Trois mythes sur le Covid-19 | Chris Goodnow
Chris Goodnow, professeur d’immunologie de renommée mondiale, est titulaire de la chaire Bill et Patricia Ritchie, il dirige le laboratoire d'immunogénomique du Garvan Institute of Medical Research, et il est professeur et directeur de l'UNSW Cellular Genomics Futures Institute de la faculté de médecine de l'UNSW Sydney.
En tant qu'immunologiste ayant à mon actif quatre décennies de recherche sur les anticorps, j'ai toujours pensé que je maîtrisais assez bien le Covid-19.
Mais lorsque j'ai attrapé le virus en mai, mon orgueil a rapidement laissé place à l’ humilité.
Le Covid-19 m'a laissé avec une complication cardiaque grave qui survient chez 2 % des personnes infectées, le risque n'étant pas diminué par la vaccination ou une infection antérieure.
C'était une expérience effrayante, qui m'a rappelé que le virus n'en a pas fini avec nous, même si nous désespérons d'en finir avec lui.
Je partage ici mon point de vue sur les données récentes qui démystifient trois mythes sur le Covid-19 que beaucoup d'entre nous, moi y compris, avons entretenus plus que de raison - et je vous explique pourquoi moi et tant d'autres personnes travaillons dur pour mettre fin aux vagues sans fin de réinfection.
Mythe n° 1 : Ce n'est plus qu'un rhume, alors passons à autre chose !
Comme tout le monde, j'en avais assez de la pandémie et de toutes les façons dont elle a bouleversé nos vies.
"Peut-être que ce serait mieux d'attraper le virus et d'en finir avec lui, maintenant que je suis complètement vacciné ?" me suis je interrogé.
Après tout, n'est-ce pas juste un rhume chez les personnes complètement vaccinées ? Et une fois que je l'aurai eu, n'aurai-je pas acquis une immunité qui me permettra de ne plus être malade du tout si je l'attrape à nouveau ?
C'est en tout cas l'hypothèse que j'aurais formulée après quatre décennies de recherches de pointe en immunologie sur les lymphocytes T et B.
Mais pour le SRAS-CoV-2, ces hypothèses semblent erronées.
Le mois dernier, des chercheur·euses américain·es ont communiqué les résultats préliminaires d'une étude portant sur les conséquences de l'infection et de la réinfection par le SRAS-CoV-2 dans une cohorte de plus de 5,5 millions de vétérans américains.
Les chercheur·euses ont examiné les dossiers médicaux de plus de 250 000 personnes qui avaient été infectées une fois, 36 000 personnes qui avaient été infectées deux fois et 2 000 personnes qui avaient été infectées trois fois.
Iels ont constaté que pour chaque problème de santé mesuré, le rapport de risques - la mesure de la fréquence à laquelle quelque chose se produit dans un groupe par rapport à un autre - augmentait à chaque infection par le Covid-19.
Le risque de maladie cardiovasculaire, par exemple, augmentait après une infection, mais doublait chez les personnes ayant eu deux infections, et triplait chez celles qui avaient été infectées trois fois.
Ces chiffres se traduisent par 50 cas supplémentaires de maladies cardiaques pour 1 000 personnes ayant eu le Covid-19 deux fois.
Malheureusement, la vaccination ne semble pas être d'un grand secours : le risque cumulé de maladie cardiaque était indiscernable lorsque les chercheur·euses ont séparé les personnes qui avaient reçu au moins deux doses de vaccin Covid-19 et celles qui n'avaient pas été vaccinées du tout.
Les chercheur·euses ont constaté des risques cumulatifs similaires à chaque réinfection pour les maladies pulmonaires, les troubles de la coagulation et du sang, les maladies neurologiques, les problèmes de santé mentale, les maladies rénales, les maladies musculo-squelettiques, la fatigue, etc.
Ces problèmes surviennent le plus souvent au cours du premier mois suivant l'infection, mais peuvent apparaître jusqu'à six mois plus tard.
Nous savons que les problèmes cardiaques induits par le Covid-19 ne sont pas non plus réservés aux vétérans.
En raison du risque de mort cardiaque subite chez les personnes souffrant d'une inflammation du muscle cardiaque, des athlètes de compétition de 10 universités américaines qui ont été testés positifs au Covid-19 ont fait l'objet d'un dépistage systématique de la myocardite aiguë induite par le Covid-19.
Les chercheur·euses ont constaté que 2,3 % des athlètes avaient développé des problèmes cardiaques jugés suffisamment graves pour les mettre sur la touche pendant 3 à 6 mois.
Le message qui ressort de ces données est clair : le Covid-19 n'est pas un simple rhume, et le fait de l'avoir déjà contracté ne permet pas de " passer à autre chose ".
Mythe n° 2 : être totalement immunisé·e empêche l'infection
Si vous êtes immunisé·e et que vous avez récemment reçu un rappel, cela vous empêche d'être infecté·e... n'est-ce pas ?
C'est une autre forme d'orgueil que je portais - jusqu'à très récemment.
En mai, j'avais reçu quatre injections, dont une juste le mois précédent, alors la partie émotionnelle de mon cerveau voulait croire que je pouvais enfin oublier les masques et reprendre ma vie comme avant.
Je l'ai fait, et j'ai été rapidement infecté.
Malheureusement, ce qui était presque une réalité pendant la vague Delta est devenu obsolète avec l'arrivée d'Omicron.
Les données en vie réelle de la UK Health Security Agency montrent que la capacité des vaccins actuels à empêcher les gens d'être infectés a été considérablement réduite face à ce qui était, en décembre dernier, le nouveau variant et celui ayant le plus grand échappement immunitaire.
Parmi les personnes ayant reçu deux doses d'AstraZeneca et un rappel de Pfizer, la protection contre l'infection (10 à 14 semaines après la vaccination) est passée de 95 % face à Delta à seulement 45 % contre Omicron.
À 20 semaines, les données indiquent que vous n'avez aucune protection contre l'infection par Omicron. Il en va de même pour le rappel Moderna si vous avez reçu Pfizer pour vos deux premières doses.
Il faut également se rappeler que le virus Omicron original (B1.1.1.529) n'est plus qu'un mauvais souvenir de l'été dernier en Australie.
L'infection et la vaccination ne suffisant pas à empêcher la propagation du virus, Omicron a déjà donné naissance à un rejeton ayant subi une mutation encore plus importante, BA.5, qui est trois fois plus apte à échapper aux défenses de notre organisme.
Vous devez partir du principe que vous êtes moins bien protégé aujourd'hui et, bien qu'il soit essentiel de recevoir votre rappel, ne commettez pas l'erreur d'abandonner les masques ou la distance sociale pour le moment.
Mythe n° 3 : les vaccins spécifiques à un variant sont la solution
Suivre l'évolution des variants du Covid-19 revient à jouer au jeu du chat et de la souris.
Pourquoi ne pouvons-nous pas simplement adapter les vaccins pour cibler des variants comme Omicron avec la nouvelle technologie des vaccins ARNm ?
La technologie est rapide, mais le virus l'est encore plus. Au cours des sept mois qui ont suivi l'apparition du variant original Omicron, nous avons fait deux pas en avant et trois pas en arrière.
En juin, Moderna a publié les résultats préliminaires d'un essai portant sur l'efficacité de son rappel spécifique à Omicron chez des personnes déjà immunisées et ayant reçu un rappel.
La moitié des participant·es à l'essai a reçu un vaccin spécifique à Omicron, tandis que l'autre moitié a reçu le rappel original de Moderna (basé sur la souche Wuhan).
L'essai a montré que, parmi les personnes qui avaient été vaccinées, ayant reçu un rappel et ayant été infectées (une grande partie d'entre nous), le rappel spécifique à Omicron a augmenté les anticorps neutralisants jusqu'à deux fois le niveau atteint avec le rappel original. Deux pas en avant.
Mais l'essai a également révélé que les niveaux moyens d'anticorps neutralisants nécessaires contre BA.5 ont été multipliés par trois. Trois pas en arrière.
Si nous avons fait des progrès avec les vaccins, nous n'avons pas suivi le rythme du "glissement antigénique " du virus.
Ce dilemme des deux pas en avant et des trois pas en arrière risque de se répéter indéfiniment jusqu'à ce que nous trouvions un moyen de déjouer le virus en mettant au point un vaccin durable, résistant aux variants et bloquant la transmission.
Est-ce faisable ? Personne ne le sait.
Mais dans le monde entier, des groupes de recherche scientifique comme le mien commencent à entrevoir des moyens d'y parvenir - et s'y emploient de toutes leurs forces.
Se réapproprier la lutte contre le Covid-19
Vous pouvez trouver tout ce qui précède un peu aride et déprimant. Je comprends. Nous sommes tous·tes fatigué·es de ce que la pandémie nous a fait subir et nous voudrions passer à autre chose.
Et quand on regarde les chiffres concernant les risques cardiovasculaires, on peut même penser que les chances sont plutôt bonnes.
Si seulement 2,3 % des athlètes devaient être mis sur le banc de touche et que seulement 1,5 % des anciens combattants se retrouvent avec des problèmes cardiaques lors de leur première infection, plus de 97 % des gens s'en sortiront parfaitement. Alors pourquoi s'inquiéter ?
Je fais partie des 1,5 à 2,3 %, et rien de tout cela n'est aride, ni abstrait pour moi.
J'ai la chance d'avoir une myocardite plutôt légère. Mais c'est suffisant pour ralentir mes contributions aux travaux de recherche médicale les plus importants, et pour m'empêcher de faire d'autres choses importantes dans ma vie comme le surf, la natation, le vélo et la randonnée.
Mon pronostic est bon, car le muscle cardiaque se répare, mais cela prend du temps.
Quel est donc mon plan, maintenant que je sais que le risque de problèmes cardiaques et d'autres problèmes de santé est tout aussi élevé lors d'une deuxième ou d'une troisième infection, et en l'absence d'un vaccin contre l'infection BA.5 ?
Je laisse tomber mon orgueil face au Covid-19 et je mets un masque.
Pensez-y.
Publication originale (28/07/2022) :
ABC News