"Dette immunitaire" : Pourquoi les scientifiques disent que ce nouveau terme favorise la désinformation sur le COVID-19 | Teresa Wright
L'idée selon laquelle le système immunitaire d'une personne peut être affaibli par un manque d'exposition à une maladie "témoigne d'une incompréhension fondamentale du fonctionnement du système immunitaire." En réalité, les enfants qui contractent des infections par le VRS à plusieurs reprises ou à un jeune âge sont plus exposé·es à des maladies comme l'asthme qui les suivront toute leur vie. Alors pourquoi tant d'enfants souffrent-ils de maladies graves causées par des virus saisonniers ? De nouvelles données suggèrent que le COVID-19 pourrait être en cause.
Teresa Wright est journaliste nationale en ligne pour Global News, où elle couvre la santé.
· Alors que le porte parole du gouvernement Olivier Véran tente de cacher l’abandon de la population en brandissant une idée fallacieuse - celle de la ‘dette immunitaire’ - forgée dans les milieux de la désinformation covidonégationniste, et que Médiapart sort un reportage choc sur l’état désastreux du système hospitalier pédiatrique en prenant bien soin de pas écrire le mot Covid, il nous a semblé intéressant de rendre disponible en français cette article paru hier dans la presse Canadienne ·
· Voir également nos dossiers Dette immunitaire (12/2022) et Saboteur immunitaire (01/2023) ·
La notion de "dette immunitaire" circule largement sur Internet pour expliquer la forte augmentation des maladies respiratoires au Canada, mais les spécialistes des maladies infectieuses affirment que cette notion et les récits qui l'entourent sont "dangereux" et peuvent favoriser la "désinformation" autour du Covid-19.
Deux interprétations de la "dette immunitaire" sont apparues ces dernières semaines, alors que les services d'urgence et les hôpitaux pour enfants du pays ont été submergés par un nombre de patient·es atteint·es de virus respiratoires supérieur à leur capacité de traitement.
La première hypothèse suggère que le système immunitaire des gens est plus faible maintenant, en raison d'un manque d'exposition aux virus lors de l'application des mesures de santé publique prises pour lutter contre le COVID-19 au cours des deux dernières années et demie.
Mais l'idée que les gouvernements et les responsables de la santé publique auraient « dorloté » les systèmes immunitaires de la population en portant des masques et en restant à la maison, et que cela aurait érodé notre immunité face à d'autres virus comme la grippe ou le virus respiratoire syncytial (VRS), est tout simplement fausse, affirme Colin Furness, épidémiologiste spécialisé dans le contrôle des infections et professeur adjoint à la faculté d'information de l'université de Toronto.
"C'est, à mon avis, et n'importe quel immunologiste vous le dira, un non-sens", a-t-il dit.
" Cela suppose que le système immunitaire fonctionnerait comme un muscle : si vous ne l'utilisez pas, alors vous le perdez, il s'atrophie. "
Furness compare davantage le système immunitaire à une collection de photographies. Lorsque les gens prennent des photos et les rangent dans un album, les photos ne s'effacent pas avec le temps simplement parce qu'elles ne sont pas regardées régulièrement.
Avec l'âge, le système immunitaire commence à devenir moins efficace pour prévenir les maladies, de la même manière qu'une personne âgée peut avoir plus de mal à voir ses photos lorsque sa vue baisse.
Mais c'est l’effet de l'âge qui affecte le système immunitaire, et non l’effet d’une exposition insuffisante aux maladies, a-t-il précisé.
"Chez les enfants et les personnes jeunes et en bonne santé, il n'existe absolument aucun mécanisme par lequel l'immunité s'affaiblit d'elle-même", a déclaré le Dr Furness.
"En d'autres termes, il n'est pas nécessaire de tomber constamment malade pour être en bonne santé. Cela n'a aucun sens, d'une manière ou d'une autre. Lorsque nous rencontrons un agent pathogène et que nous formons une réponse immunitaire contre lui, c'est un souvenir à vie, cela ne fait aucun doute."
Le Dr Samira Jeimy, allergologue et immunologiste clinique au St Joseph's Health Care London, est du même avis. Elle affirme que l'idée selon laquelle le système immunitaire d'une personne peut être affaibli par un manque d'exposition à une maladie "témoigne d'une incompréhension fondamentale du fonctionnement du système immunitaire."
" On dirait presque une histoire de grand-mère, selon laquelle il faut tomber malade pour développer un système immunitaire sain. En fait, ce n'est pas vrai".
Le Dr Tam exhorte les Canadiens à envisager de mettre un masque et à recevoir les derniers vaccins face à la recrudescence du COVID-19.
En réalité, les enfants qui contractent des infections par le VRS à plusieurs reprises ou à un jeune âge sont plus exposé·es à des maladies comme l'asthme qui les suivront toute leur vie, a-t-elle ajouté.
La deuxième interprétation de l'expression "dette immunitaire" prétend que les bébés et les enfants sont plus nombreux que jamais à tomber gravement malades à cause des virus respiratoires, car l'exposition à ces maladies aurait été retardée au cours des deux dernières années et demie - encore une fois à cause du confinement et des masques.
Par conséquent, il y aurait maintenant une double cohorte d'enfants et de bébés qui seraient exposé·es au VRS, à la grippe et à d'autres maladies virales en même temps, en raison de la levée des masques et de la distanciation dans les écoles et les garderies, et ce serait la raison pour laquelle les hôpitaux pour enfants sont débordés.
Bien qu'une partie de cela puisse être vrai, cela n'explique pas pourquoi tant d'enfants non seulement tombent malades, mais tombent gravement malades au point de devoir être hospitalisé·es, a déclaré Jeimy.
Plus tôt cette semaine, le CHEO, l'hôpital pour enfants d'Ottawa, a dû ouvrir une deuxième unité de soins intensifs pédiatriques en raison du nombre "sans précédent" d'enfants nécessitant des soins intensifs. Ce n'est qu'un des nombreux hôpitaux pour enfants qui signalent un nombre important et historiquement élevé d'enfants ayant besoin d’une hospitalisation et de soins intensifs.
Alors pourquoi tant d'enfants souffrent-ils de maladies graves causées par des virus saisonniers ?
Selon Furness, de nouvelles données suggèrent que le COVID-19 pourrait être en cause.
"Le COVID, comme de nombreux virus, endommage le système immunitaire dans le cadre de sa stratégie", a-t-il déclaré.
Pour qu'un virus infecte un hôte, il doit soit se déguiser, soit muter pour empêcher le système immunitaire de l'éliminer. Ou bien il doit attaquer le système immunitaire lui-même, a-t-il expliqué.
Ce qui n'est pas encore clair, c'est l'ampleur des dommages causés par le COVID-19 et les effets à long terme que cela pourrait avoir, a-t-il dit.
"L'hypothèse majeure actuellement est que le COVID nuit au système immunitaire. Dans quelle mesure et de façon permanente ou non, nous ne le savons pas. Mais c'est ce que les données semblent nous dire et c'est quelque chose dont nous devrions vraiment nous préoccuper."
C'est l'une des raisons pour lesquelles Jeimy et Furness se disent profondément préoccupé·es par les théories autour de la "dette immunitaire". Et c’est afin de démystifier les récits qui en découlent qu’iels s'exprimer publiquement.
Si il est faux d'attribuer à des mesures de santé publique telles que le masque et la distanciation la responsabilité de la recrudescence actuelle des maladies respiratoires dans le pays, il est également faux d'affirmer que ces mesures devraient être évitées à un moment où justement elles devraient être davantage encouragées, selon Jeimy.
« Je pense en fait que cette notion de "dette immunitaire" est dangereuse car elle confère une connotation négative aux mesures de santé publique qui ont permis d’endiguer la mortalité », a-t-elle déclaré.
Bien que cette idée puisse provenir de la volonté de certain·es de trouver des explications faciles à des problèmes complexes, il est à craindre qu'elle fasse également partie de certaines campagnes de "désinformation" au sujet des mesures COVID-19 et des vaccins, qui ont proliféré en ligne et dans de nombreuses communautés, a-t-elle ajouté.
"Si, nous étions frappé·es par une autre pandémie et que des mesures d'atténuation devaient être mises en place, ou même dans le cas de cette pandémie, si nous nous trouvions dans une situation où nous devions rétablir certaines de nos mesures d'intervention non pharmaceutique, l'utilisation de ce terme crée en quelque sorte une résistance de la population à ces mesures.
Et je pense que c'est dangereux à court et à long terme."
Publication originale (12/11/2022) :
Global News
· Voir également nos dossiers Dette immunitaire (12/2022) et Saboteur immunitaire (01/2023) ·