Un ouragan tripledémique est à l’approche · Nous avons besoin des masques, pas seulement de tentes médicales | Anne N. Sosin, Lakshmi Ganapathi et Martha Lincoln
Vivre avec les virus devrait signifier adopter des mesures de santé publique simples plutôt que d'apprendre à vivre avec des niveaux de maladie et de décès vertigineux.
Anne N. Sosin est praticienne et chercheuse en santé publique et Policy Fellow au Nelson A. Rockefeller Center du Dartmouth College.
Lakshmi Ganapathi est spécialiste des maladies infectieuses pédiatriques et professeure de pédiatrie à la Harvard Medical School.
Martha Lincoln est professeure adjointe d'anthropologie culturelle et médicale à l'université d'État de San Francisco.
Un ouragan viral s'abat sur les systèmes de soins de santé mis à mal par trois années de pandémie. À quelques semaines du début officiel de l'hiver, les hôpitaux pédiatriques doivent faire face à un nombre écrasant d'enfants atteint·es du VRS et d'autres maladies virales. Les écoles qui avaient promis un "retour à la normale" font maintenant état d'absences généralisées et même de fermetures dues au VRS et à la grippe dans de nombreuses régions du pays, ce qui contribue à l'absentéisme record des parents. Cette année, la saison de la grippe a commencé avec six semaines d'avance et le CDC a déjà déclaré que nous étions en présence d'une épidémie de grippe, les hospitalisations pour cause de grippe ayant atteint un niveau record depuis plus de dix ans.
Une tempête de cette dimension devrait exiger non seulement des mesures cliniques de crise, mais aussi des efforts de prévention communautaire. Pourtant, au lieu de déployer des stratégies de santé publique pour affronter la tempête, les États-Unis les abandonnent.
Avant même l'arrivée de la tripledémie [triple épidémie de Covid-19, Vrs et grippe Ndt], les systèmes de santé américains étaient au bord du gouffre. Mais alors que la vague de maladie de l'automne menace de faire chavirer les hôpitaux, la volonté de déployer des mesures de santé publique s'est également effondrée. Les pédiatres déclarent "C'est notre Mars 2020" et lancent des appels à l'aide alors que les efforts de santé publique pour aplanir la courbe et réduire les taux de transmission du Covid-19 - ou de toute autre maladie infectieuse - se sont effectivement évaporés. Les volumes de patient·es impossibles à gérer sont considérés comme inévitables ou vendus comme le résultat prévisible d'une "dette immunitaire", malgré les doutes considérables qui entourent les fondements scientifiques et l'utilité pratique de ce concept.
La pandémie de Covid-19 aurait dû nous laisser mieux préparés pour affronter cette situation. Elle a aidé le public à comprendre que les virus respiratoires se propagent principalement par le partage de l'air intérieur. Les pratiques de santé publique visant à stopper la propagation du Covid-19 - comme le port du masque, le déplacement des activités à l'extérieur et la limitation des grands rassemblements pendant les vagues de contaminations - ont été intégrées dans la routine quotidienne de nombreux Américain·es. Le VRS et la grippe sont également beaucoup moins transmissibles que le Covid-19, ce qui les rend plus faciles à contrôler par des pratiques de santé publique de simple bon sens.
Cependant, au lieu de renforcer ces pratiques de prévention de première ligne, alors que les unités de soins intensifs pédiatriques débordent et que les salles de classe ferment, les États-Unis s'appuient sur leurs précieuses et fragiles dernières lignes de défense pour combattre la tripledémie : les professionnel·les de la santé et les installations médicales.
Les avertissements et les conseils récemment émis par les responsables de la santé publique, les responsables cliniques, les politicien·nes et les médias américains ont systématiquement omis de mentionner le port du masque comme une puissante stratégie de santé publique à court terme qui peut atténuer la flambée des maladies virales. Au lieu de cela, les directives récentes ont exclusivement encouragé le lavage des mains et les bonnes pratiques en cas de toux. Ces recommandations vont à l'encontre des récents appels à s'appuyer sur une meilleure compréhension de la transmission des virus respiratoires.
En s'efforçant de "tourner la page" sur le Covid, les États-Unis ont créé une "nouvelle normalité" profondément anormale - une normalité qui consiste à recourir à des mesures de crise, comme le traitement des patient·es sous des tentes, au lieu d'utiliser des stratégies de santé publique de bon sens. Traiter le Covid comme la grippe - ou la grippe comme le Covid - signifie en fait que nous ne traitons aucune des deux maladies comme si elles constituaient une menace sérieuse pour les systèmes de santé et la santé publique. Mobiliser les troupes du ministère de la défense et le personnel de l'Agence fédérale de gestion des urgences pour combler les lacunes des systèmes de santé est apparemment plus acceptable que de demander aux gens de porter des masques.
La tripledémie a déjà causé ses premières morts d’enfants aux États-Unis, ce qui vient s'ajouter au nombre important de décès dus au Covid. Laisser les systèmes de santé au en équilibre bord de l'effondrement entraînera de nombreux autres décès évitables parmi les enfants et les autres patient·es vulnérables qui ne peuvent pas accéder aux soins dont ils ont besoin.
Quelle que soit la façon dont on les considère, ces pertes sont choquantes et tragiques. Mais elles devraient nous sembler particulièrement odieuses et honteuses parce que la tripledémie est une crise que les dirigeant·es, les agences de santé et les institutions ont, en un sens, choisie. Au cours de l'année écoulée, l'administration Biden et ses allié·es n'ont cessé d'encourager le public à ne pas prendre de mesures de santé publique, le président ayant même déclaré en septembre que "la pandémie est terminée." En occultant les risques réels et en omettant de préconiser des mesures plus énergiques pour atténuer le Covid, ces messages ont mis le pays sur la voie de la situation actuelle, dans laquelle les enfants atteint·es du VRS sont transféré·es dans des hôpitaux situés à des centaines de kilomètres, faute de pouvoir les traiter dans leur propre communauté.
Vivre avec les virus devrait signifier adopter des mesures de santé publique simples plutôt que d'apprendre à vivre avec des niveaux de maladie et de décès vertigineux. Les leaders de la santé publique et de la médecine devraient émettre des recommandations opportunes et appropriées qui reflètent les dernières avancées scientifiques au lieu de suivre les supposés vents dominants de l'opinion publique. Au lieu d'autocensurer leurs recommandations par crainte des conséquences politiques, ils devraient continuer à promouvoir toute la gamme des stratégies de santé publique, y compris le port du masque dans les lieux publics intérieurs bondés pendant les vagues de contaminations.
La tripledémie devrait redonner un caractère d'urgence aux politiques qui permettent de réduire l'impact des maladies saisonnières sur la santé, l'éducation et l'économie. L'amélioration de la qualité de l'air intérieur dans les espaces publics, notamment les écoles, les garderies et les lieux de travail, peut limiter la propagation des maladies et présente de nombreux avantages avérés pour la santé et l'économie. Pourtant, les États-Unis ne disposent toujours pas de normes pour encadrer les infrastructures et les normes de sécurité sur le lieu de travail. Les congés payés permettant aux travailleurs de rester à la maison lorsqu'ils sont malades peuvent réduire la transmission des maladies ainsi que la perte de revenus, mais les États-Unis sont l'un des seuls pays à revenu élevé à ne pas disposer de congés maladie universels ou de congés médicaux familiaux.
Il faut également redoubler d'efforts pour augmenter la couverture vaccinale contre la grippe et le Covid et mettre en service un vaccin contre le VRS le plus rapidement possible. Seule la moitié environ des adultes à haut risque de moins de 65 ans ont été vacciné·es contre la grippe l'année dernière, un écart qui peut être comblé par des campagnes de vaccination plus actives. L'objectif devrait être de réduire le nombre de décès annuels dus à la grippe en utilisant un éventail plus large de stratégies mises en place au cours de la pandémie - plutôt que d'y ajouter les décès dus au Covid.
Au milieu des nombreuses histoires sombres de la tripledémie, il y a quelques bonnes nouvelles. Comme l'a montré l'expérience du Covid-19, il est possible de limiter les dégâts des virus respiratoires comme la grippe et le VRS. Toutefois, ce travail nécessite des ressources, des politiques appropriées et des volontés politiques. Les Américain·es ne sont pas obligé·es d'accepter que les vagues infectieuses de maladies hivernales et l'engorgement des systèmes de santé deviennent une nouvelle normalité inéluctable. Au contraire, le pays devrait considérer la tripledémie comme un appel à revitaliser des stratégies de santé publique en réponse à ces menaces pour la santé de nos communautés.
Publication originale (22/11/2022) :
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