entier passera à l’harmonie universelle, et que vous devez, dès à présent, régler votre conduite sur la proximité et la facilité de cette immense révolution.
Publication originale (15/10/2019) :
Pinko
· Cet article fait partie de notre dossier Communisme du soin du 21 mai 2023 ·
For recent discussions of family abolition, see Sophie Lewis, Full Surrogacy Now: Feminism Against the Family, Verso Books, 2019; KD Griffiths and JJ Gleeson, “Kinderkommunismus: A Feminist Analysis of the 21st-Century Family and a Communist Proposal for its Abolition,” Ritual, 2015; Madeline Lane-McKinley, “The Idea of Children,” Blind Field, 2018; and ME O’Brien, “To Abolish the Family: The Working-Class Family and Gender Liberation in Capitalist Development,” Endnotes, 2019. This essay is a sequel and follow-up to the latter piece.
Barucha Peller, “Self-Reproduction and the Oaxaca Commune,” ROAR, 2016.