"Je laisse tomber mon orgueil face au Covid" déclare un immunologiste de renom | Andrew Nikiforuk
Après que le virus ait endommagé le cœur de Chris Goodnow, il s'est joint au nombre croissant de personnes qui s'opposent à la complaisance en matière de réinfection.
Andrew Nikiforuk est journaliste, spécialiste des épidémies ainsi que des questions économiques et environnementales. Il a notamment publié les livres The Fourth Horseman, Pandemonium et Saboteurs. En français il a publié chez Écosociété Les sables bitumineux : la honte du Canada en 2010 et L'énergie des esclaves : le pétrole et la nouvelle servitude en 2015.
· Cet article fait partie de notre dossier Covid-19 du 12 octobre 2022 ·
En mai dernier, un sous-variant d'Omicron, en constante évolution, a terrassé Chris Goodnow, un immunologiste de renommée internationale.
Ce scientifique australien en pleine forme, qui pratique la randonnée, le vélo et le surf sur la plage de Manly à Sydney, avait reçu quatre doses de vaccin. Ayant passé près de quarante ans à étudier comment les globules blancs du système immunitaire nous protègent des infections, il se sentait assez à l'aise pour retirer son masque.
"Peut-être serait-il préférable d'attraper le covid et d'en finir, maintenant que je suis complètement vacciné", se rappelle-t-il avoir spéculé.
"Après tout, ne s'agit-il pas simplement d'un rhume chez les personnes totalement immunisées ? Et une fois que je l'aurai eu, n'aurai-je pas acquis une immunité qui me permettra de ne plus être malade du tout si je l'ai à nouveau ?".
Mais Omicron s'est moqué de ces croyances populaires.
Le 26 mai, Goodnow a la gorge irritée. Douze jours plus tard, son système immunitaire n'a pas éliminé le virus. Puis il est atteint par une insuffisance cardiaque congestive. Il développe une toux thoracique, est essoufflé. Ses chevilles enflent.
Goodnow a eu de la chance. Sa myocardite aiguë (inflammation du muscle cardiaque) était légère, mais suffisamment grave pour réduire sa mobilité et sa vie professionnelle.
Suite à cette infection, Goodnow a démissionné en juillet dernier de son poste de directeur du laboratoire d'immunogénomique du Garvan Institute of Medical Research à Sydney, en Australie, "pour des raisons de santé".
Dans une interview remarquablement franche accordée à une station de radio australienne, puis dans une chronique personnelle, Goodnow a admis que le COVID ne s'était pas comporté comme attendu.
"C'est la chose qui m'a vraiment surpris et qui, j'en suis sûr, a stupéfié la plupart des immunologistes", a-t-il déclaré dans l'interview à la radio.
Comme de nombreux scientifiques, Goodnow a supposé que toute infection après vaccination serait bénigne, que les réinfections seraient en grande partie asymptomatiques, que le COVID se comporterait comme un rhume après la vaccination et que les vaccins spécifiques aux variants nous délivreraient de la pandémie.
Mais Goodnow considère aujourd'hui que ces hypothèses sont erronées et il s’attelle à démonter les mythes que "beaucoup d'entre nous, moi y compris, avons entretenus plus que de raison", écrit-il. Il rejoint désormais un groupe croissant d'expert·es scientifiques qui tirent de nouvelles sonnettes d'alarme à propos du COVID, les " nombreux·ses autres ", dit-il, qui " travaillent dur pour arrêter les vagues sans fin de réinfection. "
Pas un rhume ni une grippe
Le premier mythe que Goodnow veut déboulonner est probablement le plus courant, à savoir que le COVID n'est qu'un simple rhume.
Or les rhumes ne se comportent pas comme le COVID dans le corps.
Les rhumes, par exemple, ne laissent pas 2,3 % des athlètes avec un cœur inflammé après l'infection, comme l'ont montré des tests effectués dans 10 universités américaines.
Les rhumes n'aggravent pas non plus les séquelles après chaque infection, comme Goodnow et d'autres craignent que ce soit le cas avec le COVID. Il attire l'attention sur une étude, qui n'a pas encore fait l'objet d'un examen par les pairs, menée par Ziyad Al-Aly, de la faculté de médecine de l'université de Washington, auprès du ministère américain des anciens combattants.
Ziyad Al-Aly et deux autres chercheur·euses ont examiné les dossiers médicaux de 250 000 ancien·nes combattant·es infecté·es une fois par le COVID, 36 000 infecté·es deux fois et 2 000 infecté·es trois fois.
En utilisant un "rapport de risque" - une mesure de la fréquence à laquelle des mauvaises choses arrivent à un groupe par rapport à un autre - ces chercheur·euses ont constaté que le risque de complications cardiaques, cérébrales, rénales et sanguines augmentait après chaque nouvelle infection.
Comme le souligne Goodnow à propos de ces résultats, "le risque de maladie cardiovasculaire, par exemple, augmente après une infection, mais double chez les personnes ayant subi deux infections, et triple chez celles infectées trois fois."
Des risques similaires ont été constatés pour les maladies cardiaques, les problèmes de coagulation sanguine, les troubles cérébraux et le diabète. Les vaccins ne semblaient pas non plus contribuer à prévenir ces problèmes, qui surviennent le plus souvent jusqu'à six mois après l'infection.
"Chaque fois que vous plongez dans le bain du COVID, vous avez la même chance de voir se produire tout un tas de mauvaises choses", a expliqué M. Goodnow, qui considère l'étude sur les ancien·nes combattant·es comme "des données de terrain très importantes".
Sa conclusion : "Le COVID-19 n'est pas un simple rhume, et le fait de l'avoir déjà eu ne permet pas d'en être débarrassé".
Les implications sont évidentes, jusque dans la propre maison de Goodnow. Le 14 septembre, des chercheur·euses ont noté que "jusqu'à présent, en 2022, plus de 12 000 Australien·nes sont mort·es du COVID, soit six fois plus que le nombre de décès des deux années précédentes". Ajoutant qu'une poussée estivale mortelle "s'est produite malgré une immunité considérablement accrue par la vaccination avec les troisième et quatrième doses, l'infection naturelle et les thérapies de secours introduites en avril de cette année."
Pas non plus un virus qui ne frappe qu'une fois
Le deuxième mythe que Goodnow veut détruire est que le COVID est un "virus qui ne frappe qu'une fois".
De nombreux virus, comme la polio ou la rougeole, deux maladies infantiles, confèrent une immunité de longue durée après une injection de vaccin ou une infection naturelle. Mais la famille des coronavirus ne se comporte pas de la même manière. Une infection ou un vaccin ne confère qu'une protection immunitaire temporaire ou passagère. Cette immunité décroissante ou transitoire justifie la nécessité des rappels répétés.
Prenons par exemple les quatre différents virus du rhume - tous membres de la famille des coronavirus - qui assaillent l'homme chaque année, explique Goodnow. Des recherches américaines récentes montrent que deux de ces virus se comportent comme Omicron depuis trois décennies. "Ils arrivent tous les ans ou tous les deux ans et échappent aux anticorps que nous avons fabriqués auparavant".
Les coronavirus ont également appris à échapper au système immunitaire d'autres espèces.
En fait, le tout premier coronavirus découvert l'a été chez des poulets dans les années 1930. Chez les poulets, le virus de la bronchite infectieuse, ou BI, ne provoque pas seulement des maladies respiratoires, mais endommage l'intestin, les reins et même le système reproducteur. Pour l'industrie du poulet, la BI reste le deuxième plus gros problème viral après la grippe, car le coronavirus est très habile à muter et à échapper au système immunitaire.
L'administration aux poulets d'une seule injection de vaccin contre la BI peut leur conférer une immunité d'environ 16 semaines contre l'infection, puis "les anticorps disparaissent", note M. Goodnow. "Il s'agit d'un modus operandi propre aux coronavirus", incluant le COVID, dit-il. "C'est une astuce que cette classe de virus a développée il y a longtemps."
Le COVID n'est donc pas un virus " une fois et c'est tout " et une infection ou un vaccin procurent une immunité temporaire contre une nouvelle infection.
Les vaccins n'arrêtent pas la transmission
Goodnow a également disséqué un autre mythe puissant : celui selon lequel les vaccins arrêtent la transmission.
De nombreuses personnes ont longtemps pensé que le fait d'être totalement immunisé signifiait qu'elles ne pouvaient pas être infectées. "C'est une autre forme d'orgueil dont je faisais preuve - jusqu'à très récemment", déclare le Dr Goodnow.
Ce qui a vraiment changé cette supposition, c'est l'apparition d'Omicron, le variant le plus évasif à ce jour. Avant la vague Omicron, la réinfection par d'autres variants de COVID était un événement rare. Aujourd'hui, les réinfections représentent plus de 10 % de tous les cas.
À l'échelle de la population, les vaccins ont fait du bon travail en évitant à de nombreuses personnes d'aller à l'hôpital ou au cimetière, et des recherches récentes montrent que les vaccins sont associés à une réduction du risque de Covid long. Cependant, même s'il est important de se faire vacciner, la vaccination n’empêche pas les infections ou certaines des complications causées par ces infections.
Goodnow cite des données de l'Agence britannique de sécurité sanitaire montrant que la protection contre l'infection chez les citoyen·nes ayant reçu deux injections plus un rappel est passée de 95 % contre Delta à seulement 45 % contre Omicron.
"Étant donné que l'infection préalable et la vaccination n'empêchent pas le virus de se propager, Omicron a déjà engendré un variant porteur de mutations encore plus importantes, BA.5, qui est trois fois plus apte à échapper aux défenses de notre organisme", note Goodnow dans un article.
"Vous devez partir du principe que vous êtes moins bien protégé aujourd'hui et, bien qu'il soit essentiel de recevoir votre rappel, ne commettez pas l'erreur de renoncer aux masques ou à la distanciation sociale pour le moment."
Depuis que Goodnow a écrit sur Omicron en juillet, d'autres preuves confirmant ses avertissements sont apparues. Dans une étude qui doit encore faire l'objet d'un examen par les pairs, des scientifiques danois·es ont signalé que "l'incidence des réinfections Omicron-Omicron se produit sur un intervalle de temps plus court que celui observé après une primo-infection par un variant préoccupant non-Omicron".
"Notre analyse suggère qu'une seule infection par le SRAS-CoV-2 pourrait ne pas générer l'immunité protectrice nécessaire pour se défendre contre les réinfections par les lignées Omicron émergentes."
Et des chercheur·euses sud-africain·es ont signalé une "diminution rapide de l'efficacité du vaccin contre les sous-lignées actuelles du variant Omicron en ce qui concerne la protection contre l'hospitalisation".
Les vaccins spécifiques à un variant ne sont pas une solution miracle
Le dernier mythe auquel s'attaque Goodnow est la croyance selon laquelle les vaccins spécifiques à un variant constituent la solution miracle pour revenir à la normale.
Si les rappels augmentent effectivement les anticorps et confèrent une protection supplémentaire contre l'hospitalisation et la mort, ils sont pris dans une course permanente avec l'évolution virale.
Le nouveau vaccin bivalent de Moderna (il contient l'ancienne souche Wuhan et le premier des variants Omicron) augmente les anticorps neutralisants à un niveau deux fois supérieur à celui du rappel initial. Et c'est une bonne nouvelle, souligne Goodnow.
Mais lorsqu'ils sont confrontés aux propriétés d'évasion immunitaire de BA.5, ces anticorps neutralisants se révèlent insuffisants.
Étant donné l'intensité et la rapidité de l'évolution virale, les vaccins se trouvent dans ce que Goodnow appelle le "dilemme de deux pas en avant, trois pas en arrière". Et, comme d'autres expert·es, il ne pense pas que cet état de fait prendra fin "tant que nous n'aurons pas trouvé le moyen de déjouer le virus en mettant au point un vaccin durable, résistant aux variants et bloquant la transmission".
Est-ce faisable ? "Personne ne le sait", affirme M. Goodnow, même si de nombreux·ses scientifiques ont placé leurs espoirs dans la mise au point d'un vaccin en spray nasal efficace.
Mais l'immunologiste australien qui prétendait auparavant "avoir une assez bonne maîtrise du COVID" en est maintenant convaincu : "Nous ne pouvons pas laisser ce virus devenir quelque chose que nous attrapons deux ou trois fois par an. Ce n'est pas acceptable" étant donné "les coûts sociaux, personnels et économiques".
Pour l'instant, Goodnow a son propre plan pour éviter les dangers posés par les réinfections cumulatives : "Je laisse tomber mon orgueil face au Covid-19 et je mets un masque."
Publication originale (23/09/2022) :
The Tyee
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