Condamné·es à mort par Covid | Katie Tastrom

L'État utilise les maladies contagieuses comme un élément informel de la punition que constitue l'incarcération.
Katie Tastrom est une militante antivalidiste qui a travaillé comme avocate, assistante sociale et travailleuse du sexe. Son travail a été publié dans les anthologies Burn It Down : Feminist Manifestos for the Revolution et Nourishing Resistance : Stories of Food, Protest, and Mutual Aid, ainsi que dans de nombreux médias dont Truthout, Rewire et Rooted in Rights. Le texte qui suit est un extrait de son premier livre, A People's Guide to Abolition and Disability Justice, publié en mai 2024 par PM Press.
Le 10 avril 2024, cela fera un an que le président Joe Biden a signé une résolution du Congrès mettant officiellement fin à l'« urgence de santé publique » du COVID-19. La semaine précédant cette décision, plus d'un millier de personnes étaient décédées du virus aux États-Unis.
Les déclarations comme celle de Joe Biden ne sont pas seulement fausses sur le plan rhétorique, elles ont des effets négatifs concrets. La fin officielle de l'« urgence de santé publique » a entraîné la fin de nombreuses mesures sanitaires mises en œuvre pour protéger la population contre le COVID. Par exemple, Medicare, une assurance maladie publique dont bénéficient de nombreuses personnes handicapées, a cessé de couvrir les tests gratuits à domicile, et les tests PCR. Bien que certains régimes d'assurance maladie couvrent encore les tests, de nombreuses personnes non assurées n'auront plus accès à des tests gratuits.
Il y a tant de mesures, petites et grandes, qui auraient pu être mises en œuvre avant et depuis le début du COVID afin de rendre la pandémie moins meurtrière. Le gouvernement aurait pu améliorer la communication et l'éducation en matière de santé, donner la priorité aux mesures visant à protéger les personnes vulnérables, assurer des revenus afin qu’elles puissent rester chez elles, et empêcher l’application de brevets pharmaceutiques.
Nous ne sommes pas arrivé·es là où nous en sommes par hasard. Le COVID ne devait pas devenir endémique, et des décisions comme celle-ci, qui visent à mettre fin à l'urgence sanitaire, auront pour effet d'accroître la maladie et la mort des personnes les plus vulnérables. L'une des principales raisons pour lesquelles le COVID est devenu si mortel est due aux décisions politiques qui considèrent les personnes handicapées marginalisées comme des sacrifices acceptables pour le capitalisme. Cette perspective est reflétée - et amplifiée - dans le système carcéral américain.
Le COVID et les prisons
Le handicap et l'incarcération sont étroitement liés, et tout au long du livre, je discute de la manière dont le système carcéral utilise le handicap comme prétexte pour prendre le contrôle de la vie non seulement des personnes handicapées, mais aussi des personnes autochtones, noires, brunes, queer, transgenres et pauvres, les personnes multiplement marginalisées étant toujours les plus ciblées. L'une des raisons pour lesquelles la pandémie a été particulièrement dévastatrice dans les prisons est que la majorité des personnes incarcérées sont handicapées, ce qui les expose à un risque plus élevé de mourir ou de souffrir d'une maladie permanente due au COVID si elles le contractent.
La réponse du gouvernement américain au COVID-19 était à la fois prévisible et insensée. La pandémie a mis à nu la manière dont les politiques de santé affectent tout le reste, et les décès dus au COVID n'ont pas été ressentis de la même manière par toutes les communautés. Après ajustement en fonction de l'âge, les communautés autochtones, latino-américaines, insulaires du Pacifique et noires ont connu des taux de mortalité du COVID nettement plus élevés que les communautés blanches et asiatiques. Ce n'est pas non plus une coïncidence si les populations les plus exposées au risque d'incarcération sont les mêmes que celles qui sont les plus susceptibles de mourir du COVID : les personnes handicapées de couleur. C'est le résultat de décisions et de politiques qui simultanément abandonnent et surveillent les personnes handicapées.
Au niveau de la santé publique, si ce n'est au niveau individuel, lorsque le COVID a fait son apparition, il aurait été logique de donner la priorité à la sécurité des personnes enfermées dans les prisons, les maisons de retraite et les autres lieux où cohabitent un grand nombre de personnes à haut risque. Or, c'est le contraire qui s'est produit.
Selon le COVID Prison Project, « la majorité des plus grands clusters épidémiques sur site isolé depuis le début de la pandémie ont eu lieu dans les prisons et les établissements pénitentiaires. » L'un des nombreux arguments en faveur de l'abolitionnisme est la façon dont les personnes prises en charge par l'État sont exposées à la maladie et à la mort. On laisse les infections se répandre dans ces établissements parce que les personnes incarcérées sont considérées comme jetables : un phénomène que j'appelle « épidémiologie carcérale ».
Épidémiologie carcérale
L'épidémiologie carcérale est la manière dont l'État utilise les maladies contagieuses comme un élément informel de la punition que constitue l'incarcération. Alors que tous les lieux de regroupement présentent un risque accru au COVID-19 et à d'autres maladies contagieuses, dans les lieux d'incarcération, la vulnérabilité à la maladie est une caractéristique, et non une anomalie. En d'autres termes, le risque de tomber malade est un aspect intentionnel de la sanction. Cela est en partie censé inciter les gens à ne pas se retrouver dans ces lieux, comme si quelqu'un se laisserait enfermer s'il avait le choix.
L'épidémiologie carcérale dévalorise également la vie des personnes incarcérées et institutionnalisées en ne les protégeant pas des infections et en considérant leurs maladies et leurs décès comme inévitables, voire mérités. Cette situation a été illustrée de manière flagrante dans la manière dont les priorités ont été fixées pour les vaccins.
Alors que les personnes détenues en prison courent un risque aussi élevé, voire plus élevé, que celles qui vivent dans d'autres établissements collectifs, elles n'ont eu accès au vaccin que bien plus tard. Bien que l'ordre de priorité varie d'un État à l'autre, une étude a révélé que « les personnes incarcérées n'étaient pas prioritaires lors de la phase 1, alors que d'autres groupes vulnérables présentant un risque environnemental similaire bénéficiaient de cette priorité anticipée ». Lorsque le gouvernement se soustrait à son devoir d'assurer la sécurité des personnes, tant dans les situations d'urgence que dans la vie quotidienne, ce sont les personnes déjà vulnérables qui en paient le prix le plus élevé.
Lorsque vous êtes détenu par l'État, votre vie est littéralement à la merci des autorités, de personnes que vous n'avez probablement jamais rencontrées et qui, dans le meilleur des cas, ne se soucient tout simplement pas de votre bien-être. La pandémie l'a prouvé.
Cara Page et Eesha Pandit, du collectif Crunk Feminist, expliquent que « les personnes détenues dans les prisons, les maisons d'arrêt et les centres de détention du pays courent un risque élevé étant donné qu'elles sont détenues dans des espaces conçus pour maximiser le contrôle exercé sur elles, et non pour minimiser les contaminations ou dispenser efficacement des soins de santé ».
Tant que l'État carcéral existera, il utilisera toujours la santé et le handicap comme des armes, qu'il s'agisse de l'accès aux vaccins, de la manière dont la négligence gouvernementale entraîne des « pathologies sous-jacentes » qui rendent le COVID-19 plus susceptible d'être mortel, de l'obligation de vivre dans des lieux de concentration à cause de lois qui criminalisent la pauvreté, et ainsi de suite. Ces politiques déterminent le rapport entre la vie et la mort, entre la liberté et la captivité, entre la santé et la maladie.
Même avant la pandémie, l'absence d'assurance maladie universelle aux États-Unis était à l'origine de maladies, de décès et d'incarcérations, et le COVID a exacerbé cette fracture. Une étude a montré que non seulement les personnes sans assurance maladie étaient plus susceptibles de contracter le virus et d'en mourir, mais aussi que les niveaux d'assurance des communautés avaient une incidence sur la propagation du COVID. « Entre le début de la pandémie et le 31 août 2020, l’absence d'assurance maladie a été liée à environ 2,6 millions de cas de COVID-19 et 58 000 décès », indique l'étude. « Chaque augmentation de 10 % de la proportion de résidents d'un comté qui n'avaient pas d'assurance maladie était associée à une augmentation de 70 % des cas de COVID-19 et à une augmentation de 48 % des décès dus à cette maladie”.
Ces statistiques mettent en exergue ce que nous savions déjà avant le COVID : l’appartenance à une communauté particulière a un impacte majeur sur la santé des individus. Même les personnes assurées vivant dans un quartier où la majorité des résident·es n’ont pas d’assurances maladies (ie des communanutés pauvres et Noires et Brunes) ont plus de risques de mourir. Ceci ne résulte pas de différences intrinséques mais de décisions politiques sur lesquelles ces personnes n’ont pas de prise.
Le COVID-19 a montré cruement comment ceux qui détiennent un pouvoir de décisions qui affectent les autres, comme décider de l’accès aux soins et aux vaccins, ont littéralement choisi quelles communautés pouvaient vivre ou mourir. Si la pandémie a rendu cette réalité évidente, celle-ci n’est pas nouvelle. L'ensemble du système carcéral des États-Unis est l'un des moyens (majeurs) utilisés par les détenteurs du pouvoir pour décider qui peut vivre et participer de manière significative à la vie de la communauté.
Le COVID est un condensé de la manière dont les personnes handicapées - en particulier les personnes handicapées de couleur - sont à la fois plus susceptibles d'être dans des corps vulnérables à la maladie et sous le contrôle de l'État, ce qui est une combinaison mortelle. La gestion politique du COVID n'est qu'un des nombreux éléments du réseau carcéral qui piège (et souvent tue) de manière disproportionnée les personnes handicapées les plus marginalisées.
La pandémie souligne à quel point il est important de comprendre comment ces systèmes affectent les personnes handicapées, en particulier les personnes handicapées de couleur. La façon dont le virus a été traité dans les prisons est une preuve supplémentaire de ce que les communautés de couleur ne savent que trop bien : le moindre contact avec le système pénal ou carcéral américain peut être une condamnation à mort. Ce n'est qu'une des nombreuses raisons pour lesquelles l'abolition est si nécessaire.
Publication originale (08/04/2024) :
Truthout