Race, classe et Covid-19 | Notes from Below
Il est clair que la crise du Covid-19 a mis en évidence le lien direct entre la race, la pauvreté, le statut professionnel et l'exposition à la maladie. Les Noirs, les Asiatiques et les autres groupes racialisés sont surreprésentés dans les logements pauvres et surpeuplés ainsi que dans les emplois mal payés et très précaires. Le capitalisme a besoin de notre travail pour fonctionner et accumuler des richesses, même s'il nous tue.
Notes from Below est “une publication qui s'engage pour le socialisme, ce qui signifie pour nous l'auto-émancipation de la classe ouvrière du capitalisme et de l'État. À cette fin, nous utilisons la méthode de l'enquête ouvrière.”
· Cet article fait partie de notre dossier Travail du 12 février 2023 ·
En juillet 2020, le gouvernement annonçait que, tout en assouplissant le confinement dans tout le Royaume-Uni, il réimposait des mesures plus strictes dans la région de Leicester, qui connaissait un nouveau pic d'infections. Les expert·es se sont empressé·es d'attribuer la responsabilité de cette nouvelle épidémie à des facteurs "culturels", un mot de code à peine voilé pour les racistes qui pointent du doigt les importantes populations asiatiques de la ville.
Il n'a cependant pas fallu longtemps pour que des informations fassent surface, indiquant que la source du problème était plus probablement les usines de confection locales. Alors que l'industrie mondiale de l'habillement se concentre de plus en plus dans le sud global pour sa main-d'œuvre bon marché, de nombreux détaillants britanniques continuent de confier une partie de leur production à des usines "onshore" [locale] en raison de la possibilité d'une rotation rapide. Plutôt que d'expédier des vêtements finis du Bangladesh, les vêtements produits à Leicester peuvent être envoyés aux clients quelques heures après leur fabrication.
Les conditions de travail dans ces ateliers de misère sont sinistres. Non seulement les travailleur·euses sont payé·es à peine 3,50 £ de l'heure, mais certain·es ont été invité·es à continuer à travailler, même après avoir été testés positif·ves au Covid-19. Même les travailleur·euses mis au chômage technique ont déclaré qu'il leur avait été demandé de continuer à travailler et qu'iels avaient reçus des menaces de privation d'aide gouvernementale s'iels ne le faisaient pas. Ce scénario est étonnamment similaire à celui des usines du nord de l'Italie qui ont été maintenues ouvertes malgré l'augmentation des taux d'infection au début de l'année et qui sont désormais considérées comme l'une des principales causes de la propagation catastrophique de la maladie dans le pays.
Le capitalisme a besoin de notre travail pour fonctionner et accumuler des richesses, même s'il nous tue.
Schémas racialisés
Le fait que ces travailleur·euses soient en majorité des femmes asiatiques n'est pas sans importance dans cette histoire, au-delà de la manière dont il a été utilisé par les racistes. La crise du Covid-19 a clairement souligné le lien direct entre race, pauvreté, statut professionnel et exposition à la maladie. Les Noir·es, les Asiatiques et les autres groupes racialisés sont surreprésentés dans les logements pauvres et surpeuplés ainsi que dans les emplois mal payés et très précaires.
Ces mêmes groupes sont également surreprésentés dans les industries qui ont été complètement fermées pendant la pandémie. Comme le rapportait un document d'information de la Chambre des Communes en juillet : 15 % des travailleur·euses des secteurs fermés ... sont issu·es d'une ethnie BAME [Black, Asian, and Minority Ethnic], contre 12 % de l'ensemble des travailleur·euses ", et environ " 15 % des répondant·es BAME ont déclaré avoir perdu leur emploi, contre environ 8 % des Britanniques blanc·hes ". Le chômage risque de monter en flèche à la fin du programme de chômage technique, tandis que la réouverture des tribunaux de logement entraînera une hausse spectaculaire des expulsions. Ces processus reproduiront sans aucun doute les mêmes schémas racialisés.
La pandémie crée déjà une importante "population excédentaire" racialisée de travailleur·euses sans emploi dans les villes britanniques. Ces travailleur·euses cherchent désespérément à trouver un moyen de joindre les deux bouts, et beaucoup finiront par faire partie de la main-d'œuvre des secteurs qui connaissent la plus forte expansion en Grande-Bretagne : les plateformes de livraison de nourriture et de covoiturage. Avant même la pandémie, les travailleur·euses des plateformes étaient contraint·es d'accepter des salaires bas et des conditions dangereuses. Aujourd'hui, la situation s'est encore détériorée.
Comme nous l'a dit un chauffeur Uber : "Je n'ai pas le choix. Je dois payer ma voiture et tous mes autres frais, donc je perds de l'argent quand je reste à la maison. Mais si je sors pour travailler, je risque ma vie et celle de ma famille". Le choix entre santé et revenu est réel dans toute l'économie. Bien sûr, les travailleur·euses indépendant·es n'ont pas de revenu garanti, même s'iels risquent leur santé. Un coursier a déclaré qu'il pouvait "passer une journée entière à attendre une commande". Il se met en danger, en espérant pouvoir gagner un peu d'argent par la même occasion.
Impacts pandémiques
Outre l'économie de plateforme, on s'attend également à ce qu'une partie des dizaines de milliers de travailleur·euses récemment mis·es au chômage soient embauché·es dans le secteur des supermarchés et ses chaînes d'approvisionnement étendues. Au début de la pandémie, lorsque les travailleur·euses de secteurs tels que l'hôtellerie et la restauration ont été éjecté·es de leur lieu de travail, un grand nombre d'entre elleux ont placé leurs espoirs dans des emplois de mise en rayon. Notes from Below a recueilli les récits d'agents de sécurité (souvent légalement " indépendants ") qui ont reçu de courts textos de la part de leurs employeurs dissimulés les informant qu'on n'aurait pas besoin d'eux pendant les trois prochains mois. En plus de faire partie des 2,3 millions de personnes bénéficiant du régime d'aide au revenu des travailleur·euses indépendant·es, ils se sont dirigés vers les supermarchés dans l'espoir de trouver un emploi, pour se retrouver au milieu d'une foule de centaines de personnes.
Une fois encore, comme pour les plateformes, les conditions dans ce secteur se sont détériorées pendant la crise. Malgré l'existence d'un syndicat des travailleur·euses des supermarchés, l'USDAW, qui compte près d'un demi-million de travailleur·euses et des accords de reconnaissance avec Sainsbury's et Tesco, les travailleur·euses des supermarchés se sont souvent retrouvé·es en première ligne avec peu de protection. Comme lorsque les travailleur·euses d'Asda, organisé·es au sein du GMB, ont été contraint·es d'accepter des changements de contrat punitifs en 2019 sans même une journée de grève, la crise a de plus en plus confronté les travailleur·euses des supermarchés à l’inadéquation de leurs structures organisationnelles. L'échec manifeste des principaux syndicats à dépasser le " partenariat " passif avec les patrons du secteur a montré que celleux qui parviennent à trouver un nouvel emploi pendant la crise ne peuvent pas compter sur la protection de bureaucrates bienveillant·es. Seule l'auto-organisation militante de la classe ouvrière sur les lieux de travail, du type de celle qui a tant manqué en Grande-Bretagne au cours des quatre dernières décennies, peut protéger les travailleur·euses des pires impacts de la crise.
Étant donné que la classe ouvrière supporte la charge du risque dans cette pandémie, il n'est pas surprenant que les taux d'infection et de décès soient si nettement plus élevés dans les communautés noires et asiatiques. Même sans aperçu statistique il est possible de conclure que, comme dans le cas des usines de confection de Leicester, la pauvreté, l'exploitation et la race jouent un rôle clé en rendant certains groupes plus vulnérables que d'autres. Cette situation soulève également des questions et des défis importants pour le mouvement syndical. Si le débrayage des dockers de Liverpool en juin en solidarité avec Black Lives Matter montre que le militantisme syndical peut s'attaquer au racisme et aux oppressions structurelles, il reste un cas isolé. La lutte pour l'émancipation du racisme et du capitalisme est un combat. Mais pour l'instant, ce n'est pas une lutte que nous sommes en train de gagner.
Publication originale (30/09/2020) :
Red Pepper
· Cet article fait partie de notre dossier Travail du 12 février 2023 ·