Du Krankenmorde au Covid-19 : eugénisme et bioéthique | Edwina Light, Michael Robertson et al.
Il faut abandonner l'idée que des événements comme le Krankenmorde soient des événements ponctuels et localisés dans le passé, sans rapport avec l'époque ou la situation actuelle. En juillet 2020, les institutions commémoratives des crimes d'"euthanasie" nazis ont publié une déclaration commune exprimant leur inquiétude concernant les discussions qui ont eu lieu pendant la pandémie de COVID-19 sur les décisions de triage des soins intensifs pour les personnes âgées et les personnes souffrant de handicaps ou de maladies antérieures.
Edwina Light est chargée de recherche postdoctorale au centre d'éthique de la santé de l'université de Sydney et chercheuse invitée au Sydney Jewish Museum. Elle a publié en 2019 avec Michael Robertson et Astrid Ley The First into the Dark, The Nazi Persecution of the Disabled (UTS ePress ; en accès libre et audiobook)
Michael Robertson est psychiatre, professeur agrégé d'éthique de la santé mentale (Centre d'éthique de la santé de Sydney, Université de Sydney) et professeur invité au Sydney Jewish Museum. Il a mené des recherches, enseigné et écrit de nombreux ouvrages sur l'éthique psychiatrique, les traitements psychiatriques contraints, la psychothérapie, les traumatismes psychologiques et la profession de psychiatre sous le national-socialisme.
Garry Walter & Miles Little sont professeurs associés au centre Sydney Health Ethics de la faculté de médecine et de santé de l’Université de Sydney.
Wendy Lipworth est bioéthicienne, spécialiste des sciences sociales de la santé et professeur de bioéthique à l'université Macquarie à Syney.
· Cet article fait partie de notre dossier Eugénisme pandémique du 12 avril 2023 ·
Résumé
Entre 1933 et 1945, près de 300 000 personnes ont été assassinées et 360 000 stérilisées par le régime national-socialiste (nazi) dans le cadre d'un ensemble de crimes aujourd'hui collectivement connus sous le nom de Krankenmorde, le meurtre des malades et des handicapés. Fondés sur des conceptions rigides et inconsistantes de ce qu'est une vie bonne et précieuse, les crimes eugénistes et "d'euthanasie" nazis étaient des actes brutaux et violents organisés et exécutés par des médecins, des infirmièr·es et d'autres professionnel·les. La reconnaissance de ce groupe de victimes a été retardée et occultée en raison d'événements historiques et des conceptions politiques et sociales dominantes à l'égard de la maladie mentale et du handicap. Par conséquent, l'ampleur des crimes Krankenmorde et de ses victimes, sa relation avec l'Holocauste et son importance contemporaine pour la bioéthique et la société en général, sont moins reconnues ou comprises que celles d'autres crimes médicaux nazis, tels que les tristement célèbres expériences sur les prisonnier·es. Ce chapitre présente d'abord l'histoire du Krankenmorde et de ses conséquences en Allemagne et dans les territoires occupés par les nazis, puis examine l'intérêt pour la bioéthique de mieux connaître cette partie de son histoire et, en particulier, de s'attaquer à ses propres limites épistémiques en matière de handicap et de validisme. Ces idées sont approfondies dans le contexte des questions bioéthiques contemporaines liées aux droits et au traitement des personnes handicapées, en particulier l'allocation des ressources sanitaires. Tout au long de ce chapitre, nous nous efforçons de mettre en lumière la vie des victimes du Krankenmorde, celles qui ont survécu et celles qui n'ont pas survécu, qui ont toutes été historiquement négligées et marginalisées.
Introduction
Environ 300 000 personnes ont été assassinées et 360 000 stérilisées sous le régime national-socialiste (nazi) (1933-1945) dans le cadre d'un ensemble de crimes aujourd'hui collectivement connus sous le nom de Krankenmorde, le meurtre des malades et des handicapé·es.
Comme le montre la figure 8.1, le Krankenmorde décrit de multiples crimes perpétrés par le régime nazi afin de persécuter et d'exclure les personnes souffrant de maladies ou de handicaps physiques, intellectuels ou psychosociaux. Bien que le nombre exact de victimes ne soit pas encore connu, on estime (Robertson et al. 2019, 23, 249 ; Hohendorf 2016 ; Schneider et al. 2014) que :
- Stérilisation obligatoire par vasectomie, ligature des trompes, irradiation aux rayons X ou au radium (1933-1945) :
◦ 360 000 (peut-être jusqu'à 400 000 (Schneider et al. 2014, 9)) citoyen·nes allemand·es ont été stérilisé·es de force. Plus de 5 000 personnes sont mortes à cause des procédures de stérilisation.
- Meurtres par balle, gazage, électrocution, médicaments mortels ou famine et autres abus et négligences délibérément mortels (1939-1945) :
◦ 80 000 à 100 000 patient·es ont été tué·es dans les territoires occupés par les nazis à l'est, comme la Pologne et l'URSS.
5 000 enfants ont été assassinés dans le cadre du programme d'"euthanasie" des enfants.
◦ 70 000 personnes ont été tuées dans le cadre du programme d'"euthanasie" Aktion T4.
◦ 10 000 à 20 000 prisonnier·es des camps de concentration, malades ou inaptes, ont été tués sur les sites T4 dans le cadre de la campagne de "traitement spécial" 14f13.
◦ Au moins 87 000 personnes ont été tuées au cours d'une phase d'"euthanasie" décentralisée, et/ou dans le cadre de l'évacuation des hôpitaux et des maisons de retraite pour des fonctions militaires et de défense civile dans le cadre de l'Aktion Brandt.
"Une vie indigne d'être vécue"
Fondés sur des conceptions inconsistantes et économiquement utilitaires d'une vie "bonne" et "précieuse", les crimes eugénistes et "d'euthanasie" nazis étaient des actes brutaux et violents organisés et exécutés par des médecins, des infirmièr·es et d'autres professionnel·les.
Comme cela a été décrit ailleurs (Robertson et al. 2019), le Krankenmorde trouve son origine dans différents facteurs politiques, intellectuels et historiques. La condition préalable à la persécution des personnes handicapées dans la culture occidentale la plus fréquemment citée est le discours eugéniste qui a imprégné les cercles universitaires et sociaux de l'élite à partir de la fin du XIXe siècle. Attribué à l'origine au polymathe anglais Francis Galton, "dont le but explicite était de créer de meilleurs humains" (Goering 2014), l'eugénisme est devenu une cause célébrée par les élites sociales et le monde universitaire dans de nombreuses sociétés, ce qui a permis l'adoption de politiques d'immigration d'exclusion et de lois sur les stérilisations obligatoires dans de nombreux pays. Bien qu'ostensiblement axés sur la question de l'éradication des maladies génétiques et des handicaps, l'eugénisme et l'hygiène raciale étaient des concepts étroitement liés qui associaient le racisme et le validisme dans les politiques publiques de nombreux pays (Mitchell et Snyder 2003). En Allemagne, une manifestation influente de ces idées au XXe siècle a été publiée en 1920 par le juriste Karl Binding et le psychiatre Alfred Hoche. Leur monographie, Die Freigabe der Vernichtung lebensunwerten Lebens ("Permettre la destruction des vies indignes d'être vécues"), présente un concept d'euthanasie pour certains groupes de personnes, qui inclut un argument selon lequel la valeur d'une personne malade ou handicapée est diminuée si sa contribution sociale est dépassée par le coût des soins qui lui sont prodigués (Robertson et al. 2019). Après l'ascension d'Hitler à la chancellerie et le contrôle du Reichstag par le parti nazi en 1933, les idées eugénistes et racistes ont prospéré dans les politiques publiques. Comme le note Robert J. Lifton, le national-socialisme était un mouvement autant biologique que politique (Lifton 1986). Les nazis ont utilisé des métaphores biologiques qui ont permis un paternalisme d'État extrême, allant de politiques de santé publique en apparence éclairées jusqu'au génocide (Proctor 1999).
Un thème méconnu de l'histoire de cette période est le statut de la profession médicale allemande et ses luttes pour l'autonomie professionnelle au cours des périodes Wilhelmine (1890-1918) et Weimar (1918-1933) (Burleigh 1997 ; Robertson et al. 2019). L'influence hégémonique des nostrums biologiques nazis et le recours à l'eugénisme et au racisme ont favorisé l'amélioration du statut des Ärzte (médecins) dans l'État nazi. Les médecins allemands ont été des adeptes enthousiastes et précoces du nazisme, tout particulièrement les psychiatres (Lifton 1986 ; Haque et al. 2012). Dans le cadre du programme Aktion T4 et, plus tard, des phases d'"euthanasie décentralisée" du Krankenmorde, les psychiatres ont été habilités à éliminer les patient·es gravement malades et handicapé·es qui n'avaient pas bénéficié des nouveaux traitements physiques introduits dans le système asilaire, issus du nouveau biologisme de psychiatres tels qu'Emile Kraepelin et Ernst Rüdin. Ce groupe de patient·es gravement malades et handicapé·es a lui-même été tenu responsable de son incapacité à bénéficier de la psychiatrie biologique et a été classé dans une catégorie mortel de nihilisme clinique qui a finalement conduit à son assassinat. En Allemagne et dans les territoires occupés, les directeurs d'asile utilisaient régulièrement le programme virulemment anti-handicap de leur maître politique pour purger les dortoirs de leur institution des cas les plus gravement handicapés et réfractaires au traitement.
Tout au long de ce récit historique des crimes du Krankenmorde, nous portons notre attention sur les victimes individuelles et les survivant·es. Comme nous le verrons plus en détail dans la suite de ce chapitre, la vie des victimes du Krankenmorde a été jusqu'à récemment négligée, marginalisée et discréditée. Nous cherchons respectueusement à situer leurs vies et leurs expériences dans cette histoire. Dans le même temps, nous reconnaissons les limites de certaines sources d'information sur les victimes et de notre rôle d'observateur·ices exterieur·es contemporain·es.
La stérilisation forcée
La stérilisation forcée a donné à nos vies un cours tout à fait inattendu. Nous étions des enfants, des jeunes femmes et des jeunes hommes auxquels on a coupé l'herbe sous le pied. Klara Nowak.
Le point de départ de l'ensemble des crimes qui ont constitué le Krankenmorde est généralement considéré comme l'adoption par le Reichstag en 1933 de la loi pour la prévention de la descendance héréditairement malade. Cette loi prévoyait la mise en place d'un appareil médico-légal sous la forme de près de 200 tribunaux sanitaires héréditaires qui, à la fin de la guerre, auraient ordonné la stérilisation de près de 400 000 personnes "génétiquement défectueuses".
Selon la loi, une personne était considérée comme "héréditairement malade" sur la base de diagnostics de déficience intellectuelle, de schizophrénie, d'épilepsie, de trouble maniaco-dépressif, d'alcoolisme grave, de maladie de Huntington, de cécité et/ou de surdité. Conscients de l'absence de preuves empiriques de leurs actions, les médecins, les responsables de santé publique et les institutions de soins et d'aide sociale ont été impliqués dans le signalement des personnes supposées avoir un "défaut héréditaire" et dans le dépôt de demandes de stérilisation, après quoi les médecins et les magistrats ont rendu des jugements devant les tribunaux, et les gynécologues et les chirurgiens ont effectué les procédures (Schneider et al. 2014).
ENCADRÉ 1 :
Klara Nowak (1922-2003)
Née à Buchholz, Berlin, le 29 mars 1922, Klara Nowak venait d'entamer une formation d'infirmière lorsqu'elle fut internée dans un hôpital psychiatrique. L'un de ses frères a également été interné pendant un certain temps. En 1940, le bureau de santé de l'arrondissement de Pankow, à Berlin, a demandé qu'iels soient tous·tes deux stérilisé·es. Iels ont été stérilisé·es contre leur gré à la Charité de Berlin en 1941. En 1945, Klara Nowak et sa mère ont fui Berlin pour Halberstadt. Ses frères et son père n'ont pas survécu à la guerre.
Plus tard, elle a raconté sa situation : "La stérilisation forcée a conduit nos vies sur un chemin totalement inattendu. Nous étions des enfants, des jeunes femmes et des jeunes hommes auxquels on a coupé l'herbe sous le pied". Comme beaucoup d'autres victimes de la stérilisation forcée, elle ne s'est jamais mariée. Après avoir terminé sa formation dans la profession qu'elle avait choisie, elle a travaillé comme infirmière, d'abord en République démocratique allemande, puis en Allemagne de l'Ouest. Les conséquences médicales de sa stérilisation involontaire ont nécessité d'autres opérations. Elle a pris sa retraite en 1974. Elle a reçu un versement unique de 5 000 DM à titre de compensation pour sa stérilisation forcée.
Depuis les années 1970, Mme Nowak tente de faire la lumière sur ce qui lui est arrivé. Un ami médecin l'a aidée à retrouver son dossier de patiente à la Charité. "Nous avons survécu au massacre de la période nazie. Mais après la guerre, très peu de choses ont changé pour nous. Nous ne pouvions toujours pas parler de ce qui nous était arrivé." En 1987, elle a rompu le silence. Avec le psychiatre Klaus Dörner, elle fonde le Bund der "Euthanasie"-Geschadigten und Zwangssterilisierten (BEZ), l'alliance des victimes de la stérilisation forcée et des familles de victimes de l'"euthanasie", qu'elle préside jusqu'en 1999. Elle parlait ouvertement de ses blessures. Klara Nowak est décédée le 14 décembre 2003 [détails biographiques tirés de Schneider et al. 2014, 189-190] (Image 8.1).
ENCADRÉ 2 :
Wilhelm Werner (1898-1940)
Wilhelm Werner est né le 18 septembre 1898 à Schniegling, près de Nuremberg. Sa famille vit dans une grande détresse financière et, en 1902, sa mère déménage avec les enfants dans une institution pour pauvres. Ses parents divorcent en 1906. En 1908 ou avant, il est admis dans une institution catholique, le foyer St Joseph pour les faibles d'esprit à Gemunden, en Franconie, probablement parce qu'il était sourd. Il y apprend à lire, à écrire, à calculer et à dessiner. En 1919, à l'âge de 21 ans, il est transféré à l'hôpital psychiatrique de Werneck avec un diagnostic d'"imbécillité" et y vit jusqu'en 1940. Il a été stérilisé de force entre 1934 et 1938. Le 6 octobre 1940, le premier transport collectif de Werneck a emmené Werner au centre de mise à mort de Pirna-Sonnenstein, où il a été assassiné.
Pendant son séjour à Werneck, Werner a exprimé son expérience de la stérilisation forcée dans 44 dessins au crayon. Ces dessins étaient contenus dans un carnet qui a été conservé pendant des décennies par un administrateur de l'asile jusqu'à ce qu'il soit acquis au début du XXIe siècle par la collection Prinzhorn de l'université de Heidelberg. Marc Steene décrit les dessins de Wilhelm Werner comme ayant une "théâtralité... L'histoire que racontent ces mannequins est déchirante, Werner met en scène une série choquante de scènes, toutes dessinées de manière très contrôlée, explorant sa stérilisation. Ses personnages semblent être des marionnettes, des victimes dépourvues d'autonomie et sous le contrôle d'infirmières nazies fumeuses de cigarettes" (Steene 2020, 2). Il estime que : "Nous ne devons pas négliger l'intention dans l'œuvre de Werner, il s'agit d'un acte délibéré de création, d'un acte de défi et d'une déclaration de souffrance personnelle dessinée avec beaucoup de contrôle et de brio" (Steene 2020, 2).
[Détails biographiques édités à partir de Schneider et al. 2014, 54-57].
L'"euthanasie" des enfants
Cinq mille personnes sont mortes de complications liées aux procédures de stérilisation, mais la première victime notoire du Krankenmorde a été le nourrisson Gerhard Kretschmer, dont le meurtre par overdose de barbituriques en juillet 1939 dans un service de pédiatrie de Leipzig a été à l'origine du "programme d'euthanasie pour les enfants" (Robertson et al. 2019). En février de cette année-là, le bébé Gerhard est né aveugle, atteint de phocomélie (membres malformés ou absents) et en proie à des crises d'épilepsie. Lorsque le père de Gerhard a demandé à Adolf Hitler de soutenir l'"euthanasie" de son enfant, le Führer a envoyé son médecin attitré, Karl Brandt, pour examiner le nourrisson. Sur la base de l'évaluation de Brandt, Hitler a autorisé le personnel de la clinique à euthanasier Gerhard.
La "mort par miséricorde" de Gerhard constituera un "moment décisif dans la tentative d'extermination des handicapé·es par le régime nazi", déclenchant un pédocide à grande échelle qui finira par tuer 5 000 enfants (Robertson et al. 2019). Dans cette phase et dans d'autres phases du Krankenmorde, le meurtre d'enfants, d'adolescent·es et d'adultes a été mené en coopération avec des scientifiques, parfois à la demande de ces derniers, qui ont utilisé leurs corps pour la recherche.
ENCADRÉ 3 :
Elisabeth Jarosch (1925-1940)
Elisabeth Jarosch est née à Lanietz, en Haute-Silésie, en 1925. Un an à peine après son entrée à l'école, elle est envoyée dans une école pour enfants ayant des difficultés d'apprentissage, avant d'être complètement retirée des cours. En 1935/6, Elisabeth, qui a des tics intempestifs, est examinée à plusieurs reprises, mais aucun diagnostic n'est posé. En 1936, elle est admise à l'hôpital d'État de Potsdam, où les médecins supposent qu'une maladie cérébrale organique en est la cause. Elisabeth s'adapte bien à la vie en institution. Bien qu'elle joue généralement seule, elle est amicale et parfois même tendre avec les autres enfants.
À partir de 1937, les entrées dans le dossier d'Elisabeth changent, soulignant un manque de progrès et une incapacité à communiquer correctement. Ces commentaires négatifs se poursuivent après le déménagement de l'institution de Potsdam à Brandenburg-Gorden. Ses symptômes n'étant pas explicables, les scientifiques la considèrent comme un cas intéressant. Elle fait partie des plus de 50 enfants de Gorden qui ont été assassinés à des fins de recherche dans le centre de mise à mort de Brandenburg le 28 octobre 1940. Son cerveau a été mis à la disposition de l'Institut de recherche sur le cerveau de la Société Kaiser Wilhelm à Berlin-Buch. Au moins 340 enfants et adolescent·es de l'hôpital d'État de Brandenburg-Gorden, situé à proximité, ont été assassinés dans le centre de mise à mort de Brandenburg.
[Détails biographiques tirés de Ley et Hinz-Wessels 2012, 107].
Le meurtre des patients des asiles dans les territoires occupés de l'Est
Quelques mois après la mort de Gerhard Kretschmer, des unités SS et de la Wehrmacht perpètrent des massacres sporadiques de patient·es dans les asiles psychiatriques et les maisons médicalisées de l'ouest de la Pologne nouvellement occupée. Indépendamment des actions d'"euthanasie" émanant de la chancellerie d'Hitler, des unités Einsatzgruppen ont commencé, dès le début du mois de septembre 1939, à commettre des massacres de patient·es en psychiatrie en Pologne par fusillade et, plus tard, dans des chambres à gaz au monoxyde de carbone statiques et mobiles - des méthodes de mise à mort qui seront plus tard adaptées à plus grande échelle pour les camps d'extermination de la Shoah (Robertson et al. 2019 ; Evans 2010). Ces unités spéciales ont continué à assassiner des personnes handicapées dans le cadre d'opérations de massacre en Union soviétique après l'invasion par l'Allemagne en 1941. Henry Friedlander écrit que s'ils se concentraient sur l'assassinat des Juifs, des Roms, des Sintis et des prisonniers de guerre soviétiques, les Einsatzgruppen ont aussi assassiné des personnes handicapées (Friedlander 1995 ; Evans 2010). Les Einsatzgruppen ont notamment exécuté des personnes pour libérer des institutions destinées à être utilisées pendant la guerre, "pour des raisons de santé héréditaire", et dans le cadre de l'expérimentation de différentes méthodes de mise à mort, par exemple l'utilisation de la dynamite et du gaz (Friedlander 1995). On estime à 100 000 le nombre de personnes assassinées dans les territoires occupés de l'Est dans le contexte de cette phase largement méconnue de la persécution des handicapés par les nazis.1
Aktion T4 et Sonderbehandlung 14f13
Parallèlement, en octobre 1939, Hitler adresse un ordre au chef de sa chancellerie, Philipp Bouhler, et à son médecin Karl Brandt :
Le Reichsleiter Bouhler et le Dr Brandt sont chargés d'élargir l'autorité de certains médecins nommément désignés de manière à ce que les personnes qui, d'après le jugement humain, sont incurables puissent, sur la base d'un diagnostic minutieux de leur état de santé, bénéficier d'une mort par miséricorde (USA v Karl Brandt et al).
Datée du 1er septembre 1939, jour où l'Allemagne a commencé la guerre, cette ordonnance a permis la mise en place d'un système étatique formel et secret qui donnait à certains professionnels de la santé et bureaucrates le pouvoir de décider quelles personnes étaient "incurables" ou "inutiles", ce que cela signifiait pour la société et ce qu'il fallait "faire" à ce sujet (Robertson et al. 2019, 142). Dirigé par Bouhler et Brandt, le programme d'" euthanasie " Aktion T4 - dont la bureaucratie opérait depuis une villa située au numéro 4 de la Tiergartenstrasse, à Berlin - a commencé son travail par la collecte d'informations sur certains groupes de patient·es dans les hôpitaux et les maisons médicalisées de l'ensemble du Reich. Un comité central d'évaluateurs médicaux examinait ces informations d'enregistrement et tous les dossiers médicaux pour décider de la mort ou de la survie d'une personne. La capacité à travailler et la "curabilité" d'une personne étaient souvent des facteurs déterminants dans la prise de décision. Les noms des patient·es condamné·es à mort étaient inscrits sur des listes de transport afin de s'assurer qu'iels étaient localisé·es et emmené·es dans l'un des six centres de mise à mort de l'Aktion T4, souvent via une institution intermédiaire afin de mieux organiser et dissimuler ces activités.
Ces phases initiales coordonnées du Krankenmorde impliquaient un processus bureaucratique qui identifiait et enregistrait les victimes de manière centralisée, les transportait vers les centres de mise à mort et cherchait à tromper les victimes, leurs familles et l'ensemble de la communauté. Dans les centres de mise à mort - Brandenburg an der Havel, Bernberg, Hadamar, Pirna-Sonnenstein et Grafeneck en Allemagne, et Hartheim en Autriche - les victimes étaient assassinées dans des chambres à gaz au monoxyde de carbone (image 8.2). Leurs familles recevaient un faux certificat de décès et parfois des cendres (non spécifiques) prélevées dans les crématoriums. Dans les faits, cette opération a servi de modèle à la "solution finale" des nazis - l'extermination massive planifiée de la population juive d'Europe et de nombreux·ses autres "indésirables" (Robertson et al. 2019, 23). Plus de 2 000 victimes de l'Aktion T4 étaient des patient·es psychiatriques ou médicale·aux juifs - tué·es uniquement en raison de leur origine juive et indépendamment de leur maladie ou de leur capacité à travailler - ce qui les place parmi les premières victimes de l'Holocauste (Ley et Hinz-Wessels 2012). Quelque 90 membres du personnel de T4 allaient également mettre à profit leur expérience des massacres de masse dans les camps d'extermination Reinhard de Belzec, Sobibor et Treblinka.
L'Aktion T4 est arrêtée en août 1941 - après la mort de 70 000 personnes - mais le travail criminel de certains centres de mise à mort se poursuit dans le cadre du programme Sonderbehandlung (traitement spécial) 14f13. Cette phase supplémentaire de mise à mort - toujours sous la direction de Bouhler, cette fois avec le chef SS Heinrich Himmler - était axée sur l'élimination des prisonnier·es des camps de concentration malades et handicapé·es, qui n'étaient plus en mesure de travailler. Sélectionné·es par d'anciens médecins T4, les prisonnier·es étaient transporté·es à Bernberg, Pirna-Sonnenstein et Hartheim. Les 269 premières victimes provenaient du camp de concentration de Sachsenhausen en juin 1941 et ont été tuées à Pirna-Sonnenstein (Robertson et al. 2019). Pour identifier les prisonnier·es "gravement malades", on les obligeait notamment à porter des brassards sur lesquels était inscrit le mot Blöd (indiquant "faible d'esprit") ou à porter autour du cou de grandes pancartes sur lesquelles on pouvait lire "Je suis un crétin" (Evans 2010, 66). Entre 10 000 et 20 000 prisonnier·es ont été assassiné·es avant la fin du programme en mars 1943.
ENCADRÉ 4 :
Otto Hampel (1895-1940).
Otto Hampel est né à Breslay en 1895 et a suivi une formation de typographe après l'école. Pour sa contribution à la Première Guerre mondiale, au cours de laquelle il a survécu à un ensevelissement, il a reçu la Croix de fer de deuxième classe et la médaille commémorative hongroise de la Première Guerre mondiale. Après la guerre, Otto Hampel a rapidement trouvé un emploi de représentant commercial à Berlin. Dans les années 1920, il a eu plusieurs démêlés avec la justice (cambriolage, recel et escroquerie). Dans les années 1930, il est également admis à deux reprises à l'hôpital public municipal et à la maison médicalisée de Berlin-Wittenau, où il est soigné pour de la fièvre. En mai 1937, Otto Hampel est condamné par le tribunal de district de Berlin à neuf mois de prison pour "actes homosexuels continus". Au même moment, la cour a ordonné son internement en institution2. Après avoir purgé sa peine, Otto Hampel est transféré à l'hôpital de Berlin-Buch. Il demande plusieurs fois, sans succès, à être libéré. Le 30 mars 1940, il est emmené dans un transport collectif au centre de mise à mort de Brandebourg et est assassiné.
[Détails biographiques tirés de Ley et Hinz-Wessels 2012, 101, 103].
ENCADRÉ 5 :
Alma Pinkus (1898-1940).
Alma Pinkus est née en 1898 à Goritz an der Oder, cadette d'un marchand de bétail. Après avoir fréquenté l'école secondaire, elle aide à la maison familiale. Malgré une grave maladie d'estomac, elle apprend à s'occuper des bébés et travaille occasionnellement comme gouvernante. Après une hémorragie gastrique aiguë au printemps 1931, elle exprime à plusieurs reprises le sentiment d'être "empoisonnée, hypnotisée et influencée", ce qui lui vaut d'être internée à l'hôpital d'État de Landsberg/Warthe, dans le Brandebourg. Son traitement à l'insuline est interrompu en raison de sa mauvaise condition physique. En mars 1932, elle est autorisée à rentrer chez elle. Deux ans plus tard, elle doit à nouveau être admise à Landsberg, où elle reste, avec quelques interruptions, jusqu'à l'été 1940. En juillet 1940, elle et tous·tes les autres patient·es juif·ves de Landsberg sont emmené·es dans un établissement intermédiaire, puis au centre de mise à mort de Brandebourg, où iels sont assassiné·es. Officiellement, elle est morte d'un "furoncle du nez et d'une méningite à l'asile de Chelm", près de Lublin, le 28 janvier 1941.
[Détails biographiques tirés de Ley et Hinz-Wessels 2012, 159].
ENCADRÉ 6 :
Theodor Kynast (1904-1940)
Theodor Kynast naît le 28 juin 1904 et vit avec ses parents à Göppingen, dans le Wurtemberg. Jeune homme, il est diagnostiqué schizophrène et est admis au sanatorium privé Christophsbad de Göppingen. Le 14 octobre 1940, sur ordre du ministère de l'intérieur du Wurtemberg, il est transféré avec 74 autres patients de sexe masculin de Göppingen au sanatorium du Wurtemberg à Winnental. Le 29 novembre 1940, 16 patients de Göppingen, dont Theodor Kynast, sont transportés avec des patient·es d'autres institutions au centre de mise à mort de Grafeneck et y sont gazé·es le même jour. Le faux certificat de décès délivré par le bureau d'état civil de Grafeneck et la lettre dite "de consolation" adressée aux parents à Göppingen ont été conservés dans leur version originale et se trouvent maintenant dans les archives commémoratives de Grafeneck. Elles sont datées des 3 et 4 décembre 1940. Après son assassinat, ses parents reçurent ses effets personnels, parmi lesquels iels trouvèrent un biscuit sur lequel il avait gravé les mots "Abt. Morder" [service des assassins].
[Détails biographiques édités à partir de Gedenkstätte Grafeneck Dokumentations Zentrum 2016 ; Bruggemann et Schmid-Krebs 2007].
L'"euthanasie" décentralisée et l'Aktion Brandt
L'historiographie actuelle du Krankenmorde le décrit comme progressant d'un processus coordonné au niveau central, consistant à tuer des victimes sélectionnées dans six centres de mise à mort dédiés dotés de chambres à gaz statiques (Aktion T4), vers une phase régionalisée plus meurtrière, consistant à tuer dans des hôpitaux et des asiles par inanition, empoisonnement ou électrocution. Cette phase décentralisée d'" euthanasie " s'est déroulée dans plus de 30 hôpitaux et asiles d'État différents et a également élargi le champ des victimes pour inclure les personnes fragiles et âgées, les ouvrier·es tombé·es malades et les soldats blessés ou invalides (Robertson et al. 2019 ; Image 8.3). À l'hôpital Mesertitz-Obrawalde, par exemple, on estime que 97 % des patient·es - les patient·es préexistant·es et celleux transféré·es d'autres institutions - ont été assassiné·es par overdose, soit au total environ 10 000 personnes (McFarland-Icke 1999 ; Benedict et al. 2007). Beaucoup sont mort·es à leur arrivée à l'hôpital d'Obrawalde ou peu après, en particulier les enfants (Benedict et al. 2007).
L'Aktion Brandt (1943-1945) désigne le déplacement létal de patient·es d'hôpitaux psychiatriques et de maisons médicalisées à des fins militaires et de défense civile, pour faire de la place aux soldats blessés et aux civil·es physiquement malades ou blessé·es, les hôpitaux urbains ayant été détruits par les bombardements. Les historien·nes ne s'accordent pas sur la question de savoir si l'Aktion Brandt était un processus sporadique ou une réactivation systématique d'un programme centralisé d'assassinat des malades et des handicapé·es - comme l'a notamment soutenu Götz Aly - en plus des activités régionales d'"euthanasie décentralisée" qui ont eu lieu dans des hôpitaux individuels et d'autres établissements de soins après la fin de l'Aktion T4 (Aly et al. 1985 ; Aly 1989 ; Burleigh 1994 ; Schwarz 2002 ; Hohendorf 2016).
Elle est ainsi nommée parce que l'ancien co-dirigeant de T4, Brandt, devenu Reichskommissar für das Sanitäts und Gesundheitswesen (commissaire du Reich pour l'assainissement et la santé), gère les décisions et la coordination des transferts de patient·es des zones touchées par la multiplication des bombardements aériens vers les institutions de la région (Schulze 2010). Schulze (2010) écrit que malgré la continuité de ces événements avec l'Aktion T4, "il n'existait à l'époque aucun programme d'extermination géré de manière centralisée dans le cadre duquel les patient·es seraient liquidé·es en masse dans des institutions spécialement désignées et adaptées à cet effet".
On estime qu'après l'arrêt de l'Aktion T4 en août 1941 - suite à l'inquiétude grandissante de l'opinion publique, aux protestations directes de certains leaders communautaires et aux exigences croissantes de la guerre du régime à l'Est - au moins 87 000 personnes placées en institution (peut-être 100 000 (Schulze 2010)) sont mortes dans le cadre du Krankenmorde.
ENCADRE 7 :
Babette Fröwis (1929-1943)
Babette Fröwis est née à Munich en juillet 1929. Dès sa naissance, Babette présente de nombreux problèmes d'alimentation et de comportement et passe les cinq premiers mois de sa vie dans une institution pour enfants handicapés. Babette est retournée vivre dans sa famille et a continué à montrer des signes de retard de développement important. Enfant, elle a souffert de nombreuses crises d'épilepsie et a manifesté un comportement de plus en plus angoissé, notamment en s'arrachant les cheveux et en poussant des cris incontrôlables. Les parents de Babette se sont inquiétés du fait que son comportement représentait un risque pour ses jeunes frères et sœurs. Les pédiatres la déclarent "imbécile" et "inéducable". En août 1934, Babette est placée en institution permanente au sanatorium de Schönbrunn, dans la ville de Dachau. Elle y reste jusqu'à la fin de l'année 1943. Début octobre, le directeur médical de Schönbrunn, un pédiatre nommé Dr Hans-Joachim Sewering, informe les parents de Babette qu'en raison de son comportement, elle ne peut plus être soignée correctement à Schönbrunn. Le 23 octobre 1943, Sewering signe un ordre de transfert pour que Babette soit envoyée à la Kinderfachabteilung de l'hôpital d'Eglfing-Haar, dans la banlieue de Munich. Babette Fröwis y meurt le 16 novembre 1943. Dans son dossier médical à Eglfing-Haar, on peut lire : "Absorption insuffisante de nourriture depuis cinq jours, s'étouffe fréquemment en mangeant. Ces derniers jours, trachéobronchite. Décédée aujourd'hui". Malgré cette déclaration, Babette avait été jugée en bonne santé physique lors de son admission à Eglfing-Haar trois semaines plus tôt. Les mensonges consignés dans son dossier médical visaient à dissimuler le fait qu'elle était décédée à la suite d'une overdose fatale de médicaments, très probablement le barbiturique Luminal.
[Détails biographiques tirés de Robertson et al. 2019, 209-210].
Mémoire, signification et bioéthique du Krankenmorde
La reconnaissance des victimes du Krankenmorde a été retardée et occultée pendant des décennies en raison d'événements historiques et d'attitudes politiques et sociales dominantes à l'égard de la maladie mentale et du handicap. Des analyses détaillés des retards dans la reconnaissance du Krankenmorde ont été produites ailleurs, décrivant les obstacles à la reconnaissance et à la restitution (tels que la division de l'Allemagne après la guerre, le champ d’application des processus juridiques et l'indifférence de la société), ainsi que les activités récentes visant à reconnaître les crimes, les victimes et les responsabilités dans la perpétration et l'effacement ultérieure des crimes (Light et al. Sous presse ; Schneider et al. 2014 ; Robertson et al. 2019).
Les procédures judiciaires d'après-guerre se sont principalement concentrées sur les crimes commis par les nazis dans le cadre de la recherche médicale et, si certains responsables du Krankenmorde ont été poursuivis, nombre d'entre eux n'ont jamais eu à répondre de leurs actes. Le célèbre récit d'Alexander Mitscherlich sur le procès des médecins de Nuremberg en 19493 qui a inculpé 23 médecins pour divers rôles dans des crimes liés à des expériences médicales et/ou à l'"euthanasie", illustre certaines des premières équivoques concernant la criminalité du Krankenmorde : “L'octroi d'une "aide à mourir" dans le cas de malades mentale·aux incurables et d'enfants malformés ou idiots peut encore être considéré comme relevant de la sphère légitime de la discussion médicale", écrivait-il, suggérant qu'il ne devenait vraiment préoccupant qu'à mesure que le champ d'application "se déplaçait de plus en plus ouvertement vers des critères de mort purement politiques et idéologiques..." (Mitscherlich et Mielke, 1949, p. 117). De même, les juges de Nuremberg ont semblé considérer que l'État nazi avait le droit de mettre en œuvre l'euthanasie pour des raisons médicales (Burdett 2011 ; Knittel 2015). Parmi d'autres chercheur·euses contemporain·es, Emmeline Burdett souligne que les "hypothèses et stéréotypes méprisants et paternalistes sur les personnes handicapées" à Nuremberg n'étaient pas propres à cette époque ou à ces juges (Burdett 2011). Elle affirme : "[I]l est toujours vrai qu'il existe une idée largement répandue selon laquelle (a) les personnes soumises à une "euthanasie" non consensuelle ne présentent aucune caractéristique autre que celle d'une souffrance irrémédiable ; (b) tuer ces personnes n'est tout simplement pas la même chose que le meurtre d'un autre type de personne ; et (c) la ou les personnes en question ne souffrent pas du fait d’être tuées" (Burdett 2011, 8-9).
Sur le plan politique, les survivant·es, les familles et les porte-parole ont également dû lutter contre la marginalisation, le discrédit et la honte (Light et al. sous presse). Ce n'est qu'en 1998 qu'une loi nationale a été adoptée pour annuler les ordonnances de stérilisation des tribunaux de santé héréditaires (Surmannn 2014). En 2010, la profession psychiatrique allemande a présenté des excuses officielles (Schneider et al. 2014) et, en 2017, le Bundestag a mis l'accent sur les victimes du Krankenmorde lors de sa journée annuelle de commémoration de l'Holocauste, en reconnaissant notamment des décennies d'effacement et de déni (Lammert 2017).
Ces thèmes ont trouvé un écho dans la littérature scientifique. Dans son analyse de l'historiographie du Krankenmorde, Emmeline Burdett affirme que la recherche "a été entravée, voire totalement empêchée, par le mépris désinvolte des historien·nes pour le meurtre de centaines de milliers de personnes" en raison d'une focalisation presque exclusive sur les manifestations contre le programme d'"euthanasie" et sur ceux qui l'ont mis en œuvre (Burdett 2014, 39). Passant en revue la littérature depuis les années 1950, elle passe en revue les arguments (Kudlick 2003) qui expliquent pourquoi les historien·nes et le grand public doutent de la criminalité du "meurtre de personnes souvent perçues comme un fardeau pour la société". Burdett affirme que "les historien·nes ont perçu les victimes du programme d'euthanasie nazi d'une manière qui correspond à la façon dont les personnes handicapées sont perçues dans leurs sociétés" (Burdett 2014, 39). Les premières études sur la période nazie et les crimes médicaux ont largement ignoré le Krankenmorde, tandis qu'au cours des décennies suivantes, elles se sont concentrées sur les protestations à son encontre (souvent en contraste avec l'absence de protestations à l'encontre d'autres victimes de la criminalité nazie), les perceptions et les réactions du public à son égard, ainsi que les rôles et les motivations des médecins et des autres responsables. Ces travaux ont traité le sujet "comme une question éthique ardue" et ont rendu les victimes invisibles, dit-elle (Burdett 2011, 2014). Burdett cite des travaux ultérieurs (Burleigh 1994 ; Friedlander 1995 ; Evans 2010 ; Gallagher 1990) comme exemples de changements d'attitude des historien·nes qui ont conduit à une plus grande investigation autour du Krankenmorde, qui a "reflété les changements positifs dans les attitudes sociales à l'égard du handicap" (Burdett 2014, 48). Ces récits historiques ont été au cœur d'une grande partie de l'analyse bioéthique du Krankenmorde.
Susanne Knittel met l'accent sur un enjeu spécifique à l'étude du Krankenmorde : comment remettre au centre les voix des témoins et des survivant·es lorsqu'il n'y a pas ou peu de survivant·es (sauf pour la stérilisation), qu'il n'y a pas de communauté de mémoire et que les sources clés - parfois les seules sources documentaires - de cette mémoire sont les dossiers médicaux créés par les auteur·ices des crimes (Knittel 2015, 23). Ces questions sont posées dans le contexte des études sur la mémoire, mais s'appliquent également à d'autres disciplines telles que l'histoire, l'éthique médicale et la bioéthique. Se référant aux travaux de Snyder et Mitchell (2006), Knittel replace le silence des victimes et des survivant·es du Krankenmorde dans le contexte des discours et de la mémoire dominants sur l'Holocauste, qui présente le programme d'"euthanasie" comme une parenthèse historique, et la médecine nazie comme une "aberration sans précédent des professions de santé" et dissocient le mouvement eugéniste international de l'Holocauste, renforçant ainsi une "délimitation imaginaire entre "intervention médicale" et "meurtre"" (Knittel 2015, 19,20,23). Elle présente quelques manières d'aborder ce problème - en proposant de travailler avec les disability studies et en mobilisant le concept de "vicariance" [du latin vicarius : « remplaçant » Ndt] - qui "peuvent contribuer à reconstituer et à imaginer les récits de ces victimes" (Knittel 2015, 23). Tout au long de ce texte, nous avons cherché à mettre en avant les paroles et les vies des victimes du Krankenmorde - celles qui ont survécu et celles qui n'ont pas survécu - mais nous reconnaissons que ce que nous présentons ici a les mêmes limites et implications. Ils proviennent essentiellement de dossiers médicaux et de registres d'État. En outre, lorsque nous pouvons nous tourner vers les expressions de première main des victimes concernant leurs expériences - telles que les mots de Klara Nowak, l'art de Wilhelm Werner et le message de Thomas Kynast - nous devons rester conscient·es que les significations que nous leur attribuons viennent de nos propres valeurs en tant qu'observateur·ices extérieur·es du vingt-et-unième siècle. Il est également important d'attirer l'attention sur les défis contemporains, où les patient·es/consommateur·ices et les survivant·es se sont battu·es pour que leurs expériences et leurs voix soient remises au coeur des discours sur la bioéthique et le droit de la santé, en particulier en ce qui concerne les contestations en cours sur les pratiques coercitives dans les pratiques de santé mentale et le traitement des personnes souffrant de handicaps intellectuels ou psychosociaux de manière plus générale.
La nécessité d'un engagement plus grand de la bioéthique dans les études sur le handicap [disability studies] et les droits de l'homme a été soulignée par la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, Catalina Devandas Aguilar, qui, dans un rapport de 2019, a appelé la bioéthique à évoluer vers une "bioéthique du handicap" ou une "bioéthique consciente du handicap" (Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, 2019). Le rapport sur le validisme dans la pratique médicale et scientifique indique que "contrairement à la révulsion morale et à l'indignation généralisées face à des atrocités comparables au XXe siècle, l'importance du mouvement eugéniste et son impact sur la manière dont les sociétés continuent de rejeter la valeur de la vie des personnes handicapées sont longtemps restés confinés aux cercles du handicap" (pp. 3 et 4). Il affirme que le validisme - défini comme "un système de valeurs qui considère certaines caractéristiques typiques du corps et de l'esprit comme essentielles pour vivre une vie de valeur" - continue de dominer des débats importants qui ont un impact sur les droits des personnes handicapées, débats qui ont souvent lieu principalement dans le domaine de la bioéthique (p.5). Reconnaissant une relation historique "étroite mais conflictuelle" entre la bioéthique et le handicap, le rapport indique que "la plupart des travaux de bioéthique réalisés à ce jour reposent sur une compréhension insuffisante ou inexacte de la diversité, de la complexité et de la nature socialement déterminée du handicap". Et si certains travaux bioéthiques ont commencé à prendre en compte le point de vue des personnes handicapées, les points de vue validistes "dictent la plupart des discussions bioéthiques, depuis les diagnostiques prénataux jusqu’à l'aide à mourir. Elles n'abordent donc pas les questions bioéthiques qui concernent réellement les personnes handicapées" (Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées 2019, 5). Le rapport conclut que "l'hégémonie du validisme dans la société a perpétué l'idée que vivre avec un handicap est une vie qui ne vaut pas la peine d'être vécue" - en privilégiant la prévention et la guérison par rapport à d'autres réponses au handicap et en limitant les possibilités d'inclusion et de participation des personnes dans la société. "Si les programmes eugénistes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle ont disparu, les aspirations eugénistes persistent dans les débats actuels liés aux pratiques médicales et scientifiques concernant le handicap, comme la prévention, les thérapies normalisantes et l'aide à mourir" (Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées, 2019, p. 17).
Comme Knittel (2015), Snyder et Mitchell (2006) et d'autres, l'étude du rapporteur spécial des Nations unies souligne à quel point des champs pourtant pertinents de la bioéthique - et d'autres disciplines - sont rendus inopérants par l'exclusion du Krankenmorde de l'histoire de l'Holocauste, par les ambivalences quant à son statut dans les crimes de la période nazie, et par l'ignorance des expériences et des perspectives des personnes handicapées. Ainsi, la bioéthique doit mieux connaître son histoire et retourner une partie de son analyse sur elle-même en termes de handicap et de validisme. Cette étude attire l'attention sur des manques importants dans certaines perspectives théoriques de la bioéthique, qui reflètent des limites épistémiques à son travail. Dans ce contexte, il faut abandonner l'idée que des événements comme le Krankenmorde soient des événements ponctuels et localisés dans le passé, sans rapport avec l'époque ou la situation actuelle. Écrivant plus largement sur la bioéthique et le handicap, la philosophe Shelley Tremain a soutenu que malgré la régularité des abus médicaux et scientifiques sur divers groupes marginalisés au cours du vingtième siècle, les bioéthiciens ont eu tendance à considérer ces pratiques et programmes "comme des anomalies et des particularités, comme des reliques inquiétantes d'un passé révolu, et comme des perturbations dans l'histoire d'une entreprise par ailleurs noble et innovante [...]. La portée de ces critiques s'est pour la plupart limitée à des arguments contre une pratique biomédicale particulière ou à la position de tel ou tel bioéthicien, laissant les conditions historiques de possibilité de l'entreprise globale de bioéthique non examinées et non remises en question" (Tremain 2020).
Dans un important rapport sur le handicap et la bioéthique adressé au rapporteur des Nations unies, Jackie Leach Scully et Tom Shakespeare soulignent l'importance de la bioéthique pour les personnes vivant avec un handicap aujourd'hui (Scully et Shakespeare 2019). "La bioéthique aide les sociétés à décider quels types d'interventions et de soutiens en matière de handicap sont moralement bons. Mais nous notons également que le handicap est important pour la bioéthique, dans la mesure où la diversité des corps humains qui peuvent exister est au centre de l'attention de la biomédecine, et donc de la bioéthique", écrivent-ils (Scully et Shakespeare 2019, 55). Ils concluent : "Il est essentiel que la bioéthique reconnaisse les limites de son approche du handicap et que des actions soient menées pour encourager un travail bioéthique plus inclusif du handicap."
Handicap et bioéthique
"La bioéthique s'est surtout intéressée au handicap dans les domaines qui concernent très directement la vie et la mort", écrivent Leach Scully et Shakespeare, en donnant des exemples tels que le diagnostic prénatal, le diagnostic génétique préimplantatoire et le dépistage préconceptionnel pour prévenir la naissance d'enfants handicapés ; les droits et libertés reproductifs des personnes handicapées ; et les questions de fin de vie, telles que le suicide assisté, l'euthanasie et les décisions relatives à la poursuite du traitement médical lorsqu'une personne est gravement malade ou mourante (Scully et Shakespeare 2019, 4). Parmi les autres sujets auxquels la bioéthique contribue, on peut citer le rationnement des soins de santé dans la mesure où il affecte les personnes handicapées et l'utilisation des technologies biomédicales pour normaliser les corps ou les esprits anormaux (Scully et Shakespeare 2019).
L'euthanasie et l'aide médicale à mourir font l'objet d'un chapitre distinct dans le présent ouvrage. Au moment de la rédaction du présent document, l'aide volontaire à mourir (euthanasie et suicide assisté) était légale dans 18 juridictions de huit pays.4 En Allemagne, les débats politiques et culturels sur l'aide à mourir ont refait surface après qu'une décision de la Cour constitutionnelle en 2020 a annulé l'interdiction du suicide assisté par des professionnel·les (Richter-Kuhlmann 2020 ; Hyde 2020 ; Ethikrat 2020). La sensibilité à la légalisation de l'euthanasie en Allemagne est liée en partie à l'histoire du Krankenmorde (Hyde 2020) et à l'utilisation euphémisante du terme "euthanasie" par le régime nazi pour décrire sa campagne de violence meurtrière, d'abus et de négligence à l'égard des personnes handicapées et d'autres personnes jugées indignes de vivre.
La rapporteuse spéciale des Nations unies a recommandé que les États membres qui autorisent l'aide à mourir mettent en œuvre des mesures strictes pour protéger la vie des personnes handicapées sur une base d'égalité avec les autres (Rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, 2019). Dans son rapport de 2019, la Rapporteuse spéciale note que l'aide à mourir est une question controversée au sein de la communauté des personnes handicapées. "Du point de vue des droits des personnes handicapées, on craint fort que la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté ne mette en péril la vie des personnes handicapées. Si l'aide à mourir est accessible à toutes les personnes souffrant d'un problème de santé ou d'une déficience, qu'elles soient en phase terminale ou non, la société pourrait partir du principe qu'il vaut mieux être mort que de vivre avec un handicap" (Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées, 2019, p. 9). En outre, les personnes handicapées peuvent décider de mettre fin à leur vie en raison de facteurs sociaux - notamment la solitude, l'isolement social et le manque d'accès aux services d'aide - ou elles peuvent être vulnérables à des pressions explicites ou implicites, "notamment les attentes des membres de la famille, les pressions financières, les messages culturels et même la coercition" (Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées 2019,10).
Certaines de ces préoccupations ont été mises en évidence lors du débat public intense qui s'est tenu en 2020 sur les modifications proposées aux lois existantes en matière d'aide médicale à mourir (MAID) au Canada, au cours duquel les critiques ont notamment porté sur le fait que ces réformes "singulariseraient le handicap" d'une manière incompatible avec les droits de l'homme et "favoriseraient la stigmatisation et les préjugés à l'égard des personnes handicapées et laisseraient entendre que certaines vies ne valent pas la peine d'être vécues" (Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 2020 ; Nicol et Tiedemann, 2020 ; Lemmens et Krakowitz-Broker, 2020). Le mémoire de la philosophe Shelley Tremain, qui s'oppose fermement au projet de loi C-7, exprime sa préoccupation quant au fait que les conseils bioéthiques donnés au Comité permanent représentent "des hypothèses philosophiques biaisées et des perspectives spécifiques au contexte et socialement situées" (Tremain 2020). Elle s'est dite "profondément préoccupée par le fait qu'une poignée de spécialistes de la bioéthique ont présenté leurs positions sur MAID et ses extensions [...] comme des réponses objectives et neutres à la question de savoir comment la société canadienne devrait traiter les personnes handicapées qui peuvent se sentir désespérées, être isolées socialement, vivre dans la pauvreté et manquer de ressources sociales" (Tremain 2020). Dans son témoignage lors d'une étude parlementaire canadienne sur le projet de loi 7, Catherine Frazee, professeur émérite à la Ryerson University School of Disability Studies et ancienne commissaire en chef de la Commission des droits de l'homme de l'Ontario, a fait valoir qu'il n'existait aucune preuve pour étayer les affirmations relatives à la souffrance supposée causée par une affection handicapante, contrairement à la souffrance causée par l'exclusion sociale et la privation, telles que celles liées aux institutions et aux bureaucraties (Frazee, 2020).
Dans la partie suivante, nous examinons une question contemporaine de bioéthique - l'allocation des ressources sanitaires - où le handicap est un élément central et qui remet en question et critique le travail de la bioéthique elle-même. La littérature et les cas présentés ci-dessous ne sont pas nécessairement représentatifs de tous les événements ou points de vue. Ils cherchent plutôt à mettre en lumière des questions clés et des perspectives importantes autour d'événements actuels qui ne sont pas toujours au cœur des discours bioéthiques. Nous espérons ainsi que le lecteur aura l'occasion de s'engager dans certaines des idées soulevées dans ce chapitre et d'examiner les héritages actuels du Krankenmorde.
Le COVID-19 et allocation des ressources sanitaires
Le validisme sur lequel j'écris dans le cadre de mon travail est devenu un rappel effrayant et accablant du fait que l'on peut facilement m’écarter pour sauver de 'vraies' personnes". Rosemary Kayess.
En juillet 2020, les institutions commémoratives des crimes d'"euthanasie" nazis ont publié une déclaration commune exprimant leur inquiétude concernant les discussions qui ont eu lieu pendant la pandémie de COVID-19 sur les décisions de triage des soins intensifs pour les personnes âgées et les personnes souffrant de maladies ou de handicaps antérieurs (Gedenkstätten zur Erinnerung an die nationalsozialistischen Euthanasie-Verbrechen 2020). La préoccupation des signataires - incluant les mémoriaux de Bernburg, Brandenburg, Hadamar, Pirna-Sonnenstein et Hartheim - a été exprimée dans le contexte de leur travail de transmission de l'histoire des crimes nazis et du traitement des questions médico-éthiques actuelles dans le cadre de programmes et d'événements éducatifs. Suite à la publication de recommandations sur l'allocation des ressources par les sociétés médicales allemandes, les représentant·es de ces institutions commémoratives ont écrit qu'il y avait un "danger que les groupes mentionnés [les personnes âgées et les personnes handicapées] soient exclus des soins intensifs si le système de santé est surchargé". Bien que l'Allemagne n'ait pas encore connu un tel état d'urgence, le groupe a fait valoir qu'il était "plus important de discuter maintenant des implications éthiques, médicales et juridiques des décisions de triage d'une manière largement sociétale et sans pression de temps". Iels ont demandé au Bundestag allemand de se saisir de la question et d'impliquer les organisations des personnes handicapées et des personnes âgées dans le débat sur la question de savoir si les recommandations des sociétés spécialisées peuvent guider les mesures à prendre. "L'établissement de règles pour les décisions de triage ne peut pas être laissé uniquement à la médecine", ont déclaré les représentant·es de ces institutions (Gedenkstätten zur Erinnerung an die nationalsozialistischen Euthanasie-Verbrechen 2020).
Des préoccupations similaires ont été exprimées dans de nombreux pays, notamment par des universitaires, des militant·es et des praticien·nes spécialisé·es dans le handicap, la bioéthique et les droits de l'homme, car diverses directives relatives à l'attribution de soins critiques pendant la pandémie - ou d'autres ressources potentiellement limitées telles que les vaccins et les thérapies - laissaient transparaitre des critères injustes et discriminatoires excluant les personnes âgées et les personnes handicapées (Goggin et Ellis 2020 ; Scully 2020 ; Comité des Nations unies pour les droits des personnes handicapées 2020 ; Disabled People's Organisations Australia 2020).
Selon l'écrivain américain Andrew Pulrang, il s'agit là de l'une des "multiples menaces interdépendantes qui pèsent sur la vie des personnes handicapées" dans le cadre de la pandémie, et qui traduit une préoccupation plus large : "La pandémie de COVID-19 a révélé beaucoup de choses habituellement cachées. Pour les personnes handicapées, l'aspect le plus révélateur et le plus terrifiant de la crise est la vision beaucoup plus nette et évidente que nous avons des traditions anciennes de validisme qui perdurent dans les politiques de santé et l'éthique médicale" (Pulrang 2020). Parmi les propositions d’outils pratiques que ses lecteur·ices pourraient saisir pour protéger leurs droits s'iels tombaient malades et devaient se rendre à l'hôpital aux États-Unis, pays qui, à l'époque, enregistrait le plus grand nombre de cas de COVID-19 (Organisation mondiale de la santé 2020), Pulrang a mentionné la campagne #NoBodyIsDisposable (Pulrang 2020). En plus d'une boîte à outils pour les patient·es intitulée "Connaissez vos droits", la coalition basée aux États-Unis a fait pression sur les prestataires de soins, les hôpitaux et les décideur·euses politiques pour qu'iels adoptent des politiques visant à éviter la discrimination lors du triage. Ses messages de protestation et de solidarité étaient notamment les suivants : "Ne laissez pas le triage #COVID19 tuer les personnes handicapées, grosses, âgées, séropositives et malades !" et "#noICUgenics" (#NoBodyIsDisposable 2020).
Dans le contexte australien, des spécialistes internationale·aux des droits de l'homme, de la bioéthique et des études sur le handicap ont publié ensemble une "déclaration de préoccupation COVID-19" qui met l'accent sur les droits et les normes clés nécessaires pour étayer la prise de décision éthique (Disabled People's Organisations Australia 2020). Rosemary Kayess, signataire de la déclaration et vice-présidente du Comité des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, s'est déclarée "préoccupée par le fait que toute demande croissante de traitements médicaux critiques et de soins médicaux intensifs nécessitera de prendre des décisions sur des traitements vitaux qui pourraient gravement porter atteinte aux droits des personnes handicapées". Réfléchissant à sa propre expérience pendant la pandémie, Mme Kayess a déclaré ailleurs que "la dévalorisation des personnes handicapées est ancrée dans les lois, les politiques et les pratiques, préjugeant des décisions concernant les personnes qui méritent de recevoir des soins de santé intensifs et des mesures de maintien des fonctions vitales. Le validisme sur lequel j'écris dans le cadre de mon travail est devenu un rappel effrayant et accablant du fait que l'on peut facilement m’écarter pour sauver de 'vraies' personnes" (Kayess, 2020). Au niveau mondial, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies a exprimé sa "grave préoccupation" face aux effets dévastateurs de la pandémie de COVID-19 sur les personnes handicapées, soulignant que "la discrimination et l'inégalité préexistantes font que les personnes handicapées sont l'un des groupes les plus exclus en termes d'actions de prévention, de réponse sanitaire et de mesures de soutien économique et social, et parmi les plus durement touchés en termes de risque de transmission et de décès réels" (Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies, 2020).
Dans un article examinant l'impact du validisme sur les décisions de soins en cas de pandémie, la bioéthicienne (et signataire de la déclaration australienne de préoccupation) Jackie Leach Scully a écrit : "Une des interprétations de cette discrimination est une dévalorisation pure et simple de la vie des personnes handicapées. En pratique, il est plus probable qu'il s'agisse d'une forme complexe (mais non moins inacceptable) de validisme, défini comme les pratiques de la société contemporaine qui excluent, éliminent et oppriment les personnes souffrant de déficiences sensorielles, physiques ou intellectuelles" (Scully 2020 en ligne, p. 2). Cet article identifie trois postulats validistes sous-jacents concernant le handicap, à savoir : l'état de santé général, la qualité de vie et l'utilité sociale. En ce qui concerne l'état de santé, par exemple, il note que certains protocoles de triage "semblent reposer sur l'hypothèse que le handicap va nécessairement de pair avec un état de santé dégradé. En fait, le handicap en tant que tel n'a souvent aucun impact sur la santé globale. […] Ce qui rend le terrain éthique plus compliqué ici, c'est que certaines affections invalidantes impliquent des problèmes de santé qui sont importants pour le rétablissement à la suite du COVID-19. […] Néanmoins, l'ampleur des variations individuelles implique que les catégorisations globales basées uniquement sur des étiquettes diagnostiques peuvent facilement créer des injustices" (Scully 2020, en ligne, p2). Il est essentiel de faire la distinction entre le général et l'individuel, "d'autant plus que la bioéthique et l'éthique médicale ont toutes deux la triste réputation de simplifier à l'extrême la diversité théorique et expérientielle cachée sous l'étiquette du handicap" (Scully 2020, en ligne, p. 2).
Dans leur analyse du handicap, de la communication et de la pandémie de COVID-19, Gerard Goggin et Katie Ellis ont écrit que la période de la pandémie représente "une nouvelle phase du validisme profond intriqué dans les fondements même de ce que les humains pensent être la vie, et qui devrait vivre" (Goggin et Ellis 2020, p.174). Iels soutiennent que le traitement du handicap pendant la pandémie a révélé une "biopolitique du handicap" (invoquant le récit de Mitchell et Snyder (2015)), qui sape "les perspectives de garantir la santé et le bien-être et dégrade davantage l'égalité sociale et la participation" (Goggin et Ellis 2020, p. 174). Iels concluent : " Dit rapidement, un validisme recrudescent et odieux a sous-tendu la conceptualisation, les affects, les plans et les pratiques pour savoir qui serait soigné ; en particulier dans les situations extrêmes où les ressources médicales venaient à manquer, comme les équipements de protection individuelle (EPI, un acronyme gravé dans nos cœurs), rares mais indispensables, et les respirateurs totémiques.[…] Nous découvrons, grâce au handicap, des vérités sur nos sociétés et sur qui et quoi compte, en fin de compte" (Goggin et Ellis 2020, 175).
Conclusion
Fondés sur des conceptions préjudiciables et inconsistantes de ce qu'est une vie bonne et précieuse, les crimes nazis du Krankenmorde ont d'abord visé à empêcher la vie de celleux qui auraient pu naître avec une maladie ou un handicap héréditaire (ou d'autres caractéristiques également jugées socialement indésirables), puis ont étendu ces objectifs à l'"euthanasie" des personnes dont la vie était jugée indigne d'être vécue. Entre 1933 et 1945, près de 300 000 personnes malades ou handicapées ont été assassinées et 360 000 stérilisées par des médecins, des infirmières et des fonctionnaires de la santé du régime nazi, qui ont utilisé des méthodes brutales et violentes.
Les retards historiques, juridiques et politiques et la réticence à reconnaître ces crimes et ce groupe de victimes ont été similaires dans le domaine de la bioéthique. En conséquence, l'ampleur des crimes de Krankenmorde et de ses victimes, sa relation avec l'Holocauste et son importance contemporaine pour la bioéthique et la société en général, sont moins reconnues ou comprises que d'autres crimes médicaux nazis, tels que les tristement célèbres expériences sur les prisonnier·es. Malgré les limites d'une grande partie des sources documentaires - souvent des dossiers médicaux ou des rapports d'auteurs et tous présentés dans le contexte de nos valeurs et discours contemporains - nous avons cherché ici à attirer l'attention sur la vie des victimes du Krankenmorde, historiquement négligées et marginalisées.
Nous partageons le point de vue selon lequel la théorie et la pratique de la bioéthique ont beaucoup à gagner en s'engageant davantage dans l’étude de cette histoire (et dans les études sur le handicap, les droits de l'homme et les études sur la mémoire), notamment en remettant en question le validisme qui continue de dominer les débats bioéthiques qui affectent les droits des personnes handicapées. Les questions contemporaines de bioéthique et de handicap liées à l'allocation des ressources sanitaires offrent d'importantes opportunités de reconsidérer les enseignements à tirer du Krankenmorde et du travail de la bioéthique.
Publication originale (08/07/2022) :
Bioethics and the Holocaust.
The International Library of Bioethics,
vol 96. Springer, Cham.
· Cet article fait partie de notre dossier Eugénisme pandémique du 12 avril 2023 ·
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L'un des groupes délibérément inclus dans les assassinats T4 était celui des patient·es médico-légaux, dont le nombre avait considérablement augmenté en raison de la "Loi contre les criminels habituels dangereux et sur les mesures de sécurité et de redressement" de 1933. Cette loi permettait d'interner des personnes si la "sécurité publique" l'exigeait et autorisait également la "détention préventive", que le régime nazi utilisait également pour persécuter les opposant·es politiques et les groupes sociaux en marge de la société (Ley et Hinz-Wessels 2012, 99).
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Australie (Victoria, Australie occidentale, Tasmanie (à partir de 2022), Australie méridionale et Queensland (à partir de 2023)) ; Nouvelle-Zélande ; États-Unis (Oregon, Washington, Vermont, Californie, Colorado, Hawaï, New Jersey, Maine, District de Columbia et Montana) ; Pays-Bas ; Belgique ; Luxembourg ; Canada (fédéral et Québec) ; Colombie ; et Suisse (End of Life Law in Australia 2020).