Sur le climat, les frontières, la subsistance, le soin et la lutte | Out of the Woods
Ainsi, nous devons penser l’organisation contre le changement climatique en prenant en compte le fait qu’il est médiatisé par un monde dominé par le capital colonial et hétéropatriarcal. La violence est organisée et différenciée par ces structures, et c’est par la lutte contre ces structures qu’il nous sera possible de subsister. Nous pouvons nous faire une image précise de ce qui a toujours été fait dans les luttes contre les catastrophes — des luttes reposant sur le soin, la reproduction sociale et l’hospitalité. Ce sont ces choses qui ont toujours permis aux gens de survivre aux catastrophes. Même si les choses vont de pis en pis, ça ne s’arrête pas là ; il y a toujours de la place pour la lutte collective.
Out of the Woods est un collectif international de recherche partisane qui s’attelle, depuis 2014, à penser la crise écologique dans une perspective communiste, décoloniale, féministe et queer.
· Notes de Cabrioles : Les éditions Présence(s) ont récemment traduit et publié L'Utopie Maintenant ! Perspectives communistes face au désastre écologique, le receuil des écrits d’Out the Woods, un collectif dont les analyses et perspectives résonnent particulièrement avec le travail que nous avons mené ici. Cette publication est importante et riche de la variété des thèmes abordés. L’entretien qui suit, réalisé en 2017, en est extrait. Nous remercions chaleureusement les éditions Présence(s) de nous avoir confié cette publication ·
Le texte qui suit est la retranscription d’une conversation ayant eu lieu sur Skype. Pour en faciliter la lecture, nous avons débarrassé le texte des erreurs dues à la spontanéité de l’échange tout en préservant une partie des maladresses de langage afin de restituer la substance d’un dialogue oral. Les notes de bas de page signalent les erreurs de pensée commises à ce moment-là.
Cet entretien nous semble particulièrement pertinent pour ouvrir la première section de ce livre. Au milieu des digressions et des erreurs, ce sont plein d’idées nouvelles qui fourmillent dans cette conversation, dont certaines deviendront par la suite centrales dans notre réflexion. C’est la première fois que nous parlons de l’image trompeuse d’une apocalypse spectaculaire ou singulière ; la première fois que nous définissons (suivant Gilmore) la crise écologique comme la destruction socialement différenciée des moyens de subsistance ; la première fois que nous utilisons le terme de « présent catastrophique ». L’un des thèmes les plus importants de cet entretien est la différenciation : les désastres dont les gens font l’expérience, les luttes qu’ils organisent et les futurs pour lesquels ils se battent sont tous différenciés en fonction de la race, de la classe, du genre et de la sexualité. Les critiques du féminisme noir à l’encontre de l’universalisme et de l’humanisme imprègnent fortement l’ensemble de cet entretien, et plus particulièrement la partie relative aux migrations et aux frontières. Il est pertinent de commencer ce livre sur une conversation stimulante, car c’est ainsi qu’est né notre travail. Les discussions que nous avons entre nous à partir des travaux d’autres personnes, voilà l’ultime origine de notre réflexion. Le fait qu’aujourd’hui, en y réfléchissant, nous soyons capables de percevoir les erreurs et les ratés qui s’y trouvent ne fait que démontrer les bienfaits de l’étude collective : nous savons maintenant différemment de ce que nous savions alors. En particulier, notre théorisation, toujours en cours, de la « crise écologique » comme quelque chose qui relie les préoccupations environnementales aux violences des frontières, des prisons et de la racialisation, découle de certains éléments dont nous discutons ici.
BASE Magazine : Beaucoup de vos écrits parlent de la relation entre migration de masse et changement climatique. Comment la problématique du changement climatique pourrait-elle être plus clairement articulée à l’opposition aux frontières et à la lutte quotidienne contre le régime frontalier ?
Out of the Woods, A. : On pourrait partir de l’estimation que Norman Myers a publiée il y a plus de dix ans selon laquelle il y aurait 200 millions de migrants climatiques d’ici 2050. Nombreux sont ceux qui considèrent qu’il s’agit d’une projection prudente, mais même prise telle quelle, cela voudrait dire que d’ici 2050, une personne sur quarante-cinq dans le monde sera amenée à migrer à cause du changement climatique1. Un rapport de l’Organisation internationale pour les migrations note que « les changements climatiques occasionneront des mouvements de populations en faisant de certaines régions de la planète des lieux beaucoup moins vivables, en rendant moins sûr l’approvisionnement en nourriture et en eau »2. Présenter cette « capacité d’approvisionnement » comme un ensemble de limites absolues et « naturelles » est évidemment problématique. Cette « capacité d’approvisionnement » est produite par le capital hétéropatriarcal racial tel qu’il agit à travers la nature, et de la nature telle qu’elle agit à travers le capital hétéropatriarcal racial.
Cependant, le changement climatique va certainement éroder la capacité des gens à pourvoir à leur reproduction d’une manière qui les contraindra à migrer. La majorité des migrant·es climatiques seront des personnes racialisées, et il semble très peu probable que les États les moins touchés par le changement climatique et/ou les plus à même de s’y adapter (les puissances blanches d’Europe et d’Amérique), accueillent les migrant·es climatiques différemment des personnes racialisées qui sont déjà assassinées à leurs frontières ou emprisonnées dans leurs camps. Le changement climatique n’est qu’une raison de plus qui force des populations à se déplacer, mais aux yeux des États, il n’est pas une raison de traiter différemment les personnes racialisées qui sont amenées à migrer.
Out of the Woods, D. : Lorsque le mouvement Black Lives Matter UK a fait fermer l’aéroport de Londres City, ils ont été très clairs en affirmant que la crise écologique est raciste. Elle affecte de manière disproportionnée les personnes non-blanches, à la fois parce qu’elles ne peuvent pas traverser les frontières aussi facilement que les Blancs — pour toute une série de raisons —, et parce qu’elles sont plus susceptibles de vivre dans les zones les plus touchées par le changement climatique. Connecter des luttes qui pourraient chacune être vues comme « relevant d’un seul problème » est très important, car, en un certain sens, elles relèvent d’un seul et même problème : le changement climatique et le racisme se reproduisent mutuellement.
BASE Magazine : Puisqu’il est déjà question de ce sujet, et qu’il en sera encore probablement question dans la suite, pouvez-vous parler un petit peu plus de la nature de la frontière, de sa composition et de sa politique ?
D. : La violence de la frontière ne se situe pas seulement « à la frontière » — quelque part, les écoles deviennent des frontières, les hôpitaux deviennent des frontières. Je me suis cassé le genou récemment, et moi, personne blanche dont l’anglais est la langue maternelle, j’ai été très bien soignée à l’hôpital [de Nottingham, en Angleterre]. En revanche, une femme d’origine sud-asiatique qui est arrivée quelques minutes après moi n’a pas été aussi bien prise en charge. Son anglais n’était pas très bon, elle n’était pas capable de s’exprimer clairement à cause de la douleur, et le personnel de l’hôpital insistait pour qu’elle donne une adresse — et elle ne comprenait pas ce qu’ils disaient. Bien qu’elle ait fini par recevoir des soins, nous savons que le NHS (National Health Service) lui refusera une prise en charge : c’est une forme de violence frontalière3. C’est pour ça que des luttes qui peuvent sembler assez éloignées des questions écologiques — les travailleurs hospitaliers qui refusent de se plier à l’impératif d’agir ainsi, par exemple — sont vraiment importantes pour construire une politique écologique transformatrice.
A. : Je pense que concernant le changement climatique, ce que l’on voit, c’est la façon dont la frontière peut être utilisée pour piéger quelqu’un dans un présent de plus en plus catastrophique. Achille Mbembe a beaucoup écrit sur la nécropolitique, qui consiste selon lui à maintenir les gens dans une situation où leur vie est définie par leur proximité avec la mort4. La frontière maintient les gens dans des lieux où ils ne peuvent pas trouver de nourriture ou [sont] à la merci des inondations. Il s’agit d’une violence coercitive, consciente, orchestrée par des États, qui persistera, que ce soit dans les pays hors de l’Europe ou en son sein. Je crois qu’il est aussi nécessaire de souligner qu’il existe une institution mondialisée de l’anti-noirceur (antiblackness), et que les formes de violence qui la reproduisent ont beaucoup en commun. La nécropolitique opère évidemment contre les Noir·es aux États-Unis et au Royaume-Uni, ainsi qu’en Libye et en Méditerranée. En ce qui concerne la manière dont le changement climatique et les catastrophes naturelles peuvent interagir avec cette nécropolitique, nous pouvons penser cette interaction à travers l’exemple des opérations de police qui ont eu lieu à La Nouvelle-Orléans au lendemain de l’ouragan Katrina. Sur le Danziger Bridge, sept policiers ont ouvert le feu sur un groupe de Noir·es qui tentaient de fuir la ville inondée, tuant deux d’entre elles/eux et en blessant grièvement quatre autres. Cet événement — des Noirs assassinés par l’État — illustre la violence nécropolitique qui consiste à tenter de maintenir les gens, en particulier les Noir·es, dans un lieu où la vie est intenable, puis à supprimer cette vie dès lors que quelqu’un tente de quitter ce lieu. Ce que l’on voit ici, c’est la double contrainte meurtrière de la violence anti-Noirs dans la gestion de la crise.
D. : Je pense aussi qu’il est vraiment important de remettre en question l’histoire de l’environnementalisme ainsi que sa complicité actuelle avec le racisme (et la suprématie blanche) — dans le sens où il plaide pour la fermeture des frontières, le contrôle de la population et la stérilisation forcée, par exemple. Récemment, des membres éminents du Green Party of England and Wales se sont prononcés en faveur d’une réduction de l’immigration au nom de l’environnement et d’une « économie durable »5. Il y a quelques mois, le Guardian a publié un article de Paul Kingsnorth proprement abject, qui reprend un grand nombre de ces tropes6.
BASE Magazine : La plupart d’entre nous ne connaissent que peu de choses à la science du climat, et bien que de nombreuses personnes travaillent très dur pour traduire une quantité impressionnante de données et de travaux de terrain en textes accessibles, le point où les tendances et les modèles rencontrent les effets quotidiens du changement climatique peut sembler insaisissable. Pourrait-on faire davantage pour orienter les énergies des luttes existantes, et jusqu’où devrions-nous nous projeter dans le futur ? Dans quelle mesure, pour ne prendre qu’un seul exemple, un mouvement pour le logement, engagé dans une initiative visant à défendre l’accès au logement à Londres, devrait-il prendre en considération le fait que ces logements pourraient bientôt se retrouver sous l’eau ?
D. : Nous nous représentons souvent le changement climatique comme un phénomène conduisant à un événement futur spectaculaire et cela est souvent représenté visuellement : les images de villes en ruines, dépeuplées et submergées sont très courantes. Mais je pense que cette conception est erronée : elle suggère que le changement climatique se dirige vers un « événement » singulier qui se produira un jour ou l’autre, plutôt que comme quelque chose qui se produit déjà, souvent sous des formes moins perceptibles visuellement. Il devient de plus en plus difficile de faire pousser certaines cultures, par exemple, et la nourriture devient plus chère, ce qui entraîne à la fois des migrations et des conflits. Le changement climatique a sans aucun doute joué un rôle dans la guerre civile syrienne7.
Il est donc erroné, d’un point de vue empirique, de considérer le changement climatique comme une chose qui se produira dans le futur, mais je pense que c’est également inutile d’un point de vue politique, car ce genre de menace future ne fonctionne pas comme une force de motivation suffisante pour affecter les choses dans le présent. Je pense, comme vous le dites, que cela peut être même démobilisateur. Cette idée du changement climatique comme un événement futur spectaculaire affecte également notre comportement politique, en conduisant à une sorte de fatalisme par lequel les gens acceptent simplement les choses. De fait, je pense qu’elle renforce également un certain sujet blanc, masculin et hétérosexuel : lui peut se projeter dans cette catastrophe en pensant qu’il pourra recommencer à partir de zéro — le genre de « catastrophisme cosy » dont le romancier John Wyndham a été (peut-être un peu injustement) accusé. Vous savez : « Bon, tous les gens pauvres sont morts, mais nous pouvons prendre du bon temps en compagnie de notre nouvelle communauté sur l’Île de Wight. »
La méfiance du public envers les experts est également un énorme problème, car les personnes que nous entendons habituellement parler de changement climatique dans les médias appartiennent à cette catégorie. Je pense qu’une grande partie de cette hostilité est tout à fait compréhensible, mais plutôt que de se débarrasser des « expertises » en faveur d’un fatalisme cynique généralisé, nous devons réfléchir à la manière dont nous pouvons élargir la catégorie de l’expertise et la populariser. Nous devons amplifier les voix de celles et ceux qui vivent et luttent là où le changement climatique rencontre la quotidienne : les migrant·es qui partent parce qu’ils/elles n’ont plus les moyens d’acheter de la nourriture ; les gens qui travaillent la terre et voient comment les changements dans le climat affectent la croissance des cultures. Eux aussi sont des experts.
BASE Magazine : Si cette façon d’analyser les désastres comme quelque chose qui se situe dans un futur lointain peut aboutir à une certaine forme de paralysie et de fatalisme, dans la mesure où, à une échelle de temps suffisamment grande, toutes les activités peuvent être considérées comme inutiles et insignifiantes, comment peut-on alors combattre ces sentiments, voire les surmonter ?
D. : La question, ici, ce n’est pas vraiment celle de l’échelle de temps, ni celle de savoir si le fait de parler du futur serait fondamentalement mauvais, mais plutôt celle de savoir quel rôle on donne au fait de penser le futur. Il y a une différence entre la prédiction et l’extrapolation. Au-delà de l’identification de grandes tendances hautement probables et de leur prise en compte dans notre réflexion, je pense que la prédiction est vraiment dommageable : d’abord parce que nous savons qu’il ne faut pas s’y fier, ensuite parce qu’elle ne laisse pas de place à l’agentivité. Nous savons tous que les futurologies passées, qu’elles aient été optimistes ou pessimistes, religieuses ou apocalyptiques, ont toutes été terribles. Elles sont très amusantes et ont la capacité de fasciner — nous avons tous apprécié les images, dans les années 1960, d’un an 2000 rempli de voitures volantes — et les gens se sont longtemps accrochés aux prédictions d’un effondrement imminent de la population globale. Mais elles sont tout simplement fausses, et je pense qu’elles nuisent à toute tentative de lutte contre le changement climatique.
Je pense que l’extrapolation est différente ; c’est le mode de pensée de beaucoup d’œuvres de science-fiction. Cela me rappelle l’affirmation d’adrienne maree brown et de Walidah Imarisha dans leur introduction à Octavia’s Brood (un recueil de nouvelles narrant l’histoire de personnes non-blanches engagées au sein des mouvements de justice sociale en Amérique du Nord/sur l’île de la Tortue) selon laquelle s’organiser, c’est toujours faire de la science-fiction8. Nous pourrions certainement nous arrêter ici sur les dystopies. Elles suscitent beaucoup d’intérêt ces derniers temps, mais la manière dont elles sont construites n’est pas très utile, à mon sens. La fiction dystopique est vue comme quelque chose qui peut nous aider à « comprendre » le présent d’une manière étroitement empirique (qui nie l’agentivité), et les romans reconnus — 1984, Le meilleur des mondes, Fahrenheit 451, La servante écarlate — sont limités, même de ce point de vue, puisqu’ils occultent le rôle que la race, en particulier, joue dans la structuration de notre présent. Et dans trois de ces exemples, la « victime » est conçue comme un individu abstrait plutôt que comme un sujet collectif co-constitué par la race, la classe sociale, le genre, la sexualité et la validité9.
Je pense donc que nous devons plutôt nous intéresser aux fictions dystopiques qui extrapolent à partir de l’hétéropatriarcat blanc suprémaciste, colonial et valide qui structure notre monde — je pense ici à des auteur·ices comme Octavia Butler, Stephen Graham Jones et Marge Piercy. Il ne s’agit pas d’un simple processus descriptif — l’extrapolation ne se contente pas de décrire notre monde ou ce vers quoi il se dirige, mais nous donne l’opportunité d’y intervenir à travers les luttes collectives. Elle dit aux lecteur·ices qu’agir dans le présent peut faire une différence dans le futur. Le spécialiste de la science-fiction Tom Moylan parle de ce qu’il nomme les « dystopies critiques », et je pense qu’elles sont particulièrement utiles ici, car elles donnent à voir une organisation et une lutte collectives dans la société dystopique qu’elles dépeignent. Même si les choses vont de pis en pis, ça ne s’arrête pas là ; il y a toujours de la place pour la lutte collective10.
Cela dit, je reste un peu sceptique quant au pouvoir de la littérature, en partie parce que nous ne la lisons généralement plus ensemble — à moins de faire partie d’un groupe de lecture ou de lire dans le cadre de l’université, vous lisez probablement de la fiction en tant qu’individu isolé. Je pense que la popularité de Octavia’s Brood est intéressante : le livre jouit d’une grande popularité sur les réseaux sociaux, il a été lu dans des groupes de lecture et semble avoir ouvert un espace de discussion collective sur l’avenir et la manière dont les actions menées aujourd’hui peuvent le modifier11. Il n’est pas nécessaire que ce soit la fiction qui joue ce rôle : la « design fiction » est elle aussi un outil potentiellement puissant, par exemple.
BASE Magazine : Dans un ancien numéro de The Occupied Times, nous avions interrogé Silvia Federici sur la survie à une ou plusieurs apocalypses. Voici ce qu’elle nous avait répondu :
La perspective de l’anéantissement est relative. Pour de nombreuses communautés aux États-Unis — les communautés noires dont les enfants sont assassinés par la police dans la rue, les communautés indigènes comme les Navajos qui doivent coexister avec l’exploitation minière de l’uranium, les communautés où le chômage monte en flèche, et la liste est longue — l’apocalypse, c’est maintenant. Dans ce contexte, nous luttons pour la justice en refusant de séparer la lutte contre la destruction de l’environnement de la lutte contre les prisons, la guerre, l’exploitation. Vous ne pouvez pas vous soucier du changement climatique si votre vie est quotidiennement menacée, comme c’est le cas pour de nombreuses personnes dans ce pays12.
Que reconnaissez-vous, dans ce qui est dit là, comme des points de départ possibles pour renforcer nos capacités de subsistance ?
A. : Je pense que la manière dont Federici répond à cette question est très intéressante, et je pense que cela tient en partie à la façon dont vous avez formulé la question : « les conséquences du changement climatique forcent l’humanité à envisager sa propre destruction comme jamais elle ne l’a fait depuis la prolifération des armes nucléaires au plus fort de la guerre froide. » Je pense que cela nous ramène à ce que nous disions plus tôt à propos de ces images de catastrophe universelle. Parce que cette question résume très bien la façon dont le changement climatique est dépeint comme une menace globale et universelle pour les espèces et une certaine humanité, mais il est très important de poser ensuite les questions sur lesquelles les black studies ont insistées : qui est humain ? qui a le droit d’être humain ? Les travaux de Sylvia Wynter sont ici extrêmement importants13.
Je pense que ce que le changement climatique exige de nous, c’est de reconnaître qu’il ne s’agit pas d’une apocalypse. Ce qui est plus terrifiant, mais peut-être plus utile, c’est de réaliser que la catastrophe et la normalité peuvent coexister de manière tout à fait heureuse ; qu’il ne s’agit pas d’un futur apocalyptique, mais d’un présent catastrophique. Cela paraît d’autant plus pertinent dans une situation où près de 5 000 migrant·es se sont noyé·es dans la Méditerranée l’année dernière [2016], alors que les débats actuels tournent autour des conséquences fiscales du Brexit. Il n’y a pas de quadrature du cercle. En réalité, l’Europe vit en ce moment une forme de normalité qui est en totale contradiction avec ces catastrophes. Je pense que ce que cette question nous oblige à reconnaître, et que Federici commence à aborder dans sa réponse, c’est une vulnérabilité différenciée et le fait que, pour certaines personnes, la catastrophe a toujours existé.
Cependant, je ne pense pas pouvoir être d’accord avec elle lorsqu’elle dit que vous ne pouvez pas vous soucier du changement climatique si votre vie est quotidiennement en danger, parce que je pense que les personnes qui ont historiquement lutté contre cette vulnérabilité étaient les premières à faire l’épreuve des conséquences du changement climatique. Les déplacé·es du Bangladesh, la nation navajo, les Sioux de Standing Rock (qui luttent contre le développement de l’oléoduc Keystone), je pense que, historiquement, ces personnes ont fait l’expérience, peut-être pas toujours du changement climatique, mais assurément de la destruction de leur environnement. Quand on pense à la destruction systématique et organisée des écosystèmes des Grandes Plaines américaines et des effets de cette destruction sur les peuples indigènes qui y vivaient, on peut dire que les Sioux de Standing Rock ont une expérience historique de la destruction de leurs moyens de subsistance, non pas inconsciente comme dans le cas du le changement climatique, mais consciente et délibérée14. Je pense que ce qu’il est important de dire, c’est qu’il n’y a pas une seule et unique manière pour le changement climatique de détruire les moyens de subsistance de chacun. Pour le dire à la façon de Federici, il s’agit des moyens par lesquels nous reproduisons nos vies quotidiennes. Le changement climatique est la destruction socialement différenciée des moyens de notre subsistance. Pour certaines personnes, les conséquences en seront catastrophiques — à savoir l’anéantissement total des moyens de leur propre reproduction — mais pour d’autres, elles seront minimes.
C’est exactement ce à quoi nous faisons référence lorsque nous parlons ces fausses images de Londres sous l’eau. Le plus répugnant dans ces images, c’est l’idée que le changement climatique est un problème universel. Mais ce qui est peut-être plus cauchemardesque encore, c’est qu’il ne l’est pas : c’est un ensemble très particulier de problèmes qui affecteront très différemment un homme blanc, riche, qui possède une maison à Primrose Hill, et une mère noire, de la classe ouvrière, qui vit dans la zone inondable au bord de la Tamise15. Je pense qu’il y a là une distinction importante à faire. Nous devons dès à présent commencer à réfléchir au renforcement de nos capacités de subistance face aux vulnérabilités socialement différenciées. Ce que cela nous oblige à penser, c’est notre capacité à bâtir collectivement des manières de subsister.
Je pense que ce que Federici évoque, c’est le fait que les gens ont toujours dû survivre à des catastrophes. Ici, Out of the Woods parlerait probablement de communisme de désastre. Par le passé, après des tremblements de terre, des éruptions volcaniques ou d’autres moments d’instabilité et de destruction, les gens ont souvent fait preuve d’entraide, de soin social et ont élaboré un travail reproductif orienté vers l’émancipation. Ces actions n’étaient pas enfermées dans — ou limitées par — les barrières du capital colonial ou de l’individualisme hétéropatriarcal. Ce que j’essaie de dire, en fait, c’est que ce à quoi Federici fait allusion lorsqu’elle parle de la lutte des communautés noires contre la police, de la lutte des Navajos contre les mines d’uranium, c’est ce que Fanon décrirait comme un programme de « désordre total »16. Ce que nous devons penser comme résistance au changement climatique, c’est la résistance non seulement à ce changement, mais aussi aux systèmes d’ordre qui différencient les violences.
Ainsi, nous devons penser l’organisation contre le changement climatique en prenant en compte le fait qu’il est médiatisé par un monde dominé par le capital colonial et hétéropatriarcal. La violence est organisée et différenciée par ces structures, et c’est par la lutte contre ces structures qu’il nous sera possible de subsister. Il me semble assez évident que nous pouvons nous faire une image précise de ce qui a toujours été fait dans les luttes contre les catastrophes — des luttes reposant sur le soin, la reproduction sociale et l’hospitalité17. Ce sont ces choses qui, depuis au moins 2 000 ans, ont toujours permis aux gens de survivre aux catastrophes. Et ces personnes continueront à mener ces combats même si l’environnementalisme blanc ne fait rien — voilà une autre chose sur laquelle il faut insister. Cette résistance aura lieu de toute façon, peu importe ce qu’il se passe dans les couloirs du pouvoir. Il s’agit de savoir dans quelle mesure nous pouvons nous entraider pour aller au-delà de la subsistance de quelques-uns et sortir de la série actuelle de catastrophes, pour bâtir un monde dans lequel nous espérons que personne n’aura plus à les subir. Un monde au-delà de la catastrophe est possible.
BASE Magazine : Le communisme de désastre est un concept dont nous avons parlé dans des numéros antérieurs et dont nous allons reparler ici, mais il semble que la manière dont il est évoqué repose souvent sur le type d’« événement » grandiose contre lequel vous nous avez mis en garde tout à l’heure — par exemple, l’organisation collective au lendemain de l’ouragan Sandy est souvent donnée comme un exemple de communisme de désastre en acte. La façon dont vous venez de présenter le soin et la subistance nous paraît être un usage beaucoup plus intéressant de cette idée — et qui correspond très bien aux formes d’organisation que la plupart de celles et ceux qui produisent cette publication connaissent bien (par exemple, les luttes contre la crise du logement ou contre les comportements abusifs au sein de nos propres mouvements). Pouvons-nous davantage parler de la manière dont, si la catastrophe devait se produire maintenant, nous pourrions y survivre ?
A. : Je conçois le communisme de désastre dans les termes de ce que Fred Moten appelle la « planification fugitive » : cette opération qui se déroule toujours sous la surface de la vie sociale parce qu’elle est la condition préalable de la vie sociale ; c’est le moyen d’une certaine forme de vie collective18. Ces mots sont familiers à quiconque a déjà fait l’expérience de la garde d’enfants — il y a des moments où quelqu’un d’autre s’occupe de votre enfant pendant que vous allez faire les courses ou autre chose, et c’est un moment qui doit avoir lieu pour que vous puissiez effectuer des tâches de base. Je pense que ce qui est déroutant dans la façon dont nous avons pensé le communisme de désastre, c’est qu’il y a une incertitude ou un flou quant à savoir si nous appelons de nos vœux à la concrétisation de quelque chose, ou si nous observons quelque chose qui se réalise déjà et dont nousne faisons que percevoir une certaine manière de chercher à le prolonger. Je pense que la difficulté réside dans le fait que nous parlons de communisme de désastre dans ces deux sens en même temps.
D. : Il y a une distinction entre ces deux sens. Il y a d’un côté les pratiques de « communisation » déjà existantes et que nous pouvons observer, comme le genre de communautés qui se forment à la suite de catastrophes autour de relations collectives de soin, d’entraide, etc. D’un autre côté, il y a l’idée que le terme « communisme » désigne aussi le lien entre ces luttes à une échelle beaucoup plus grande. Ainsi, le communisme-comme-mouvement relie ces pratiques de communisation qui, si elles demeurent isolées, peuvent concrètement contribuer à renforcer le capitalisme dans le sens où le capitalisme va coopter le commun : merci d’avoir auto-organisé tout cela, maintenant nous n’avons plus besoin de payer quelqu’un pour le faire ! En plus, vous avez même contribué à faire monter la valeur des propriétés dans la région !
A. : C’est pour ça que je pensais à Moten et à la planification, parce que, comme il le dit, contre la planification il y a toujours une stratégie — la volonté d’extraire de la valeur de la planification, de dépouiller les communs sociaux. Ainsi, toutes ces formes de travail reproductif peuvent facilement être exploitées par un État (ou une alliance capital-État) toujours plus désespéré. Ce phénomène est particulièrement visible dans les soins de première ligne, où des personnes sont renvoyées prématurément du NHS dans l’espoir que leur famille s’occupera d’elles. La politique de l’État s’est orientée vers des soins à domicile plutôt qu’à l’hôpital dans le cadre du NHS, ce qui est avant tout un moyen d’intégrer la planification à la stratégie et de subordonner une certaine forme de vie sociale à ce qui la nie - l’État et le capital. Je pense que c’est là que se situe l’ambiguïté : ce qui existe déjà ne détruira pas nécessairement ce que l’on veut détruire, c’est là le problème. Et cela, c’est encore l’ambiguïté de la subsistance, cette subistance dans un monde reposant sur votre reproduction et votre destruction ou sur le fait de vous maintenir dans une sorte d’entre-deux fortement différencié en fonction de la race, du genre, de la classe et de la sexualité. Je pense que ce que nous avons à faire, c’est de subsister d’une manière qui s’oppose à la subsistance des formes de pouvoir qui nous oppriment. Je suppose que c’est là la complexité inhérente au communisme de désastre : comment survivre au désastre tout en détruisant, en premier lieu, ce qui en fait un désastre ? comment devenir puissant·es tout en rendant impuissantes les menaces qui pèsent sur nos vies ? Ce genre de contradiction ou d’ambiguïté constante est très difficile à résoudre en théorie, mais je pense qu’elles peuvent facilement l’être dans la pratique.
Pour en revenir au changement climatique, je crois que là où je suis radicalement en désaccord avec Federici quand elle affirme que « vous ne pouvez pas vous soucier du changement climatique si votre vie est tous les jours menacée », c’est qu’il ne faut pas longtemps aux gens pour comprendre que la destruction de leur vie quotidienne émane de quelque chose de plus vaste. Les gens commencent à chercher un autre modèle, et je pense que c’est à ce moment-là que le communisme de désastre doit intervenir et montrer qu’il est possible d’agir, avec comme point de départ la destruction de ce qui nous détruit.
D. : Oui. Dire « oui » à ce que nous voulons — et qui se construit en certains endroits — nécessite de dire « non » au monde qui domine, sauf ses brèches et ses ouvertures. En fait, l’expression « communisme de désastre » me pose un peu problème, ce qui tient en partie au fait qu’elle soit si percutante. Je crains qu’elle ne fasse son chemin sans revêtir le sens que nous essayons d’esquisser ici, parce que quand vous entendez « communisme de désastre », vous pouvez penser à une version communiste du « catastrophisme cozy » de Wyndham. Du genre : « eh, si le monde s’effondre, on pourra vivre une sorte de communisme. »
A. : Je suis d’accord. J’irais même jusqu’à dire que nous devrions essayer de développer quelque chose d’autre, parce que je ne suis même pas sûr que « désastre » soit le mot le plus approprié pour décrire ce à quoi nous essayons de résister et de survivre, puisqu’il ne s’agit pas d’un seul désastre, ni même d’une série de désastres, mais d’un mélange particulièrement puissant de catastrophe et de normalité dans lequel les deux sont tout aussi meurtrières. Peut-être que le problème dans le fait de vouloir rapprocher les termes « désastre » et « communisme », c’est que cela laisse supposer une réponse unifiée à une crise unique, alors qu’en réalité, il existe différentes formes de résistance, ce qui est inhérent au fait que la normalité, tout comme les catastrophes, sont socialement différenciées.
Je pense que la problématique sous-jacente dans cette conversation, c’est le spectre de ce que l’on peut maintenant ouvertement et explicitement nommer fascisme. Nous avons parlé de la possibilité d’un tel fascisme dans les travaux de Paul Kingsnorth, et en lien avec « l’éthique du canot de sauvetage » de Garrett Hardin19, et la manière dont il serait assez facile d’imaginer une réponse au changement climatique dans laquelle ceux qui sont au sommet des systèmes de pouvoir oppressif, ceux qui sont protégés par le capital, l’État, le genre, la classe, la race, la sexualité, vivraient une sorte de version super-privilégiée de ce dont parle Rebecca Solnit. Dans les films dystopiques récents, la perspective centrale pour les populations riches est de partir vivre dans le ciel ou sur une île magique, ce qui ne semble pas très réaliste. Au contraire, ce qui est le plus à même d’advenir, ce sont des villes qui se craquellent en d’encore plus petits fragments dans lesquels privilèges extrêmes et protection des privilèges côtoient la masse de ceux qui n’ont pas le pouvoir de se défendre eux-mêmes, et c’est quelque chose qui se joue déjà dans les moments de désastre actuels. Il y a plusieurs témoignages que je me rappelle avoir lus après l’ouragan Sandy de personnes qui décrivaient les rues de New York, alors que l’ouragan s’apprêtait à frapper la ville, remplies de voitures de riches blancs new-yorkais fuyant à la campagne ou dans des hôtels, et filmés par des travailleurs noirs ou latinxs qui devaient rester pour travailler. Il y a quelque chose de fort là-dedans sur la nature du désastre. Des personnes qui se retrouvent littéralement dans cette absurde et cauchemardesque situation de ne pas pouvoir fuir le désastre parce que leur patron ne le veut pas.
BASE Magazine : En plus de signer une série de circulaires et de décrets présidentiels qui réduisent le contrôle de la protection de l’environnement à des projets d’infrastructures et d’énergie « hautement prioritaires », le gouvernement Trump a également imposé une ordonnance de non-publication aux bureaux de l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (EPA) pour les empêcher de publier des documents destinés au public. En réponse à cette ordonnance et au gel des fonds, nous avons vu des voix dissidentes provenant d’autorités autrefois en phase avec les politiques de l’État — le Service des parcs nationaux (@NotAltWorld), l’Agence de protection de l’environnement (@UngaggedEPA) et la Nasa (@RogueNASA) — appeler la population à résister (#resist). En termes de diffusion médiatique, ces expressions alternatives présentent-elles un espoir, une potentialité quelconque, ou ce geste n’est-il rien de plus qu’un gimmick populiste ? Y a-t-il une utilisation possible et désirable du discours des experts académiques (évalué par les pairs) par les médias alternatifs lorsqu’il s’agit d’informer sur le changement climatique ?
A. : Pour être honnête, je pense que la façon dont ont été perçues ces déclarations, ainsi que les institutions supposément « dissidentes » de l’État américain qu’elles représentent, est dangereuse. En glorifiant ces comptes, on occulte une grande partie des problèmes fondamentaux auxquels nous devons nous attaquer, et on crée une division fictive entre ce qui serait une forme d’État rationnel, correct et scientifique d’une part, et une perversion irrationnelle, incorrecte et populiste de l’État d’autre part.
Je pense que c’est dangereux car cela occulte de nombreuses caractéristiques réelles de l’État américain, qui le rendent particulièrement meurtrier et sont responsables de la série de catastrophes différenciées que les gens subissent actuellement. Par exemple, il est étrange de voir le Service des parcs nationaux (NPS) devenir cet emblème du libéralisme américain, dans la mesure où le NPS est, littéralement, une célébration permanente d’une forme de wilderness rendue possible par le génocide des peuples indigènes. Encore une fois, peut-être est-ce un bon symbole de la résistance libérale, car le NPS cherche à préserver une certaine forme de pureté originelle contre les ravages de la modernité incarnée par la vie urbaine (et ses liens avec la noirceur). Il s’agit en fait d’un mythe colonial très semblable au libéralisme américain lui-même.
Je pense que l’on peut dire le même genre de choses à propos du compte Twitter @RogueNASA. En tant que composante du complexe militaro-industriel, l’histoire de la Nasa et de son auto-mythologisation d’« explorateur » colonial en font un héros déprimant, bien que peu surprenant, de la résistance libérale. C’est ce que j’ai trouvé dangereux dans ce moment singulier où les gens ont commencé à fétichiser une certaine forme de résistance institutionnelle. Il occulte la nature même de l’État américain, et je pense que l’on devrait faire attention à ne pas permettre au populisme, ou en tout cas la forme de populisme qu’incarne Trump, de nous faire oublier la véritable nature de l’État américain comme organisation des forces de domination hétéropatriarcale, coloniale et capitaliste — toute cette configuration meurtrière ne devrait pas être passée sous silence juste parce que certains fonctionnaires n’aiment pas Trump.
D. : La seule chose que j’ajouterais c’est qu’il reste à voir quelles formes vont prendre ces mouvements. Il y avait certainement dans la marche pour les sciences (March for Science) beaucoup d’exceptionnalisme inutile — du type « nous sommes scientifiques, nous produisons la vérité » — qui suggère d’une certaine façon que, en tant que scientifiques, ils devraient être protégés. De cette façon, ils ont échoué à se rattacher à des luttes déjà existantes ou à d’autres mouvements parce qu’ils s’exceptionnalisaient eux-mêmes des autres personnes qui constituent ces mouvements. Cela est inquiétant, mais je suis sûr qu’il y a des éléments qui veulent se connecter, qui veulent se joindre, et qui le font. Le NPS, bien sûr, est profondément colonial : il a littéralement forcé des populations à quitter leurs terres et continue de le faire. Mais il y a sûrement des gens qui travaillent pour le NPS qui sont conscients du problème, qui voudraient s’en emparer et y remédier d’une manière ou d’une autre. Ce n’est pas parce qu’ils luttent en ce moment en tant qu’employés dissidents du NPS qu’ils luttent nécessairement pour un retour à ce qui était — vous pouvez également lutter contre votre propre histoire. Que cela soit effectivement le cas, je n’en sais rien. Nous l’avons certainement vu dans le mouvement étudiant contre les frais d’inscription et la privatisation de l’enseignement supérieur au Royaume-Uni — il ne s’agissait pas seulement d’une lutte pour le retour de l’université comme un espace où des personnes relativement privilégiées pouvaient accéder à un enseignement gratuit, ou même être payées pour recevoir cet enseignement. C’était avant tout une lutte pour un enseignement radicalement différent. Alors peut-être que ces luttes prendront une direction semblable. Je suis sûr que des composantes de ces luttes le feront et ce sont celles qui, je pense, ont le plus intérêt à lutter radicalement contre et au-delà du monde tel qu’il est.
A. : Je crois que c’est le moment où il pourrait être important de parler d’une certaine forme de « trahison » vis-à-vis des manifestations du pouvoir auxquelles nous participons, volontairement et/ou involontairement. J’ai beaucoup réfléchi à cette idée de trahison dans le contexte des récents débats autour du terme « allié ». Je veux dire, je pense que beaucoup de gens ont réalisé que le terme « allié » posait problème, mais il semble qu’il y a eu un glissement facile vers « complice » à la place, et je ne pense pas que cela ait résolu le problème de départ : les deux impliquent qu’il y aurait un geste facile à faire envers quelqu’un qui se trouverait dans une position structurelle assez différente [de la nôtre], qui nous permettrait de déclarer unilatéralement : « c’est bon, je suis un complice maintenant ! ».
Je pense que la plupart du temps, et en particulier pour des gens comme moi qui sont dans une position particulièrement privilégiée, cela nécessite souvent de réfléchir à ce qu’implique le fait de ne pas être fiable ou d’être un traître. À mon sens, ce qui est intéressant dans la figure du traître, c’est que l’on échappe jamais complètement à la chose que l’on trahit. Le traître est toujours une figure ambiguë à laquelle on ne peut jamais faire entièrement confiance, car il peut toujours être ramené à ce qu’il trahit. Je crois qu’il y a là quelque chose d’intéressant à penser concernant les fonctionnaires de l’État. Vous savez, chaque fois que la police commet une nouvelle atrocité, ils dégotent généralement un policier qui critique la police, mais qui ne va jamais jusqu’à la trahisr complètement. Il n’est jamais traître, il est toujours retenu d’une certaine manière, et je suppose que c’est à ce moment-là, lorsque vous êtes prêt à concevoir votre propre abolition, que vous pouvez devenir un traître utile plutôt qu’un allié dangereux qui cherche simplement à intégrer une touche de critique à la reproduction de la violence.
Il y a quelque chose qui relève de la trahison et de la volonté d’être dangereux envers ce qui vous reproduit — pour le dire simplement, de mordre la main qui vous nourrit. Je pense que pour que ces comptes Twitter rénégats deviennent dangereux, il faudrait qu’ils laissent fuiter des informations, qu’ils causent des problèmes et qu’ils soient prêts à aller encore plus loin. Ce qui pourrait être intéressant, c’est que ces personnes qui effectuent ces sales boulots commencent à parler aux Indigènes et à les aider à réoccuper les terres que le NPS leur a volées. Cela pourrait être une forme de trahison intéresante.
BASE Magazine : Quand il est question des actions qu’il faudrait soutenir et développer, les gens font souvent référence aux nombreuses luttes, dont beaucoup se déroulent sur les terres des Indigènes/Premières Nations, qui visent à empêcher l’extraction de ressources contribuant directement au changement climatique — mais la plupart de ces luttes semblent bien éloignées de notre île [le Royaume-Uni]. Dans le même temps, les actions similaires qui ont eu lieu au Royaume-Uni autour de l’antifracking semblent avoir pris racine dans un nationalisme réactionnaire, quelque part entre « pas-dans-mon-jardin » (NIMBYism) et la défense de la campagne anglaise. Comment pouvons-nous mieux affronter et résister aux causes et aux effets du changement climatique ou, si les moments déterminants se situent loin de ces rivages, comment pouvons-nous mieux offrir notre solidarité ?
A. : Un jour, alors qu’Out of the Woods donnait une conférence, une personne du public a soulevé ce point sur les luttes indigènes et a dit : « nous avons vu ces luttes indigènes ailleurs et elles sont vraiment bien, importantes et fondamentales à toute pratique écologiste au xxi e siècle ». C’était cool. Mais ensuite il a ajouté : « Que devons-nous faire au Royaume-Uni ? Nous devons faire quelque chose autour de nos localités, de nos environnements locaux ; devons-nous devenir indigènes ? » Et c’est le moment où tu te dis « Noooon ! ». C’est ridicule, mais on voit que ce genre d’idées revient souvent dans les travaux de Kingsnorth, par exemple. Il s’agit manifestement d’un réel problème, et il est intéressant de constater qu’il semble s’étendre à l’ensemble du continuum politique.
En réalité, Kingsnorth est un idéologue dangereux qui défend toutes les idées qui ont cristallisé autour d’une nébuleuse nationaliste-fasciste particulièrement active. Ce qui est dangereux, c’est que ses idées ont été reprises par de nombreux activistes au sein de la gauche libérale, qui semblent les trouver intéressantes. Je pense qu’une partie du problème est dû au fait que l’on commence à faire des équations faciles avec la terre et à penser les choses en termes de « nature ». Ce sur quoi nous avons toujours essayé d’insister, c’est qu’il n’existe pas une sorte de nature pure à laquelle retourner, que toute idée de wilderness parfaite est un rêve colonial, un rêve qui ne pourra que renforcer une forme incroyablement dangereuse d’enclosure de la vie sauvage au nom de la protection de l’environnement. Et ce dont nous avons le plus parlé avec Out of the Woods, c’est de l’idée d’écologie cyborg ou de Terre cyborg, qui n’admet pas de nature parfaite à laquelle revenir, et selon laquelle nous devons faire face aux complexités de l’interrelation entre la vie humaine et la vie non humaine — ce qui, assez ironiquement, est exactement ce à quoi Kingsnorth prétend essayer de remédier ! Kingsnorth prétend le faire à travers la nation, mais il ne peut pas parler de l’humain et du non-humain sans présenter la vie non humaine comme quelque chose de pur et de parfait. Dès que la vie humaine en est détachée, elle devient, aux yeux Kingsnorth, sale, souillée et corrompue car pour lui, la nature est ce qui régénère la nation.
Ce à quoi nous devons résister ici, c’est au romantisme colonial occidental — il faut absolument le détruire, et il ne s’agit pas d’une sorte de problème littéraire abstrait, il est ce qui impulse une grande partie du mouvement écologiste au Royaume-Uni à l’heure actuelle. Il existe encore un imaginaire populaire d’une sorte de nature originelle que l’on retrouve aussi bien chez les membres de la Société royale pour la protection des oiseaux (Royal Society for the Protection of Birds) que chez les militants écologistes purs et durs, et il faut à tout prix le refuser. Et dans le même temps, nous devons nous assurer de ne pas devenir des technofuturistes prêts à embrasser l’idée d’une invasion technologique de tout ce qui existe, sans tenir compte du paradigme colonial et du développement de la technologie européenne comme arme et arbitre du « progrès » colonial. D’un certain point de vue, nous sommes ici coincés entre le marteau et l’enclume, entre l’idéalisation de la wilderness et l’idéalisation de la technologie, aussi néfastes l’une que l’autre.
D. : Cette polarisation binaire est très importante, et elle se retrouve aussi bien d’un côté que de l’autre. Si tu tentes de critiquer la fétichisation du slow, du local, de l’authentique et l’idéalisation de la nature, on t’accuse de faire l’apologie du global, du fast, ou d’être un apôtre de la technologie. C’est ce type de pensée binaire qui structure à la fois la gauche technofuturiste orientée vers l’accélérationnisme et le gauchisme « retour à la nature ». Je pense qu’il est primordial de défaire cette polarisation binaire, de la rejeter en tant que structure. Il y a parfois des arguments en faveur de l’alimentation biologique, mais il y a aussi parfois des arguments en faveur de l’utilisation de drones dans l’agriculture. Et parfois, il y a de bonnes raisons de refuser de cultiver des aliments biologiques — nous abordons cette question dans notre article sur l’agroécologie cyborg20. Les manières qu’ont les Indigènes d’organiser la vie, dans certains endroits spécifiques de la planète, sont ici importantes — non pas pour que nous les appliquions à un contexte totalement différent, mais parce que, la plupart du temps, elles permettent de dépasser cette polarisation binaire — elles sont « locales », mais ont des compréhensions dynamiques et relationnelles du « local » ou du « lieu » qui permettent de ne pas tomber dans le romantisme cozy.
Quant à la réappropriation du terme « indigène » en dehors du contexte indigène, il est important de rappeler qu’il n’y a pas de véritables populations indigènes en Grande-Bretagne. Je sais que certains crofters* des îles et des Highlands écossais soutiennent que le crofting est un mode de vie indigène. Je n’en sais pas assez pour me prononcer sur ce point, mais en général, la façon dont le terme « indigène » est utilisé dans le discours politique britannique suggère que les Britanniques blancs seraient les indigènes de cette île et qu’ils auraient donc un droit unique à y vivre. Cette idée est parfois étendue aux enjeux écologiques, de sorte qu’ils sont considérés comme ayant la possibilité ou un droit unique à cultiver leur environnement, ou de le protéger face à la « surpopulation ».
* n.d.t. : Le crofting est un système de production et d’organisation sociale et agricole propres aux Highlands et aux îles écossaises. Cette pratique est apparue entre le xviii e et le xix e siècle en conséquence des déportations de la population du territoire par la puissance anglaise. Ce système se caractérise par un travail collectif de la terre dont sont propriétaires des membres de la communauté, ce qui permettait à la population engagée dans cette pratique d’éviter les expulsions.
Au contraire, je considérerais (avec prudence) l’indigénéité comme une manière de désigner la co-constitution particulière de l’identité avec le territoire et le lieu : un mode de vie qui ne peut être séparé des écologies dynamiques et relationnelles dans lesquelles il s’est développé, et qui inclut la vie non humaine — les animaux, les minéraux et le territoire en lui-même (et de ce que je comprends, beaucoup d’Indigènes, si ce n’est tous, se réfèrent à cette compréhension relationnelle dans l’organisation de leurs luttes). Maintenant, si vous colonisez ce territoire, ce mode de vie sera marginalisé ou rendu impossible, et cela ne se produit tout simplement pas au Royaume-Uni — les localistes de gauche rétorqueront probablement que l’implantation de Tesco dans la rue principale de leur quartier et la fermeture des commerces de proximité relèvent d’une forme de colonisation. C’est peut-être regrettable, mais ce n’est pas du tout comparable : votre mode de vie reste fondamentalement le même. C’est pourquoi le terme « indigène » n’est pas adapté.
Je pense aussi qu’il y a toujours un risque que les militants colons blancs (ou, en Europe et en Grande-Bretagne, les militants blancs) — et c’est une tendance que je reconnais en moi — fétichisent les luttes indigènes et placent trop d’espoirs en elles, ou se contentent d’en abstraire des bribes de connaissances sans tenir compte de la nécessité de la décolonisation comme projet politique. Nous l’avons beaucoup vu avec les zapatistes : parce que les choses sont tellement merdiques ici, les gens vont se sur-investir et se sur-identifier à quelque chose qui semble brillant, excitant, et un peu différent (il y a peut-être aussi un certain degré d’exotisme), alors qu’évidemment, ce quelque chose ne peut pas être complètement transposé à un contexte qui n’est pas du tout le même.
Il est donc important de s’intéresser à ce qui se passe plus localement — plutôt que de dépolitiser un espoir en le reportant sur une autre situation — et de réfléchir aux connexions possibles. Il y a des campagnes contre la fracturation hydraulique, des campagnes de solidarité avec les migrant·es, et en ce qui concerne la lutte contre la fracturation hydraulique, je pense que son contenu politique reste à déterminer. C’est en grande partie du NYMBYism, et elle est en grande partie (mais pas entièrement) investie par la classe moyenne [et blanche], mais c’est ce que nous avons. Les gens n’entrent pas dans la lutte avec des positions parfaites. Ils s’engagent dans la lutte parce que quelque chose les affecte, ou leur tient à cœur, et au contact de tout un tas de personnes — des militant·es, d’autres personnes engagées dans ces luttes, des gens qui lisent des textes — leurs positions politiques peuvent changer. L’organisation Green and Black Cross réalise un travail vraiment important dans la lutte antifracking, en envoyant des observateurs dans les villages du Sussex qui n’ont peut-être pas connu beaucoup de luttes politiques ou de manifestations par le passé21. Bien sûr, toutes les luttes ne prendront pas la direction que nous souhaiterions, mais je pense qu’il est vraiment important de ne pas les considérer comme intrinsèquement imparfaites, car elles seront alors récupérées par Kingsnorth et compagnie. Le Parti national britannique (British National Party), qui est un parti fasciste, a joué à fond la carte de la politique environnementale localiste et on pourrait facilement imaginer que l’extrême droite se lance dans des campagnes contre la fracturation hydraulique.
A. : Il était, en outre, très inspirant de voir le mouvement Black Lives Matter UK bloquer l’aéroport de Londres City et parler de respirabilité et d’atmosphère. Ces sujets sont étroitement liés à toute discussion écologiste sur le changement climatique, en termes de pollution, mais aussi au simple fait que Londres est chaque jour plus irrespirable. Ce qui était brillant dans la déclaration de Black Lives Matter, c’est qu’ils ont insisté sur le fait que la respirabilité est différenciée — que le problème de l’agrandissement de l’aéroport n’est pas tant que celui-ci affecte l’entièreté de Londres, mais qu’il affecte de manière disproportionnée les communautés noires et pauvres de Newham, où l’aéroport est situé.
J’ai été enthousiasmé par l’ouverture d’un débat autour de la question de l’atmosphère et de la respirabilité, qui ferait de l’environnement un espace où les impacts sont différenciés. C’était donc une discussion stimulante, et j’espère qu’elle ne s’est pas éteinte. Il semble que le mouvement écologiste ait raté cette occasion, et il est intéressant de remarquer qu’il a fait très peu en ce qui concerne l’atmosphère et la pollution à Londres. Pour moi, il s’agit d’une lutte primordiale qui devrait être engagée immédiatement, et qui améliorerait massivement le bien-être et les moyens de subsistance des populations systématiquement opprimées.
Je pense qu’il est largement possible d’imaginer ce à quoi pourrait ressembler un certain type d’activisme écologiste au Royaume-Uni qui pourrait s’attaquer non seulement à l’extraction de ressources, mais aussi se mobiliser autour de la question de la pollution, par exemple. En ce qui concerne les déplacements de populations causés par les inondations, c’est quelque chose que nous allons voir de plus en plus souvent, mais la pollution est déjà là, en ce moment même. Je dirais que je reste profondément optimiste parce que les gens commencent à réaliser que l’environnement est un contexte plutôt qu’une sorte de cause unique et, à mesure que l’environnement est contextualisé, il me semble que nous commençons à entrevoir quelque chose qui nous donne de l’espoir.
Je n’imagine pas ça comme un mouvement, mais comme une série d’insurrections locales profondément fragmentées. C’est ce que les mouvements ont toujours été. Si vous lisez Aldon Morris, qui est un très bon sociologue du mouvement des droits civiques, vous apprendrez qu’il ne s’agissait pas d’un mouvement, mais d’une série d’insurrections locales qui en sont venues à être considérées comme un mouvement parce qu’elles ont acquis une force suffisamment grande pour qu’il soit impossible de leur résister22. Je ne pense pas que nous puissions calquer ce que nous faisons aujourd’hui sur le mouvement des droits civiques, mais il est important de se rappeler que cet événement, l’archétype du mouvement, n’était pas un mouvement. Donc, sur cette base, pour en revenir aux campagnes contre la fracturation hydraulique, elles ont toute la capacité de devenir des insurrections locales réussies pour lesquelles la revendication cesse d’être simplement d’« arrêter cette chose », et devient : « comment pouvons-nous commencer à agir en solidarité avec celles et ceux dont la vie est déterminée par la catastrophe ? ».
D. : Il y a un très bon article de Aufheben, écrit en 1994, « The politics of anti-road struggle and the struggles of anti-road politics ». Il souligne un grand nombre de problèmes propres à ce mouvement [anti-routes], qui était parfois motivé par des réflexes « pas-dans-mon-jardin », parfois par des préoccupations environnementales, parfois par des préoccupations morales, et parfois par un marxisme plus holiste23. Ce qui s’est produit dans ces mouvements passés, la mémoire historique, je pense que cela est en fait assez intéressant : dans leurs luttes, ont-ils rassemblé les problèmes pour montrer comment ils étaient liés ? Comment ont-ils procédé ? Ces questions sont d’une réelle utilité pour déterminer comment nous organiser contre la destruction de l’environnement au Royaume-Uni sans céder à la rhétorique protofasciste de « Notre Angleterre ».
A. : Oui, et c’est dans ce rejet de « l’écologie du Spitfire », de l’image de la douce Angleterre et des champs verts avec un vieil avion de chasse qui les survole, que se situe sans aucun doute le danger. Je pense qu’un refus de l’idée nationaliste de la terre, ainsi qu’une adhésion à la possibilité antinationaliste d’une Terre cyborg — qui ne nie pas en même temps la possibilité d’une nation indigène — est le genre de contradiction sur lequel nous devons travailler. Ce travail ne peut pas être didactique ; il ne peut pas être uniquement basé sur la parole ou l’écriture, et nous ne pouvons pas non plus espérer que tout finira par s’arranger si nous nous battons suffisamment. Je suppose que je suis pris dans une sorte de vie sociale où on s’entraîne à parler, écrire et se battre comme si ces trois activités n’avaient jamais été séparées. C’est pour cette raison que BASE me donne de l’espoir, c’est un bon espace de débat revigorant pour une sorte de bavardage affectueusement antagoniste.
Publication originale Fr (09/06/2023) :
Éditions Présence(s)
Publication originale Eng (23/06/2017) :
BASE Magazine
Pandémie et Planète | Sudipta Saha
Nous devons comprendre la pandémie de Covid-19 comme une sous-crise de la crise climatique.
Voir notre introduction à la première partie de cet ouvrage (p. 27) où nous remettons en cause notre utilisation des chiffres de Myers qui sont donnés lors de cet entretien.
2. Oli Brown, « Migrations et changements climatiques », Série Migration Research de l’OIM, no31, Organisation internationale pour les migrations (OIM), 2008, p. 17 [https://publications.iom.int/system/files/pdf/mrs-31_fr.pdf].
3. Le National Health Service est le système de santé publique au Royaume-Uni qui fournit l’essentiel des soins médicaux. Prétendument « universel » en ce qu’il fournit des soins en fonction des besoins et non de la capacité à payer, le gouvernement britannique a cependant développé ces dernières années un ensemble de politiques restreignant l’accès au NHS, dans la logique de « l’environnement hostile » mis en place contre les sans-papiers. Ces politiques prévoient entre autre de faire payer la totalité des soins secondaires en avance si un patient n’est pas dans la capacité de prouver son statut administratif et son éligibilité au système du NHS. Le collectif Docs not Cops (« docteurs, pas flics ») remet en cause cette pratique : voir p. 78 (« Un environnement hostile »).
Achille Mbembe, « Nécropolitique », Raisons politiques, no21, 2006, p. 29-60.
De mémoire, D. faisait référence à un article de Rupert Read. La vérité est d’autant plus troublante quand on sait que Read a présenté un tel raisonnement en tant que soi-disant « expert » devant la commission d’enquête parlementaire du Royaume-Uni. Voir ce compte-rendu : parliament.uk/pa/cm201012/cmselect/cmenergy/writev/consumpt/consumption.pdf.
Voir l’article « Les mensonges de la terre » (p. 99) dans la partie II de cet ouvrage pour notre analyse de cet article.
Ce point n’est plus aussi clair pour nous aujourd’hui. À ce sujet, voir l’article de Jan Selby et al., « Climate Change and the Syrian Civil War Revisited », Political Geography, no60, 2017. Les auteurs remettent en cause les preuves d’une migration induite par la sécheresse et celles d’un conflit induit par la migration.
Imarisha Walidah, adrienne maree brown (dir), Octavia’s Brood: Science Fiction Stories from Social Justice Movements, Oakland, CA : AK Press, 2015, p. 3.
Concernant l’universalisme féministe blanc et l’effacement de la race qui en est le corollaire au sein du texte dont il est question, et plus particulièrement sur son itération dans les séries télévisées que l’on retrouve sur les plateformes de VOD : « À Gilead, la ville fictionnelle imaginée par Atwood, la sexuation humaine est nettement dimorphique et cisgenre – et ce n’est pas ce qui est censé être dystopique à son sujet. C’est la maternité « de substitution » qui introduit le dystopique. [...] De ce fait, La Servante écarlate reproduit clairement un scénario tout aussi vieux que le féminisme lui-même. La féminité cisgenre, qui forme une unité sans tenir compte de la classe, de la race ou du colonialisme, peut mettre tous ses malheurs sur le dos de méchants fondamentalistes religieux armés. » [Sophie Lewis, Full Surrogacy Now: Feminism Against Family, Londres/New York : Verso, 2019, p. 10].
Pour Moylan, la « dystopie critique » donne son nom à un genre de science-fiction lié à une période précise qui voit le jour à la naissance du néolibéralisme. Nous pensons cependant qu’il peut être pertinent d’étendre ce concept à la description de notre présent. [Raffaella Baccolini, Tom Moylan, « Conclusion: Critical Dystopia and Possibilities », in Raffaella Baccolini, Tom Moylan, Dark Horizons: Science Fiction and the Dystopian Imagination, New York/Londres : Routledge, 2003.] Pour plus d’informations sur l’utilisation de la « dystopie critique » comme terme descriptif de notre présent, voir David M. Bell, Rethinking Utopia: Place, Power, Affect, New York/Abingdon : Routledge, 2017, p. 20–51.
Les recherches menées par Lisa Garforth, Amy C. Chambers et Miranda Iossifidis autour de ces « perspectives futures » à l’université de Newcastle ont exploré cette problématique en relation avec des groupes de lecture de science-fiction en ligne (dont les lectures incluaient des textes de Octavia Butler).
Silvia Federici, « Preoccupying », The Occupied Times (blog), 25 octobre 2014 [https://theoccupiedtimes.org/?p=13482].
Sylvia Wynter, Katherine McKittrick, « Unparalleled Catastrophe for Our Species? Or, to Give Humanness a Different Future: Conversations », in Katherine McKittrick, Sylvia Wynter: On Being Human as Praxis, Durham : Duke University Press, 2015, p. 9–89.
Voir en particulier Nick Estes, Our History Is the Future: Standing Rock Versus the Dakota Access Pipeline, and the Long Tradition of Indigenous Resistance, Londres/New York : Verso, 2019.
Il s’agit d’une rhétorique assez simplifiée – une vulnérabilité différenciée peut également englober les populations riches et blanches choisissant de vivre dans des régions/quartiers risqués, forçant celles et ceux qui pouvaient encore se permettre de vivre ici à déménager. Dans de nombreuses régions, les habitations en bord de mer sont prises entre deux tendances : l’attrait croissant pour les propriétés côtières et le prix de l’immobilier qui explose dans des zones plus que jamais inondables. Red Hook, un quartier construit sur la péninsule d’une zone inondable de Brooklyn, a vu sa gentrification s’accélérer après le passage de l’ouragan Sandy, malgré les nombreux rapports indiquant que les marées hautes submergeraient ses rues d’ici 2080. Voir Anna-Sofia Berner, « Red Hook: The Hip New York Enclave Caught Between Gentrification and Climate Change », The Guardian, 25 septembre 2018 [https://www.theguardian.com/environment/2018/sep/25/red-hook-climate-change-floodplainhurricane-sandy-gentrification].
Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, Paris : La Découverte, 2002, p. 39.
Automnia, « Ecstasy & Warmth », The Occupied Times (blog), 20 août 2015 [https://theoccupiedtimes.org/?p=14010].
Stefano Harney, Fred Moten, Les sous-communs. Planification fugitive et étude noire, Dijon : Les presses du réel, 2022.
Voir « Les dangers de l’écologie réactionnaire » dans la partie II de cet ouvrage (p. 91).
Voir la partie II (Natures) de cet ouvrage.
Green and Black Cross est un collectif d’entraide fournissant une aide légale lors de mouvements sociaux et écologistes au Royaume-Uni.
Aldon D. Morris, The Origins of the Civil Rights Movement: Black Communities Organizing for Change, New York : Free Press, 1986.
C’est une référence quelque peu approximative à cet article de Aufheben qui peut être retrouvé ici : https://libcom.org/library/m11-anti-road-aufheben.