Qui veut la peau de l'autodéfense sanitaire ? | À ta santé camarade ! #6
On mesure les avancées d’une lutte à sa structuration progressive, aux liens qu’elle tisse, aux productions qu’elle fait éclore, et à cet égard l’autodéfense sanitaire progresse chaque jour. Mais un autre indicateur se montre particulièrement vigoureux en ce moment : les attaques qui la ciblent.
Les Canards masquées est un groupe d’autodéfense sanitaire composé de palmipèdes handi·es et valides qui luttent pour des futurs antivalidistes. (email : canardsmasquees@riseup.net)
On mesure les avancées d’une lutte à sa structuration progressive, aux liens qu’elle tisse, aux productions qu’elle fait éclore, et à cet égard l’autodéfense sanitaire progresse chaque jour. Mais un autre indicateur se montre particulièrement vigoureux en ce moment : les attaques qui la ciblent. À vrai dire, la pandémie de Covid-19 s’est immédiatement constituée comme un terrain de bataille entre, d’un côté, les partisan·es de la prévention, de la médecine fondée sur les preuves, de la justice sanitaire et sociale ; et, de l’autre côté, les amateurices de gourous se proclamant de la médecine, de complots et d’eugénisme. Février 2020 : « Coronavirus : fin de partie ! » cancanait Didier Raoult en brandissant l’hydroxychloroquine, non seulement inutile dans cette pathologie, mais dangereuse. Octobre 2024 : énième vague de Covid-19, à des niveaux comparables à 2020, dans un contexte où plusieurs mesures efficaces de réduction des risques sont connues (masques FFP2, rappels de vaccin, qualité de l’air) mais délaissées par la majorité. Raoult, finalement, avait juste un peu d’avance sur l’imposante foule des covidonégationnistes d’aujourd’hui. Quatre ans et demi plus tard, les attaques se poursuivent et se diversifient.
En 2024, les pseudo-scientifiques et leurs affidé·es continuent à utiliser les apparences de la science et de la médecine pour promouvoir des faits, des procédures et des idéologies anti-scientifiques et néfastes pour la santé publique. En août 2024, la revue Biomedicine & Pharmacotherapy a, fait éminemment rare dans le monde des revues scientifiques, rétracté un article qui avait formulé une estimation du nombre de décès causés par la prise indue d’hydroxychloroquine en début de pandémie (entre 6000 et 19 000 en 2020). Une erreur dans l’estimation ? Non. Une faute éthique des auteurices de l’étude ? Non plus. Mais une pluie de lettres portant des critiques dont « l’étendue et la profondeur » ont effrayé l’éditeur, Elsevier, qui a préféré faire machine arrière. Autrement dit, une campagne de harcèlement efficace du fan-club de Raoult. L’extrême droite et sa passion pour interdire des livres dans les bibliothèques ou des données dans des revues scientifiques. Tout aussi inquiétant, mais cette fois par sa banalité : une étude sociologique rendue publique lors des journées de l’association Winslow Santé Publique autour du covidactivisme (« Matthieu Adam, Irene Ramos et Cyprien Tasset, “Les variations sociales de la (mé)connaissance sanitaire. Analyse d’une enquête par questionnaire”, 2024) a estimé que l’approche du Covid en France pouvait se répartir en quatre groupes sociaux : les “concerné·es” (qui sont engagé·es dans l’autodéfense sanitaire), les “attentifves” (qui vont adopter certains gestes de réduction des risques, notamment en présence de personnes dites “vulnérables”), les “légitimistes” (qui suivent les directives de l’État, confinement ou laisser-faire) et les “réfractaires” (qui refusent toute réduction des risques). Dans ce groupe des “réfractaires” on retrouve, sans surprise, les antivax mais aussi, de façon consternante, quantité de soignant·es. Au temps pour le “primum non nocere”. Au temps pour la santé publique.
En septembre 2024, sont par ailleurs parues deux études qui n’auraient pas même mérité la publication en raison des failles béantes dans leurs démonstrations. L’une d’elle a fait les choux gras de la presse dans le monde entier, d’Usbeck & Rica au Guardian (ce dernier nous avait pourtant habitués à mieux sur le Covid) : elle affirmait que les confinements de 2020 avaient durablement affecté le cerveau des enfants et particulièrement des adolescentes et que les effets deviendraient très perceptibles d’ici 2030. Ces assertions ont été démenties de multiples fois : les confinements ont au contraire marqué, pour les enfants et ados, une baisse des recours aux urgences psychiatriques ainsi qu’une baisse des tentatives de suicide. Les bébés né·es pendant les confinements disposent quant à elleux d’un meilleur microbiote intestinal et d’allergies moindres. En revanche, un virus apparu en 2020 affecte bel et bien le cerveau des personnes qu’il contamine, enfants ou adultes : le Sars-COV-2. Comment l’étude a-t-elle pris cela en compte ? Elle ne l’a simplement pas fait. Cela lui a permis d’affecter à une mesure de prévention ce qui constitue en réalité un effet avéré de la contamination au Covid. Et les médias s’en sont délectés, car cette “trouvaille” colle parfaitement au narratif eugéniste qu’ils ont adopté depuis plusieurs années et leur fournit, ainsi qu’aux autorités sanitaires, un alibi pour le déni, l’infection de masse, l’absence de réduction des risques qu’ils promeuvent. Dans la même veine et toujours en cet automne 2024, une autre étude qui a moins circulé a réaffirmé contre toute preuve que les enfants avaient protégé les adultes du Covid. Dans les faits, les enfants ont été sacrifié·es. C’était et c’est toujours aux adultes de les protéger, et, dans leur très grande majorité, iels ne le font aucunement.
De façon concordante, cette rentrée 2024 a été marquée par une floraison de productions culturelles supposément progressistes autour de l’histoire des microbes, présentant ces derniers comme du “vivant” qui n’attend que d’être découvert et accueilli. La Revue dessinée s’est illustrée dans son numéro 44 par un reportage de Marine Dumeurger et Emilie Gleason intitulé “C’est du propre”, lequel nous assure que “Vivre en symbiose avec ses bactéries, ça peut aussi être bon pour la santé !” Présentant sur une planche les personnes portant un masque comme des hypocondriaques hygiénistes, les autrices offrent commodément une belle assise à la théorie mille fois démentie de la “dette immunitaire”. Autre poids lourd culturel tout à coup fascinée par la promotion de l’infection : Marie-Monique Robin, qui a sorti en 2024 le documentaire “Vive les microbes !". Elle y présente ces derniers comme les “mal-aimés de la biodiversité”, dont l’élimination provoque “l’affaiblissement du système immunitaire” des enfants. Tiens tiens, on a déjà entendu ça. Ce n’est pas Cnews mais Arte qui diffuse cette ode à la contamination en octobre 2024. L’antenne culturelle a de la suite dans les idées, puisqu’un mois plus tôt, elle avait programmé un autre documentaire, de Larissa Kinker cette fois, intitulé “Le système immunitaire, un puissant gardien”. Dès la troisième minute, il y est affirmé, contre toutes les données scientifiques disponibles, que les “gestes barrières” très imparfaitement appliqués en 2020 et 2021 (port du masque, confinement, distanciation) expliqueraient les rebonds de maladies respiratoires chez les enfants. La réalisatrice n’estime visiblement pas pertinent de se demander si ce ne serait pas plutôt le Sars-COV-2, dont l’un des effets établis est de provoquer de l’asthme et des allergies et d’endommager le système immunitaire. Cette veine vitaliste et eugéniste a été fort bien démontée par Winslow Santé Publique pour la revue Multitudes en septembre 2024 : “Il faut défendre les invulnérables. Lecture critique de ce qu’on s’est laissé dire, à gauche, sur la pandémie de covid”.
Dernier front d’attaque contre l’autodéfense sanitaire : les autorités publiques. Aux États-Unis en cet été 2024, en plein cœur d’une des vagues de Covid les plus hautes depuis le début de la pandémie et de la montée en force de la Mpox, des interdictions de port du masque dans les lieux publics ont été édictées par des collectivités territoriales (comme le comté de Nassau, l’Ohio ou la Caroline du Nord) et des universités (comme celle de Californie). L’argument principal a été sécuritaire : il s’agit d’empêcher quiconque de cacher son visage et d’instituer la reconnaissance faciale comme un devoir. Dans les faits, ces interdictions ont été prononcées dans un contexte de criminalisation des manifestations propalestiniennes. Comme le formule la militante handie Alice Wong : “Les interdictions du masque sont une insulte aux handi·es, un danger pour notre santé et une menace pour le droit de manifester.” Les personnes les plus susceptibles de se trouver visées par la police pour ce “délit” sont les personnes racisées, pauvres, neuroatypiques, militantes. La première personne arrêtée pour ce motif dans le comté de Nassau a précisément été un jeune homme noir. Plusieurs initiatives pour demander le retrait de ces lois ont été lancées, comme Stop Masks Bans ou une action collective en justice de l’ONG Disability Rights New York. En attendant, les autorités ont essentiellement libéré le harcèlement contre les personnes portant des masques. Cela fait clairement écho, en France, à la façon dont la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public a été conçue et utilisée pour cibler la minorité musulmane ainsi que les militant·es antiautoritaires.
De façon anecdotique mais symptomatique, l’été 2024 a été marqué par des procès en complotisme adressés aux collectifs défendant l’autodéfense sanitaire, en France comme aux États-Unis. Si les accusations en elles-mêmes demeurent affligeantes, elles ont suscité de magnifiques réponses, notamment celle du collectif Cabrioles. Il y rappelle fort à propos quelques slogans d’Act Up dont la lutte a été pareillement moquée, insultée et priée de se policer avant d’être reconnue comme un impératif de santé publique : “La communauté que nous voulons a de la mémoire. La communauté que nous voulons est intransigeante. La communauté que nous voulons est inquiète. La communauté que nous voulons est hystérique.” Oui, soyons hystériques.