Tout ça ressemblait à un désastre | Chuang
Ils ont juste nié tout ce que les médecins affirmaient depuis des semaines, pour ensuite admettre qu’il y avait de quoi s’inquiéter, et pour finalement mettre la ville en quarantaine trois jours plus tard. Tout ça ressemblait à... un désastre ! [Rires]
Chuang est un collectif communiste international dont la plupart des membres vivent en Chine. Dans Contagion sociale, Guerre de classe et pandémie en Chine (août 2022, Niet! éditions) ils relatent l’histoire inédite de l’épidémie de Covid-19 à Wuhan et dans le reste du pays, et racontent les luttes quotidiennes de la population, prise entre le marteau d’un virus létal et l’enclume d’un État répressif. Au moyen d’entretiens, de récits et d’analyses de terrain, ce livre offre une vision incisive de la réponse aussi draconienne qu’inefficace de l’État chinois, ainsi que des stratégies de survie et de l’auto-organisation des travailleurs.
· Cet article fait partie de notre dossier Chine du 12 décembre 2022 ·
Nous remercions chaleureusement les éditions Niet! de nous avoir autorisé·es à reproduire cet extrait de leur traduction de Contagion Sociale établie par Pablo Arnaud.
Cet extrait comprend les deux premières sections du chapitre 3 intitulé « Dès qu’il y a le feu, on prend la fuite » : Entretiens avec des amis de Wuhan réalisé par Chuang en 2020.
L’entretien retranscrit et traduit ici a été mené en ligne à la fin de l’année 2020, après de multiples échanges les mois précédents. Les personnes interrogées, X, Z et W, appartiennent à un collectif basé dans les environs de Wuhan1. Ils ont produit une série d’histoires illustrées à propos de leur expérience sous le titre Wuhan Diaries (« Journal de Wuhan »), qui a été publié dans plusieurs organes de presse, dont l’édition de mars 2020 de la lettre d’information de la Black Book Assembly. Leur projet collectif comprend notamment un espace de répétition et de concert, un hébergement pour les gens de passage, « une imprimerie et un atelier de risographie utilisables par le quartier et destinés au partage de connaissances sur les mouvements de culture diy , comme moyens d’initier et d’explorer la possibilité de nouvelles alliances ». Les trois participant·e·s ont la trentaine et ont vécu à Wuhan par intermittence depuis au moins dix ans. X est originaire de Wuhan, où elle est actuellement autrice indépendante et traductrice, tout en apprenant l’agriculture et la confection. Avec Z, elle tire par ailleurs un petit revenu de l’imprimerie. Z et W ont tous deux quitté leur domicile du Guangxi pour venir étudier à Wuhan, avant de décider d’y rester. Z a ensuite quitté la ville pendant quelques années avant d’y retourner en 2018. Z est illustrateur indépendant, tandis que W travaille comme ouvrier dans la construction et la rénovation.
Chuang
I
Chuang : La première question concerne la période qui a immédiatement précédé le confinement, en décembre et janvier. Vous étiez tous les deux à Wuhan à ce moment-là ?
X et Z : Oui.
Chuang : Comment avez-vous entendu parler pour la première fois de l’épidémie, et qu’avez-vous imaginé qu’il allait se passer ?
Z : À la fin du mois de décembre, j’ai vu des gens poster des informations au sujet du virus et, quelques jours plus tard, on a vu circuler des déclarations de l’État affirmant que ces rumeurs étaient fausses ( 辟谣 ). C’est au début du mois de janvier, je pense, que j’ai vu un post d’un ami dont la famille vit à Shuiguohu, le quartier du gouvernement provincial du Hubei. Ce sont des fonctionnaires. Il a posté des photos d’individus en combinaisons Hazmat [matières dangereuses] en train de répandre du désinfectant au marché aux fruits de mer de Huanan, en distribuant une note destinée à dissiper les rumeurs. Ensuite, les 12 et 14 janvier, j’ai reçu des messages d’amis se trouvant à Hong Kong et au Japon, qui disaient qu’ils avaient entendu parler d’un virus à Wuhan, et qu’il fallait qu’on soit prudents. Ils ont eu connaissance de ce qui se passait aux infos. Et même si c’était nous qui habitions à Wuhan, on était moins informés qu’eux sur ce qui se passait ici. Ensuite, le 19, un autre ami est venu de Shanghai pour nous rendre visite, et il prenait toutes sortes de précautions, comme porter un masque. C’est la première fois qu’on a véritablement pris la mesure du danger.
Chuang : Comment se fait-il que des gens de Shanghai aient été mieux informés que vous, à Wuhan même ?
X : Je pense que les médias de Shanghai se concentraient davantage sur ce qui se passait, tandis qu’ici personne n’était autorisé à couvrir les événements. Cet ami ne faisait en réalité que passer, sur son trajet pour rentrer au Hunan, et il se demandait si ça valait la peine de prendre le risque. Il parlait de Wuhan comme s’il s’agissait d’une zone de guerre, alors que les gens ici ne prenaient pas tout ça aussi sérieusement.
Chuang : C’est étonnant qu’il puisse y avoir aussi peu de connexions entre deux villes à l’époque des réseaux sociaux. En contournant la censure d’État, vous ne pouvez pas accéder à la même information ici qu’à Shanghai ?
X : Je pense qu’il y a eu un contrôle bien plus strict des réseaux sociaux à Wuhan à ce moment-là, à cause des « Deux sessions2 ». J’ai également entendu dire que quelqu’un avait ramené un échantillon de covid -19 dans un laboratoire de Shanghai, donc il y avait une attention médiatique particulière là-bas.
Z : En plus, je pense que beaucoup de gens à Wuhan pensaient que, même si les rumeurs disaient vrai, le gouvernement prendrait les choses en main, et qu’il n’y avait pas à s’inquiéter outre mesure ni à chercher à comprendre ce qui se passait réellement.
Chuang : C’est donc lorsque votre ami vous a rendu visite de Shanghai que vous avez commencé à prendre les rumeurs au sérieux ?
X : Oui, Je me souviens qu’on a pris le bus ensemble et que c’était la première fois qu’on a porté des masques. Cette nuit-là, je suis allée sur internet pour acheter des masques en ligne – une bonne chose d’ailleurs, car quelques jours plus tard ils étaient en rupture de stock ! Je crois que c’est le lendemain, le 20 janvier, que Zhong Nanshan a annoncé sur cctv que le covid -19 pouvait se transmettre entre humains. Les gens se sont alors mis à s’arracher les équipements de protection, et il est devenu impossible de trouver des masques à Wuhan.
Z : Je me souviens de cette annonce. On a longuement débattu tous les trois pour savoir ce que ça signifiait et quel danger représentait l’épidémie à venir.
Chuang : Qu’est-ce que vous pensiez, à ce moment-là ?
X : Je pensais déjà que ça allait être sérieux, car le 19 on avait remarqué que de nombreuses personnes, disons un tiers des gens, s’étaient mises à porter des masques dans le bus. C’était avant l’annonce sur cctv , mais certaines personnes avaient déjà accès aux informations. Ma famille, par exemple, a un groupe WeChat, et certains de mes cousins ont des enfants, donc ils sont soucieux de leur santé. Le 30 décembre déjà, mon cousin a envoyé une capture d’écran du post du docteur Li Wenliang dans lequel il affirmait que des cas de sars avaient été découverts à Wuhan. C’est la première fois que j’en ai entendu parler.
Z : À la suite de la publication de Li, un autre docteur, Li Wen, a fait état de cas de pneumonie provoqués par une forme de coronavirus, à l’hôpital n° 2 de Wuhan, qui s’est avéré être un sars . Il a donc recommandé la prudence à tout le personnel médical.
Chuang : Entre le 30 décembre et le 20 janvier, il n’y a eu aucune déclaration officielle de la part des autorités ?
Z : Je me souviens que, quelques jours avant le 20 janvier, un démenti ( 辟谣 ) a circulé, affirmant que le virus n’était pas un sars , qu’il ne pouvait pas se transmettre entre humains et que les messages qui circulaient à ce sujet n’étaient que des rumeurs.
Chuang : Entre l’annonce de la transmission entre humains, le 20 janvier, et le confinement total de Wuhan, le 23, les autorités ont-elles formulé des recommandations en matière de protection, comme le port du masque ou l’isolement à domicile ?
X : Autant que je me souvienne, les seules annonces ces jours-là concernaient le nombre de nouveaux cas confirmés. Il me semble qu’aucune mesure de protection n’a été recommandée avant le confinement.
Chuang : Comment avez-vous découvert que la ville allait être confinée, et quel était le sentiment général à ce sujet ?
Z : On a été mis au courant la veille de l’annonce du confinement, le matin du 22 janvier, lorsque notre ami est retourné au Hunan. Il avait prévu de prendre le train, mais il pensait que c’était possiblement dangereux, alors il a trouvé un covoiturage. Dès qu’ils ont tenté de rejoindre l’autoroute, ils ont constaté que de nombreuses voies d’accès étaient déjà fermées.
X : Dans mon groupe WeChat familial aussi, les gens ont posté des messages à ce sujet, et à propos des embouteillages provoqués par les gens qui essayaient de quitter précipitamment la ville.
Chuang : Pourquoi les gens tentaient-ils de fuir ? L’annonce du confinement avait-elle fuité du côté du gouvernement ?
X : Je pense, oui, ou dans les hôpitaux. Finalement, à 2 heures du matin, l’annonce officielle a eu lieu : Wuhan était confinée et personne ne serait autorisé à quitter la ville après 10 heures du matin.
Chuang : Le gouvernement a envoyé la nouvelle par sms ?
X : Pas en ce qui concerne le confinement, juste au sujet des contrôles routiers ( 高速管制 ). Le confinement a été annoncé dans la presse le matin même.
Chuang : Et donc, quand les gens se sont réveillés le matin et ont vu les actualités, ils n’avaient plus que quelques heures pour partir ? L’ambiance devait être un peu folle !
X : Oui ! Je connais deux personnes qui étaient de passage à Wuhan pour le Nouvel An et qui ont dû partir précipitamment ce matin-là. Tout était complètement chaotique.
Chuang : Quel était le sentiment des gens à ce moment-là ?
X : Dans les jours qui ont précédé le confinement, il y avait une atmosphère d’inquiétude palpable à propos du virus, mais, le 23, c’est la surprise et la crainte du confinement qui ont pris le dessus. Personne ne s’attendait à ça, ça a été annoncé si soudainement, on n’avait aucune idée de ce qui allait arriver. L’idée qu’il fallait tenter de fuir ne m’a jamais traversé l’esprit, mais on avait le sentiment d’avoir été abandonnés ( 抛弃 ).
Z : J’étais très excité ! Je n’arrêtais pas de me dire : « Putain, j’arrive pas à croire à ce qui se passe ! »
X : Oui, on avait le sentiment d’être pris dans un événement historique ( 破天荒 ). De l’excitation mais aussi beaucoup de nervosité.
Chuang : En quoi était-ce historique ?
X : Par exemple, le 23, c’était la veille du réveillon du Nouvel An ( 除夕 ), et tout le monde a immédiatement réalisé que ce serait la première fois de nos vies que les réunions familiales seraient annulées et qu’il faudrait rester chacun chez soi.
Chuang : Vous avez aussi dit que vous vous sentiez abandonnés – vous voulez dire, par le gouvernement ?
X : Oui, parce qu’ils ont juste nié tout ce que les médecins affirmaient depuis des semaines, pour ensuite admettre qu’il y avait de quoi s’inquiéter, et pour finalement mettre la ville en quarantaine trois jours plus tard. Tout ça ressemblait à... un désastre ! [Rires]
Chuang : Vous aviez l’impression que les gens de Wuhan étaient sacrifiés ?
X : À ce moment-là, on n’utilisait pas encore le terme « sacrifiés », mais on avait le sentiment que quelqu’un, quelque part, avait été incroyablement irresponsable. [Les deux se mettent à rire.] On se disait : « Sérieusement ? Comment c’est possible, une chose pareille ? »
Z : On avait l’impression d’être les spectateurs d’un drame qui se déroulait sous nos yeux. Heureusement, on avait un peu d’avance et on avait fait des stocks de nourriture le 22, donc il n’y avait pas d’inquiétudes à avoir en matière de provisions avant un bon moment. Tant qu’on restait au village, dans la périphérie de Wuhan, il n’y avait pas de quoi s’en faire. J’étais juste impatient de voir dans quel merdier le gouvernement s’était mis.
X : C’est comme si le gouvernement révélait son vrai visage. Le gouvernement a toujours agi de cette manière, mais cette fois, tout le monde le voyait. Il était à l’origine de ce chaos et là, la seule aide qu’il apportait, c’était de confiner tout le monde, sans que les gens puissent accéder à ce dont ils avaient besoin pour vivre.
Z : C’était comme être un pion sur le jeu d’échecs national. Tout ce qu’ils voulaient, c’était empêcher le virus de se répandre hors de Wuhan, mais ils ne se souciaient pas de savoir comment nous, coincés à Wuhan, pourrions survivre à tout ça.
Chuang : Ça, c’est ce que vous ressentiez, vous et vos amis, mais est-ce que c’était une impression répandue ? Est-ce que la plupart des gens avaient confiance dans le gouvernement, pensaient qu’il allait s’occuper et se soucier d’eux ?
X : Dans ces premiers jours, la plupart des gens à qui je parlais, en ligne, étaient de ma famille, étant donné que c’était le Nouvel An. J’avais l’impression que mes cousins, de la même génération que moi, n’avaient guère confiance dans l’action du gouvernement – qu’il s'agisse des annonces contradictoires des débuts ou du confinement de la ville. Tout le monde sentait bien qu’il y avait un terrible manque de transparence, et on n’avait aucune idée de ce qui allait se passer ensuite. Mais, au début, les gens étaient juste surpris, et tout semblait absurde. Ce n’est que plus tard que la population a regardé et évalué ce qui venait de se passer.
Z : Les premiers jours de confinement, je me levais tous les matins pour sortir le chien, et le village était complètement vide, à part quelques véhicules garés le long de la route. Le chien voulait évidemment uriner sur les roues des voitures, mais j’avais peur que celles-ci n’aient ramené le virus avec elles. Ce n’est qu’un exemple de ce sentiment presque hystérique qui a envahi l’atmosphère à ce moment-là. Un autre exemple : notre propriétaire est une agricultrice, elle a donc une de ces machines pour épandre des pesticides dans les champs. En février, les autorités du village ont distribué de la javel en poudre aux villageois en leur disant de tout désinfecter avec. Elle a donc mis le produit dans sa pompe et a commencé à tourner dans le village et à en pulvériser partout. Peu de temps après, sa peau a commencé à peler et à devenir rouge, et, au cours des semaines qui ont suivi, elle s’est enfermée chez elle. Elle avait peur de sortir. Elle craignait d’être en contact avec d’autres habitants du village et même avec les chiens ou les chats. Elle était furieuse contre le comité du village à cause de la javel.
Chuang : Est-ce que le comité a eu cette idée lui-même, ou c’était un ordre venant d’en haut ?
X : Notre village dépend du shequ (« communauté de quartier3 »), la branche locale du gouvernement dans cette zone. C’est l’entité qui a distribué la javel et d’autres choses comme des masques et de la solution hydroalcoolique, ainsi que des indications sur la façon de les utiliser. Mais tout ça n’a commencé que quelques semaines après le début du confinement. Pendant les deux premières semaines, le gouvernement n’a pris aucune mesure pour aider la population. Deux jours après le début du confinement, le gouvernement municipal de Wuhan a mis en place ce qu’ils ont appelé le Centre de prévention et de contrôle de la nouvelle pneumonie ( 武汉新型肺炎防控指挥部 ), qui a ensuite publié une série de décrets ( 条例 ). Un mois plus tard, ces décrets ont enfin fourni des explications quant au fonctionnement du confinement, par exemple sur la façon de se procurer de la nourriture alors que les marchés étaient fermés. Avant ça, le gouvernement s’est contenté de tout faire fermer sans se préoccuper de ces questions. Je me souviens du premier décret sur le transport, qui disait seulement que tous les transports en commun devaient arrêter de circuler, et qui imposait des restrictions sur les véhicules personnels.
Chuang : Quand le premier décret a-t-il été publié ?
X : Quelques jours à peine après le début du confinement, le 25 janvier peut-être.
Chuang : Vous avez dit tout à l’heure que, durant les premiers jours, rien n’était supposé être fermé – ni les commerces ni les complexes résidentiels ; donc, les gens pouvaient se déplacer librement, seuls les bus ne circulaient pas. Quand les marchés ont-ils été contraints de fermer ?
X : Il y a d’abord eu le marché aux fruits de mer de Huanan. Il a été fermé et désinfecté fin décembre ou début janvier, lorsque Li Wenliang a remonté la piste du virus jusque-là. Ensuite, juste avant le confinement (le 22 janvier), lorsqu’on est allés au marché local, les vendeurs nous ont dit qu’ils fermeraient le lendemain pour désinfecter les lieux. On a découvert ensuite que c’est ce qui allait se passer dans tout Wuhan. À l’époque, ça ne paraissait pas être une affaire bien sérieuse, parce que le Nouvel An approchait et que tout le monde avait déjà fait des réserves de nourriture en prévision, la plupart des stands n’étaient même pas ouverts de toute façon.
Chuang : Mais le réveillon du Nouvel An était le 24 janvier, non ? Les gens ne prévoyaient-ils pas de faire massivement leurs courses le 23 ? Je me demande si certains se sont retrouvés coincés, sans stocks de nourriture suffisants.
X : Non, la plupart des gens commencent à faire leurs achats un mois à l’avance, et font des réserves une ou deux semaines avant le Nouvel An.
Chuang : C’était donc vraiment le moment le plus propice pour décréter le confinement. La population avait déjà fait des provisions, et la plupart des personnes étaient en congé, donc ce n’était pas si absurde ou inconfortable de rester chez soi durant ces premiers jours. À une autre période de l’année, ça aurait entraîné bien plus de problèmes.
Z : Absolument ! On aurait assisté à une panique généralisée.
X : Au début, il était uniquement possible de se déplacer à pied, et la plupart des supermarchés étaient fermés, donc, si les gens n’avaient pas eu suffisamment de réserves pour les vacances, ils se seraient nécessairement retrouvés à court de nourriture.
Chuang : Quand les marchés ont-ils rouvert ?
X : Ils n’ont jamais rouvert4. Quelques grandes surfaces sont restées ouvertes à Wuhan : Zhongbai, qui est la principale chaîne de Wuhan, et les gros vendeurs en ligne, Hema, propriété d’Alibaba, et JD.com. Zhongbai est resté ouvert durant l’essentiel du confinement, mais c’était impossible d’entrer à l’intérieur – il fallait faire ses courses par le biais de l’« Achat groupé » ( 社区采购 ), par l’intermédiaire du gouvernement.
Chuang : Comment fonctionne l’« Achat groupé » ? Quand est-ce que ça a commencé ?
X : Lorsque les ensembles résidentiels ont été mis en quarantaine, et qu’on ne pouvait plus aller nulle part pour faire ses courses. Du coup, il fallait faire une liste, l’envoyer au directeur ( 负责人 ) du comité d’habitants shequ ( 居委会 ), ou aux volontaires chargés de cette mission.
Z : Je pense que ça a commencé à la fin du mois de février.
Chuang : Les ensembles résidentiels n’ont donc été isolés qu’un mois après le début du confinement de la ville ?
Z : Ils ont été fermés plus tôt dans le centre-ville, mais dans notre village, qui est en périphérie de la ville, ils n’ont été mis en quarantaine que plus tard.
X : Oui, de manière générale, tout était plus libre ici, et les choses ont mis plus longtemps à être mises en place. La « conscience régulatrice » ( 管理意识 ) des autorités était moins forte ici, car le village n’est pas un complexe entouré de murs, il est donc plus difficile à isoler des environs, et les gens ici n’ont pas l’habitude de vivre comme ça.
Chuang : Pourquoi la chaîne Zhongbai a-t-elle été autorisée à rester ouverte alors que les autres locaux commerciaux ont dû fermer ? C’est une entreprise publique ?
X : Je crois que c’est une compagnie municipale ( 城市企业) .
Z : Je pense que l’idée, c’est qu’il était plus facile de gérer les grandes surfaces que les petites boutiques. De plus, beaucoup de petits commerces sont tenus par des gens qui ne sont pas de Wuhan, qui étaient rentrés dans leurs villes natales pour le Nouvel An. On est sortis le 26 janvier et, à part Zhongbai et deux pharmacies, tout était fermé.
Chuang : Le gouvernement a ordonné ces fermetures, ou les gens sont juste restés chez eux de peur d’être contaminés ?
Z : Je crois qu’ils avaient peur et sont restés chez eux.
X : Je me souviens d’avoir entendu les gens parler du fait que le gouvernement n’avait toujours pas édicté de règles claires concernant les magasins5. Chez nous, seules ces deux pharmacies étaient ouvertes, mais elles n’avaient plus ni masques ni équipements de protection. Ma mère a eu le même problème en ville : j’ai cherché sur internet des commerces dans son secteur et fini par trouver un commerce ouvert, mais il était en rupture de stock de masques. Tout avait été acheté dans les premiers jours du confinement. Les complexes résidentiels n’ont pas tous été fermés au même moment. La presse annonçait les fermetures de shequ. Et j’ai noté que, le 23 février, la presse a critiqué notre shequ pour ne pas avoir réussi à isoler véritablement les villages du coin, et ce n’est qu’après cela que la plupart des entrées du village ont été fermées et qu’un checkpoint ( 执行点 ) a été mis en place au niveau de l’entrée principale. Si je me souviens bien, il me semble que les shequ urbains avaient été fermés deux semaines plus tôt, au début du mois de février.
Chuang : Donc, officiellement, à la fin du mois de janvier, seuls les bus étaient à l’arrêt et les marchés fermés ? Qu’en était-il des véhicules individuels ?
X : Les règles en la matière n’arrêtaient pas de changer. Tout le monde se moquait d’ailleurs des réglementations, contradictoires et incohérentes. L’une d’entre elles affirmait, par exemple, que, si tu n’avais pas reçu de sms du ministère du Transport spécifiant que tu n’avais pas le droit de conduire, alors tu pouvais prendre ta voiture ; or personne en ville ne semblait recevoir ce genre de message, donc tout le monde pouvait conduire comme si de rien n’était. Plus tard, ils ont changé ce système et opté pour un passe ( 通行证 ), délivré par le comité d’habitants shequ, qui autorisait la conduite. À ce moment-là, la police tenait des checkpoints un peu partout en ville, et ils arrêtaient les gens pour contrôler leurs passes. La responsabilité de la mise en quarantaine des résidences avait alors été déléguée aux comités d’habitants. Toutes les courses, les soins médicaux, etc., devaient être pris en charge par le shequ. Si on avait besoin de te rendre quelque part en voiture, il fallait demander la délivrance d’un passe au comité. Par exemple, si tu devais te rendre au travail, ou si quelqu’un était malade et devait aller à l’hôpital, il fallait avoir un passe. Plus tard, le gouvernement a fourni un véhicule à chaque comité d’habitants shequ, et si quelqu’un avait besoin de se rendre quelque part, il pouvait demander à l’utiliser. À partir de ce moment-là, il est devenu pratiquement impossible d’obtenir une autorisation pour utiliser son propre véhicule.
Z : Wuhan compte onze districts, et chaque district est supposé avoir vingt véhicules, mais, en raison de sa faible population, notre district n’avait que huit véhicules.
Chuang : J’ai entendu dire que ces véhicules étaient fournis par les compagnies de taxi, avec des chauffeurs, c’est ça ?
X : Oui, le gouvernement a réquisitionné des véhicules de compagnies de taxi et embauché des chauffeurs pour travailleur comme « volontaires » ( 志愿者 ).
Chuang : Ils étaient payés, non ?
Z : Oui, j’ai entendu dire qu’ils étaient bien mieux payés que lorsqu’ils travaillaient comme simples chauffeurs de taxi. Les autres « volontaires communautaires » recevaient également des salaires ( 工资 ).
X : Ce n’était pas des salaires, seulement des compensations ( 补贴 ).
Chuang : Donc, dans les premiers jours du confinement, même si les ensembles résidentiels n’étaient pas en quarantaine, la plupart des gens ne sortaient pas de chez eux – à cause des bus qui ne circulaient plus mais aussi parce qu’ils avaient peur du virus ?
X : Oui. Les gens avaient suffisamment de nourriture, et ils étaient effrayés, parce qu’ils étaient au courant pour la maladie mais n’avaient pas plus d’informations ; donc, ils restaient chez eux en attendant de voir ce qui allait se passer, en tentant de trouver plus d’infos sur internet. Du coup, la plupart des gens ne sortaient pas. Pas mal d’informations de première main venaient des hôpitaux – surtout de vidéos. Par exemple, quand les gens étaient malades et finissaient aux urgences, ils prenaient des vidéos flippantes de personnes gravement malades attendant dans des lieux bondés ou faisant la queue dehors. Plus tard, lorsque les bus ont arrêté de circuler, beaucoup de gens qui avaient besoin de se rendre au travail ne pouvaient plus se déplacer, notamment les médecins et les infirmières. À ce moment-là, de nombreuses personnes se sont portées volontaires pour les conduire sur leurs lieux de travail. C’étaient des gens ordinaires qui, spontanément, se sont proposés pour aider, sans aucune compensation financière.
Chuang : Ces volontaires pouvaient alors se déplacer en voiture librement sans avoir besoin de passe. Ont-ils, par la suite, rencontré des difficultés pour se procurer des autorisations ?
X : Je connais quelqu’un qui faisait partie d’un de ces groupes qui a pu obtenir un passe et continuer à être volontaire tout au long du confinement. Ils distribuaient des équipements de protection et conduisaient les équipes médicales entre leurs domiciles et leurs lieux de travail et vice versa. Une personne obtenait un passe à condition de faire partie d’un groupe de covoiturage ( 车队 ). C’est devenu plus compliqué pour celles qui tentaient de faire du volontariat seules de leur côté. Si quelqu’un dans ta famille tombait malade, tu ne pouvais pas demander un passe pour conduire : il fallait faire une demande au comité d’habitants shequ pour qu’il mette un véhicule à disposition. Si tu tombais malade, le comité d’habitants ne t’autorisait pas non plus à aller seul à l’hôpital. Si tu montrais des symptômes suspects ( 疑似 ), il fallait t’enregistrer ( 登记 ) auprès du comité pour avoir accès à un test pcr et, en attendant, il était impossible d’aller à l’hôpital par tes propres moyens. Ce n’est qu’après le résultat que le comité te transférait dans un site de quarantaine ( 隔离点 ) ou te conduisait à l’hôpital.
Z : Quand est-ce que notre amie LN est venue nous voir ? Elle a réussi à avoir un passe pour conduire.
X : C’était à la fin du mois de février, mais les restrictions sur les voitures privées n’étaient pas encore si strictes. Les complexes résidentiels ont commencé à être fermés début février, graduellement – ils n’ont pas tous été fermés d’un coup, au même moment. Au début, ça n’a concerné que ceux qui se trouvaient dans les environs immédiats du marché aux fruits de mer de Huanan et dans d’autres endroits touchés par des contaminations massives ( 高发地 ). Hankou, l’une des trois villes réunies dans la ville de Wuhan, a été confinée avant Wuchang. C’est pareil pour certains ensembles résidentiels : la mise en quarantaine dépendait de l’activité de chaque comité d’habitants shequ. Les comités ne prêtaient aucune attention ( 管 ) aux plus vieux complexes, qui n’avaient souvent même pas d’instance de gestion immobilière ( 物业 ) avec laquelle le comité aurait pu se coordonner, donc ils ne pouvaient pas être isolés ( 封不起来 ). S’il s’agissait d'une résidence récente, ou si elle bénéficiait de l’attention du comité d’habitants, elle était mise en quarantaine plus rapidement et plus strictement ( 严格 ). Je me souviens de discussions avec des amis début février, on se demandait tout le temps : « Est-ce que ta résidence a été fermée ? », « Est-ce que tu as le droit de sortir ? » C’était un processus graduel.
Chuang : Est-ce que vous pouvez nous parler un peu des exemples d’entraide ?
X : Environ une semaine après le début du confinement, il y a eu des pénuries dans plusieurs hôpitaux importants, et ceux-ci ont commencé à demander de l’aide à l’ensemble de la société. Cette demande était sans précédent. Après ces appels, tout type de personnes ont commencé à former des groupes de bénévoles pour trouver des équipements de protection et en faire don aux hôpitaux – en plus des groupes de covoiturage qui étaient apparus un peu plus tôt. Je me suis impliquée dans ce genre d’activités, car mon amie D, qui est dans l’industrie musicale et connaît toutes sortes de gens – un peu comme une gangster ( 大姐大 ) [rires] –, a aidé à monter le groupe des Anges masqués ( 蒙面天使救援队 ). Il se trouve qu’elle vit dans le même immeuble que ma mère, tout près de plusieurs grands hôpitaux. Le groupe a été divisé en plusieurs équipes – l’une cherchait des masques, une autre était chargée du transport et l’équipe de D devait communiquer avec les hôpitaux pour savoir où les équipements de protection manquaient le plus. J’ai également une tante qui est infirmière en chef dans l’un de ces hôpitaux, donc elle savait quels services étaient en rupture de stock. Je lui ai présenté D et ensemble elles ont mis en place une chaîne d’approvisionnement. Durant le premier mois de confinement à Wuhan, le gouvernement n’avait pas encore déclenché l’intervention ( 介入 ) des comités de résidents, et il n’avait pas non plus pris le contrôle ( 接管 ) des activités non officielles de distribution de matériel aux hôpitaux : les groupes de volontaires devaient donc trouver les équipements et les transporter jusqu’aux hôpitaux par leurs propres moyens. Mais, au bout d’un mois de confinement environ, de plus en plus d’hôpitaux ont commencé à manquer de matériel et ont, à leur tour, lancé des appels à soutien à la population. Dans le même temps, de plus en plus de gens en Chine envoyaient des équipements. Les groupes de volontaires n’avaient pas de direction centralisée, il était donc devenu difficile pour eux de gérer l’énorme quantité d’équipements qui arrivait à Wuhan. Et je me souviens qu’à l’époque le gouvernement a commencé à exiger ( 要求 ) que la totalité des dons transitent ( 对接 ) par l’une des deux ong officiellement enregistrée : la Croix-Rouge et le Centre de charité ( 慈善总会 ). À compter de ce moment, le gouvernement a imposé des limites à l’activité des volontaires et à leur accès aux ressources. D, par exemple, a été contactée, et on lui a demandé de cesser ses distributions d’équipements de protection. Les Anges masqués ont donc changé d’activité et ont commencé à livrer de la nourriture au personnel soignant. Les cafétérias des hôpitaux étaient fermées, tout comme les restaurants, ils n’avaient donc nulle part où aller manger.
Chuang : Comment ont-ils fait pour se nourrir tout au long du mois précédent ?
Z : La plupart ramenaient juste des nouilles instantanées et des plats froids.
Chuang : Pourquoi les cafétérias des hôpitaux ont-elles été fermées ?
X : Parce que les employés des cafétérias ne pouvaient pas se rendre au travail. Ma tante apportait sa propre nourriture ou allait manger chez elle durant la pause déjeuner. Les Anges masqués ont donc monté leur propre cuisine ( 食堂 ) et livré des plats aux soignants. En fait, un mois avant le confinement, ils avaient déjà commencé à livrer de la nourriture instantanée comme des nouilles ou du pain, mais, lorsque le gouvernement a pris en charge les livraisons d’équipements de protection, les Anges ont réorienté leur activité pour se spécialiser dans la distribution de nourriture, en mettant sur pied une cuisine et en livrant des plats chauds aux travailleurs, ainsi qu’aux personnes coincées à Wuhan sans nulle part où aller, dormant sous les ponts ou là où elles le pouvaient. Ils leur distribuaient des repas chauds, à elles aussi. Pour ma part, j’ai arrêté d’y participer au moment où ils se sont mis à faire des distributions de nourriture. À la place, je me suis mise à aider les personnes présentant des symptômes à se faire tester et, si le résultat était positif, à être prises en charge à l’hôpital. Il était possible de faire tout ça depuis internet. C’était un autre domaine important du volontariat, car les comités d’habitants étaient débordés et ne pouvaient pas prendre en charge tous les cas. De plus, les comités n’avaient que peu de contacts réguliers avec la plupart des résidents. D’ailleurs, ils n’avaient pas suffisamment de personnel, en tout cas au début. Du coup, si tu étais malade et que tu te présentais au comité, ils n’avaient souvent pas le temps de traiter ton cas, et il fallait attendre dans des files interminables. Et, tandis que les gens attendaient, leur état empirait, donc ils allaient sur le net, sur WeChat ou Weibo, pour demander de l’aide. Comme il fallait un test positif pour être admis à l’hôpital ou dans un site de quarantaine, ils avaient parfois juste besoin d’un test pcr . Une grande partie du bénévolat consistait à aider ces personnes.
Z : Pourquoi tu ne leur parles pas du groupe d’entraide de lml ?
X : C’était un groupe de musiciens basés à lml qui ont fait du volontariat. Ils ont conduit les soignants et ont organisé des collectes de masques.
Z : C’est intéressant, car ce groupe a commencé comme un réseau informel de personnes qui se sont rencontrées en allant voir des concerts ensemble, et, après le début de l’épidémie, elles ont commencé à lever des fonds pour acheter des équipements de protection et les donner aux hôpitaux. Ensuite, lorsque le gouvernement a réservé ces activités à la Croix-Rouge et au Centre de charité, le groupe a cessé ses activités, craignant de s’attirer des ennuis s’il continuait.
Chuang : Qu’est-ce qui les inquiétait ?
X : Je pense que le gouvernement a considéré que ces petits groupes indépendants seraient difficiles à contrôler.
Chuang : Le gouvernement a-t-il déjà explicitement interdit des activités menées indépendamment par des bénévoles ? Ou se contentait-il de demander aux volontaires de travailler d’une manière ou d’une autre avec la Croix-Rouge ?
X : D, des Anges masqués, m’a dit qu’un comité d’habitants avec lequel elle était en contact les a approchés, elles et les autres volontaires, pour qu’ils cessent leurs distributions d’équipements et de nourriture.
Z : Il y avait également le problème du transport : pour obtenir le passe pour conduire et donc participer aux activités de volontariat, il fallait l’autorisation du comité d’habitants.
Chuang : Ce qui nous ramène à la question du changement de rôle des comités d’habitants. Vous avez mentionné qu’au départ ils n’avaient pas assez de personnel pour gérer des questions comme les tests ou le transport des malades à l’hôpital, et que ce sont les groupes de bénévoles qui ont permis de surmonter cette pénurie de personnel. Quand le gouvernement a pris en charge ces activités, est-ce que la plupart des groupes de bénévoles se sont dissous, ou ont-ils été incorporés d’une manière ou d’une autre ?
X : Autant que je sache, la seule forme de volontariat que le gouvernement a intégralement pris en charge était la collecte et la distribution d’équipements de protection. En ce qui concerne l’aide aux habitants pour les tests et les traitements, ce sont essentiellement les comités d’habitants qui s’en sont chargés, et ils n’ont pas empêché les bénévoles de continuer ces activités. Idem pour la distribution de nourriture.
Chuang : Est-ce que tout le monde devait payer l’intégralité du loyer pendant le confinement ? J’ai entendu dire que certaines personnes avaient obtenu des allègements.
Z : Ce n'était pas systématique. Notre propriétaire, par exemple, vit à côté de chez nous, donc on a dû payer intégralement notre loyer chaque mois. Mais certains commerces louent leurs locaux à des organismes publics et, dans ce cas, le gouvernement a annoncé des réductions de loyer. Mais si tu as un propriétaire privé, alors il faut négocier avec lui.
Chuang : C’est courant de payer son loyer au gouvernement ?
X : Pas tant que ça. Mais on connaît une personne qui tient une boutique dans un local appartenant au gouvernement. Elle a eu une exemption de loyer pour les trois premiers mois, et n’a eu à payer que la moitié les trois mois suivants.
Chuang : Tant mieux pour elle. En ce qui concerne les négociations avec les propriétaires privés, j’ai entendu dire qu’à travers toute la Chine il y a eu une sorte de pression collective sur eux pour qu’ils suspendent les loyers, ou en tout cas les réduisent, et que si un propriétaire en venait à expulser quelqu’un qui n’arrivait pas à payer, ça ne manquait pas d’entraîner une levée de boucliers. Est-ce que vous avez connaissance d’exemples de ce genre ?
X : Il me semble que les propriétaires qui ont réduit les loyers étaient très rares. Le propriétaire de la salle de concert wp a suspendu le loyer un seul mois sur les trois de confinement, et c’est le seul cas hors du secteur public de réduction de loyer par un propriétaire privé dont j’ai entendu parler. La plupart du temps, les propriétaires étaient d’accord pour attendre le paiement pendant un ou deux mois, mais les réductions pures et simples étaient rares. Le plus souvent, les commerces fermaient puis mettaient la clé sous la porte au bout de quelques mois.
Chuang : Ce qui nous amène à la question des résistances et des luttes. Les négociations et les demandes de report de paiements peuvent être considérées comme des formes faibles de résistance, mais est-ce que vous avez entendu parler de luttes collectives contre les loyers ou les expulsions ?
X : Je n’ai connaissance d’aucune résistance collective quelconque contre les expulsions, mais il y a eu quelques actions autour des questions de nourriture.
Z : Comme quoi ?
X : Dans un ensemble résidentiel, une femme s’est plainte de la nourriture fournie par le comité, en disant que c’était beaucoup trop cher, que le comité faisait mal son travail de coordination entre les résidents. Elle a donc critiqué le comité dans le groupe WeChat de ce shequ, et les captures d’écran de ses commentaires sont devenues virales, car beaucoup de gens étaient d’accord avec elle. Avant que le gouvernement n’intervienne, les habitants de la résidence s’étaient organisés pour contacter des fournisseurs et acheter leur nourriture collectivement. Ils avaient déjà mis en œuvre leur propre système d’achat groupé, et ils ont eu l’impression que le comité d’habitants avait usurpé ( 篡夺 ) ce système et qu’il ne faisait pas du bon travail. De plus, les prix augmentaient, et les habitants ont commencé à suspecter le comité de se servir au passage.
II
Chuang : Est-ce que votre collectif a organisé des événements en lien avec la pandémie ? Vous avez mentionné l’organisation par des amis d’une fête en ligne de levée de fonds au Japon, à laquelle vous avez participé.
Z : Notre rôle là-dedans s’est résumé à contacter des gens à Wuhan et à les inviter. Ils ont rassemblé 5 000 yuans [environ 700 euros] pour aider les amis de la salle de concert à payer leur loyer pendant le confinement.
Chuang : C’était fin janvier, quelque temps après l’isolement de la ville. Le gouvernement avait déjà interdit d’ouvrir aux bars et aux restaurants ?
Z : Non, c’est juste que les gens avaient peur d’être infectés et restaient chez eux. Des règles claires n’ont été publiées que plusieurs semaines plus tard. Comme certaines bouteilles d’alcool allaient se périmer et qu’ils ne voulaient pas les gâcher, certains amis se retrouvaient à la salle de concert pour boire des coups, mais ce n’était pas ouvert au public.
Chuang : Ça a l’air complètement différent de la situation dans d’autres pays, où de nombreux conflits ont eu lieu entre les patrons qui voulaient que l’économie continue de tourner comme d’habitude et les gouvernements qui appelaient les gens à rester chez eux. Hier, un ami au Royaume-Uni me disait que des bars continuaient à ouvrir illégalement, parce que tout ce que pouvait faire le gouvernement, c’était de leur mettre une amende ; or ces amendes étaient moindres que les profits qu’ils risquaient de perdre s’ils fermaient. Bien sûr, c’est arrivé après que l’économie a été bouleversée par des mois de pandémie, mais ce genre de chose avait également eu lieu dès le début, dès le mois de mars. Et je suis certain que vous avez entendu parler des manifestations dans plusieurs pays contre les restrictions sanitaires. Pourtant, d’après ce que vous racontez, il semble qu’à Wuhan la plupart des commerces ont fermé leurs portes en janvier et février juste parce que plus personne ne sortait de chez soi, bien avant que le gouvernement n’impose la moindre réglementation. C’est bien ça ?
Z : Oui. Les choses ont commencé à changer en avril. Je me souviens qu’à ce moment-là si les restaurants et les bars restaient ouverts, la police passait parfois.
X : Mais même à cette période, pour autant que je sache, il n’y avait toujours pas de mesures claires du gouvernement en la matière6.
Chuang : Que faisait la police quand elle venait ? Elle mettait des amendes aux propriétaires et les forçait à fermer boutique ? Est-ce que certains refusaient de fermer ?
X : Parfois, la police les obligeait à fermer, ou disait aux clients de s’installer dehors. Lorsque la salle de concert a rouvert en mai, la police est venue et a emmené un des propriétaires au commissariat, mais ils l’ont juste informé des nouvelles règles en vigueur, notamment celles qui prévoyaient que le public reste à l’extérieur.
Chuang : Ça s’appliquait à tout type de commerces ? Le chengguan (Bureau de l’administration d’affaires urbaines7) faisait bien fermer les commerces qui installent des tables sur les trottoirs, non ?
X : Ha ! Oui, mais à ce moment-là, le gouvernement a aussi commencé à promouvoir une « économie de rue » ( 地摊经济 ). On a vu fleurir dans les médias locaux des histoires d’hôtels de luxe qui installaient des tables pour les clients sur le trottoir. Ça n’a jamais vraiment pris à Wuhan, mais dans d’autres villes, comme Chongqing, c’est devenu très répandu, et toutes sortes de commerces ont installé des étals le long des rues. Au début, les gouvernements locaux ont encouragé l’« économie de rue », mais peu après ils ont changé d’avis et l’ont de nouveau interdite.
Chuang : J’ai entendu dire qu’à Canton ça n’a jamais vraiment marché. Après l’annonce du gouvernement central, pas mal de gens sont sortis dans la rue pour installer des stands, mais immédiatement après, le chengguan est venu et les a fait remballer, comme auparavant. Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de ce qui s’est passé à Wuhan après la levée du confinement, en avril ? Vous avez évoqué la réouverture des commerces et la police qui les contraignait à fonctionner seulement en extérieur. Qu’en était-il des transports ?
Z : Les lignes de bus urbaines ont repris, mais il fallait présenter un « code vert » (l’une des couleurs du système de qr codes sanitaires en place sur plusieurs plateformes, comme WeChat et Alipay8). Celui de WeChat incluait davantage d’informations, retraçant tous les endroits par lesquels on était passé. On a choisi celui d’Alipay, qui semblait être moins intrusif.
X : Le confinement a été levé le 8 avril, et je crois que les bus ont recommencé à circuler le lendemain.
Chuang : Je me souviens que vous avez dit que ce sont d’abord les entrées et les sorties de la ville qui ont été autorisées, et que, dans Wuhan même, un grand nombre de restrictions sont restées en place.
X : En fait, les gens ont été autorisés en rentrer dans Wuhan avant ça, mais ils ne pouvaient pas en sortir. Donc la « levée du confinement » ( 解封 ) signifiait juste que les individus pouvaient enfin quitter la ville. C’est au cours des semaines et des mois qui ont suivi que les restrictions de déplacement dans la ville ont progressivement été assouplies.
Chuang : En ville, vous dites que vous n’avez pas eu à utiliser les « codes sanitaires » avant la reprise des transports en commun en avril. Avant ça, vous n’utilisiez pas les codes pour entrer ou sortir des zones résidentielles ? Dans Wuhan Diaries, vous évoquez la fermeture de votre village après la découverte de deux cas de Covid en février, plus personne ne pouvait sortir après ça, sauf à certaines conditions. C’est à ça que servaient les codes sanitaires ?
Z : Non. Tu n’avais le droit de sortir que pour certains emplois ou pour des raisons médicales, et pour ça il te fallait un permis de travail ( 工作证明 ) et ta pièce d’identité, et ensuite ils prenaient ta température une fois arrivé à destination.
Chuang : Est-ce qu’il y avait des vérifications de température quand vous n’aviez aucune raison de sortir de votre zone de résidence ?
X : À un moment, le gouvernement a publié un décret précisant que le personnel du shequ devait dorénavant faire du porte-à-porte régulièrement pour vérifier la température de tous les habitants. Mais ils ont bientôt réalisé qu’ils n’avaient pas le personnel suffisant pour entreprendre cette démarche et qu’il y avait un risque de propager le virus par la même occasion. Donc ils ont interrompu la procédure, ordonnant à la place aux gens de faire connaître leur température chaque jour en passant par WeChat. Mais tout ça a eu lieu plus tard dans notre village, on n’est jamais passés par la phase de porte-à-porte – on a juste été obligés de donner notre température. La plupart des gens n’avaient pas de thermomètre, donc tout le monde se contentait de dire que leur température était habituelle, sauf s’ils se sentaient réellement fiévreux et voulaient voir un médecin.
Chuang : Oui, c’est ce qui s’est passé là où je travaille, dans une autre ville. Que se passait-il si tu déclarais avoir de la fièvre ?
X : Il fallait le faire savoir au shequ et ils t’envoyaient dans un site de quarantaine ( 隔离点 ). Ils trouvaient un véhicule pour te conduire sur place.
Chuang : Ils ne vous amenaient pas à l’hôpital ?
Z : Non, le gouvernement a décrété qu’il ne fallait jamais aller directement à l’hôpital. Il fallait d’abord contrôler sa température à nouveau pour confirmer la fièvre, puis passer par un site de quarantaine.
X : Chaque shequ disposait de son propre site de quarantaine : la plupart du temps, c’était un hôtel réquisitionné à cet usage. Ensuite, il fallait attendre là-bas plusieurs jours pendant que le comité d’habitants t’inscrivait pour un test pcr . Quand c’était ton tour, ils t’emmenaient à l’hôpital pour faire le test, puis à nouveau au site de quarantaine pour attendre le résultat. Si le résultat était positif, ils t’envoyaient à l’hôpital pour suivre un traitement, ou dans l’une des installations temporaires ( 方舱医院 ).
Chuang : Tout ça est à peu près connu. Est-ce qu’on peut revenir à la question de la réaction de la population face à la gestion du gouvernement ? Est-ce que les gens considéraient que les choses auraient dû être prises en main différemment ? Qu’en pensaient vos amis et la population en général ? J’aimerais aussi en savoir davantage sur les réactions plus critiques des gens dans les premiers temps, et sur la façon dont ces positions ont évolué pour en venir à soutenir la gestion gouvernementale mais aussi renforcer le patriotisme et la xénophobie. Je pense notamment aux théories du complot qui affirment que le virus a été intentionnellement diffusé en Chine par des puissances étrangères.
X : Je pense que tout ça a beaucoup à voir avec l’influence des médias. Tout le monde a remarqué que les médias, assez libres au départ, se sont petit à petit montrés plus rigides ; le tournant dans l’opinion publique est directement lié à ça. Durant les premiers mois de confinement, des grands journaux comme Caixin ou Southern Metropolis Daily ont publié une série de reportages sur les origines du virus, sa diffusion et sa gestion, et même sur la découverte de la souche virale fin décembre par Li Wenliang. Les médias ont reconstruit la généalogie de l’épidémie, en évoquant notamment les cas apparus dès le début du mois de décembre. Dans la chronologie, ils établissaient une corrélation entre les « Deux sessions », qui se sont tenues du 6 au 17 janvier, et la période de déclin de la sensibilisation du public à l’épidémie et aux mesures de protection, qui avait commencé à se développer avant cela. On a pu constater que les cas avaient commencé à monter en flèche juste après, lorsque la publication du nombre de contaminations a été à nouveau autorisée. Tout le monde pouvait saisir le lien entre les deux. Puis, lorsque les autorités centrales sont venues enquêter, tout le monde a eu l’impression d’assister à un spectacle ( 看戏 ), les autorités centrales et locales essayant de se rejeter mutuellement la faute. Personne ne voulait assumer la responsabilité de ce qui s’était passé. Tout au long du premier mois du confinement, les médias étaient saturés de reportages comme cela.
Chuang : Qu’en pensait la population en général ?
Z : Deux exemples me viennent à l’esprit. Le premier, c’est la soirée au cours de laquelle Li Wenliang est décédé, le 7 février : tout le monde a partagé la nouvelle. Même des amis et des proches qui en temps normal ne se soucient pas de politique ont envoyé des messages indignés ( 愤慨 ). Ils étaient furieux. L’autre exemple, c’est lorsque je suis allé dans une petite boutique près de chez moi et que la propriétaire m’a dit que le gouvernement allait bientôt distribuer des aides financières. Elle affirmait que tous les habitants de Wuhan recevraient bientôt 3 000 yuans [environ 400 euros]. Des messages circulaient à ce sujet. Je ne sais pas si ces rumeurs étaient fondées sur des déclarations officielles, mais en fin de compte, personne n’a jamais reçu le moindre argent9 .
X : C’est la même femme qui a dit que le virus avait été amené depuis les États-Unis par les athlètes de l’armée états-unienne qui se sont rendus à Wuhan en octobre 2019 pour les Jeux mondiaux militaires. À l’époque, au début du mois de mars, c’est le ministère des Affaires étrangères (son porte-parole, Zhao Lijian, pour être exact) qui a fait des déclarations en ce sens. C’est un exemple de l’influence exercée par les médias sur l'opinion publique.
Chuang : La déclaration de Zhao a-t-elle été un tournant majeur dans les mentalités collectives – de la colère contre le gouvernement local au regain de patriotisme, accompagné d’accusations contre des pays étrangers ?
X : Je crois que ça a marqué un tournant dans l’opinion des personnes âgées ou d’âge moyen. Mais je pense que c’était différent pour les plus jeunes.
Chuang : Qu’est-ce qu’ils en pensaient ?
Z : On peut les considérer en fonction de ce qui concentrait leur attention : certains étaient plus préoccupés par le fait de savoir d’où venait le virus, d’autres se souciaient surtout de démasquer les responsables, tandis que d’autres, enfin, cherchaient à connaître les meilleurs moyens d’éviter l’infection. Mais, en ce qui concerne leur attitude vis-à-vis du gouvernement, certains étaient plus radicaux ( 激烈 ) que d’autres.
Chuang : Plusieurs amis et moi-même avons entendu des gens, dans d’autres villes, exprimer l’idée que le contrôle rapide de la pandémie par la Chine, comparé au désastre dans d’autres pays, justifiait rétrospectivement le système politique chinois. Certains allaient même jusqu’à affirmer que les autres pays étaient « trop démocratiques » ou « trop libres », que la liberté et la démocratie étaient responsables de cette gestion calamiteuse de la pandémie et que « le système chinois était meilleur » ( 还是我们中国的制度比较好 ). Est-ce que les gens à Wuhan avaient une opinion différente, compte tenu de ce qu'ils avaient vécu en janvier et de l’impact plus important de la pandémie sur leurs moyens de subsistance ?
X : L’une de mes tantes est fonctionnaire, au bas de la hiérarchie ( 基层公务员 ), et une autre est infirmière. Toutes deux ont été très critiques de la gestion initiale du virus par le gouvernement local, mais j’ai l’impression qu’elles ont fini par croire les médias et penser que la faute incombait à quelques responsables officiels plutôt qu’au système politique dans son ensemble. Il me semble que c’est une vision des choses très répandue, surtout chez les plus âgés.
Chuang : Et concernant les difficultés économiques ou l’absence de soutien à tous ceux qui ne pouvaient plus travailler ?
X : Les gens se plaignaient de ça. L’une de mes tantes m’a dit qu’elle avait entendu parler des aides d’urgence dans d’autres pays, mais qu’elle pensait que c’était impossible ici.
Z : Cette tante se plaignait également de devoir travailler six jours par semaine pour pouvoir joindre les deux bouts pendant le confinement. Dans notre coin, beaucoup de magasins n’ont jamais rouvert leurs portes après le déconfinement. La plupart des propriétaires de commerces étaient originaires d’un autre endroit du Hubei, et ils les ont, pendant le confinement, réinstallés dans d’autres villes.
X : Dans la galerie où j’ai travaillé pendant quelques mois, il y avait une jeune femme originaire du Hubei rural. Ses parents travaillaient dans un supermarché à Wuhan, mais, après la levée du confinement, ils n’ont jamais retrouvé de travail ici. Du coup, toute la famille a déménagé à Canton pour travailler dans une entreprise de logistique. Même après le déconfinement, de nombreux commerces n’ont pas pu rouvrir. Une ancienne camarade de classe est comptable dans une grande chaîne hôtelière et elle n’est pas retournée travailler avant l’été. La chaîne a renvoyé tous ses employés. Elle a eu beaucoup de chance de garder son poste, mais elle n’a perçu qu’un tiers de son salaire pendant tous ces mois.
Z : Dans le secteur de la construction et de la rénovation, personne n’était autorisé à travailler sur des chantiers privés avant l’été. Seuls les chantiers publics étaient ouverts. Notre ami W est journalier dans ce secteur, mais il n’a pas pu travailler avant l’été.
Chuang : Quel a été l’impact sur la vie et l’économie de Wuhan, avec tous ces gens sans travail pendant près de six mois ? Comment toutes ces personnes arrivaient-elles à s’en sortir ? Si elles ne pouvaient plus payer de loyer, devaient-elles déménager chez des proches, par exemple ?
X : La plupart des gens que je connais avaient des endroits où vivre à Wuhan et, comme mon amie de l’entreprise hôtelière, certains ont continué à toucher un tiers de leur salaire, même lorsqu’ils ne travaillaient pas. En ce qui concerne les gens d’autres régions du Hubei, je crois qu’ils ont juste déménagé dans d’autres villes ou sont retournés à la campagne. Un musicien qui vivait avec nous est originaire d’une autre province. Il y est retourné pendant le confinement, et après la fin de cette période, il n’est pas immédiatement rentré, parce que les salles de concert n’étaient pas autorisées à rouvrir avant plusieurs mois. Il n’a donc pas pu jouer ici. Il a travaillé comme vendeur dans une autre ville. Finalement, encore ailleurs, il a trouvé un bar qui organisait des concerts. Un autre ami d’ici, qui travaillait dans la musique, a dû reprendre son ancien boulot, dans les assurances.
Chuang : Nous avons déjà discuté de l’entraide en matière de transport de personnes et de distribution d’équipements et de nourriture dans les hôpitaux ; est-ce que vous connaissez des exemples d’entraide économique, pour aider les gens à s’en sortir durant ces mois où les revenus étaient réduits ?
X : En ce qui concerne le chômage ou le logement, pas que je sache. Mais pendant le confinement, on a eu l’exemple de personnes qui se regroupaient pour collecter de l’argent afin d’acheter des produits d’hygiène féminine et les distribuer aux infirmières et aux soignantes.
Z : Je n’ai aucun exemple d’entraide économique en tête. Mais j’ai un autre exemple d’entraide, en matière de santé mentale : un artiste a mis en place un certain nombre de groupes en ligne pour que des gens à travers le pays se lient d’amitié avec des habitants de Wuhan, car beaucoup souffraient de l’isolement et du traumatisme et avaient besoin de personnes à qui parler. Je ne sais pas à quel point ça s’est développé, mais ça a été une tentative d’utiliser l’art pour constituer un réseau d’entraide et de soutien pour la santé mentale des gens.
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Publication originale (26/08/2022) :
Niet! éditions
· Cet article fait partie de notre dossier Chine du 12 décembre 2022 ·
Nous utilisons des pseudonymes pour protéger l’identité des individus interrogés ainsi que leurs contacts. W apparaît seulement dans la dernière partie. La citation au sujet du collectif est tirée de leur site internet, dont nous ne fournissons pas les détails pour des raisons de sécurité. [Note de Chuang]
Rencontres des gouvernements métropolitains et provinciaux, du 6 au 17 janvier 2020, avant lesquelles les autorités ont censuré les informations concernant l’épidémie et ont fait taire les lanceurs d’alerte comme Li Wenliang. [Note de Chuang]
Le système du shequ a été mis en place dans les années 1990, pour succéder en partie à celui du danwei (voir page 61, note n° 39). Il s’agit du niveau le plus bas de l’administration. Un shequ régit quelques centaines de foyers dans les zones urbaines et périurbaines. Le système est détaillé par Chuang au chapitre 4. [ n d e ]
Pas avant le déconfinement de la ville, en avril. [Note de Chuang]
X a fait des recherches par la suite et a découvert que, le 16 février, le gouvernement de Wuhan avait annoncé, dans sa Circulaire 13, que certains types de « sites publics » (liés à la « culture, au sport au tourisme », parmi lesquels les cinémas, les cybercafés, les salles de mah-jong, les piscines et les musées) devaient fermer et que d’autres (dont les hôtels et les restaurants) avaient le droit d’ouvrir à condition que tous les clients soient enregistrés dans le système de « code sanitaire » et qu’ils soient reconnus comme « à faible risque ». Cependant, ces réglementations étaient peu diffusées (et la population ne parvenait pas à suivre cet ensemble de règles, qui changeait continuellement), donc, lorsque les commerces ont commencé à rouvrir au printemps, ce ne fut qu’après le passage de la police. Les forces de l’ordre ont alors expliqué aux propriétaires et aux clients les règles de fonctionnement, qui, entre-temps, avaient changé. De plus, le système des qr codes n’était pas entièrement fonctionnel au moment des annonces du 16 février. (X et Z n’ont pas eu à s’enregistrer dans le système avant de tenter de prendre un bus après la levée du confinement en avril.) [Note de Chuang].
Comme évoqué plus haut, le gouvernement de Wuhan a en réalité édicté une série de règles le 16 février, mais personne ou presque n’était au courant, au point que la plupart des gens n’en ont entendu parler que lorsque les commerces ont rouvert au printemps, quand la police est venue pour les expliquer (parfois après avoir fermé les commerces et conduit les propriétaires au poste). [Note de Chuang]
Le chengguan, fondé à la fin des années 1990, est l’équivalent de notre police municipale. Ses agents sont célèbres pour leur brutalité, au point que chengguan est devenu un synonyme familier de « violence ». Voir chapitre 4. [ n d e ]
X et Z font référence aux « codes verts » ( 率码 ) ; dans la plupart des endroits on parlait de « codes sanitaires » ( 健康码 ) dont le statut « vert » indiquait que vous n’étiez pas une personne à risque. Ces systèmes ont été pensés pour tracer l’épidémie et permettre son endiguement, mais ne fonctionnaient souvent pas aussi bien que prévu. Leur fonctionnement est décrit dans le dernier chapitre du livre. [Note de Chuang]
W a par la suite clarifié cette question, et ce n’était pas simplement une rumeur : les migrants (des personnes qui n’étaient pas enregistrées comme résidentes à Wuhan) pouvaient faire une demande, à certaines conditions, pour recevoir une aide ponctuelle du gouvernement de Wuhan. W connaît d’ailleurs quelques personnes qui ont pu en bénéficier. Les résidents de Wuhan n’étaient éligibles à aucune aide financière. X et Z ont voulu, en évoquant cette histoire, faire référence aux nombreuses rumeurs qui ont commencé à circuler à Wuhan en février, accusant des puissances étrangères de la pandémie et redorant le blason des gouvernements locaux et nationaux. [Note de Chuang]