Une attaque des vaisseaux sanguins pourrait déclencher la "deuxième phase" mortelle du Covid-19 | Catherine Matacic
Les patient·es atteint·es du COVID-19 présentaient des symptômes étranges pour ce que l'on pensait alors être principalement une infection respiratoire. De nombreu·ses patient·es présentaient une insuffisance rénale aiguë, des lésions organiques et de mystérieux caillots sanguins. Quelques semaines plus tard, le premier corps a été autopsié : de minuscules caillots et des cellules mortes jonchaient les capillaires des poumons, et l'inflammation avait distendu les vaisseaux sanguins alimentant tous les organes du corps.
Catherine Matacic est journaliste à Science.
· Cet article fait partie de notre dossier Le Covid-19, une maladie vasculaire ·
Frank Ruschitzka a demandé à son pathologiste d'être prêt avant le décès du premier patient atteint de COVID-19. Début mars, M. Ruschitzka, qui dirige le service de cardiologie de l'hôpital universitaire de Zurich, a remarqué que les patient·es atteint·es de la maladie présentaient des symptômes étranges pour ce que l'on pensait alors être principalement une infection respiratoire. De nombreu·ses patient·es présentaient une insuffisance rénale aiguë, des lésions organiques et de mystérieux caillots sanguins. Quelques semaines plus tard, le premier corps a été autopsié : de minuscules caillots et des cellules mortes jonchaient les capillaires des poumons, et l'inflammation avait distendu les vaisseaux sanguins alimentant tous les organes du corps.
Le pathologiste n'avait jamais rien vu de tel. Mais les résultats ont montré à Ruschitzka pourquoi ses patient·es souffraient tant : le virus avait ciblé leurs vaisseaux sanguins.
Depuis la publication des résultats de l'équipe zurichoise à la mi-avril, des dizaines d'études ont montré des schémas similaires de lésions vasculaires chez les personnes décédées du COVID-19. Par exemple, un article publié le 21 mai dans le New England Journal of Medicine a montré que les poumons des mort·es du COVID-19 présentaient neuf fois plus de caillots que ceux des personnes décédées de la grippe H1N1. D'autres études ont mis en évidence des symptômes inflammatoires chez les enfants et des accidents vasculaires cérébraux chez de jeunes adultes par ailleurs en bonne santé. Aujourd'hui, les chercheur·euses ont intégré ces résultats dans une nouvelle hypothèse expliquant pourquoi certain·es patient·es passent dans une "seconde phase" fatale du COVID-19, environ une semaine après leur hospitalisation.
La clé réside dans les dommages directs et indirects causés aux cellules endothéliales qui tapissent les vaisseaux sanguins, notamment dans les poumons, explique Peter Carmeliet, biologiste vasculaire à l'institut de recherche belge VIB et co-auteur d'un article publié le 21 mai dans Nature Reviews Immunology. En s'attaquant à ces cellules, l'infection par COVID-19 provoque une perméabilité des vaisseaux et une coagulation du sang. Ces changements déclenchent à leur tour une inflammation dans tout le corps et alimentent le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), responsable de la plupart des décès de patient·es.
"C'est un cercle vicieux", explique Nilam Mangalmurti, pneumologue en soins intensifs à l'hôpital de l'université de Pennsylvanie, qui n'a pas participé à la nouvelle recherche.
Ce mécanisme pourrait expliquer pourquoi la maladie frappe de plein fouet certain·es patient·€s souffrant d'obésité, de diabète et de maladies cardiovasculaires : les cellules qui tapissent leurs vaisseaux sanguins sont déjà compromises. Si tel est le cas, les médicaments utilisés pour traiter ces affections pourraient contribuer à empêcher d'autres patient·es atteint·€s de COVID-19 de basculer vers une forme grave de la maladie. "Un vaccin serait formidable", déclare Richard Becker, cardiologue à la faculté de médecine de l'université de Cincinnati, qui a décrit un phénomène de cascade cardiovasculaire similaire dans une étude publiée le 15 mai dans le Journal of Thrombosis and Thrombolytis. Mais en attendant qu'un vaccin sûr et efficace soit disponible, il ajoute que de telles thérapies pourraient être "un bon début".
Chez les personnes en bonne santé, les cellules endothéliales contribuent à réguler la pression sanguine, à prévenir l'inflammation et à inhiber la coagulation, en partie grâce à la production continue d'oxyde nitrique (NO) ; elles servent également de gardiennes pour les molécules qui entrent et sortent de la circulation sanguine. En cas de blessure, elles émettent un ensemble complexe de signaux aux cellules immunitaires et aux facteurs de coagulation, qui s'empressent de réparer le site. Elles avertissent également les autres cellules endothéliales de se tenir en alerte face aux envahisseurs.
Sur la base de rapports d'autopsie comme ceux de l'hôpital de Zurich, de l'épidémiologie de la maladie et de la façon dont le nouveau coronavirus se comporte dans les cellules en laboratoire, Carmeliet et ses collègues pensent que le virus peut rendre ce système incontrôlable.
Lorsque le SARS-CoV-2 pénètre dans les poumons, il envahit les cellules des sacs aériens qui transfèrent l'oxygène au sang. Ces sacs sont entourés de capillaires tapissés de cellules endothéliales. Le virus envahit directement certaines de ces cellules ; d'autres sont "activées", probablement en réponse à des signaux provenant du virus envahissant et d'autres cellules endommagées. Certaines cellules infectées semblent se suicider. "Il ne s'agit pas d'une mort silencieuse où la cellule meurt simplement", explique Mangalmurti. "Tout le contenu de la cellule s'échappe".
Carmeliet et ses collègues suggèrent que des lésions et d'autres changements dans les cellules activées déclenchent des fuites vasculaires, inondant les sacs aériens de liquide, une des caractéristiques du syndrome respiratoire aigu sévère (SDRA). Les globules blancs affluent vers les poumons et la production d'oxyde nitrique s'effondre probablement. Avec les cellules endothéliales activées, les cellules immunitaires libèrent une série de molécules de signalisation, dont les interleukines, qui augmentent la pression sanguine locale et affaiblissent les jonctions cellulaires. Les dommages causés aux cellules endothéliales exposent également la membrane qui se trouve en dessous d'elles.
Cette membrane exposée déclenche à son tour une coagulation incontrôlée. Les cellules endothéliales et immunitaires jettent de l'huile sur le feu en recrutant des facteurs de coagulation et des plaquettes supplémentaires, qui contribuent à la formation de caillots. Ces caillots se dégradent en un biomarqueur clé, le D-dimère, ce qui entraîne des taux élevés qui alertent les clinicien·nes en cas de problème. Ces caillots finissent par se répandre dans tout l'organisme et bloquent l'approvisionnement en sang des organes vitaux.
Ces réactions en chaîne aboutissent à la phase finale et destructrice de l'inflammation. Tout comme la coagulation, l'inflammation est une défense essentielle, qui envoie une armée de cellules et de molécules messagères appelées cytokines pour combattre les envahisseurs et éponger les débris de la bataille. Mais dans le cas du COVID-19, cette réaction devient incontrôlable et provoque une tempête de cytokines mortelle qui plonge l'organisme des patient·es dans un état de choc.
Ruschitzka affirme que l'hypothèse des trois étapes "est parfaitement logique" par rapport à ce qu'il a observé chez ses patient·es ; il a déjà envoyé l'article de Carmeliet à ses collègues. Selon lui, ce faisceau de mécanismes pourrait également expliquer pourquoi certains jeunes gens sans facteurs de risque connus pour le COVID-19 tombent gravement malades : iels pourraient souffrir de troubles de la coagulation ou de troubles auto-immuns non diagnostiqués, tels que la polyarthrite rhumatoïde, qui amplifient les effets de l'infection par le SARS-CoV-2.
Cette nouvelle vision du rôle clé des cellules endothéliales suggère qu'un certain nombre de médicaments existants pourraient atténuer ou même arrêter la deuxième phase fatale de la maladie, selon Becker. Les preuves que l'inflammation et la coagulation jouent un rôle dans le COVID-19 ont déjà inspiré des dizaines d'essais aux États-Unis et en Europe sur des médicaments anti-caillots, anti-inflammatoires et antiplaquettaires.
Ruschitzka pense qu'un autre médicament couramment prescrit pourrait aider : les statines. Généralement prises pour abaisser le taux de cholestérol, elles réduisent également l'inflammation et améliorent la fonction des cellules endothéliales.
Mangalmurti est favorable à ce type d'essais, mais prévient que les patient·es peuvent réagir différemment selon la santé initiale de leurs cellules endothéliales. "Il n'y a pas de solution unique pour toux".
Publication originale (02/06/2020) :
Science
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