Le couteau sous la gorge | Phil A. Neel
Lorsque l'augmentation des coûts rend les conditions de vie intenables, de plus en plus de personnes trouvent des moyens alternatifs de se procurer les moyens de leur survie. Ces alternatives ne doivent pas être romancées, ni considérées comme une façon d'échapper aux limites du monde capitaliste. Mais ces failles grandissantes dans le statu quo révèlent également le potentiel de nouveaux modes de pouvoir prolétarien. De même, l'aspect le plus prometteur de toute dégradation du système des prix est le retour du spectre de l'expropriation, le trait le plus distinctif de la pratique politique communiste. Le potentiel de construction d'un pouvoir communiste est tout aussi visible dans l'intérêt populaire croissant pour la syndicalisation que dans les réseaux de pillage semi-improvisés et semi-organisés qui se sont développés lors du soulèvement de George Floyd. Si nous devions choisir un seul principe selon lequel les communistes pourraient s'orienter et évaluer le succès ou l'échec de leurs divers efforts, ce pourrait être quelque chose comme ceci : les petites expropriations doivent devenir grandes.
Phil A. Neel est un géographe communiste basé dans le Pacific Northwest. Il est l'auteur de Hinterland. Nouveau paysage de classes et de conflits aux États-Unis (Grevis, 2020).
· Cet article fait partie de notre dossier Travail du 12 février 2023 ·
Prix
Passez en revue n'importe quel fil d'actualité et d’effrayantes histoires d'horreur surgiront de votre écran tactile : des prix qui bondissent des profondeurs de la tombe appelée mondialisation, des chèques de salaire qui se réduisent en peau de chagrin, des maraudeurs qui sortent des forêts de banlieue pour siphonner l'or noir à travers des trous forés dans les réservoirs d'essence. Le cauchemar de l'inflation est de retour. Comme dans toutes les histoires d'horreur, il doit y avoir un monstre. Quelle est, au juste, la cause de cette hausse des prix ? Le message politique est souvent aussi clair ici que dans les petits autocollants humour-boomer de Biden qui apparaissent sur les pompes à essence à travers le pays. Les expert·es suivent leur monstre favori jusqu'à son repaire, en brandissant des torches. Lorsque le monstre est dévoilé, il n'y a pas vraiment de surprise : des salaires élevés, des chèques de relance à profusion, trop d'argent dépensé dans les programmes sociaux : autant de façons différentes de dire trop d'argent dans les mains de celleux qui sont né·es pour en avoir moins. Les nouvelles dépenses doivent être réduites, la modeste vague d'intérêt des jeunes pour la syndicalisation doit être repoussée, tout cet argent trop abondant doit être siphonné pour revenir dans les quelques mains habituelles. La Fed, qui a abrité de tels monstres, doit maintenant prendre ses responsabilités en relevant enfin la lame du taux d'intérêt comme Paul Volcker, saint patron des technocrates brutaux et des coups qui ne laissent pas de traces.
"La gauche" prend pour cible un monstre différent, mais un monstre tout de même. L'inflation n'est pas provoquée par des salaires élevés, mais par les entreprises qui pratiquent des prix excessifs et les profiteurs de guerre. En fait, les augmentations de prix justifient les demandes d'augmentation de salaires, inversant ainsi le principe de la poule et de l'œuf. Cette explication est généralement agrémentée d'une reconnaissance de l'état de crise de la chaîne d'approvisionnement, associant ainsi la hausse des prix aux chocs de production dans un récit qui, dans sa version la plus sérieuse, conclut que la seule façon de tuer le monstre est de mettre en place un ensemble pragmatique de contrôles des prix similaires à ceux institués en temps de guerre1. Ici aussi, les acteurs principaux restent les "décideurs", au premier rang desquels les technocrates de la Fed. En fait, les récits de droite et de gauche ont eu tendance à dépeindre la dernière décennie de turbulences économiques comme une sorte de drame de luxe centré sur les intrigues des financiers et des responsables des banques centrales2. Stephanie Kelton, ancienne économiste en chef de la commission budgétaire du Sénat et conseillère de la campagne de Bernie Sanders, fait quelque chose de similaire dans son récent best-seller popularisant la "théorie monétaire moderne" (MMT). Son idée principale est que toutes les conditions juridiques et théoriques préalables sont déjà en place pour que les autorités fiscales et financières déversent de l'argent dans les programmes sociaux, si seulement elles choisissent de le faire3. Le résultat est que même de nombreux·ses "socialistes" en sont venu·es à considérer que la seule façon de sortir de la crise - celle de l'inflation, certes, mais aussi les crises plus générales de stagnation économique et de la catastrophe écologique - est de mobiliser la Réserve fédérale et le Trésor pour "financer une révolution climatique populaire"4 ou d'autres programmes similaires apparemment plausibles mis en œuvre dans le cadre de l'environnement institutionnel existant. La stratégie consiste à s'approcher de l'utopie par le compromis politique. Mais si l'on élimine les fioritures, on constate que la logique est plus simple : La seule chose qui peut arrêter un méchant avec une banque est un gentil avec une banque.
À tout moment, les mécanismes réels de l'inflation ne sont pas particulièrement difficiles à retracer. Même si la hausse des salaires et l'augmentation des dépenses sociales ont pu contribuer à la vague de stagflation des années 1970 (parallèlement à la hausse des prix de l'énergie due à la crise pétrolière), l'idée selon laquelle des salaires élevés ou d'autres formes de "demande excessive" sont toujours le principal moteur de l'inflation à l'échelle de l'économie et, par conséquent, du chômage, a été réfutée depuis longtemps5. Il est assez clair que les causes immédiates les plus importantes de la vague d’inflation actuelle sont les pénuries de la chaîne d'approvisionnement qui se répercutent encore à la suite de la pandémie et la perturbation de l'approvisionnement énergétique mondial causée par la guerre en Ukraine - des faits reconnus par les groupes de réflexion macroéconomiques conventionnels6. Ces deux événements entraînent des augmentations de prix qui apparaissent, dans un premier temps, sous la forme d'une hausse rapide des bénéfices. Le "marché du travail en tension" a été plus un croquemitaine qu'une réalité. Avant la pandémie, le taux de croissance des salaires réels était modeste, les salaires augmentant plus lentement que la croissance déjà faible du PIB et de l'inflation au cours des mêmes années. Ainsi, si le salaire moyen a légèrement augmenté à la fin des années 2010 (avant de connaître un pic soudain en 2020, parallèlement aux mesures de relance), l'augmentation des bénéfices au cours de la même période a largement dépassé la croissance des salaires. D'une part, les maigres gains qui reviennent aux travailleur·euses par le biais de la croissance des salaires ont tendance, au fil du temps, à être rattrapés par l'inflation, ce qui donne l'impression que les profits générés par l'augmentation des prix ne sont pas des profits normaux, mais plutôt une sorte d'"extorsion monopolistique de bénéfices" spéciale. Au début, cette hypothèse semble même résister aux faits. Après le pic des gains réels en 2020, on assiste à un deuxième pic tout aussi soudain (et toujours en hausse) des bénéfices bruts des sociétés non financières (voir figure 1). Alors que les gains réels des travailleur·euses avaient légèrement augmenté à partir de 2014, les bénéfices totaux du secteur non financier avaient été plus ou moins constants de 2012 à 2020, date à laquelle le début de la pandémie a provoqué un léger creux. Après cela, cependant, les bénéfices ont explosé, augmentant en une seule année du même volume qu'ils avaient augmenté pendant toute la demi-décennie qui a précédé la Grande Récession. Au total, l'augmentation des bénéfices totaux des entreprises peut à elle seule expliquer peut-être la moitié de la récente augmentation des coûts, en moyenne7.
Le reste ne peut être expliqué que par les causes immédiates initiales, qui sont essentiellement des limites à la production. Mais même en disant que la moitié de la vague inflationniste actuelle est due à l'augmentation des bénéfices des entreprises, on risque de suggérer que ces bénéfices accrus sont le résultat de la capacité incontrôlée des monopoles à gonfler les prix d'une manière qui est en quelque sorte moins "juste" que les méthodes normales de fabrication de l'argent. En fin de compte, cependant, cette flambée des bénéfices n'est pas simplement le résultat d'entreprises avides (même dans des secteurs extrêmement monopolistiques comme le pétrole) qui refusent d'augmenter leur production malgré leur capacité à le faire et qui réduisent ainsi "artificiellement" l'offre pour augmenter les prix. Dans de nombreux cas, les secteurs n'ont pas été en mesure d’accroître leur production de manière rentable en raison de ces mêmes problèmes d'offre. Pour prendre l'exemple le plus marquant, l'industrie pétrolière a jusqu'à présent choisi d'augmenter les prix sur des approvisionnements en baisse plutôt que de faire des paris de plus en plus incertains sur la capacité des chaînes d'approvisionnement dans des secteurs d'intrants nécessaires comme l'acier et le sable à livrer en temps voulu et à des prix adéquats pour garantir que les investissements dans l'augmentation de la production seront rentables8. En mettant trop l'accent sur le rôle des profits monopolistiques, on utilise donc une disproportion réelle dans la circulation pour masquer la source de cette disproportion dans la production. En d'autres termes, la recherche des mécanismes qui sous-tendent la vague inflationniste nous ramène finalement à la sphère de la production, où les chocs de la pandémie et de la guerre ont simplement accéléré des tendances structurelles à plus long terme de l'économie mondiale.
D'une part, comme le souligne l'historien de l'économie Robert Brenner, la croissance a longtemps été fondée sur des cycles d'expansion et de récession au cours desquels les investissements affluent dans des catégories d'actifs particulières - pensez aux prêts hypothécaires à risque, aux actions technologiques ou aux crypto-monnaies - gonflant le prix de ces actifs et rendant ainsi plus probables de nouveaux cycles d'investissement dans une bulle qui se nourrit d'elle-même et aboutit finalement à une crise. Ces cycles spéculatifs sont devenus si essentiels à la croissance qu'un écosystème institutionnel entier s'est développé pour les gérer, transformant la gestion macroéconomique en une sorte de "keynésianisme du prix des actifs"9. Bien que cela puisse sembler sans rapport avec les limites du point de production, le phénomène a été alimenté par la chute des profits10 dans les secteurs non financiers des pays à haut revenu, en particulier dans l'industrie manufacturière11. Lorsque la rentabilité diminue, le taux d'investissement (en particulier l'investissement "fixe" dans des éléments tels que les usines et les équipements) a également tendance à diminuer et le capital se dirige plutôt vers des filières qui semblent capables de garantir des rendements plus élevés. Au cours des dernières décennies, il s'est agi de plus en plus de secteurs où les rendements sont liés à l'inflation des prix des actifs, ce qui a également créé une pression pour que de plus en plus d'actifs soient "financiarisés", ce qui permet de les échanger plus facilement et de les augmenter (en augmentant leur "liquidité") afin qu'ils puissent agir comme des formes alternatives d'argent, mais avec des rendements plus élevés.
Bien que la thèse de la baisse de la rentabilité industrielle en relation avec la montée de la financiarisation soit souvent associée aux Marxistes (hommes de paille) faisant des déclarations apocalyptiques sur l'effondrement imminent de l'économie, cette tendance fondamentale est, en fait, une caractéristique si largement reconnue de notre paysage économique actuel qu'elle ne mérite souvent aucune mention explicite. Non seulement le cœur de l'affirmation - la baisse générale des retours sur investissement, en moyenne, dans tous les secteurs de l'industrie manufacturière - n'est pas l'apanage d'une quelconque "hétérodoxie", mais il s'agit d'un lieu commun dans la littérature économique conventionnelle, utilisé pour expliquer tout ce qui va de la mondialisation et de la délocalisation à la croissance du secteur des services. Michael J. Howell, un docteur en économie qui travaille comme directeur d'une grande société de conseil en investissement, illustre bien ce principe de base : "La baisse de la rentabilité industrielle et la pénurie structurelle d'actifs sûrs qui en découle sont les principaux facteurs à l'origine de la longue descente des taux d'intérêt au niveau mondial"12. Ces faibles taux d'intérêt ont favorisé les poussées inflationnistes dans les secteurs à forte liquidité, ce qui a empêché les taux de croissance économique relativement stagnants des pays à revenu élevé de chuter davantage. Mais ces secteurs financiers ne sont pas simplement des activités spéculatives dissociées de la production, puisque la construction et l'entretien des chaînes d'approvisionnement mondiales "sont des activités à forte intensité financière qui sollicitent fortement à la fois le fonds de roulement des entreprises et l'offre de crédit bancaire à court terme."13 En d'autres termes, le déclin de la rentabilité industrielle n'entraîne pas seulement des investissements dans des actifs financiers spéculatifs, mais aussi une complexité croissante des caractéristiques techniques de la production elle-même, y compris la mécanisation et une division du travail plus minutieuse au sein des entreprises, mais aussi une division du travail plus raffinée et dispersée dans l'espace entre les entreprises. Complexité croissante des caractéristiques techniques de la production qui nécessite la médiation de mécanismes financiers toujours plus complexes.
D'autre part, l'intensification de la concurrence industrielle et des ralentissements économiques plus profonds, tous antérieurs à la pandémie, mais amplifiés par elle, dans la poignée de pays qui ont soutenu la croissance de l'économie mondiale au cours des deux dernières décennies (notamment la Chine) ont entraîné un affaiblissement général de la structure des chaînes d'approvisionnement et un plafonnement de la croissance du commerce mondial. Le "grand effondrement commercial"14 déclenché par la crise de 2008 a été suivi d'une "régionalisation" progressive des chaînes d'approvisionnement autrefois "mondialisées". Il y a là, toutefois, de légers malentendus. Le changement le plus important a été la croissance de la demande de consommation dans les pays les plus pauvres, façonnée à la fois par la bulle des matières premières (aujourd'hui dégonflée) et par le processus mondial de "dépaysannisation"15, par lequel les dernier·es fermier·es et éleveur·euses pratiquant l'agriculture de subsistance dans le monde ont été largement contraint·es de devenir dépendant·es du marché (indépendamment du fait que l'emploi industriel urbain puisse les faire vivre)16. Combinées à l'effondrement soudain de la demande dans les pays riches, les chaînes d'approvisionnement qui étaient autrefois centrées presque exclusivement sur les exportations vers l'Amérique du Nord et l'Europe (à l'apogée de la "mondialisation") ont été subtilement réorientées et diversifiées au cours des années 2010 pour inclure les marchés de consommation proliférants dans les "économies émergentes", donnant à la production elle-même un caractère de plus en plus régional17. Dans l'ensemble, cette tendance se traduit par un ralentissement général de la croissance du commerce mondial (voir la figure 2).
Dans le même temps, l'intensification de la concurrence a entraîné la poursuite de la consolidation des entreprises dans tous les domaines, y compris la monopolisation croissante des secteurs (à forte intensité de capital ou d'actifs) qui étaient déjà fortement consolidés et une nouvelle vague de monopolisation dans les secteurs à forte intensité de main-d'œuvre. Cela a commencé à transformer fondamentalement le caractère de nombreuses industries des "ateliers de misère" autrefois dispersées, avec des monopoles émergents situés dans des pays plus pauvres qui mécanisent et rationalisent davantage leurs lignes de production pour défier les monopoles établis (grandes marques et détaillants qui contrôlent des marchés particuliers en raison de l'ampleur de leurs achats) et conserver une plus grande part des bénéfices finaux en bas de la chaîne de valeur18. Ces bénéfices conservés sont ensuite réinvestis dans d'autres acquisitions et expansions, souvent dans des zones industrielles émergentes de pays situés plus bas dans la hiérarchie impériale19. Le processus est également fractal, la consolidation se produisant non seulement parmi les principaux fabricants sous contrat (par exemple, la société taïwanaise Foxconn, qui assemble les iPhones) mais aussi parmi les sous-traitants (par exemple, la société de Chine continentale Lens Technology, qui fournit les écrans en verre pour la production des iPhone), ce qui réduit les marges bénéficiaires et intensifie la concurrence à chaque maillon de la chaîne. Au niveau international, cette évolution s'est accompagnée d'une concurrence géopolitique et commerciale accrue entre les pays, le ralentissement de la croissance de la production et du commerce mondial faisant du succès et de l'échec une affaire à somme nulle. Si il est de bon ton de rejeter la responsabilité de la "guerre commerciale" avec la Chine sur Trump, la réalité est que les mêmes tensions s'étaient déjà accumulées tout au long de l'administration Obama et qu'elles ont continué à s'intensifier sous Biden. De même, elles ne sont en aucun cas exclusives aux États-Unis. Le Japon et l'UE, par exemple, ont également adopté des positions de plus en plus agressives envers la Chine, qui s'inscrivent dans le cadre d'une augmentation généralisée des mesures protectionnistes visibles dans le monde entier.
Cela ne signifie pas pour autant que le commerce mondial ou l'intégration économique ont décliné. La production est toujours planétaire. L'inflation n'est donc pas seulement un problème de politique intérieure qui peut être résolu ou perpétué par les banques centrales. En fait, non seulement l'émergence de l'inflation du dollar américain est liée à l'état des chaînes d'approvisionnement mondiales, mais les tentatives pour la contenir sont également amplifiées par le système financier mondial. Le dollar étant la monnaie mondiale de facto, toute modification des taux d'intérêt a pour effet de réévaluer le coût de la dette dans l'ensemble de l'économie mondiale, l'impact se réduisant et s'intensifiant à mesure que l'on s'éloigne de la Fed. En d'autres termes, cela reproduit un mouvement de coup de fouet. Un petit coup de poignet - augmenter le taux d'intérêt de quelques fractions de pour cent - se répercute jusqu'aux extrémités les plus étroites des marchés financiers, où son impact se répercute de plein fouet sur la vie de ces dizaines de millions de personnes assez malchanceuses pour être nées au bas de l'échelle mondiale. Que les bureaucrates pensent ou non qu'iels sont principalement chargé·es de gérer la masse monétaire d'une seule économie nationale n'a aucune importance. Les conséquences de leurs actions se répercutent toujours à l'extérieur, déstabilisant d'abord les pays les plus pauvres et les plus précaires où le boom de la croissance lui-même n'avait été que ténu. Du jour au lendemain, le coût du remboursement de la dette augmente. Il en va de même pour le coût des investissements entrants (qui sont généralement libellés en dollars20). Le déclin plus général de la croissance mondiale signifie également que la diminution des investissements dans d’autres pays supprime la demande des quelques produits de base (à savoir les matières premières) qui composent l'essentiel de la production des pays plus pauvres.
L'histoire est ici éloquente : en réponse à la dernière crise inflationniste, le président de la Réserve fédérale, Paul Volcker, a déclenché une forte hausse des taux d'intérêt entre 1979 et 1981 (le "choc Volcker"), augmentant intentionnellement le coût du capital et déclenchant une récession. Ce choc est généralement considéré comme le pivot décisif qui a marqué le passage de formes de gestion macroéconomique vaguement "keynésiennes", qui incluaient souvent des mesures de relance budgétaire et avaient pour objectif le plein emploi (ou quelque chose d'approchant), au consensus monétariste actuel, qui mobilise au contraire la banque centrale pour gérer la masse monétaire en mettant l'accent sur la maîtrise de l'inflation. Mais bien que le choc Volcker initial ait été principalement conçu pour remédier à la façon dont la stagflation rongeait les actifs détenus par les riches dans les pays à hauts revenus, il a également fini par précipiter21 la crise de la dette du tiers-monde - un effondrement économique si grave que de nombreux pays d'Afrique subsaharienne, par exemple, n'ont toujours pas retrouvé les niveaux d'industrialisation qu'ils avaient atteints à la veille de la crise, avec des revenus par habitant encore inférieurs aujourd'hui à leur pic des années 197022. Aux États-Unis (et peu après au Royaume-Uni), l'ajustement des taux d'intérêt a également accéléré les licenciements massifs et les fermetures d'usines, touchant tout particulièrement les secteurs syndiqués23. En d'autres termes, la dernière grande intervention sur les taux d'intérêt effectuée au nom de la maîtrise de l'inflation a été un déploiement nu du pouvoir de classe qui a montré la centralité des intérêts américains dans la hiérarchie économique mondiale et a forcé les travailleur·euses des pays à hauts revenus à supporter les coûts de la restructuration économique - n'offrant qu'un palliatif limité sous la forme d'une consommation et d'un accès à la propriété financés par la dette, tandis que les riches se sont facilement tourné·es vers de nouveaux secteurs d'activité.
Profits
Mais si les conséquences de ces modifications des taux d'intérêt ne sont pas limités à un seul pays, les causes de la vague inflationniste elle-même ne le sont pas non plus. Si les causes immédiates de l'inflation actuelle semblent24 fortuites et imprévisibles - l'apparition d'une épidémie, suivie d'une guerre - ces facteurs n'ont fait qu'accélérer des tendances déjà en cours. En fait, après près d'une décennie de taux d'intérêt quasi nuls à la suite de la Grande Récession, la Fed avait d'abord tenté de relever les taux d'intérêt fin 2018 à titre de mesure préventive pour couper l'inflation potentielle induite par le resserrement du marché du travail et pour empêcher l'émergence potentielle de nouvelles bulles économiques. Mais la décision a été annulée lorsque les cours boursiers ont dégringolé, menaçant d'annihiler la modeste "reprise" de la Grande Récession qui avait été laborieusement construite au sommet d'un boom technologique spéculatif et de la magie financière autophage des rachats d'actions. En réponse, la Fed a procédé à une correction tout aussi décisive, en ramenant les taux d'intérêt à un niveau proche de zéro, où ils sont restés jusqu'aux premiers mois de 2022. C'est ce cycle 2018/19 qui a suscité l'intérêt populaire pour la Théorie Monétaire Moderne et déclenché le cycle actuel de débats sur le mandat de la Fed et la perspective de "démocratiser la finance." Plus important encore, la tentative de relever les taux dès 2018 signale également que le contraire de notre moment inflationniste actuel, près d'une décennie de taux d'intérêt extrêmement bas qui ont dégonflé le coût du capital et ainsi accéléré la croissance de nouvelles bulles d'actifs, s'est avéré de plus en plus intenable. D'une manière étrange, la crise inflationniste actuelle est donc en réalité l'expression d'une tendance déflationniste beaucoup plus profonde intégrée aux lois mêmes du capitalisme.
Cette tendance déflationniste est facilement visible dans l'une des caractéristiques les plus fondamentales de la production capitaliste : la tendance à la mécanisation. La concurrence pousse à remplacer le travail humain par des machines, ce qui permet de produire davantage d'un bien donné avec moins de travail. Cela stratifie également le marché du travail, en déqualifiant le travail effectué par la majorité des travailleur·euses, tout en augmentant la complexité du travail qualifié. Les dirigeants peuvent ainsi à la fois puiser dans des réservoirs de main-d'œuvre moins coûteuse et exploiter toute une série de nouvelles divisions sociales25. Si les premiers à adopter les nouvelles technologies peuvent réaliser des bénéfices exceptionnels en vendant un volume accru de biens au prix en vigueur tout en payant beaucoup moins de travailleur·euses par unité, le prix de ces biens aura finalement tendance à baisser à mesure que les nouvelles technologies seront adoptées par d'autres producteurs. Étant donné que ce processus se produit aussi facilement dans les secteurs des biens de consommation que dans ceux des biens d'équipement, cela signifie également que le prix effectif du travail peut être encore plus bas, puisque les travailleur·euses peuvent acheter davantage de produits de première nécessité tels que la nourriture, les vêtements et divers articles ménagers, sans une augmentation aussi importante du salaire. Si certains secteurs (généralement regroupés sous le terme de "services") peuvent résister à la transformation technique, la tendance à long terme, pour l'essentiel des produits de base, devrait être à la baisse des prix si la production se poursuit à un rythme soutenu. C'est essentiellement ce qui s'est produit dans le secteur des biens de consommation, avec l'émergence de la production de masse et, plus récemment, la révolution logistique qui a permis à la mondialisation de rendre bon marché les vêtements, les voitures, les appareils électroménagers et toute une série d'autres produits, rendant la stagnation des salaires dans les pays à revenu élevé plus supportable tout en amplifiant les effets de la hausse des salaires dans les nouveaux noyaux industriels, en atténuant l'inflation des prix locaux qui accompagne généralement une croissance industrielle rapide.
Cela signifie que, lorsque l'inflation se produit en dehors du contexte d'une croissance industrielle rapide, elle signale généralement soit une disproportion dans la circulation, soit une sorte de problème dans la production limitant l'offre de valeur en premier lieu. Si elle est confinée à la circulation, l'inflation est généralement centrée sur quelques secteurs et présente le caractère classique d'une bulle d'actifs, généralement centrée sur une combinaison de biens immobiliers, d'actions ou d'autres actions privées. Bien que cela puisse paraître contre-intuitif, ce type d'inflation du prix des actifs ne peut réellement se produire à grande échelle que dans des conditions déflationnistes (et tend à renforcer ces conditions déflationnistes), car les bulles d'actifs nécessitent des niveaux d'endettement élevés et des taux d'intérêt bas. Parfois, l'inflation limitée à la circulation peut également prendre la forme d'une tarification monopolistique classique, où un cartel de grands producteurs s'engage dans une surenchère des prix qui n'affecte directement que les produits de base qu'ils produisent, mais qui a souvent des effets indirects dans des secteurs connexes ; un exemple est la flambée des prix du pétrole dans les années 1970, provoquée par l'embargo pétrolier de l'OPEP. Toutefois, comme indiqué plus haut, les bénéfices exceptionnels peuvent également prendre cette forme pour des raisons purement structurelles, lorsque les stocks sont écoulés alors que la production est limitée. Dans tous les cas, il s'agit d'îles inflationnistes dans une mer déflationniste.
Au cours des trente dernières années, ce type d'inflation du prix des actifs est devenu de plus en plus dominant, entraînant une augmentation rapide des flux de liquidités transfrontaliers et modifiant la forme même de l'économie mondiale pour privilégier les "carry trades" (« stratégies de portage » consistant en des opérations spéculatives sur des écarts de rendement NdT), où (pour simplifier) la dette est contractée dans des monnaies à faible taux d'intérêt et utilisée pour investir dans d'autres monnaies ou actifs à rendement plus élevé. Il est également crucial de noter que, selon Brenner, la compétitivité relative des différentes monnaies - une monnaie "plus faible" réduisant effectivement les coûts de production et rendant ainsi les industries manufacturières d'un pays plus compétitives sur le marché mondial - structure également la hiérarchie mondiale de la production. Les régions à croissance industrielle rapide connaissent donc une pression inflationniste (permettant une hausse des salaires) qui attire simultanément les investissements dans le secteur productif en expansion et les investissements de portefeuille purement spéculatifs qui exploitent le différentiel de rendement. Le volume des capitaux qui affluent vers les actifs spéculatifs dépasse souvent celui des investissements étrangers directs traditionnels, ce qui réduit encore la compétitivité de l'industrie manufacturière et gonfle une bulle d'actifs au-dessus des bénéfices industriels en déclin. L'exemple classique est le développement du Japon dans la seconde moitié du vingtième siècle26. Là encore, le phénomène n'est pas du tout étranger à l'économie conventionnelle. Le récit de base de Brenner sur l'expansion et la bulle est repris par Tim Lee, Jamie Lee et Kevin Coldiron, tous gestionnaires actuels ou anciens de fonds spéculatifs et d'autres sociétés de capital-investissement, qui affirment que cette dynamique aboutit finalement à l'émergence d'un "régime des stratégies de portage" mondial adapté au maintien de prix d'actifs élevés et défini par un "modèle de rendement en dents de scie" dans lequel l'augmentation relativement régulière des rendements des actifs en expansion est périodiquement ponctuée de "courtes périodes de rendements fortement négatifs - des corrections de portage ou des crashs"27. "De même, les spécialistes en sciences sociales Lisa Adkins, Melinda Cooper et Martijn Konings décrivent un scénario identique comme la création d'une "économie d'actifs", définie par le fait que les actifs se valorisent à un rythme plus rapide que la croissance ou les salaires, créant ainsi un paysage entièrement nouveau d'inégalités liées moins aux salaires ou aux rendements de l'investissement productif et plus à l'accès aux flux de rente28.
L'émergence de ce "régime des stratégies de portage" ou de cette "économie d'actifs" est souvent présentée comme un changement déclenché par une constellation de politiques publiques "néolibérales" conçues pour favoriser les intérêts des riches aux dépens des travailleur·euses, incarnées par le régime Reagan aux États-Unis et celui Thatcher au Royaume-Uni. Le choc Volcker étant souvent considéré comme l'acte inaugural de l'offensive néolibérale (suivi par des utilisations similaires de taux d'intérêt élevés pour discipliner la main-d'œuvre ailleurs), le contraste entre une période "keynésienne" de dépenses publiques élevées, de salaires élevés et d'inflation élevée et une période "néolibérale" dans laquelle ces trois éléments sont inversés semble, à première vue, évident. De même, il est évident que la finance est devenue plus centrale dans l'économie internationale au cours de la même période, produisant à la fois une augmentation brutale de la liquidité mondiale et la prolifération d'une myriade d'instruments financiers. Alors que la rentabilité stagnait dans les pays en voie de "désindustrialisation", la finance, l'assurance et l'immobilier (parallèlement aux bulles des valeurs technologiques et à l'étrange boom pétrolier) sont devenus les seuls secteurs capables de soutenir des taux de croissance déjà modestes. Dans ces analyses, les dynamiques structurelles sont souvent reconnues comme des contraintes ou des forces d'inertie, mais la responsabilité finale incombe une fois de plus aux "décideur·euses politiques", qui doivent essentiellement choisir entre deux mondes possibles : a) le monde keynésien de l'"inflation déflationniste"29, où les prix des actifs se déprécient mais où (on l'espère) la croissance des salaires et les dépenses publiques s'accélèrent, ce qui permet de se rapprocher du plein emploi aux dépens des gains en capital ; ou b) le monde néolibéral de la déflation inflationniste, où les prix des actifs s'apprécient plus rapidement que les salaires ou la croissance économique générale et où les dépenses publiques sont supprimées, ce qui permet aux gains en capital de monter en flèche aux dépens des revenus du travail.
Dans ce schéma, la tendance générale de l'inflation dans l'économie suit le passage entre les deux mondes. Si le succès déflationniste du choc Volcker a ouvert le portail politique menant de l'univers keynésien à l'univers néolibéral, alors une sorte de choc inflationniste doit être nécessaire pour ouvrir la porte à l'avenir "socialiste démocratique" du plein emploi et des "finances publiques pour le peuple". Cela impliquerait nécessairement la fin de l'économie des actifs et l'inversion du régime de portage. Mais à quoi cela ressemblerait-il exactement ? Selon les gestionnaires de fonds spéculatifs, "la fin absolue du régime des stratégies de portage sera probablement marquée soit par un effondrement systémique qui mettra fin au rôle dominant des banques centrales, soit par une inflation galopante - ou les deux."30 Les deux options sont également liées, puisque la tentative même d'éviter un effondrement systémique - peut-être déclenché par un choc "exogène" tel qu'une pandémie, une guerre, un grand soulèvement populaire ou une série de catastrophes écologiques - induirait probablement une inflation due à l'augmentation des dépenses au moment de l'effondrement économique, avec des effets en cascade sur les chaînes d'approvisionnement bien après la fin de la crise immédiate. Par exemple, pour empêcher un effondrement déflationniste, "une mesure extrême serait probablement la monétisation directe des dépenses gouvernementales : l'envoi de chèques à chaque famille ou individu […]"31 Non seulement c'est exactement ce qui s'est passé pendant les premières années de la pandémie, mais cela décrit également le principe élémentaire des plans de revenu universel de base proposés par de nombreux·ses progressistes et socialistes démocrates aujourd'hui32. En fin de compte, les gestionnaires de fonds spéculatifs concluent qu'une série d'interventions de la Fed et du Trésor seraient en mesure d'éviter un effondrement systémique. Cela nous laisse avec l'autre alternative, selon laquelle "le régime des stratégies de portage se terminera finalement par une forte inflation" et, par conséquent, "d'un point de vue macroéconomique [...] un signe important de la fin du régime des stratégies de portage serait l'émergence de l'inflation elle-même"33. L'inflation est plus susceptible d'apparaître progressivement, accompagnée d'une volatilité financière croissante. Cependant, "une fois que l'inflation élevée s'est installée "34 et qu'elle ne réagit plus à la politique de la banque centrale, il est difficile de voir comment le régime des stratégies de portage pourrait continuer à se maintenir.
Dans le même temps, les grandes lignes de l'hypothétique "régime anti-carry" qui pourrait émerger par la suite sont aussi vaguement prédictibles, puisqu'elles sont exactement l'opposé du régime actuellement en place : une inflation générale élevée, la dépréciation des actifs, le "recul de l'importance des marchés financiers"35, une forte croissance de la masse monétaire réelle36 (sous l'effet des mesures de relance, voire de l'impression monétaire directe, mais aussi de l'accroissement de la demande de crédit bancaire, puisque le poids de la dette diminuerait avec le temps), des crises marquées par une inflation incontrôlée (plutôt que par la déflation rapide qui caractérise le "schéma en dents de scie" d'un krach des stratégies de portage) et un effondrement de la demande d'actifs "monétaires" et même d'argent réel malgré la croissance de la masse monétaire (puisque l'inflation garantit que la détention d'argent liquide entraînera, à long terme, des pertes). Au niveau international, un tel régime serait probablement marqué par une baisse de la liquidité mondiale, la fragmentation du commerce mondial, un conflit croissant entre les blocs monétaires qui se disputent l'espace laissé par un dollar en déclin, et de nouvelles crises inflationnistes qui éclateraient dans le monde entier, en commençant très probablement par les économies les plus faibles.
En fin de compte, l'alternative inflationniste au monde actuel semble n'être guère meilleure que la situation présente. En effet, il ne s'agit pas, en fait, de deux mondes distincts, mais simplement des deux hémisphères d'une même planète en rotation. Alors que le soleil peut progressivement se coucher sur l'un et se lever sur l'autre, l'empire du capital est toujours baigné de lumière. Les discussions académiques à la mode sur la "mort du néolibéralisme" n'apportent donc pas grand-chose, voire rien, au-delà de l'observation banale que le soleil se couche parfois. En attendant, il semble probable qu'un monde inflationniste combinera les pires caractéristiques du présent avec les perspectives les plus sombres à l'horizon : une inflation élevée et des inégalités importantes, une croissance stagnante et des salaires stagnants, des guerres commerciales et des guerres éternelles côte à côte. Comme on pouvait s'y attendre, les gestionnaires de fonds spéculatifs posent au moins un diagnostic brutal, soulignant la réalité du pouvoir de classe, quelle que soit la porte que les "décideurs" voudraient ouvrir : "Du point de vue de la société dans son ensemble, et pas seulement des spéculateurs financiers, le régime des stratégies de portage et l'hypothétique régime opposé à ces mêmes stratégies de portage auront tous deux pour caractéristique que ceux qui disposent des plus grandes ressources seront les gagnants."37
Pouvoir
Au final, cependant, il ne s'agit pas de ratisser les collines sombres à la recherche de monstres non découverts. Il n'y a pas de "véritable" cause à l'inflation qui se cacherait sous la théorie de la hausse des salaires ou sous celle de la cupidité des entreprises. L'inflation et la déflation sont des tendances épiphénoménales des prix qui, grandes ou petites, sont semblables aux marées et aux vagues ondulant à la surface de la grande mer de notre puissance productive planétaire totale, ce que Marx appelait la valeur, telle qu'elle est réellement organisée par les relations sociales de l'espèce humaine. Ce que nous considérons comme une "politique" doit finalement s'accorder avec les exigences de la production planétaire. La politique est donc une discussion sur les termes de la prise d'otage qu'est l'économie, et non un moyen d'y mettre fin. En d'autres termes, l'ensemble du processus d'élaboration de la politique se déroule dans les limites d'un jeu truqué, avec des spirales inflationnistes et déflationnistes, ou simplement des "crises économiques" en général, marquant des moments où la relation de pouvoir fondamentale inhérente à ce jeu doit être réaffirmée. Il s'agit d'un remaniement constant, dans lequel les "tendances compensatoires" qui freinent la chute de la rentabilité permettent la reproduction des mêmes rapports de base qui structurent la société capitaliste par la réinvention continuelle de ces rapports. Bien que ce processus semble générer constamment de nouvelles "variétés de capitalisme" (qu'elles soient divisées par décennie ou qu'elles se ramifient au-delà des frontières nationales), peu de choses changent en réalité38.
Il n'existe et n'a jamais existé qu'une seule société capitaliste. L'expansion et le développement à long terme de cette société modifient les conditions dans lesquelles elle peut survivre, mais sans changer ses lois fondamentales de fonctionnement. De nouveaux arrangements institutionnels, de nouveaux centres géographiques, l'émergence de nouvelles technologies : tout cela n'est, en fin de compte, que des réitérations adaptatives de ces mêmes lois. Il faut distinguer les variations accidentelles des changements plus essentiels induits par le mouvement de ces lois invariantes à travers le temps et l'espace. Ces dernières ne sont repérables que dans les tendances séculaires visibles sur le long terme : l'augmentation constante de l'échelle, de la complexité et de l'étendue géographique de la production (accompagnée d'une intervention plus complexe de l'État, de monopoles plus importants, de chaînes d'approvisionnement plus complexes nécessitant une coordination plus détaillée, de l'intensification de l'impact géomorphologique de la production, de la pénétration de la logique du marché dans de nouveaux domaines de la vie, etc. ) ; la capacité croissante de produire plus de biens avec moins de travail et la tendance subséquente à exclure des parts plus importantes de la population humaine de l'activité productive (Marx a compris la première comme le principal moyen d'accroître la plus-value relative, dont la seconde est une conséquence, constituant la "loi générale de l'accumulation capitaliste" qui apparaît aujourd'hui comme une augmentation de l'"informalité", de la "précarité" et de l'"économie des services") ; et l'ouverture d'une brèche de plus en plus grande entre les besoins en matière et en énergie du complexe de production planétaire et les cycles de matière et d'énergie qui composent le système terrestre (la plus évidente aujourd'hui sous la forme du changement climatique, mais mieux comprise comme une catastrophe écologique plus générale englobant l'extinction massive, la déforestation, l'épuisement progressif des systèmes pédologiques, etc. ). Ces tendances séculaires façonnent et remodèlent également la caractéristique la plus invariable de la société capitaliste, le conflit de classe, recalibrant constamment les perspectives de changement révolutionnaire.
Les perturbations dans le système des prix, qu'elles soient inflationnistes ou déflationnistes, ont donc deux implications apparemment opposées. Du point de vue de la reproduction du système, elles sont à la fois des méthodes pour rétablir la stabilité et des moments où toutes les compulsions silencieuses qui structurent la société capitaliste deviennent temporairement audibles. Malgré tous les débats techniques sur la mécanique de l'inflation et des intérêts, ou les maigres espoirs que la politique puisse être utilisée pour "le peuple", la gestion macroéconomique n'est et ne sera jamais rien d'autre qu'un couteau sous la gorge. Les taux d'intérêt augmentent et l'inflation ronge l'augmentation de votre salaire. Les taux d'intérêt baissent et le prix des actifs augmente les loyers, maintenant l'accession à la propriété toujours hors de votre portée. En ce moment, nous avons la chance d'avoir le pire des deux mondes. Les prix élevés des actifs sont restés élevés alors même que le coût de la nourriture et de l'essence continuait à grimper. Les effets sont indéniables, les exemples les plus flagrants étant visibles aux extrémités opposées du fossé des classes. En 2021, les 10 % les plus riches de la population mondiale possédaient 76 % de toutes les richesses, contre à peine 2 % pour la moitié inférieure de la population39. Cette inégalité des richesses ne s'est pas seulement creusée rapidement pendant la pandémie, mais elle a également connu l'augmentation la plus rapide des richesses concentrées au sommet : la même année, environ 11 % de toutes les richesses étaient détenues par seulement 0,01 % de la population, soit une augmentation d'un pourcentage complet par rapport à l'année précédente40, les (quelque 2 775) milliardaires41 du monde voyant leur part passer de 2 % en 2020 à 3,5 % en 2021 et la croissance totale de leur richesse s'élevant à quelque 4,4 billions de dollars. Entre-temps, plus de 120 millions de personnes ont basculé dans l'extrême pauvreté, effaçant presque toute une décennie de (modestes) augmentations de revenus parmi les plus pauvres du monde42. C'est dans ce contexte que l'actuelle flambée inflationniste a commencé.
Si ces tendances sont, comme toujours, plus extrêmes lorsqu'elles sont mesurées au niveau mondial, cela ne signifie pas que les habitant·es des pays les plus riches ont été épargné·es par l'impact. Le fossé entre les classes sociales est une ligne de fracture qui s'étend en deçà et au-delà de toutes les frontières. À la veille de la pandémie, le seul recensement systématique de la population des sans-abri aux États-Unis, le comptage annuel "Point-in-Time" (PIT) du HUD (United States Department of Housing and Urban Development, abrégé en HUD NdT), largement reconnu pour être une sous-estimation substantielle43 du nombre réel, conçu pour mesurer le minimum de la fourchette plutôt que la tendance centrale, comptait un total de 580 466 personnes sans-abri à travers le pays, dont environ 61 % avaient accès à des refuges pour sans-abri, le reste n'étant pas abrité44. Les taux les plus élevés par habitant ont été observés dans les villes où les prix de l'immobilier sont les plus élevés45. Ce lien entre l'inflation des actifs et le nombre de sans-abri ne devrait pas être une surprise. Selon une étude récente, dans vingt des plus grands centres urbains du pays, "une augmentation de cent dollars du prix médian des loyers était associée à une augmentation d'environ neuf pour cent du taux estimé de sans abris"46. Des recensements plus rigoureux de la population47 effectués par les autorités locales dans ces endroits indiquent que 1 à 3 % de la population totale est sans abri, et que beaucoup de ces États48 connaissent également une proportion sensiblement plus élevée de personnes sans abri, ainsi que des taux plus élevés de sans abris dans les zones suburbaines et rurales. Cependant, après l'apparition de la pandémie, deux choses se sont produites : premièrement, dans une tentative de mise en œuvre de mesures de distanciation sociale, de nombreux refuges ont réduit leur nombre total de lits et se sont tournés vers des schémas de services alternatifs ; et deuxièmement, en 2021, le HUD a tout simplement annulé le recensement de la population non hébergée. Cette décision a été prise en dépit de ses propres données qui montraient que le nombre total de personnes non hébergées avait augmenté plus rapidement que le nombre total de personnes hébergées, même avant la pandémie49.
Cette crise des sans-abri, inextricablement liée à l'inflation des actifs, s'accompagne désormais d'une crise croissante des autres biens de subsistance, l'inflation s'étendant au carburant et à la nourriture. Ainsi, la pandémie et l'explosion inflationniste qui s'en est suivie ont également entraîné une forte augmentation des délits de survie, comme le vol à l'étalage de nourriture ou de préparations pour bébés, et la prolifération plus spéculative du commerce sur le marché noir, comme la revente d'essence siphonnée ou le commerce de convertisseurs catalytiques volés. La presse populaire impute l'intégralité de cette criminalité croissante aux sans-abri. Mais lorsque l'augmentation des coûts rend les conditions de vie intenables, de plus en plus de personnes trouvent des moyens alternatifs de se procurer les moyens de leur survie. Ces alternatives ne doivent pas être romancées, ni considérées comme une façon d'échapper aux limites du monde capitaliste. Il s'agit plutôt de sinistres options de dernier recours, qui opèrent souvent dans un réseau de prédation de seconde main contrôlé par un autre ordre de capitalistes du marché noir. Le résultat est généralement tragique : un lent suicide réactionnaire des dépossédé·es qui s'attaquent aux moins dépossédé·es dans une fractale de coups bas. Mais ces failles grandissantes dans le statu quo révèlent également le potentiel de nouveaux modes de pouvoir prolétarien qui pourraient émerger si les différentes batailles pour la subsistance pouvaient être remplacées et synthétisées au sein d'une plus grande lutte. De même, l'aspect le plus prometteur de toute dégradation du système des prix est le retour du spectre de l'expropriation, le trait le plus distinctif de la pratique politique communiste.
En soi, l'illégalité et les diverses formes d'organisation politique consciente, allant des activités "autonomes" telles que l'aide mutuelle aux projets institutionnels du syndicalisme formel ou du militantisme politique, ont tendance à rester séparées les unes des autres et de la population en général, chaque forme étant romancée par une faction politique au sein de la "gauche" large mais superficielle. Maintenues séparées, ces activités ne sont pas seulement faibles, mais se neutralisent souvent activement. Si nous adoptons une vision plus large, cependant, le potentiel de construction d'un pouvoir communiste est tout aussi visible dans l'intérêt populaire croissant pour la syndicalisation que dans les réseaux de pillage semi-improvisés et semi-organisés qui se sont développés lors du soulèvement de George Floyd. Après tout, la lutte des classes renaît toujours dans les batailles sur les conditions de subsistance. Mais elle s'étiole aussi rapidement si elle se limite à négocier les conditions de survie. Elle ne se développe que lorsque les murs qui divisent les différents canaux de subsistance sont abattus. Si nous devions choisir un seul principe selon lequel les communistes pourraient s'orienter et évaluer le succès ou l'échec de leurs divers efforts, ce pourrait être quelque chose comme ceci : les petites expropriations doivent devenir grandes. En d'autres termes, les véritables combinaisons communistes ne peuvent émerger que lorsque les formes rudimentaires d'organisation nées dans ces luttes de subsistance isolées évoluent au-delà de leurs limites initiales, brisant la séparation qui prévaut entre les différentes voies politiques, illégalité contre légalité, politique contre autonomie, et franchissant ainsi également les divisions entre les dépossédé·es. Évidemment, cela n'est pas possible lorsque la lutte reste uniquement sous-culturelle, ni lorsqu'elle est menée uniquement au sein des institutions existantes. Le premier principe en implique donc un autre : toute stratégie politique qui tente de contourner, de nier ou de fuir la nécessité de l'expropriation n'est pas de nature communiste.
Selon toute vraisemblance, la poussée inflationniste actuelle va s'atténuer. L'inflation ne s'installera pas immédiatement et les perturbations actuelles de la chaîne d'approvisionnement s'estomperont. Aux États-Unis, l'IPC a déjà une légère tendance à la baisse et la Fed a laissé entendre que la prochaine série de hausses des taux pourrait être suivie de baisses en 2023. S'il est probable que les régions plus directement touchées par les chocs énergétiques dus à la guerre en Ukraine auront plus de mal à inverser la tendance, comme en témoignent les fortes baisses des salaires réels en Europe, par exemple, et la perspective d'un hiver froid et sombre, il ne semble pas encore y avoir de volonté politique de dégonfler complètement les bulles d'actifs qui soutiennent les taux de croissance (lents, mais non négligeables) des pays à revenu élevé. Le protectionnisme, la régionalisation des chaînes d'approvisionnement, le pouvoir monopolistique croissant des fabricants sous contrat et l'aggravation des sanctions politiques continuent de freiner la croissance du commerce mondial et de segmenter davantage les marchés des capitaux, mais le risque de nouvelles poussées inflationnistes ne fait que croître. De même, les catastrophes écologiques en cascade et autres chocs apparemment "exogènes" deviennent des phénomènes mensuels. Par exemple, au moment où l'IPC a commencé à baisser après son pic de l'été, le Pakistan a subi des inondations dévastatrices qui ont submergé un tiers du pays, déplacé des millions de personnes et détruit des millions d'hectares de cultures, ce qui devrait avoir un impact sur les prix mondiaux du blé, du coton et peut-être du riz. D'une part, donc, le régime de portage actuel affiche déjà des rendements décroissants et les niveaux extrêmes d'inégalité visibles dans les villes les plus riches du monde et entre les pays les plus riches et les plus pauvres rendent son maintien de plus en plus inacceptable. D'autre part, les krachs de portage déflationnistes qui ont marqué les trente dernières années seront désormais accompagnés de crises inflationnistes plus fréquentes liées à la lente fragmentation des échanges et de la production.
À l'extrême, cette fragmentation prendra la forme de politiques mercantiles agressives visant à catalyser la compétitivité industrielle (comme celles menées actuellement en Inde) ou même la cartellisation de secteurs de matières premières cruciales (le pétrole d'un côté et le lithium de l'autre), éventuellement combinée à la déconnexion politique (toujours partielle) d'économies nationales entières (l'exemple le plus flagrant étant la Russie, bien que le Brexit illustre un cas moins grave de la même trajectoire de base). Les réalités du changement climatique verront, entre-temps, de telles politiques justifiées en termes de résilience, chaque région étant considérée comme une forteresse verte qui doit, pour sa survie, ériger des murs contre la marée montante de réfugié·es climatiques, sécuriser ses propres sources souveraines d'énergie et de nourriture, et entretenir les infrastructures policières et militaires en expansion jugées nécessaires pour survivre face aux troubles intérieurs et aux menaces étrangères. Ces tendances ne feront qu'accroître la surcapacité des industries de base, freinant la croissance mondiale même si elles parviennent à augmenter les taux de croissance des quelques gagnants dans ce jeu à somme nulle. Comme par le passé, de nouvelles bousculades géopolitiques au sein de la hiérarchie impériale prendront à nouveau la forme d'une lutte légitime des pays contraints d'occuper des positions inférieures dans la grande pyramide de la plus-value siphonnée. Au nom du développement, ils utiliseront des méthodes prétendument "socialistes" telles que la planification d'État et les subventions aux industries clés50 pour affirmer l'ascendant de leurs classes dirigeantes nationales sur l'imperium en décomposition. Dans un tel moment, les divisions entre les dépossédé·es se creusent à l'échelle nationale et internationale. Le pouvoir communiste se construit en brisant de telles divisions, en refusant de rester séquestré·e dans les luttes de subsistance ou de prendre parti lorsqu'une puissance impériale inférieure défie une puissance supérieure, mais en construisant des infrastructures souterraines qui intègrent l'illégal et le légal, l'autonome et l'institutionnel, et relient les forces prolétariennes "nationales" de tous les côtés de chaque frontière en guerre sous la bannière d'expropriations toujours plus grandes, supplantant ainsi toutes ces catégories dans une conception plus large du pouvoir politique. Et peut-être, juste peut-être, arracher le couteau de notre gorge pour le brandir contre les ordures gavées de sang qui possèdent chaque pouce de ce monde mourant.
Publication originale (05/10/2022) :
The Brooklyn Rail
· Cet article fait partie de notre dossier Travail du 12 février 2023 ·
// Note de Cabrioles : du fait de nos (très) faibles moyens nous n’avons pas encore eu le temps de traduire et traiter l’appareil de notes. Nous l’avons donc pour le moment reproduit tel quel, en anglais. //
Meg Jacobs and Isabella M. Weber, “The way to fight inflation without rising interest rates and a recession”, The Washington Post, 9 August 2022. https://www.washingtonpost.com/made-by-history/2022/08/09/way-fight-inflation-without-rising-interest-rates-recession; Richard D. Wolff, “There are Better Ways for Societies to Address Inflation Than by Hiking Interest Rates”, Richard D. Wolff, 8 June 2022. https://www.rdwolff.com/there_are_better_ways_for_societies_to_address_inflation_than_by_hiking_interest_rates
There is probably no more important figure in this regard than Adam Tooze, an economic historian whose journalistic accounts of the decision-making process of financial barons and central bankers stands in stark contrast to the seemingly cold, impersonal theories of boom and bust bubbles offered by Marxist economic historians like Robert Brenner, who provided one of the best known and most systematic accounts of the coming crisis of 2008 in the years leading up to its outbreak. In its aftermath, Brenner’s work thereby became a sort of touchstone for many involved in the revival of communist theory throughout the 2010s. Tooze, by contrast, represents a latter-day liberal rewriting of the incisive accounts of Marxist critics like Brenner, acknowledging all the same major features and adding enlightening, eclectic, and empirical detail tied together by artful storytelling. But Tooze’s eclecticism, while admirable in its polymathic breadth, is also the signal of a deeper weakness: the inability to offer (or, maybe more fairly, theoretical opposition to) any systematic, structural explanation of the world economy’s “laws of motion” capable of accounting for more than the story it is currently telling. This weakness is itself treated like a badge of honor in the classic fashion of liberal philosophers—whether pragmatist or postmodernist—who reject “totalizing” narratives as dangerously reductive and inherently authoritarian. But the underlying maneuver here is political. Recent economic history is retold in a way that obscures the operation of capitalism as a social system, reducing the ins and outs of the global economy to the (invariably complex) interplay of the various personages who helm the institutions that (the story would have us believe) run the economy.
Stephanie Kelton, The Deficit Myth: Modern Monetary Theory and the Birth of the People’s Economy, New York: Public Affairs, 2020.
This is the title of an actual strategy document put forward within the DSA’s internal theoretical journal: Neil Taylor, “How to Fund a People’s Climate Revolution”, Socialist Forum, Winter 2019. https://socialistforum.dsausa.org/issues/winter-2019/how-to-fund-a-peoples-climate-revolution/
Joseph Politano, “The Life, Death and Zombification of the Phillips Curve”, Apricitas Economics, 16 October, 2021. Ekaterina V. Peneva and Jeremy B. Rudd, “The Passthrough of Labor Costs to Price Inflation”, Journal of Money, Credit and Banking, Volume 49, Issue 8, 16 November 2017. pp. 1777-1802.
Alan FitzGerald, Krzysztof Kwiatkowski, Vivien Singer and Sven Smit, “Global Economics Intelligence executive summary, April 2022”, McKinsey & Company, 9 May 2022. https://www.mckinsey.com/business-functions/strategy-and-corporate-finance/our-insights/global-economics-intelligence-executive-summary-april-2022
This estimate is based on an overview of several studies examining the contribution of various factors to the recent inflationary wave. For example: Josh Bivens, “Corporate profits have contributed disproportionately to inflation. How should policymakers respond?”, Economic Policy Institute, 21 April 2022. https://www.epi.org/blog/corporate-profits-have-contributed-disproportionately-to-inflation-how-should-policymakers-respond/; Celasun Oya, Niels-Jakob H Hansen, Aiko Mineshima, Mariano Spector and Jing Zhou, “Supply Bottlenecks: Where, Why, How Much, and What Next?”, International Monetary Fund, 17 February 2022. https://www.imf.org/en/Publications/WP/Issues/2022/02/15/Supply-Bottlenecks-Where-Why-How-Much-and-What-Next-513188?cid=em-COM-123-44313
Dan Eberhart, “Supply Chain Woes, Inflation Crimp U.S. Producers’ Growth Potential”, Forbes, 2 April 2022. https://www.forbes.com/sites/daneberhart/2022/04/02/supply-chain-woes-inflation-crimp-us-producers-growth-potential/?sh=6ba4b7d0505d
Brenner, The Economics of Global Turbulence: The Advanced Capitalist
Profitability is measured as a rate, usually the rate of profit or rate of return, not to be confused with the mass of gross profits discussed above. It’s perfectly possible (in fact, quite normal) for total profits to increase even as the rate of return on investments declines.
Robert Brenner, The Boom and the Bubble: The US in the World Economy, New York: Verso, 2003.
Michael J. Howell, Capital Wars: The Rise of Global Liquidity, New York: Palgrave Macmillan, 2020. p.46
ibid, p.146
Richard Baldwin, “The great trade collapse: What caused it and what does it mean?”, in Richard Baldwin (Ed.), The Great Trade Collapse: Causes, Consequences and Prospects, London: Center for Economic Policy Research. pp. 1-14. https://cepr.org/voxeu/columns/great-trade-collapse-what-caused-it-and-what-does-it-mean
Farshad Araghi, “Global Depeasantization, 1945-1990”, The Sociological Quarterly, 36(2), 1995. pp. 337–368.
For more detail on the consequences of the process and its linkages to larger-scale changes in planetary food production, see: Nathan Eisenberg, “Hunger Regime”, Cosmonaut, 2 January 2022. https://cosmonautmag.com/2022/01/hunger-regime/#easy-footnote-bottom-158-5445
Gary Gereffi, “Global Value Chains in a Post-Washington Consensus World”, Global Value Chains and Development: Redefining the Contours of 21st Century Capitalism. Cambridge: Cambridge University Press, 2018. pp.400-428.1
Ashok Kumar, Monopsony Capitalism: Power and Production in the Twilight of the Sweatshop Age, Cambridge: Cambridge University Press, 2020.
I document some of the political outcomes of these trends in: Phil A. Neel, “Swoosh”, Ultra, 8 November, 2015. http://www.ultra-com.org/project/swoosh/
According to Howell (2020, p.142), about 70-80% of trade in “emerging market economies” is invoiced in US dollars, despite only 10-15% of this trade being with the US.
Walden Bello, “The capitalist conjuncture: over-accumulation, financial crises, and the retreat from globalization”, Third World Quarterly, Volume 27, Number 8, 2006. pp.1345-1367.
Pádraig Carmody, Peter Kragelund and Ricardo Reboredo, Africa’s Shadow Rise: China and the Mirage of African Economic Development, London: ZED, 2020.
Samir Sonti, “The World Paul Volcker Made”, Jacobin, 20 December, 2018. https://jacobin.com/2018/12/paul-volcker-federal-reserve-central-bank
Of course they are nothing of the sort. War is an extreme form of market conflict structured by global imperial inequities, and intensifying pandemics are an outcome of capitalist production’s agroecological devastation, as documented in: Chuang, “Social Contagion: Microbiological Class War in China”, Social Contagion, Chicago: Charles Kerr, 2021. https://chuangcn.org/books/social-contagion/ch1/
The classic study of this phenomenon is: Harry Braverman, Labor and Monopoly Capital: The Degradation of Work in the Twentieth Century, New York: Monthly Review Press, 1974.
The Japanese case is one of several explored in Brenner 2003. For a detailed exploration of the Japanese case on its own, see: Makoto Itoh, The World Economic Crisis and Japanese Capitalism, London: The MacMillan Press, 1990.
Tim Lee, Jamie Lee and Kevin Coldiron, The Rise of Carry: The Dangerous Consequences of Volatility Suppression and the New Financial Order of Decaying Growth and Recurring Crises, New York: McGraw-Hill, 2020. p.4
Lisa Adkins, Melinda Cooper, and Martijn Konings, The Asset Economy, Cambridge: Polity, 2020.
This term comes from Paul Mattick’s description of Keynesian theory and the stagflationary crisis of the 1970s, in: “Deflationary Inflation,” Economics and the Age of Inflation, New York: M.E. Sharpe, 1978.
Lee, Lee and Coldiron, 2020. p.210
Ibid, p.213.
For a critical overview of these plans that documents their increasing popularity, see: Alyssa Battistoni, “The False Promise of Universal Basic Income”, Dissent, Spring 2017. https://www.dissentmagazine.org/article/false-promise-universal-basic-income-andy-stern-ruger-bregman
ibid, p.214
34.
ibid, p.165
The money supply is divided into several distinct and nested measurements. The most basic measurement is M0, which includes physical money and central bank reserves. Money-printing by the Treasury and certain forms of central bank stimulus can increase M0. But a broader and more commonly used measurement is M1, which includes M0 plus demand deposits (money held in bank accounts that can be withdrawn at will) and travelers’ cheques. M1 is significant not only because most money today is held in bank accounts rather than in hard cash, but also because banks effectively create money by loaning out excess reserves. Thus, M1 can grow not only through money-printing and other forms of fiscal stimulus, but also through expanded bank credit.
ibid, p.173
The idea of “varieties of capitalism” has been central to the recent revival in (self-described) “political economy” research within the social sciences. The concept was originally laid out in: Peter A. Hall and David Soskice, Varieties of Capitalism: The Institutional Foundations of Comparative Advantage, Oxford: Oxford University Press, 2001.
According to the 2022 World Inequality Report produced by the World Inequality Lab: https://wir2022.wid.world
ibid
As measured by the Forbes Billionaires List for 2021.
Fracisco H. G. Ferreira, “Inequality in the time of COVID-19”, International Monetary Fund, Summer 2021. https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/2021/06/inequality-and-covid-19-ferreira.htm
In many counties, local governments conduct their own, more rigorous, estimates of homeless population, which almost always exceed their HUD-mandated PIT Counts, often substantially. For example, in 2020, the PIT Count conducted by the Regional Homeless Authority in King County, WA, only recorded 13,368 homeless, while a second, more rigorous survey by the same agency recorded 40,800 homeless (almost 2% of the total county population in the same year). See: Greg Kim, “How many homeless people are in King County? Depends on who you ask,” The Seattle Times, 4 July, 2022. https://www.seattletimes.com/seattle-news/homeless/how-many-homeless-people-are-in-king-county-depends-who-you-ask
Meghan Henry, Tanya de Sousa, Caroline Roddey, Swati Gayen, and Thomas Joe Bednar, “The 2020 Annual Homeless Assessment Report (HAR) to Congress”, The U.S. Department of Housing and Urban Development, January 2021. https://www.huduser.gov/portal/sites/default/files/pdf/2020-AHAR-Part-1.pdf
Gregg Colburn and Clayton Page Aldern, Homelessness is a Housing Problem: How Structural Patterns Explain U.S. Patterns, Oakland: University of California Press, 2022.
GAO, “Homelessness: Better HUD Oversight of Data Collection Could Improve Estimates of Homeless Population”, United States Government Accountability Office, July 2020. https://www.gao.gov/assets/gao-20-433.pdf
See Kim 2022, above, for a comparison conducted in King County, WA. For a more detailed breakdown of the problem with the PIT count in New York, widely held up as the gold standard for the method, see: Ricci Dipshan, “How Many Street Homeless? NYC’s Tallies Leave the Question Open”, CityLimits, 13 October 2015. https://citylimits.org/2015/10/13/how-many-street-homeless-nycs-tallies-leave-the-question-open/
Total homelessness is highest in the most expensive urban coastal areas, raising the rates for all the West Coast states as well as those in the Northeast Corridor. Unsheltered homelessness is highest, for the most part, in the Western States, with California leading in almost all measures. By contrast, New York City continues to have a high number of total homeless, but aggressive efforts to expand shelters over the course of the 2010s mean that the unsheltered population was substantially lower than cities on the West Coast as of the last pre-pandemic count. Even in New York, however, the pandemic seems to have clearly increased the number of people living on the street, leading to a new series of aggressive street sweeps in the first term of mayor Eric Adams.
Meghan Henry, Tanya de Sousa, Colette Tano, Nathaniel Dick, Rhaia Hull, Meghan Shea, Tori Morris, and Sean
All countries within capitalist society use these methods to differing degrees and are therefore “mixed economies” in the terms of conventional economics. Industrial planning, aggressive subsidization, and intense control over trade competition and capital markets have always been particularly pronounced among “late developers” attempting to instigate rapid industrial booms. When these countries use such policies, it is common for them to be erroneously portrayed as having adopted a form of “state capitalism” (or even “socialism”) that is distinct from “true” capitalism. For a good historical overview of the phenomenon, see: Ernest Ming-tak Leung, “Developmentalisms: The forgotten ancestors of East Asian developmentalism”, Phenomenal World, 18 September 2021. https://www.phenomenalworld.org/analysis/developmentalisms/