Scientifiques héros, Gourou-entrepreneurs, Icônes vivantes et chanteurs de louanges : Le négationnisme du SIDA comme communauté | Nicoli Nattrass
Le lien entre le négationnisme du SIDA et les médecines alternatives est incarné par ce que j'appelle les "gourou-entrepreneur·ses". Les gourou-entrepreneur·ses utilisent le négationnisme du SIDA et les théories conspirationnistes qui y sont liées pour saper la crédibilité des traitements antirétroviraux, un dispositif marketing pratique pour leurs thérapies alternatives. Jusqu'à récemment, les chercheur·euses et les militant·es de la lutte contre le sida avaient tendance à considérer les négationnistes avec dérision, pensant qu'iels allaient disparaître. Malheureusement, ce n'est pas le cas.
Nicoli Nattrass est professeur d'économie à l'université du Cap, en Afrique du Sud. Elle est codirectrice de l'Institute for Communities and Wildlife in Africa, directrice fondatrice du Centre for Social Science Research et précédemment directrice de l'Unité de recherche sur le SIDA et la Société. Elle est une experte reconnue de l'économie politique des traitements antirétroviraux. Ses recherches ont contribué à modifier la politique sud-africaine de lutte contre le sida, et ses travaux actuels sur le déni du sida et les théories du complot - qui sapent les approches scientifiques de la prévention et du traitement du VIH - ont éclairé le travail des scientifiques et des militants de la lutte contre le sida dans le monde entier.
· Nous avons réuni ici deux textes de Nicoli Nattrass. Le premier est sa préface à Denying AIDS de Seth Kalichman paru en 2009. Le second est un résumé du chapitre consacré à la communauté des négationnistes du SIDA paru dans son livre The AIDS Conspiracy en 2012 ·
· Cet article fait partie de notre dossier Dans le miroir du passé du 21 mars 2023 ·
Préface de Nicoli Nattrass à Denying AIDS de Seth Kalichman
Le VIH est à l'origine du SIDA. Il ne s'agit pas d'une affirmation controversée, mais d'un fait établi, fondé sur plus de 25 ans de science. Pourtant, un petit groupe de négationnistes du SIDA prétend que le VIH est inoffensif et que les médicaments antirétroviraux utilisés pour le combattre causent le SIDA au lieu de le traiter. Ils pensent que l'industrie pharmaceutique a en quelque sorte conspiré avec des milliers de médecins et de scientifiques pour inventer une maladie afin de vendre des médicaments nocifs. Pour la plupart d'entre nous, de tels propos relèvent de la folie. Mais la triste réalité est que le négationnisme en matière de SIDA est devenu une véritable menace pour la santé publique mondiale, y compris aux États-Unis et, en particulier, en Afrique du Sud.
L'ancien président sud-africain Thabo Mbeki a fait du négationnisme en matière de SIDA un tel credo que son administration s'est montrée, jusqu'à récemment, réticente à élargir l'accès aux médicaments antirétroviraux. Ce retard a coûté des milliers de vies et, à ce jour, seul un tiers des personnes ayant besoin d'antirétroviraux en bénéficient. Cette réponse est très faible par rapport aux normes des pays à revenu intermédiaire, mais elle est particulièrement problématique en Afrique du Sud, qui compte plus de personnes séropositives que tout autre pays.
Les négationnistes américain·es du sida sont en partie responsables de l'histoire regrettable des politiques sud-africaines en matière de sida. Peter Duesberg, le principal négationniste du sida, et son petit groupe de soutiens ont été invités par Thabo Mbeki à siéger au sein de son comité présidentiel sur le sida. Ces négationnistes ont rejeté toutes les preuves qui leur étaient présentées quant à l'efficacité de l'utilisation des antirétroviraux pour la prévention de la transmission mère-enfant. Cela a conduit à une impasse politique et a encore retardé l'utilisation des antirétroviraux, que ce soit pour la prévention ou le traitement. Même après la fin du mandat du comité, le ministre de la santé, Manto Tshabalala-Msimang, a continué à soutenir les négationnistes du sida (engageant même l'un d'entre eux comme conseiller), à promouvoir des remèdes diététiques alternatifs non prouvés et à rejeter les antirétroviraux en les qualifiant de "poison". Plusieurs personnalités sud-africaines sont mortes du sida après avoir choisi de modifier leur régime alimentaire au lieu de prendre des antirétroviraux.
Le ministre de la santé n'a pas non plus pris de mesures à l'encontre d'un autre négationniste du sida, Matthias Rath, pour avoir mené des essais cliniques illégaux dans des townships africains, au cours desquels il était demandé aux personnes atteintes du sida de ne plus prendre d'antirétroviraux, mais des vitamines. Ce n'est qu'au terme d'une longue bataille juridique menée par la Treatment Action Campaign que ces essais ont récemment été déclarés illégaux. Auparavant, le Conseil sud-africain de contrôle des médicaments agissait rapidement pour mettre un terme à ces abus, mais le ministre de la santé n'a cessé d'éroder le pouvoir de cet organisme. Le négationnisme du sida est aujourd'hui à la base d'une industrie lucrative de compléments alimentaires qui bénéficiait du soutien tacite, et parfois actif, de l'administration Mbeki.
En courtisant les négationnistes du sida, le président Mbeki a renforcé leur position aux États-Unis. Il a donné de la crédibilité à Christine Maggiore, une Californienne qui milite contre l'utilisation des antirétroviraux pour prévenir la transmission mère-enfant, lorsqu'il a été photographié à ses côtés. Deux ans plus tard, Mme Maggiore a donné naissance à une fille, tragiquement décédée à l'âge de 3 ans d'une infection associée au sida, selon les conclusions du médecin légiste. La transmission de la mère à l'enfant est aujourd'hui rare aux États-Unis, grâce à l'utilisation généralisée de thérapies préventives et aux activités d'organisations telles que les National Institutes of Health et la Elizabeth Glaser Pediatric AIDS Foundation. Malheureusement, ce n'est pas le cas en Afrique du Sud, où de nombreux enfants naissent infectés et connaissent ensuite une vie courte et douloureuse.
Jusqu'à récemment, les chercheur·euses et les militant·es de la lutte contre le sida aux États-Unis avaient tendance à considérer les négationnistes avec dérision, pensant qu'iels allaient disparaître. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Des journalistes comme Celia Farber continuent de promouvoir le point de vue des négationnistes et à les faire connaître du public. Plus inquiétant encore, elle et Duesberg ont reçu des récompenses lors de la "semaine des lanceurs d'alerte" qui s'est déroulée à Washington en 2008. Cette situation indique que les négationnistes du sida n'ont pas seulement été capables de convaincre des patient·es vulnérables de renoncer à leurs traitements, mais qu'iels ont également réussi à convaincre certain·es influenceur·euses de l'opinion publique grâce à leurs déformations des faits et à leurs points de vue erronés. Il existe un risque réel qu'une nouvelle génération d'Américain·es soit persuadée que le VIH n'existe pas ou qu'il est inoffensif, que la réduction des risques lors des rapports sexuels n'est pas importante et qu'iels n'ont pas besoin de protéger leurs enfants contre ce virus mortel. Une résurgence du négationnisme aux États-Unis aurait des effets considérables sur la pandémie mondiale de sida, comme c'est déjà le cas en Afrique du Sud.
Qui sont les négationnistes du sida et qu'est-ce qui les motive à poursuivre leur campagne mortelle ? Seth Kalichman aborde ce sujet difficile dans ce livre très utile, pertinent et inspiré. Il dresse un portrait passionnant des principale·aux négationnistes du sida aux États-Unis, montrant qu'iels sont, au fond, des "penseur·euses soupçonneu·ses" enclins aux théories conspirationnistes et à d'autres croyances farfelues. Cet exposé est très important car, trop souvent, des personnes innocentes sont amenées à croire qu'il existe un véritable "débat scientifique" sur le SIDA. Ce n'est pas le cas. Nous en savons plus sur le VIH et sur la façon dont il provoque le sida que sur n'importe quel autre agent pathogène. Les négationnistes du sida entretiennent l'illusion d'un débat scientifique. Seth Kalichman brise cette illusion en mettant en évidence leurs formes erronées de raisonnement et leurs approches non scientifiques. Tout le monde devrait lire ce livre.
Publication originale (2009) :
Préface de Denying AIDS: Conspiracy Theories, Pseudoscience, and Human Tragedy, Seth Kalichman (https://denyingaids.blogspot.com/)
Le pouvoir symbolique et social du négationnisme du SIDA · Nicoli Nattrass
La découverte des traitements antirétroviraux ( ARV) a transformé l'infection par le VIH d'une condamnation à mort en une maladie chronique gérable1. Pourtant, un petit groupe de "négationnistes du Sida" rejette la science qui sous-tend les ARV, estimant qu'elle repose sur des fondations pourries et que ce traitement est toxique. Ces idées ont eu des conséquences mortelles. Le président sud-africain Mbeki a créé un groupe de négationnistes du Sida et de scientifiques spécialistes du VIH pour débattre de la question tout en retardant l'utilisation du traitement antirétroviral dans le secteur public. Plus de 330 000 Sud-Africain·es sont mort·es inutilement à cause de cela2.
Dans un article précédent3 pour le Skeptical Inquirer, j'ai décrit les différentes variétés de négationnisme du SIDA, en insistant sur les théories de Peter Duesberg, virologue à Berkeley, qui croit, bien qu'il n'ait jamais fait de recherche clinique sur le VIH, qu'il s'agit d'un "virus passager" inoffensif et que le SIDA est causé par les drogues récréatives, la malnutrition, et même les traitements antirétroviraux eux-mêmes. Lui et les autres négationnistes du Sida du comité de Mbeki ont recommandé l'arrêt du dépistage du VIH et le traitement des déficiences immunitaires par "la massothérapie, la musicothérapie, le yoga, les soins spirituels, l'homéopathie, la médecine ayurvédique indienne, la luminothérapie et bien d'autres méthodes "4.
Cet article s'appuie sur mes travaux récents qui réexaminent le problème du déni du SIDA, en se concentrant cette fois sur son caractère organisé5. Je cherche à montrer comment la connexion symbiotique entre le déni du SIDA et les pratiques de santé alternatives est facilitée par des positions conspirationnistes partagées à l'égard des sciences du VIH, qui ont eu des effets puissants dans la construction de leurs liens.
Le négationnisme du Sida gagne en influence sociale grâce à quatre figures importantes sur le plan symbolique et organisationnel : les "scientifiques héros" (notamment Duesberg) qui confèrent une patine de légitimité scientifique au mouvement ; les "gourou-entrepreneur·ses" qui proposent de faux remèdes à la place des ARV ; les "icônes vivantes" séropositives qui semblent apporter la preuve de la théorie en paraissant vivre sainement sans ARV ; et les "chanteurs de louanges", journalistes et cinéastes sympathisants qui font de la publicité au mouvement.
La figure 1 montre les liens organisationnels entre les principaux négationnistes du Sida. Duesberg est particulièrement influent. Il siège au conseil d'administration de Rethinking Sida (une organisation qui défend ses idées sur le VIH) et de Alive and Well (fondée par Christine Maggiore, une "icône vivante" séropositive, pour promouvoir des thérapies alternatives). Il a également fait partie du comité de Mbeki et a été largement médiatisé dans House of Numbers, un "documentaire" récent financé en partie par Rethinking Sida.
Duesberg ne se contente pas de remettre en question ou de repenser la science du VIH : il diffuse activement ses affirmations infondées.
Mark Wainberg, microbiologiste et ancien président de la Société internationale du SIDA, l'a qualifié de "probablement la personne la plus proche d'un psychopathe scientifique dans ce monde"6. Les partisan·nes de Duesberg, cependant, interprètent ces critiques comme la preuve de son oppression injuste par un "establishment du SIDA" corrompu.
D'après Celia Farber, grande apologiste de Duesberg, "lorsque le SIDA s'est transformé, dans les années 1980, en un mastodonte mondial de plusieurs milliards de dollars de diagnostics, de médicaments et d'organisations militantes, dont la seule cible dans la lutte contre le SIDA était le VIH, la condamnation de Duesberg est devenue un élément de la croisade morale "7.
David Rasnick, qui écrit avec Duesberg, est également une sorte de héros scientifique. Il a aidé la Rath Health Foundation à mener un essai illégal en Afrique du Sud (qui a entraîné plusieurs décès évitables) au cours duquel des personnes atteintes du SIDA se sont vu retirer leurs traitements antirétroviraux pour les remplacer par des produits vitaminés à haute dose. Le site web Alive and Well affirme qu'il est le créateur des inhibiteurs de protéase, mais son nom n'apparaît sur aucun des brevets concernés.
Plus important encore : Kary Mullis, un chimiste excentrique qui a reçu le prix Nobel pour avoir inventé la réaction en chaîne de la polymérase. Mullis, qui parle ouvertement de ses expériences avec des drogues hallucinogènes et de ses prétendues rencontres avec des extraterrestres, n'a jamais travaillé sur le VIH ; cependant, c'est précisément parce qu'il a reçu un prix Nobel qu'il est symboliquement un héros scientifique important.
Robert Leppo, un investisseur en capital-risque qui siège au conseil d'administration de Rethinking SIDA, finance le laboratoire de Duesberg ainsi que Rethinking SIDA. Farber décrit Leppo comme le " piètre héros underground " qui a " sauvé Duesberg de la dissolution totale " après que son financement fédéral ait été prétendument interrompu " en guise de punition pour avoir avancé une hypothèse scientifique différente de celle de l'establishment "8. Leppo a également été le producteur exécutif d'un film négationniste sur le SIDA, The Other Side of AIDS, dont le matériel promotionnel le décrit comme " profondément impliqué dans la recherche de nouveaux protocoles médicaux et de thérapies alternatives, dont beaucoup sont liés au SIDA ".
Le lien entre le négationnisme du SIDA et les médecines alternatives est incarné par ce que j'appelle les "gourou-entrepreneur·ses". Les gourou-entrepreneur·ses utilisent le négationnisme du SIDA et les théories conspirationnistes qui y sont liées pour saper la crédibilité des traitements antirétroviraux, un dispositif marketing pratique pour leurs thérapies alternatives. Par exemple, la Rath Health Foundation décrit la thérapie antirétrovirale comme une forme de génocide infligé à la société par le "cartel pharmaceutique"9. Gary Null, qui vend une variété de livres et de produits de santé alternatifs, fait des suggestions conspirationnistes similaires et invite souvent des négationnistes du SIDA dans son émission de radio.
Une idée courante véhiculée par les gourou-entrepreneur·ses est que les symptômes du SIDA sont causés par le stress et des états mentaux néfastes. Par exemple, Michael Ellner, président de HEAL (Health Education Aids Liaison), dirige un service d'"hypnose médicale" et prétend10 que c'est le choc d'un diagnostic de VIH qui tue les gens parce qu'un tel diagnostic crée des "états émotionnels très toxiques", qui supposément "détruisent et sapent" les défenses naturelles de l'organisme. La réparation de l'état mental de la victime est donc sa solution au SIDA, une prescription pratique compte tenu du poste d'Ellner.
Roberto Giraldo, un autre membre de HEAL qui siège au conseil d'administration d'organisations telles que Rethinking SIDA et Alive and Well, se décrit comme un "conseiller en santé naturelle" et dirige une clinique de "psycho-immunologie intégrale" au Brésil. Célèbre pour avoir conseillé le ministre de la santé de Mbeki sur les alternatives nutritionnelles aux traitements antirétroviraux, Giraldo s'est par la suite employé à promouvoir le négationnisme organisé du SIDA en Amérique latine.
Les gourou-entrepreneur·ses, comme d'ailleurs tous·tes les thérapeutes alternatif·ves, s'appuient sur des preuves anecdotiques et des témoignages de personnes satisfaites de leurs traitements. L'"icône vivante", la personne qui, par son existence même, "prouve" que la maladie du VIH peut être combattue par des remèdes alternatifs, joue donc un rôle crucial dans le succès du cultropreneur. La plus importante de ces icônes pour le mouvement négationniste du SIDA a été Christine Maggiore, qui a non seulement promu activement la cause du négationnisme du SIDA, mais qui a aussi tragiquement mis en jeu sa propre santé et celle de sa famille.
Dans la préface de son livre très largement diffusé, What if Everything You Thought You Knew about AIDS Was Wrong (Et si tout ce que vous pensiez savoir sur le SIDA était faux), Mme Maggiore explique qu'elle a perdu confiance dans la science du VIH après une série de tests de dépistage incohérents. Cela l'a incitée à mener sa propre enquête "en dehors des limites de l'establishment du SIDA" et à créer sa propre organisation, Alive and Well, pour "partager des faits vitaux sur le VIH et le SIDA qui ne sont pas disponibles dans les médias grand public". En 2000, elle fait remarquer que son statut sérologique est "résolument positif" depuis cinq ans, mais qu'elle jouit d'une bonne santé et vit "sans traitements pharmaceutiques ni peur du SIDA "11.
La saga des résultats des tests de Maggiore est un récit fondateur crucial pour elle en tant que négationniste du SIDA et figure en bonne place dans House of Numbers. En effet, l'une des principales affirmations des négationnistes du SIDA est que, puisque différents tests de dépistage du VIH peuvent donner des résultats différents, tout l'édifice de la science du SIDA est vicié. Les résultats des tests de Maggoire sont présentés comme un cas emblématique.
Le rapport de laboratoire présenté dans House of Numbers, censé être le premier résultat de test VIH de Maggiore est un test Elisa positif (pour la présence d'anticorps VIH) et un test Western blot positif (pour les antigènes VIH) montrant des bandes réactives pour les antigènes p24 et gp120/160, mais pas pour p31. L'absence de p31 suggère soit une infection par le VIH relativement récente, soit un risque de 4,8 % de faux positif. Dans ce cas, la procédure correcte consiste à conseiller aux patient·es que le résultat n'est pas concluant et que d'autres tests sont nécessaires.
Maggiore déclare que le second test s'est révélé "indiscutablement positif" et qu'on lui a dit qu'il lui restait "cinq à sept" années à vivre et que ses seules options thérapeutiques étaient l'utilisation éventuelle d'un traitement antirétroviral. La réponse de Maggiore a été de trouver un autre médecin qui "n'avait pas l'habitude de bourrer les gens de produits pharmaceutiques toxiques et de prédictions mortelles" et d'effectuer d'autres tests.
Ceux-ci étaient apparemment indéterminés, positif, négatif et positif. La preuve du résultat négatif n'est cependant pas claire, car la séquence montrée dans House of Numbers se concentre sur un fragment du résultat du test qui ne montre rien de caractéristique d'un résultat négatif. Mais lorsque le film montre le résultat final du test, il est clair que toutes les bandes du Western blot sont positives pour les antigènes du VIH, un résultat positif sans équivoque.
Maggiore conclut de son expérience que les tests VIH sont "peu fiables et inexacts". Pourtant, la progression de ses tests VIH d'indéterminé à positif est cohérente avec le fait que son premier test a été effectué peu de temps après qu'elle ait été infectée par le VIH et que les tests suivants ont été effectués conformément à la pratique clinique et ont abouti à un résultat positif sans ambiguïté.
Le livre de Maggiore, soutenu par Duesberg, Rasnick et Mullis, illustre bien les tactiques des négationnistes du SIDA. La première tactique consiste à nier les preuves. Ainsi, dans sa section sur le traitement antirétroviral, Maggiore affirme de façon tout à fait fausse que quatre ans après le développement du traitement antirétroviral hautement actif, "il n'y a toujours pas de rapports dans les journaux scientifiques qui fournissent des preuves d'une amélioration de la santé des patient·es qui prennent ces médicaments puissants". La deuxième tactique consiste à rejeter les preuves qui ne conviennent pas ; par exemple, rejeter les études montrant que le nombre de CD4 (un indicateur du fonctionnement immunitaire) s'améliore chez les personnes sous traitement antirétroviral parce qu'il s'agit de "marqueurs de substitution" de la présence du VIH.
En 2002, alors qu'elle était enceinte de son deuxième enfant, Mme Maggiore a fait la couverture de Mothering (un magazine anti-vaccination aujourd'hui disparu qui promouvait les médecines alternatives) avec un cercle rouge barré recouvrant les lettres "AZT" (un médicament antirétroviral utilisé pour réduire les risques de transmission du VIH de la mère à l'enfant) apposées en travers de son ventre. Après la naissance du bébé, une fille appelée Eliza Jane, Maggiore a encore accru le risque de transmission du VIH à l'enfant en l'allaitant. Tragiquement, Eliza Jane est morte à l'âge de trois ans d'une pneumonie liée au SIDA, selon le médecin légiste de Los Angeles.
Sept semaines plus tôt, Mme Maggiore avait déclaré lors d'une émission de radio que ses enfants avaient "d'excellents résultats en matière de santé". Pourtant, le médecin légiste a déclaré qu'Eliza Jane était en sous-poids, qu'elle n'avait pas la taille requise et qu'elle souffrait d'une atrophie prononcée du thymus et d'autres organes lymphatiques. Il a trouvé dans les poumons du bébé du Pneumocystis jirovecii, une infection opportuniste courante liée au SIDA qui est la principale cause des décès dus au SIDA chez les enfants, et des composants protéiques du VIH (p24) dans son cerveau.
Maggiore et ses soutiens ont cependant nié que le VIH ait eu quoi que ce soit à voir avec le décès, s'appuyant plutôt sur un rapport concurrent de Mohammed Al Bayati, membre du conseil consultatif d'Alive and Well, un toxicologue animalier qui n'est ni médecin ni certifié en pathologie humaine et qui consulte sur des "questions de santé liées au SIDA, aux réactions indésirables aux vaccins et aux médicaments" pour 100 dollars de l'heure12. Selon lui, Eliza Jane est morte à cause d'une réaction allergique à un antibiotique.
Maggiore a également remis en question les tests d'autopsie et a rejeté la présence de la protéine de capside p24 dans le cerveau d'Eliza Jane (une indication claire de l'infection par le VIH) comme étant le résultat d'une "chasse au trésor" médicale destinée à établir un diagnostic de VIH. Farber l’a soutenue, écrivant que le médecin légiste avait tout fait pour faire croire que la mort était liée au SIDA simplement parce qu'il s'agissait de l'enfant de Maggiore. Farber a attribué la colère du public contre Maggiore pour la mort d'Eliza Jane, qui s'est manifestée par des courriels, des messages sur le web et même des tracts imprimés, au "traitement incroyable de censure voir me de brutalité auquel on peut s'attendre si l'on est qualifié de 'négationniste du SIDA'". Elle a observé :
J'ai commencé à considérer que cette histoire était de moins en moins médicale et de plus en plus psychosociale, une histoire illustrant une sorte de principe des foules presque écrasant, où les victimes n'ont aucun droit. Peu de gens ont pu résister à la délicieuse tentation de condamner une mère "négationniste" ou de s'approprier EJ comme si elle était leur propre petite fille martyre. Tout cela s'est déroulé avec le ton parfait de la scène moralisatrice sur le SIDA que certain·es d'entre nous connaissent si bien13.
Le raisonnement de Farber est remarquable parce qu'il ne tient pas compte du fait qu'Eliza Jane était la victime dans ce cas, et que le "jeu de moralité du SIDA" dont elle se moque découle d’une véritable préoccupation sociale pour le bien-être des enfants. Comme le dit Wainberg, "Maggiore a été tellement malavisée en croyant à cette concoction de conneries que cela lui a coûté non seulement sa vie, ce qui est son affaire, mais aussi celle de son enfant de trois ans, ce qui est l'affaire de tout le monde "14.
John Moore (virologue) et moi-même avons fait valoir un point de vue similaire dans un article d'opinion du New York Times ("Deadly Quackery", 4 juin 2006), selon lequel les personnes en position d'autorité, qu'il s'agisse du président d'un pays (Mbeki) ou d'un parent, ne devraient pas se laisser aller à leurs propres interrogations intellectuelles et au rejet du consensus scientifique lorsque ce sont d'autres personnes qui en paient le prix. Cela a donné lieu à un échange de courriels avec Maggiore, plus tard publié par Rethinking SIDA sur Internet15, qui est révélateur de la manière dont les preuves scientifiques sont immédiatement détournées par les négationnistes du SIDA en y ajoutant d'autres questions, comme si les questions elles-mêmes étaient suffisantes pour rejeter les preuves. Maggiore a remis en question notre conclusion (basée sur le rapport du médecin légiste) selon laquelle Eliza Jane était morte du SIDA et m'a demandé d'expliquer "comment le frère d'Eliza Jane, âgé de huit ans et élevé de la même manière que sa sœur, peut être testé séronégatif". Elle a également contesté notre observation selon laquelle elle propageait des "opinions dangereuses" en affirmant qu'elle ne faisait que soulever des "questions sans réponse" dans l'espoir qu'on lui fournisse "des réponses et des références".
Je lui ai ensuite fourni des références montrant des taux de mortalité élevés chez les enfants infectés par le VIH non traités et soulignant les avantages du traitement antirétroviral en termes d'allongement de la durée de vie (et elle a répondu, comme on pouvait s'y attendre, en soulevant des problèmes liés à la conception des essais, notamment leur recours à des "marqueurs de substitution", et en niant qu'il y ait eu des avancées scientifiques montrant comment le VIH provoque le SIDA). Lorsque j'ai fait valoir que tous les enfants nés de mères séropositives ne sont pas testés négatifs et que, par conséquent, son fils Charlie faisait partie des "chanceux", elle a répondu en demandant une "explication plus convaincante". J'ai également exprimé le souhait que "Lorsque vous atteindrez le stade où le VIH aura suffisamment miné votre système immunitaire pour commencer à vous causer de graves problèmes de santé, j'espère sincèrement que vous commencerez à suivre une thérapie antirétrovirale. De l'avis général, vous êtes une bonne mère pour Charlie, et il serait triste pour lui de vous perdre inutilement. Trois des enquêteur·ices de terrain qui travaillent dans mon centre de recherche ont commencé un traitement antirétroviral au cours des deux dernières années et iels se portent tous très bien, l'une d'entre elleux a même donné naissance à un enfant (séronégatif). C'est une bonne raison de se réjouir et d'espérer dans cette horrible épidémie."
Elle a répondu en précisant qu'elle en était à sa quatorzième année de vie avec le VIH "sans médicaments et sans problèmes de santé" et en demandant de manière rhétorique : "Combien de temps pensez-vous que je puisse continuer à vivre de cette manière ? (Bien que Maggiore ait vécu plus longtemps que la moyenne, elle a finalement développé le SIDA et est décédée trois ans plus tard. La plupart des personnes passent de l'infection par le VIH au SIDA en l'espace de dix ans, mais 5 à 15 % d'entre elles sont capables de lutter contre l'infection pendant beaucoup plus longtemps, une prouesse que les scientifiques considèrent comme génétique). En ce qui concerne mes collaborateur·ices sur le terrain, elle a dit :
Comment mesurez-vous votre " bonne santé " - santé clinique, marqueurs de laboratoire ? Je connais un grand nombre de femmes séropositives qui ont donné naissance à des enfants séronégatifs sans prendre de médicaments anti-VIH. Les facteurs communs à ces femmes sont une bonne santé naturelle avant le test positif, une excellente alimentation, l'utilisation régulière de suppléments en vitamines, l'exercice physique régulier, l'absence de médicaments contre le SIDA, de médicaments sur ordonnance ou de drogues de rue, l'absence de tabagisme et d'alcoolisme. Pourquoi leurs expériences ne sont-elles pas "une raison de se réjouir et d'espérer" une alternative saine et peu coûteuse aux médicaments toxiques dont les effets à long terme sur la mère ou l'enfant restent inconnus ?
En d'autres termes, notre échange a été clairement infructueux. Il illustre comment les personnes dans le déni peuvent, comme l'observe le psychologue Seth Kalichman, construire une réalité qui est "impénétrable aux faits"16. Lorsque Eliza Jane est décédée, Maggiore a déclaré aux journalistes : "J'ai été terrassé émotionnellement, mais pas en ce qui concerne la science sur ce sujet.[...] Je ne remets pas en question ma compréhension de la question". Maggiore est restée dans le déni jusqu'à la fin, mourant en 2009 à l'âge de cinquante-deux ans d'une broncho-pneumonie bilatérale et d'une infection virale à herpès disséminé, chacune d'entre elles étant une infection opportuniste courante liée au SIDA. Le fait qu'elle ait été prête à mettre en danger sa propre vie et celle de sa famille en dit long sur la passion et la sincérité avec lesquelles les croyances négationnistes du SIDA peuvent être embrassées et sur les puissantes forces psychologiques à l'œuvre dans ces croyances.
Un pathologiste professionnel indépendant a pratiqué une autopsie sur Maggiore, mais le rapport n'a jamais été divulgué par la famille. Au lieu de cela, Al Bayati a proposé une "interprétation" prévisible de ce rapport, à savoir que malgré la présence de conditions définissant le SIDA, Maggiore, comme sa fille, était morte d'un empoisonnement aux antibiotiques. Clark Baker, agent de la circulation à la retraite et négationniste actif du SIDA, a proposé une variante de la théorie conspirationniste classique autour du SIDA, en déclarant qu'"il est clair que des fonctionnaires corrompus du département de la santé du comté de Los Angeles ont fait pression sur des fonctionnaires pour qu'ils fassent de fausses déclarations selon lesquelles Maggiore et sa fille étaient mortes du VIH, afin que les spécialistes du marketing pharmaceutique puissent inciter des idiots utiles des médias à perpétuer le mythe en leur nom "17.
La mort de cette importante icône vivante a évidemment été un coup dur pour le négationnisme organisé du SIDA. L'organisation Alive and Well de Christine Maggiore a publié un avis commémoratif lors de son décès, mais les visiteur·euses du site Web sont toujours accueilli·es par un "message" de Christine Maggiore sur la page "à propos de nous" qui ne donne aucune indication sur sa mort18. Les sites de lutte contre le négationnisme du SIDA répondent à ces tentatives d'occulter et de minimiser la mort d'icônes vivantes en les rendant publiques (voir par exemple www.aidstruth.org/denialism/dead_denialists). D'autres tentatives ont été faites pour créer de nouvelles "icônes vivantes" - par exemple, les personnes présentées sur un site web appelé We Are Living Proof19 - mais aucune d'entre elles n'est en mesure de remplacer le pouvoir symbolique et organisationnel de Maggiore.
L'importance symbolique de Maggiore, et maintenant de sa mort, sont illustrées dans ce message d'un ancien négationniste du SIDA. Il raconte comment ses convictions "dissidentes" l'ont encouragé à ignorer le résultat positif de son test de dépistage du VIH, mais que lorsqu'il a appris la mort de Maggiore, la sonnette d'alarme a commencé à retentir pour la première fois :
En 2008, je suis tombé sur le site aidstruth.org et, alors que je le lisais en me disant "oui, bla bla, peu importe", j'ai vu les sections "négationnistes décédé·es" et "qui sont les négationnistes". Un déclic s'est produit. Très peu de temps après, j'ai fait une de mes visites habituelles sur le site Alive and Well et j'ai trouvé le texte commémoratif de la mort de Maggiore. Il ne mentionnait pas la cause du décès (bien sûr), alors j'ai fait une recherche sur Google en me disant "s'il vous plaît, que ce soit un accident de la route ou quelque chose comme ça", et bam ! Pneumonie...
Vous savez, les négationnistes disent souvent qu'il s'agit d'une simple coïncidence, du genre " Pourquoi pas ? Tout le monde peut avoir une pneumonie", mais après avoir lu récemment la liste des négationnistes décédé·es et m'être demandé s'il n'y avait pas trop de coïncidences malencontreuses, pour moi, c'est la mort de Maggiore qui m'a fait franchir la ligne. Pour moi, c'était la coïncidence de trop. C'est là que j'ai secrètement commencé à me demander si je ne m'étais pas trompé20.
Les sciences médicales sont plus dignes de confiance que les médecines alternatives, précisément parce que les premières reposent sur des essais contrôlés randomisés, alors que les secondes s'appuient sur des anecdotes et des témoignages individuels. Il est donc quelque peu ironique qu'un seul décès, celui de Maggiore, ait peut-être fait plus que les réfutations scientifiques pour lutter contre le déni du SIDA. C'est précisément parce que cette mort est celle d'une icône vivante qui a rejeté la science du VIH en faveur de thérapies alternatives qu'elle a eu un poids disproportionné pour celleux attiré·es par le négationnisme du SIDA. Il illustre le fait que la bataille pour la science et la raison ne se résume pas toujours aux "faits", car certains faits sont symboliquement plus importants que d'autres.
Publication originale (2012) :
Skeptikal Inquirer
· Cet article fait partie de notre dossier Dans le miroir du passé du 21 mars 2023 ·
For a recent readable summary of the evidence, see Volberding, P., and S. Deeks. 2010. “Antiretroviral Therapy and Management of HIV Infection.” The Lancet 376: 49–62.
Nattrass, N. 2008. “AIDS and the Scientific Governance of Medicine in Post-Apartheid South Africa.” African Affairs 107 (427): 157–76. Chigwedere, P., G. Seage, S. Gruskin, T. Lee, M. Essex. 2008. “Estimating the Lost Benefits of Antiretroviral Drug Use in South Africa.” Journal of Acquired Immune Deficiency Syndrome 49: 410–15
Nattrass, N. 2007. “AIDS Denialism versus Science.” SKEPTICAL INQUIRER 31 (September/October): 31–37.
http://www.info.gov.za/otherdocs/2001/aidspanelpdf.pdf
Nattrass, N. 2012. The AIDS Conspiracy: Science Fights Back (Columbia University Press, New York). Additional references and citations for this article can be found here.
Farber. C. 2006. “Out of Control: AIDS and the Corruption of Medical Science.” Harper’s Magazine March: 37–52.
Farber, C. 1999. “Ignoring the Flames.” Impression August. Available at www.virusmyth.com/aids/hiv/cfflames.htm.
http://www4.dr-rath-foundation.org/THE_FOUNDATION/the_truth_about_arvs/index.html.
Maggiore, Christine. 2000. What If Everything You Thought You Knew about AIDS Was Wrong?, fourth edition revised. American Foundation for AIDS Alternatives, Studio City, CA.
Farber, C. 2006. “A Daughter’s death, a Mother’s survival.” LA City Beat ( June 8). Available at http://justiceforej.com/Farber-CityBeat-EJ.pdf.
quoted in Law, S. 2009. “In Denial.” McGill Daily (November 16). Available at http://www.mcgilldaily.com/2009/11/in_denial/.
Interview with Seth Kalichman: http://www.thebody.com/content/art52090.html.
http://www.pinknews.co.uk/?comments_popup=14994.
http://www.aliveandwell.org/html/top_bar_pages/aboutus.html.
http://wearelivingproof.org/
http://denyingaids.blogspot.com/2010/07/how-aids-denialism-can-kill-you-part.html