Comment l'argent de l’extrême-droite libertarienne structure le débat sur la protection des enfants face au Covid | Alex Kotch, Walker Bragman
La fin du port du masque dans les écoles est également due à une campagne portée par les intérêts financiers de l’extrême-droite libertarienne. Ces intérêts se sont immiscés dans le débat sur l'éducation, faisant d'abord pression pour la réouverture des écoles, puis luttant contre les mesures de protection, alors même que le nombre de cas de COVID augmentait et que des enfants se retrouvaient à l'hôpital.
Alex Kotch, journaliste d'investigation, sa spécialité est de suivre l'argent. Il est actuellement journaliste d'investigation au Center for Media and Democracy, où il suit les réseaux de financement de la droite, et contribue à la rédaction de Sludge, un site d'information sur l'argent en politique qu’il a participé à lancer.
Walker Bragman, journaliste indépendant et dessinateur basé à New York. Son travail a été publié dans Paste Magazine, Salon, The Hill et TATM, The Huffington Post, Jacobin pour ne citer qu'eux.
· Cet article fait partie de notre dossier Enfants du 21 novembre 2022 ·
À la fin du mois dernier, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) ont publié de nouvelles directives sur le port du masque, assouplissant considérablement les recommandations pour une majeure partie du pays, et en particulier dans les écoles. Suite à ces nouvelles règles des CDC, de nombreux États démocrates qui imposaient encore le port de masques dans les écoles ont annoncé qu'ils mettaient fin à cette obligation, notamment New York, la Californie, l'Oregon et Washington. Aujourd'hui, le seul État qui ne prévoit pas de mettre fin au port du masque dans les écoles d'ici la mi-mars est Hawaï.
Les parents d'élèves ont pu être déconcerté·es par cette évolution, puisque l'Académie américaine de pédiatrie et le président de l'Association médicale américaine continuent de recommander le port du masque dans les écoles - et une semaine avant l'annonce du CDC, la directrice de l'agence avait déclaré que le CDC ne prévoyait pas de mettre à jour ses directives dans l'immédiat. Les sondages ont montré un fort soutien en faveur de l'obligation du port du masque à l'école, et en janvier, des enseignant·es et des étudiant·es avaient organisé des manifestations dans tout le pays pour demander des protocoles de prévention encore plus stricts face au COVID. Les opinions divergentes sur la question et les directives contradictoires exercent une pression supplémentaire sur le personnel enseignant du pays, déjà débordé. Une enquête récente auprès des enseignant·es américain·es a montré que plus de la moitié d'entre ell·eux étaient sur le point de quitter leur emploi en raison du stress lié à la pandémie.
Encore plus inquiétant pour de nombreux·ses parents et enseignant·es : la semaine dernière, de nouvelles données tendent à prouver que le vaccin Pfizer, la seule option approuvée pour les enfants âgé·es de 5 à 11 ans, protégeait contre l'hospitalisation mais n'offrait pratiquement aucune protection contre l'infection pour cette tranche d'âge.
La mise à jour des directives du CDC indique que le parti Démocrate est passé de la lutte contre le virus à son acceptation comme faisant partie de la vie - y compris dans les écoles. La nouvelle approche a probablement été façonnée par un certain nombre de facteurs, notamment la baisse des chiffres du COVID, des inquiétudes concernant la lassitude du public à l'égard du COVID, et le fait que beaucoup de cell·eux qui seraient maintenant les plus exposé·es au risque de maladie grave sont celleux qui ont refusé de se faire vacciner pour des raisons non médicales.
Mais la fin du port du masque dans les écoles est également due en partie à une campagne portée par les intérêts financiers de l’extrême-droite libertarienne, notamment le réseau d'argent sombre1 du milliardaire du pétrole Charles Koch, en faveur d’une ouverture du pays afin de maintenir les bénéfices des entreprises. Ces intérêts se sont immiscés dans le débat sur l'éducation, faisant d'abord pression pour la réouverture des écoles, puis luttant contre les mesures de protection dans les écoles, alors même que le nombre de cas de COVID augmentait et que des enfants se retrouvaient à l'hôpital. Depuis près de deux ans, ces groupes font la promotion d'une science douteuse et créent des divisions entre les parents, les enseignant·es et les administrateur·ices afin de remettre l'Amérique au travail - même au détriment des enfants du pays.
"Exploiter la pleine capacité productive de la main-d'œuvre"
Lorsque la pandémie a frappé pour la première fois les États-Unis au printemps 2020, les groupes affiliés à Koch y ont vu une occasion de réaménager le système éducatif, en s'éloignant des écoles publiques au profit d'alternatives privées et d'enseignement à domicile. Koch et son frère David, décédé en 2019, avaient passé des décennies à combattre les syndicats d'enseignant·es, à pousser la privatisation des écoles et à attaquer le financement de l'éducation par l'État.
Le 13 mars 2020, Yes Every Kid - un groupe fantôme fondé par le réseau Koch en 2019 dans le cadre d'une campagne plus large pour modeler l'éducation de la maternelle jusqu'au secondaire dans tous les États - a lancé une campagne #LearnEverywhere promouvant l'apprentissage à distance et l'enseignement à domicile. Trois jours plus tard, le Cato Institute, un think tank libertarien cofondé et largement subventionné par Koch, a publié un communiqué déclarant que les États-Unis pourraient "s’inspirer" des écoles à chartes, du privé et de l'enseignement à domicile "si l'école publique en présentiel était substantiellement perturbée."
La Heritage Foundation, un organisme de droite à but non lucratif largement subventionné par la Charles Koch Foundation et le Charles Koch Institute, a également publié des articles en mars 2020 en faveur de l'utilisation des fonds de l'école publique pour financer l'éducation à domicile des enfants. L'analyste politique principal de Heritage, Jonathan Butcher, a rédigé une note politique pour le Mercatus Center, un think tank promoteur du libre-marché basé à l'Université George Mason, fondé et financé par les Kochs, appelant à canaliser les fonds de l'État vers des entreprises d'écoles à charte à but lucratif fournissant un apprentissage virtuel.
Le message a été diffusé par d'autres groupes dans l'orbite de Koch, notamment son organisation phare de défense des intérêts politiques, Americans For Prosperity (AFP), l'Independent Women's Forum, un groupe d'argent sombre financé par les organisations de Koch et les héritiers de la fortune de Walmart, et le State Policy Network, un réseau d'organisations politiques libertariennes disséminées à travers les différents Etats.
Mais en l'espace de quelques mois, le discours autour des écoles de l'univers Koch a commencé à changer, coïncidant avec leurs préoccupations croissantes concernant la pénurie de main-d'œuvre et l'évolution des dynamiques sur les lieux de travail causées par les fermetures d'écoles à l'échelle nationale. Selon Education Week, 55,1 millions d'élèves ont été touché·es par ces fermetures au plus fort de la crise.
Ces fermetures ont entraîné une perte de services de garde d'enfants pour de nombreux parents, ce qui a contribué à l'effondrement de la participation au marché du travail au début de la pandémie. Dans un guide sur la réouverture des écoles publié en avril 2020 par le cabinet de conseil McKinsey & Co, qui compte parmi ses client·es un grand nombre des plus grandes entreprises du monde, on estime que 27 millions d'Américain·es dépendent de la garde de leurs enfants pour travailler.
"Lorsqu'une proportion importante de travailleur·euses dépend de l'école pour la garde de leurs enfants, la réouverture des écoles (au moins pour les plus jeunes) pourrait être une condition préalable à l'exploitation de la pleine capacité de production de la main-d'œuvre", note le rapport.
Le resserrement du marché du travail a modifié les relations entre les employeur·euses et leurs employé·es, qui ont commencé à exiger plus de flexibilité et un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Les entreprises ont été contraintes de réagir en augmentant les salaires - bien que de manière insuffisante - afin d'attirer les travailleur·euses.
Des entreprises comme celle de Koch étaient désireuses d'imposer un retour à l'ancien paradigme. Ces intérêts avaient déjà commencé à employer les mêmes think tanks et réseaux à prétentions universitaires qu'ils avaient mis en place une décennie auparavant pour promouvoir le mouvement anti-gouvernement du Tea Party afin d'alimenter et de légitimer les attaques contre les mesures de protection en cas de pandémie, de manière à forcer un retour à la normale et à augmenter les profits des entreprises.
Aujourd'hui, ces intérêts ont commencé à utiliser le même mode opératoire pour tenter de forcer les écoles à revenir à la normale.
"Garder les enfants à la maison pourrait les exposer à des risques importants"
Les groupes qui avaient célébré l'enseignement à distance comme une possibilité d'alternative à l'école publique ont commencé à exiger la réouverture des écoles, en invoquant des préoccupations relatives au retard d'apprentissage et à la santé mentale des élèves. Ces groupes ont minimisé les risques que représentent le virus et reproché aux syndicats d'enseignant·es de retarder le retour à la normale.
En mai 2020, deux mois après que l'Organisation mondiale de la santé a déclaré que le COVID était une pandémie mondiale, la Hoover Institution, un think tank libertarien basé à l'université de Stanford qui a reçu un soutien substantiel de Koch au fil des ans, a organisé une conférence virtuelle au cours de laquelle Eric Hanushek, membre senior, a affirmé que l'enseignement à distance entraînait une perte d'apprentissage chez les étudiant·es aux ressources limitées et nuisait à la "prise de responsabilités des enseignant·es" en raison de l'élimination des tests standardisés.
Le think tank d'extrême droite American Enterprise Institute (AEI), affilié à Koch, a quant à lui publié un "plan directeur" de réouverture des écoles, invoquant la nécessité de remettre les parents au travail. Le State Policy Network et ses partenaires ont également commencé à faire pression pour la réouverture des écoles.
La campagne de réouverture soutenue par les Kochs est passée à la vitesse supérieure après que le président Donald Trump, confronté à l’impact du ralentissement de la reprise du marché du travail sur une éventuelle réélection, a tweeté début juillet 2020 : "LES ÉCOLES DOIVENT OUVRIR" à l'automne.
Deux jours après le tweet de Trump, Yes Every Kid a publié un guide pour la réouverture des écoles. Peu après, Scott Atlas, membre senior de Hoover, un radiologue que Trump allait bientôt nommer conseiller principal sur le COVID, a appelé à la réouverture des écoles dans une interview publiée le même jour. Atlas a fait valoir que les écoles étaient une "activité essentielle" et que le risque que le COVID présentait pour toute personne de moins de 18 ans était extrêmement faible.
Quelques jours plus tard, la Heritage Foundation s'est jointe à eux, affirmant dans un article en ligne que l'apprentissage en présentiel était probablement "l'une des activités les plus sûres que la nation puisse relancer", et que "garder les enfants à la maison pourrait les exposer à des risques considérables pour leurs progrès éducatifs, leur santé mentale, leur nutrition, et de manière alarmante, même leur sûreté et leur bien-être".
Le lendemain, l'American Institute for Economic Research (AIER) a également commencé à attaquer l'enseignement à domicile. Ce think tank libertarien soutenu par les Kochs a commencé par publier un article avertissant que la fermeture des écoles pourrait avoir des "conséquences indésirables" qui "seront bien plus graves que les problèmes qu'elle cherche à résoudre". Plus tard dans l'automne, l'institut a acquis une certaine notoriété en soutenant la production de la Great Barrington Declaration, un document appelant les gouvernements à rechercher une immunité collective contre le COVID par le biais de l’ "infection naturelle", tout en ne mettant en place qu'une mystérieuse "protection ciblée" pour les personnes vulnérables.
Le retour à la scolarisation en présentiel s'est poursuivi tout au long de l'été et à l'automne. L' Americans For Prosperity (AFP), le groupe phare de Koch, a lancé un appel à recrutement en ligne pour que les gens contactent les législateur·ices de l'État du Kansas et les exhortent à donner aux districts scolaires et aux écoles de la "flexibilité" sur les choix d’ouverture. Une semaine plus tard, le Mercatus Center a publié une note d'orientation mettant en garde contre les "séquelles éducatives" si les écoles restaient fermées. Mercatus a ensuite commencé à financer le travail d'Emily Oster, professeure d'économie à l'université de Brown et blogueuse spécialisée dans l'éducation des enfants, après qu'elle eut commencé à publier des recherches et des articles controversés soutenant la réouverture des écoles et minimisant les risques concernant les enfants et le COVID.
Le 12 août 2020, l'Independent Women's Forum a appelé à la réouverture des écoles à travers le pays, citant les impacts néfastes sur l'apprentissage et le bien-être mental des élèves. Et en octobre 2020, le Hoover's Center for Research on Education Outcomes a publié une étude estimant qu'au printemps 2020, les élèves ont perdu de 57 à 183 jours d'apprentissage en lecture et de 136 à 232 jours d'apprentissage en mathématiques.
Les grands groupes industriels ont également combattu les fermetures d'écoles, notamment la Chambre de commerce des États-Unis, le principal groupe de pression des entreprises du pays. En septembre 2021, Neil Bradley, vice-président exécutif et responsable des politiques de la Chambre, a déclaré que "les écoles doivent rouvrir complètement" afin de contribuer à résoudre la pénurie de main-d'œuvre.
"Les dangers des masques"
Lorsque les écoles ont commencé à rouvrir sous la nouvelle administration Démocrate, les groupes liés à Koch ont adopté une ligne plus dure. À l'approche des élections de 2021, ces organisations ont commencé à s'opposer à l'obligation du port du masque à l'école pour les élèves et les enseignant·es, en plus des fermetures.
Selon les observateur·ices, les intérêts commerciaux ont probablement vu les masques comme un frein au retour à la normale économique pré-pandémique, étant donné qu'ils sont un rappel de la crise de santé publique en cours. Bien que l'économie soit repartit en 2021, le nombre de travailleur·euses et d'emplois n'avait toujours pas retrouvé un niveau pré-pandémique à la fin de l'année. En janvier 2022, l'économie comptait 4,4 millions d'emplois et 2,7 millions de travailleur·euses en moins.
"Les politiques relatives au COVID dans les écoles ont souvent été à l'avant-garde des pressions visant à rouvrir la société de manière plus générale", a déclaré l'épidémiologiste social Justin Feldman du Centre FXB pour la santé et les droits de humains de Harvard. "La suppression des mesure de port du masque à l'école (avec la fin de la quarantaine et de l'isolement qui s'ensuivra probablement) peut être considérée comme une nouvelle pression pour amener les gens à accepter le statu quo."
L'AIER, le think tank à l'origine de la Great Barrington Declaration, a été l'un des premiers à sonner l’alarme, avertissant dans un article anti-masque d'avril 2021 : "Nous sommes en territoire inconnu, surtout en ce qui concerne les implications possibles pour nos enfants."
L'Independent Women's Forum, quant à lui, a commencé à faire circuler une lettre type que les parents peuvent envoyer à leurs conseils scolaires, demandant la fin du port obligatoire des masques à l'école, citant le potentiel des masques à augmenter l'anxiété et la dépression, à retarder la socialisation et la communication, à causer des maux de tête et des éruptions cutanées, et à favoriser les caries. Puis, en octobre, l'AFP de Koch s'est rangée derrière le républicain Glenn Youngkin dans la course au poste de gouverneur de Virginie, qui avait fait de la réouverture des écoles et de la suppression des masques les éléments centraux de sa campagne. L'AFP a dépensé 950 000 dollars pour soutenir Youngkin - bien plus que pour tous leurs autres groupe de dépenses extérieures. Je sais pas si c’est le pôle de dépense le plus important du groupe, ou la contribution principale à sa campagne.
Dans le même temps, certains de ces groupes ont commencé à travailler pour étouffer les poursuites potentielles liées à la suppression des mesures d'atténuation du COVID. Peu de temps après l'investiture du nouveau président, l'AFP a publié une liste de propositions pour mettre fin à la pandémie, qui prévoyait notamment de fournir aux écoles des moyens de se défendre de toutes poursuites dans le cadre d'une offensive plus large pour remettre les Américain·es au travail. La branche de lobbying de la Heritage Foundation, quant à elle, a fait pression sur le Congrès au sujet de l'Open Schools Responsibly Act, un projet de loi du GOP visant également à assurer aux écoles une exonération de toutes responsabilités dans les transmissions et les cas de COVID.
Cet hiver, alors que le variant Omicron avait fait grimper en flèche le nombre de cas et menaçait de provoquer une fois de plus la fermeture des écoles, les think tanks liés aux entreprises ont redoublé d'efforts. Au cours du quatrième trimestre de 2021, la Chambre a appuyé le projet de loi No Mask Mandates Act de la représentante conservatrice du Colorado Lauren Boebert, qui vise à interdire les mesure de port du masque dans tout le pays.
Et début janvier, le Cato Institute et un autre think tank libertarien affilié au State Policy Network, la Foundation for Economic Education, ont publié un éditorial prédisant que la fermeture d'écoles et d'autres mesures d'atténuation pousseraient les parents vers des alternatives à l'écoles publiques. Selon l'article, "c'est aux parents de s'assurer que leurs enfants ont l'enfance normale et libre qu'ils méritent."
Quelques semaines plus tard, alors que les hospitalisations d'enfants dues au COVID se multipliaient, Cato a affirmé que les fermetures d'écoles liées à Omicron étaient motivées par des raisons politiques et étaient la faute des syndicats d'enseignant·es.
Peu de temps après, The Federalist, un magazine en ligne conservateur qui a reçu des financements du fonds d'argent sombre DonorsTrust subventionné par les Kochs, a publié un avis selon lequel les parents devraient retirer leurs enfants des écoles publiques pour protester contre les obligations de port du masque, les quarantaines et autres affronts perçus à la liberté individuelle.
"Si les parents voulaient être vraiment efficaces - ainsi que vraiment honnêtes - ils retireraient leurs enfants des écoles en masse jusqu'à ce que ces problèmes si sérieux soient résolus avantageusement", a écrit Joy Pullman, rédactrice exécutive du Fédéralist, diplômée de l'institution chrétienne conservatrice financée par Koch, Hillsdale College. "Les arrêts maladie et les manifestations sont des formes très efficaces de guerre contre les enfants menées en permanence par les syndicats d'enseignant·es [sic]."
Le Brownstone Institute, un organisme à but non lucratif basé à Austin, au Texas, fondé en mai 2021 par Jeffrey Tucker, ancien directeur éditorial de l'AIER et ancien directeur du contenu de la Foundation for Economic Education, s'attaque au port du masque dans les écoles au moins depuis octobre 2021. Le groupe, qui se présente comme "l'enfant spirituel" de la Great Barrington Declaration, a affirmé que les masques ne fonctionnent pas, qu'ils pourraient aider le virus à se propager davantage, qu'ils peuvent provoquer un brouillard cérébral et nuire aux enfants - en particulier à cell·eux qui sont handicapé·es.
Pendant ce temps, la nébuleuse de think tanks liée aux Koch ont également travaillé discrètement pour soutenir les actions locales visant à mettre fin au port du masque.
Le Maine Policy Institute a mis en ligne une pétition sur son site web pour s'opposer aux obligations du port du masque dans les écoles, arguant que "de nombreux parents ne sont pas à l'aise avec l'obligation de faire porter un masque à leurs enfants dans les écoles" et que "les familles méritent un choix". The Federalist a contribué à promouvoir un procès contre les responsables de l'État de l'Indiana concernant les mesures d'atténuation dans les écoles, intenté par des parents qui ont prétendu à tort que le COVID n'était pas infectieux chez les enfants.
Le réseau Koch a également des liens avec l'association à but non lucratif Parents Defending Education (PDE). Fondée au début de l'année 2021, PDE promeut l'enseignement privé et combat l'"endoctrinement" libéral au sein des écoles publiques du pays, souvent en suscitant la colère des conseils scolaires. La vice-présidente de l'association, Astra Nomani, ainsi que sa directrice de l'action sociale, Erika Sanzi, ont critiqué avec véhémence le port du masque à l'école, et l'organisation tient un répertoire des groupes de parents conservateurs qui soutiennent la suppression de ces obligations et d'autres causes conservatrices.
"Certains enfants vont mieux et d'autres vont en soins intensifs"
Malgré les réticences des opposant·es aux masques, il existe peu de preuves que les masques et autres mesures de protection à l'école nuisent aux enfants. Bien que les recherches soient limitées, celles existantes suggèrent que les masques n'altèrent pas la capacité des enfants à lire les émotions, à apprendre à parler ou à respirer, et qu'ils ne causent pas de préjudice psychologique. Le seul groupe d'élèves pour lequel il a été démontré que le port de masques pouvait poser des difficultés est celui des enfants ayant des besoins spécifiques.
"Bien que des risques et des avantages potentiels aient été suposés, le scénario le plus probable est que le port d'un masque pendant les sorties ou les séances scolaires n'aura qu'un impact minimal sur le développement de l'enfant", a déclaré le psychiatre pour enfants et adolescents Tyler Black, directeur médical du service d'urgence psychiatrique pour enfants et adolescents de l'hôpital pour enfants de Colombie-Britannique à Vancouver, qui critique depuis longtemps l'invocation de raisons de santé mentale pour justifier de réduire les protections en période pandémique.
De nombreux·ses pédiatres sont très inquièt·es de la fin des obligations de masque dans les écoles.
"Nous sommes en fait surpris·es que les gens veuillent supprimer certaines de ces mesures de prévention combinées dont nous savons qu'elles fonctionnent", a déclaré Christina Johns, pédiatre urgentiste chevronnée, conseillère médicale principale et vice-présidente des communications pour PM Pediatrics, le plus grand prestataire de soins pédiatriques d'urgence du pays.
Mme Johns a déclaré qu'elle n'avait "rien vu dans sa pratique ou dans les faits qui indique que le port d'un masque entraîne des effets indésirables importants sur l'apprentissage". Elle ajoute que la diffusion majeure des théories du complot et la méfiance à l'égard des expert·es ont "brisé [son] esprit".
Natasha Burgert, pédiatre basée au Kansas, partage les inquiétudes de Johns concernant l'abandon des masques et des autres mesures de protection. "Vous ne pouvez pas abandonner l'une des mesures les moins chères, les plus faciles et, honnêtement, à grande échelle, probablement l'une des plus efficaces si l'on considère le nombre d'écolier·es qu'elle protège", a-t-elle déclaré.
Mme Burgert s'est dite favorable à l'apprentissage en présence avec des mesures d'atténuation appropriées et des options à distance. Elle pourrait même envisager l'abandon des masques à condition que d'autres mesures soient prises, comme une filtration de l'air à haute efficacité dans chaque salle de classe et des campagnes de tests réguliers, dans lesquelles les échantillons de plusieurs personnes sont testés en groupe, ce qui augmente l’efficacité et le volume. Elle a toutefois fait remarquer que, dans la plupart des cas, les écoles privées sont les seules à disposer des ressources nécessaires pour mettre en œuvre de tels dispositifs.
En attendant, Mme Burgert s'inquiète des conséquences de l'absence de protection de tant d'enfants contre un virus dont on ignore encore beaucoup de choses.
"Certain·es enfants vont mieux et d'autres vont en soins intensifs, et nous ne pouvons pas le prévoir", a déploré Mme Burgert. "Et c'est effrayant, en tant que prestataire de soins, quand un enfant vient vous voir et vous regarde, et qu'il se demande, vais je m'en sortir ?"
"Nous avions affaire à un monstre"
La campagne de retour à la normale dans les écoles, soutenue par les entreprises, a connu un succès remarquable. La récente volte-face du CDC sur les masques a fait suite à des semaines de pression de la part des médias déclarant qu'il était temps de revenir à la scolarité pré-pandémique. En janvier, des médias comme The Atlantic, le New York Times et le Washington Post ont publié des articles d'opinion appelant à mettre fin à l'obligation de porter un masque à l'école. Les collaborateur·ices des chaînes d'information câblées se sont joint·es à ell·eux, comme la médecin Leana Wen, qui a déclaré dans l'émission Anderson Cooper 360 de CNN que "la science a changé".
Aujourd'hui, l'écrasante majorité des écoles des États-Unis sont ouvertes et la plupart des États n'exigent pas de masques, quel que soit le statut vaccinal. Sept États ont carrément interdit le port du masque dans les écoles.
Les Démocrates ont pris un sérieux coup politique lorsque les mesures de protection face au COVID dans les écoles sont devenues un sujet de discorde. À la fin du mois de janvier, le parti était confronté à une baisse d'enthousiasme à deux chiffres chez les électeur·ices. Les républicain·es ont réussi à se positionner comme le parti anti-mesures et anti-fermeture des écoles, et les gouverneur·es démocrates ont réagi en assouplissant les exigences en matière de port du masque.
La radicalisation croissante des opposant·es aux protocoles de prévention scolaire complique encore la question. Des conseils scolaires de tout le pays ont signalé avoir reçu des menaces concernant les mesure de port du masque et les programmes scolaires.
Un récent sondage interne du Comité de campagne du Congrès démocrate, le comité du parti qui élit les candidats à la Chambre des représentants, a révélé que les attaques des Républicain·es sur la gestion de la pandémie par les Démocrates ont une "crédibilité alarmante". D'après ce sondage, 57% des électeur·ices des districts décisifs sont d'accord avec l'affirmation selon laquelle "les Démocrates du Congrès sont allé·es trop loin dans leur réponse à la pandémie".
Mais de nombreux·ses parents ne sont pas prêts à exposer leurs enfants au COVID sans protection de base. C'est le cas de Kim Hough, mère d'un élève de CE2 et d'un élève de grande section dans le comté de Brevard, en Floride. En octobre dernier, pour lutter contre les actions visant à mettre fin aux obligations locales de port du masque dans les écoles, Mme Hough et d'autres parents préoccupé·es ont créé l'association Families for Safe Schools. "Nous voulions simplement que nos enfants soient protégé·es contre les maladies et qu'iels puissent quand même aller à l'école", a-t-elle déclaré.
Families for Safe Schools est née en réponse à une organisation anti-masque appelée Moms For Liberty (MFL) - un groupe conservateur financé par de l'argent sombre qui a maintenant des sections dans tout le pays. En mai, MFL s'est associé au groupe fantôme Parents Defending Education, lié aux Kochs, et le site Web de MFL dirige les parents vers la Heritage Foundation, financée par les Kochs, ainsi que vers le Leadership Institute, un organisme de formation pour jeunes conservateur·ices basé en Virginie, qui est également membre associé du State Policy Network, soutenu par les Kochs. Le site de MFL renvoie également au groupe juridique de l'ancien conseiller de Trump Stephen Miller, America First Legal.
Au vu de l'activité très médiatisée de MFL - apparitions publiques avec le gouverneur de Floride Ron DeSantis (Républicain), reportages des principaux médias conservateurs, et son ascension rapide au niveau national - Hough en est venu à penser que l'organisation dispose d'un financement important provenant d'intérêts de grands capitaux.
"Il a commencé à devenir tout à fait évident, étant donné la rapidité de leur mobilisation et leur émergence dans tous les États du pays, que nous avions affaire à un monstre", a-t-elle déclaré. "C'est une machine bien huilée".
Malgré cette puissante opposition, Mme Hough n'abandonne pas. Elle se présente maintenant pour un siège au conseil scolaire de son comté pour contrer ce qu'elle considère comme un projet de sape de l'éducation publique et d'endoctrinement des enfants dans une idéologie destructrice.
"J'ai vraiment l'impression que nous sommes au bord du précipice d'une nation bouleversée, et pas dans le bon sens", dit-elle. "Tout ce pour quoi nous avons travaillé en tant que pays pour arriver là où nous sommes maintenant depuis environ 70 ans, nous allons littéralement le perdre."
Publication originale (08/03/2022) :
The Lever
· Cet article fait partie de notre dossier Enfants du 21 novembre 2022 ·
Dark money traduit ici par argent sombre : est un concept propre au système américain, il s’agit de fonds de dotation visant à influencer la politique du pays, détenus la plupart du temps par des organisations à but non-lucratif qui n’ont pas d’obligation de spécifier l’origine des dons qui leur sont fait.