Covid à l'école : l'éléphant dans la salle de classe | À ta santé camarade ! #5
La véritable catastrophe éducative réside dans le fait de laisser circuler depuis plusieurs années un virus invalidant qui entraîne une forte augmentation des absences scolaires pour maladie et qui a pour conséquence la déscolarisation ou le décrochage d’enfants et d’ados atteint·es de Covid long.
Les Canards masquées est un groupe d’autodéfense sanitaire composé de palmipèdes handi·es et valides qui luttent pour des futurs antivalidistes. (email : canardsmasquees@riseup.net)
Septembre 2023, dans un collège de quartier populaire de l’agglomération lyonnaise. En plein pic de contaminations de rentrée et alors que se distribuent les rôles en Conseil d’Administration, un·e chef·fe d’établissement réagit à une proposition pour la Commission Hygiène et Sécurité (CHS) : « Oh vous savez, on ne l’a pas réunie depuis le Covid ! ». Pour ce mois de rentrée, que de nombreux personnels ou élèves soient déjà absent·es importe finalement peu à la hiérarchie, la maladie a disparu en même temps que l’obligation du port du masque dans les établissements scolaires en mars 2022. Pourtant, et ce depuis le printemps 2020, les établissements du primaire comme du secondaire ont été des lieux centraux de la pandémie, tant en termes de contaminations que de « gestion » gouvernementale : fermer ou non les établissements, faire porter ou non le masque, tracer des cercles à la craie dans les cours de récréation, fermer une classe dès qu’un cas positif y était déclaré, imposer d’aberrantes attestations d’autotests négatifs pour revenir à l’école… Les classes ont été et sont encore au cœur des crispations politiques portant sur la santé publique. Chez les Canards Masquées, on est plusieurs à être en lien avec l’institution scolaire, comme travailleur·euses ou comme proches d’enfants qui y passent l’essentiel de leur année.
Dès son apparition et sa diffusion en Europe, le virus du Sars-Cov-2 a été le grain venant gripper la machine scolaire si bien huilée. Il est établi que les établissements scolaires constituent des lieux importants de contamination, d’autant plus centraux qu’ils mettent en lien des centaines de familles sur un secteur donné. La question de l’impact d’une épidémie ou d’une pandémie n’est pas nouvelle pour l’Éducation Nationale. Déjà en 2009, lors de la pandémie grippale A/H1N1, le ministère avait anticipé la fermeture de classes voire d’établissements entiers en cas de cumul de cas trop importants (circulaire interministérielle n° 2009-111 du 25 août 2009 publiée au B.O.E.N. n° 31 du 27 août 2009). Une campagne de vaccination avait également été organisée dans les infirmeries scolaires dans les collèges et lycées pour endiguer l’épidémie. Onze ans plus tard, la pandémie de Covid-19 progressait si vite que la fermeture des établissements scolaires était décidée avant même l’annonce du confinement, qui découlait de la première décision. Arrêter les écoles, c’est bloquer une partie importante des travailleur·euses. D’ailleurs, lors du second confinement à l’automne de la même année, les écoles, collèges et lycées resteront ouverts, afin de coller au programme de reprise de l’économie à tout prix du gouvernement, notamment à la demande du MEDEF et des organisations patronales. La levée des mesures obligatoires de port du masque, d’isolement systématique et de fermetures de classes a servi de tremplin pour la reprise économique. Jean-Michel Blanquer, Ministre de l’Éducation Nationale de l’époque, se félicitait alors d’éviter à la France la « catastrophe éducative mondiale » des fermetures de classe en minimisant la gravité des contaminations face au « décrochage scolaire ». Pourtant, la véritable catastrophe éducative réside dans le fait de laisser circuler depuis plusieurs années un virus invalidant qui entraîne une forte augmentation des absences scolaires pour maladie et qui a pour conséquence la déscolarisation ou le décrochage d’enfants et d’ados atteint·es de Covid long.
Maintenir les écoles, collèges et lycées ouverts sans mesures particulières de protection engendre un nombre extrêmement important de contaminations, qui restent difficile à quantifier en raison de l’abandon du dépistage et du suivi global du Covid-19 en France. Une étude publiée en décembre 2023 a néanmoins démontré que dans sept écoles de l’Oregon (États-Unis), le virus de la grippe était présent dans l’air 12 semaines sur 22, et celui du Covid-19, 22 semaines sur 22. En Nouvelle-Zélande, pays qui a continué à assurer un suivi statistique sérieux sur le Covid-19, le Ministère de la Santé montrait que les personnels éducatifs avaient parmi les plus hauts taux d’infection de la population active (48% en 2022) et que ce taux se répercutait sur les formes longues de la maladie (entre 10 et 20%). Dans le Maryland (États-Unis), 1 personnel éducatif sur 20 s’occupant des enfants de moins de 12 ans rapporte avoir un Covid Long et 14% pensent ou savent l’avoir eu et s’en être remis. La densité des classes dans des espaces restreints, souvent vétustes et mal aérés, constitue un terreau très propice à la diffusion d’un virus aéroporté. De nombreuses salles ne disposent parfois même pas d’ouvertures vers l’extérieur et certaines consignes d’économie d’énergie vont directement à l’encontre du principe d’aération permettant, parmi d’autres mesures, de se protéger contre les aérosols infectieux. Les moyens alloués aux infirmeries scolaires n’ont pas été modifiés par l’arrivée de l’épidémie et celles-ci n’ont jamais appliqué de réelle réduction des risques : de nombreux/ses élèves en phase contagieuse sont régulièrement renvoyé·es en cours sans aucune mesure de protection pour le reste de la classe.
En dépit de l’omniprésence du virus parmi les populations d’enfants scolarisé·es et d’adultes dans les établissements, aucune mesure de protection n’est appliquée depuis 2022. Déjà durant les moments les plus « médiatiques » de la pandémie, le suivi épidémique mis en place par le ministère était extrêmement faible comparé à celui des voisins européens : 244 944 tests pour 12 400 000 élèves et 1 162 850 personnels en France, tandis qu’en Allemagne, Autriche, Angleterre ou Grèce, des tests étaient réalisés deux fois par semaine dans les écoles en 2021. Aujourd’hui, bien heureuse sera la personne qui réussira à se faire dépister ou à faire dépister son enfant à l’école. Les enfants se retrouvent de fait peu protégé·es contre le Covid-19 (moins de 3 % de vacciné·es chez les 5-12 ans fin 2022, taux infime chez les 0-5 ans, très faible port du masque) et le nombre de leurs hospitalisations pour cause de Covid-19 a fortement augmenté, tant que les chiffres étaient rendus publics et que le collectif Écoles et familles oubliées pouvaient les compiler : 3 500 en 2020, 7 400 en 2021, 23 700 en 2022 (tranches d’âge de 0 à 19 ans). Aux États-Unis, où cette information est toujours disponible, les certificats de décès mentionnant le Covid comme ayant contribué au décès d’enfants et d’ados se situent au même niveau en 2024 qu’en 2020-2021. Une étude comparative menée en Espagne et au Brésil en 2020 montrait que la mortalité a été 10 fois plus élevée chez les enfants de 11–17 ans avec Covid-19 que chez des patient·es du même groupe avec la grippe.
La raison derrière cette absence de protection est économique, mais aussi idéologique. L’application de mesures de protection pour les enfants a provoqué des levées de bouclier réactionnaires de toutes sortes, allant de la résurgence des théories antivax (notamment le rôle maintes fois démenti qu’aurait la vaccination rougeole-oreillon-rubéole dans le développement de l’autisme) à la panique sur le port du masque en classe. La Société française de pédiatrie s’est montrée particulièrement active pour empêcher toute mesure de réduction des risques pour les enfants, faisant notamment circuler trois théories contredites par le consensus scientifique : l’idée d’une « dette immunitaire » selon laquelle il faudrait tomber malade pour être en bonne santé (c’est faux), la notion que les masques nuiraient à la socialisation des enfants (c’est faux) et le mythe de l’innocuité du Covid pour les enfants (c’est faux). Certaines organisations, déjà bien présentes autour de l’école pour dénoncer les séances d’éducation à la vie affective et sexuelle, ont par ailleurs fait des mesures sanitaires à l’école un nouveau cheval de bataille. Les Mamans Louves, entre autres, ont ainsi ajouté à leurs positions obscurantistes et complotistes sur le genre et la sexualité, des positionnements covido-négationnistes pour s’opposer aux mesures de protection. Elles n’ont pas ménagé leurs efforts pour infuser au sein de la communauté des parent·es d’élèves des craintes infondées et totalement dramatiques sur la vaccination, le port du masque et les cours en distanciels, et leur possible retour, ce jusqu’en 2022.
Le Covid-19 menace tout le monde en milieu scolaire, mais certains personnels sont plus à risques que d’autres du fait de leur proximité importante avec les élèves. Si le sujet a depuis complètement disparu, les Agent·es territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), les Accompagnant·es des élèves en situation de handicap (AESH) et les Assistant·es d’éducation (AED) ont été en ligne de front des contaminations. Ce sont ces travailleur·euses qui s’occupent au plus près des enfants (aide au travail en classe, accompagnement aux toilettes comme à la cantine), ce qui les expose davantage aux contaminations. Ces travailleur·euses, souvent bien plus précaires que les enseignant·es sont aussi plus souvent racisé·es et issu·es des classes populaires, n’ayant ainsi pas nécessairement les mêmes possibilités de soins, tant d’un point de vue quantitatif que qualitatif.
Comme le résume l’universitaire Pantéa Javidan dans un ouvrage collectif de 2024 intitulé Les droits des enfants en crise : « On a sommé les enfants d’absorber le choc de la pandémie de Covid-19. Le fait de contraindre les familles à choisir entre biosécurité et éducation constitue l’une des injustices majeures de notre époque, violant les droits des enfants à la vie, à la santé, à la sécurité et à l’éducation. » Plus largement, la pandémie a mis en lumière l’école comme lieu d’exposition forcée des enfants et des personnels à des pathogènes et pollutions dangereuses ne se limitant pas au seul Covid. Santé Publique France rapportait en janvier 2024 que des dizaines de milliers de cas d’asthme et de sifflements respiratoires seraient évitables par une amélioration de la qualité de l’air dans les établissements scolaires (voir notamment les travaux du collectif Nous aérons en ce sens). La transformation en profondeur du système scolaire relève d’une urgence sanitaire et sociale afin que l’école devienne réellement un lieu d’accueil digne pour toustes, quelles que soient les conditions sociales, culturelles ou la condition physique, mentale ou psychique des élèves et des personnels.