Que se passera-t-il si les réinfections du COVID affaiblissent notre immunité ? Andrew Nikiforuk
Le dossier montre que Anthony J. Leonardi a été remarquablement clairvoyant, cohérent et souvent juste. Oui, sa thèse sur l'épuisement des cellules T et le dysfonctionnement immunitaire reste une hypothèse de travail. Pourtant, de nombreux éléments indiquent que le virus est à l'origine d'un dérèglement immunitaire généralisé, tant dans les cas légers que dans les cas graves.
Andrew Nikiforuk est journaliste, spécialiste des épidémies ainsi que des questions économiques et environnementales. Il a notamment publié les livres The Fourth Horseman, Pandemonium et Saboteurs. En français il a publié chez Écosociété Les sables bitumineux : la honte du Canada en 2010 et L'énergie des esclaves : le pétrole et la nouvelle servitude en 2015.
· Cet article fait partie de notre dossier Saboteur immunitaire du 21 janvier 2023 ·
Il y avait une fois un Docteur AJ
qui est venu sur Twitter pour dire
C'est peut-être alarmant
Mais les cellules T sont abimées
Alors, évitez la réinfection, ok ?"
- Dr. Leonardi Translator Bot
Près de trois ans après le début de la pandémie, il est désormais clair que les premières estimations concernant le comportement du coronavirus et son impact sur notre organisme se sont révélées trop optimistes.
Rappelez-vous ces premiers jours où les expert·es supposaient qu'après avoir résisté à une infection, notre système immunitaire s'adapterait et résisterait parfaitement à une autre réinfection.
Puis l'espoir s'est installé que la vaccination de masse permettrait de sortir de la pandémie. Les vaccins ont certes permis de réduire le nombre de décès et d'hospitalisations, mais ils n'ont pas réussi à produire une immunité collective.
Mais les chercheur·euses ont encore eu espoir dans ce qu'iels ont appelé l'immunité hybride : les personnes qui avaient été infectées par le COVID et qui avaient ensuite reçu des vaccins à ARNm devaient, pensait-on, développer une formidable protection grâce à des niveaux élevés d'anticorps (protéines fabriquées par le système immunitaire pour combattre l'infection).
Cependant, des variants sont apparus, capables d'échapper à ces anticorps. De nombreuses personnes qui avaient été vaccinées ou qui avaient déjà subi un épisode de COVID ont été victimes de " nouvelles infections ". Qu'est-ce qui peut freiner ce virus en constante évolution, qui peut tuer, endommager des organes et persister pendant des mois ?
La réponse de nombreux·ses scientifiques a été les cellules T, la ligne de défense immunitaire de notre corps après les anticorps. Les cellules T peuvent repérer et attaquer les virus et même se souvenir des envahisseurs précédents. C'est ainsi que le virologue Vincent Racaniello a intitulé un de ses articles : "Les cellules T nous sauveront du COVID-19."
Mais que se passe-t-il si le COVID affaiblit les cellules T des personnes qui le contractent, et ce de plus en plus à chaque réinfection ?
Cette préoccupation est au cœur d'un débat scientifique animé et acerbe mené en grande partie sur Twitter. Une personne au centre de la tempête, qui a tiré la sonnette d'alarme sur la "dysrégulation" des cellules T depuis les premiers jours de la pandémie, est un immunologiste américain nommé Anthony Leonardi.
Par dysrégulation, Leonardi désigne trois effets du COVID :
L'hyperactivation de nombreux lymphocytes T, ce qui peut les faire vieillir prématurément.
La fonction exubérante de ces cellules T hyperactivées, qui peut alors causer des dommages aux organes.
L'épuisement de ces cellules T hyperactivées, ce qui implique qu'elles ne gagnent pas la bataille contre les protéines virales qu'elles sont censées vaincre.
En d'autres termes, selon Leonardi, les cellules T sont hyperactivées par le SARS-CoV-2 et vieillissent prématurément, endommagent les organes et s'épuisent à essayer de débarrasser l'organisme d'un virus qui envahit le système immunitaire.
S'il a raison, alors non, nous ne pouvons pas supposer que les cellules T nous sauveront, pas aussi bien, du moins, que nous avons été amenés à le croire.
C'est pourquoi le Tyee a décidé qu'Anthony Leonardi et ses affirmations controversées méritaient un examen approfondi.
Les détracteur·ices de Leonardi affirment qu'il brosse un tableau trop sombre de la situation. D'éminent·es chercheur·euses l'ont accusé d'être dans l'erreur, et ont tweeté des insultes cinglantes.
Contacté par The Tyee, Leonardi ne s'est pas excusé du côté pessimiste de ses avertissements. "L'optimisme fait vendre et l'optimisme autour de la mémoire des cellules T s'est également très bien vendu". Plutôt que de pratiquer un "conformisme passif" qui prétend que la pandémie est terminée, dit-il, les responsables de la santé publique "doivent être honnêtes avec le public."
Dans un récent tweet, Leonardi a riposté, en déclarant :
"Tout ce que j'ai fait, c'est avertir les gens et les gens trouvent les avertissements désagréables. En outre, des personnes ont émis des avis sur la trajectoire du virus et l'immunologie, et se sont trompées de manière flagrante ; elles cherchent maintenant à se venger par colère."
UN MAUVAIS PRESSENTIMENT
Pour comprendre pourquoi Leonardi est devenu un tel point de friction, il faut s'attarder un peu plus sur le fonctionnement du système immunitaire humain. Il est composé de deux branches complémentaires : l'une dirigée par les anticorps et l'autre médiée par les cellules T.
Les cellules T [aussi connu sous le nom de lymphocytes T, Ndt] sont l'un des deux types de globules blancs qui défendent l'organisme contre les envahisseurs. (L'autre est constituée par les cellules B, qui fabriquent les anticorps).
Le corps humain abrite des millions de cellules T et B.
Les lymphocytes T, qui se forment dans la moelle osseuse et se développent ensuite dans le thymus, jouent de multiples rôles différents au fur et à mesure que le corps humain mûrit et vieillit. Certaines cellules T, par exemple, régulent la réponse immunitaire, tandis que d'autres se concentrent directement sur les cellules infectées par un cancer ou un virus et les tuent. D'autres encore surveillent l'organisme à la recherche de signes de cancer. Et certaines sont simplement "naïves" : de jeunes cellules qui n'ont pas encore été stimulées par un antigène.
Un autre groupe, appelé cellules T à mémoire, peut se souvenir d'un envahisseur et mener la charge contre une réinfection. Les cellules T peuvent également sécréter des substances chimiques qui aident les cellules B à produire des anticorps. En règle générale, les cellules T protègent contre la réinfection en fournissant une mémoire durable des envahisseurs passés.
C'est pourquoi c'est un gros problème si Leonardi dit vrai lorsqu'il croit que le COVID épuise, vieillit et use le système immunitaire de manière cumulative à chaque infection.
Alors qui est Leonardi et comment est-il arrivé à ses convictions ?
Leonardi sera le premier à dire qu'il n'est pas un expert du COVID. Ce Californien à la voix douce, scientifique, étudiant en santé publique et joueur de water-polo, a rédigé sa thèse de doctorat sur les cellules T en 2017 alors qu'il travaillait pour le National Institutes of Health des États-Unis.
Sa thèse portait en particulier sur la façon dont les cellules T peuvent être cultivées et ajustées avec précision pour lutter contre le cancer. Il a passé des années à étudier des cellules T saines et malsaines. Il sait donc deux ou trois choses sur le fonctionnement des cellules T et la façon dont elles régulent le système immunitaire. Et il a appris que les débats scientifiques peuvent être aussi rudes et houleux qu'un match de water-polo.
Et puis la pandémie est arrivée. Sur Twitter, il a été l'un des premiers scientifiques à émettre ouvertement des hypothèses sur la capacité du COVID à désarmer le système immunitaire. Il pensait qu'un système immunitaire affaibli aurait de profondes répercussions sur la gravité de la maladie, l'efficacité des vaccins et la santé des personnes âgées au cours de la pandémie.
Après près de cinq ans de travaux sur les cellules T, Leonardi a eu un mauvais pressentiment en lisant une étude du Lancet parue au début de la pandémie.
Cette étude décrit le mauvais état de santé des premier·es patient·es à Wuhan, en Chine. Les scientifiques ont remarqué que le virus avait entraîné une diminution des globules blancs des patient·es, ceux qui sont chargés de combattre les infections. De plus, les descriptions des patient·es laissaient penser qu'une infection sanguine pouvait contribuer au choc et à la mort. Ce profil ressemblait à une infection super antigénique dans laquelle une molécule particulière a déclenché une réponse immunitaire extrême. Il semblait à Leonardi qu’en conséquence le système immunitaire s'était mis à attaquer le corps.
De nombreux virus peuvent déclencher des réactions auto-immunes chez certaines populations, mais Leonardi pensait que le COVID pourrait avoir le potentiel de perturber la santé générale de la planète, voire de modifier les tendances en matière d'espérance de vie.
Des lectures sur l'impact à long terme sur la santé du virus originel du SARS et de son cousin le MERS ont également alarmé Leonardi.
Ces agents pathogènes ont également perturbé le système immunitaire. Le MERS, par exemple, n'a pas seulement infecté et tué les cellules qui tapissent les vaisseaux sanguins, mais aussi les cellules T. Le SARS et le MERS pouvaient tous deux vaincre les défenses du système immunitaire et entraîner une maladie chronique prolongée qui durait des années.
Pour Leonardi, les implications étaient extrêmement importantes. Cela signifie que des vagues répétées d'infection par le COVID pourraient ne pas laisser de mémoire durable ou compétente pour lutter contre une réinfection ou pour éliminer le virus. Les infections répétées pourraient s'aggraver avec le temps, entraînant davantage de décès, de lésions organiques et de handicaps de longue durée. Il a commencé à écrire des lettres aux commissions scolaires et à émettre des avertissements au sujet de ses conclusions basées sur ses lectures approfondies.
Alors que Leonardi avait de plus en plus de followers (et de détracteurs) sur Twitter, quelqu'un a créé un "Dr. Leonardi's translate bot". Ses tweets proposaient des traductions du langage médical opaque que Leonardi utilise souvent. "Bonjour à tous, je suis marche et prêt à analyser le langage de Leonardi", a annoncé le robot.
Pendant ce temps, le compte Twitter de Leonardi est passé de rien à plus de 70 000 followers, et est devenu un champ de bataille entre celleux qui disaient que nous étions dans la phase descendante de la pandémie et prenions les mesures appropriées et celleux qui disaient que nos attitudes et nos politiques étaient dangereusement négligentes. Ce différend est loin d'être tranché.
Le tumulte a atteint son paroxysme cette année lorsque Leonardi a émis l'hypothèse que les infections répétées par le COVID pourraient épuiser les cellules T chez les personnes de 50 ans et plus, entraînant une réponse immunitaire émoussée. (Les infections chroniques telles que le VIH ou le virus Epstein-Barr ont typiquement pour effet d'épuiser les cellules T).
Leonardi a émis cette opinion pour la première fois en août 2020, mais elle s'est imposée lorsque les réinfections ont explosé avec Omicron.
Il en va de même pour les critiques. Au début de l'année, Vincent Rajkumar, rédacteur en chef du Blood Cancer Journal, a qualifié cette idée d'"absurde", tout comme les virologues américain·es Vincent Racaniello et Amy Rosenfeld.
En janvier, la sociologue et rédactrice du New York Times Zeynep Tufecki a laissé entendre que Leonardi était un cas isolé auquel il ne fallait pas se fier, en tweetant :
"Rappelons que tous les illuminés ne sont pas Galilée. Oui, les experts peuvent se tromper, et même un domaine peut se tromper - nous l'avons vu avec l'aviation - mais les enjeux impliquent des *groupes* de scientifiques qui travaillent et publient."
L'un des reproches souvent adressés à M. Leonardi par ses détracteurs est qu'il n'est pas enfermé dans un laboratoire pour produire des résultats d'expériences, et qu'il ne ferait donc pas vraiment partie du club des chercheurs qui tentent sérieusement de percer le COVID. M. Leonardi est en fait un immunologiste titulaire d'un doctorat qui poursuit actuellement une maîtrise en santé publique.
Parmi les critiques les plus virulentes de Leonardi, on trouve un expert des cellules T très en vue, le scientifique de l'université Duke Antonio Bertoletti, qui termine souvent ses messages sur Twitter par "Go T Cells Go". Sur Twitter, il a posté une étude de Nature sur des travailleur·euses de la santé en affirmant qu'elle montrait que "l'exposition [au COVID] étend le répertoire des cellules T" et qu'il n'y avait pas de problème d'épuisement.
Toutefois, l'étude ne portait que sur des personnes en âge de travailler et n'incluait pas de personnes souffrant d'un COVID long, dans lequel une infection chronique et persistante enflamme le système immunitaire.
Ainsi, le débat, comme la pandémie, se poursuit.
Parmi les défenseur·euses de Leonardi figure le biologiste évolutionniste de l'Université de Guelph, T. Ryan Gregory, qui le qualifie de voix "courageuse", sobre et brillante.
"Ses arguments menaçaient de saper les récits de celleux qui minimisent la pandémie", a déclaré Gregory au Tyee. "Si une infection antérieure affaiblit le système immunitaire et ne le renforce pas, cela met à mal l'idée populaire selon laquelle nous devrions laisser le virus se propager."
Yaneer Bar-Yam, éminent scientifique spécialiste de la complexité, expert en pandémie et directeur du World Health Network, partage cet avis. "Les raisons pour lesquelles Anthony a été si largement attaqué, c'est parce qu'il a destabilisé le discours selon lequel une fois que vous avez été infecté, vous n'avez plus à vous inquiéter."
Bar-Yam a ajouté : "Il a compris très tôt que notre idée de la façon dont le système immunitaire fonctionnait avec un virus, n'allait pas être adaptée en ce qui concerne le COVID, et il avait raison."
Le médecin urgentiste torontois Kashif Pirzada a suivi la prise de position de Leonardi sur le COVID et ne voulait initialement pas croire ses prédictions sur les cellules T. "Mais elles ont résisté à l'épreuve du temps et sont maintenant confirmées par de multiples études de laboratoire.
LE DOSSIER LEONARDI
Dans quelle mesure les mises en garde de Leonardi se révèlent-elles valables à mesure que les recherches sur le COVID et les réponses immunitaires s'accumulent ? Examinons six questions clés, en comparant ses déclarations avec ce que la littérature scientifique dit ou suggère aujourd'hui.
Pour commencer, Leonardi a averti que le virus minait et vieillissait le système immunitaire en hyperactivant et en épuisant les lymphocytes T. Cette surstimulation pouvait à son tour endommager des organes tels que le cœur, le cerveau et les reins.
Il a prédit que la pandémie réduirait l'espérance de vie dans le monde entier, touchant surtout les personnes âgées de 50 ans et plus.
Il a émis l'hypothèse que le virus, en endommageant le système immunitaire, pourrait rendre les gens plus vulnérables à d'autres infections et cancers.
Il a émis l'hypothèse que les réinfections par le COVID pourraient poser de gros problèmes et devraient être évitées.
Compte tenu de la capacité du virus à affaiblir et à vieillir le système immunitaire, il a fait valoir que l'exposition répétée d'enfants à un virus qui affaiblit le système immunitaire et provoque des maladies vasculaires et un rétrécissement du cerveau était une mauvaise politique.
Et, très tôt dans la pandémie, il a fait valoir que l'immunité collective était une idée chimérique et ne pouvait être atteinte.
1. Immunité et cellules T épuisées
Lorsque de nombreux·ses expert·es ont présenté le COVID comme un nouveau virus de type grippal qui n'éliminait que les personnes âgées ou malades, Leonardi a proposé une approche radicalement différente. En 2020, il a proposé une explication controversée de la phase aiguë de la maladie et des lésions organiques observées chez certains adultes et enfants atteints du syndrome inflammatoire multisystémique. Il soupçonnait le virus d'hyperstimuler les cellules T de plusieurs façons. En conséquence, le virus poussait en quelque sorte le système immunitaire à attaquer les organes internes.
En 2020, Leonardi a rédigé le premier d'une série d'articles évalués par des pairs pour Frontiers in Immunology et a développé son hypothèse, affirmant que le COVID est un "pathogène lympho-manipulateur, qui... crée une réponse immunitaire dysfonctionnelle". En d'autres termes, le virus endommage si gravement les cellules T que le COVID ne mine pas seulement la réponse immunitaire pour le COVID mais aussi probablement pour d'autres pathogènes.
Ou comme l'a dit le "Dr Leonardi translator bot" : "Les followers du Dr AJ comprennent que les cellules T sont un élément précieux de l'arsenal immunitaire humain, mais le COVID déforme leur fonction pour induire une auto-immunité."
L'article, qui a fait l'objet d'une large diffusion, a suscité beaucoup de mépris, mais aussi une attention soutenue et des appels à poursuivre les recherches. "S'il s'avère exact, il pourrait apporter de sérieuses remises en question de notre compréhension des réponses immunitaires contre le virus SARS-CoV-2 et avoir de sérieuses implications en ce qui concerne la protection contre le COVID-19 sévère", ont écrit deux chercheur·euses dans la revue Expert Review of Vaccines en 2022.
Alors, que disent les preuves maintenant ?
L'un des premiers indices montrant que le COVID pouvait perturber gravement le système immunitaire, en particulier dans les cas graves, est apparu dans une petite étude portant sur l'autopsie de 11 personnes décédées de l'infection au cours de l'été 2020. Les personnes décédées n'avaient pas de centres dits germinatifs, des endroits dans la rate et les glandes lymphatiques où les cellules immunitaires apprennent à monter une attaque de longue durée contre un envahisseur biologique.
En d'autres termes, le système immunitaire n'a pas fait ce qu'il est censé faire : vaincre l'infection.
En 2021, le Journal of Clinical Investigation a confirmé que ces changements dans l'activation et l'épuisement des cellules T existaient chez des patient·es non hospitalisé·es. En outre, les données semblent indiquer "une période prolongée de dysrégulation immunitaire" après l'infection.
En novembre 2021, un groupe de chercheur·euses italien·nes a étudié les caractéristiques immunologiques de patient·es se remettant d'une maladie aiguë après une hospitalisation. Iels ont elleux aussi constaté ce que Leonardi avait prédit en 2020 : des lymphocytes T épuisés. En fait, le système immunitaire de ces patient·es n'était pas seulement malmené, mais souffrait d'un certain nombre d'autres anomalies que les chercheur·euses ont qualifiées de "profil immunitaire déréglé". Cette faiblesse immunitaire persistait des mois après l'infection, mais pouvait être restaurée par l'administration d'une protéine appelée PD-1 Blockade.
D'autres scientifiques ont découvert que les infections légères au COVID peuvent endommager le système immunitaire. Des chercheur·euses britanniques et américain·es ont examiné l'état des cellules T chez des patient·es souffrant d'une infection légère, grave ou nulle au COVID. Ce qu'iels ont découvert les a surpris et semble contre-intuitif. Les patient·es atteint·es d'une maladie grave semblaient avoir des cellules T dont la mémoire leur permettait de lutter contre la réinfection, tandis que les patient·es atteint·es d'une maladie bénigne souffraient d'un épuisement de ces cellules. Les cellules T épuisées perdent leur capacité à lutter contre les virus ou les cancers.
"Les personnes atteintes d'une forme grave de la maladie sont susceptibles de se retrouver avec un grand nombre de cellules à mémoire", a déclaré le Dr Pandurangan Vijayanand de l'Institut d'immunologie de La Jolla. "Les personnes atteintes d'une maladie plus légère ont des cellules à mémoire, mais elles semblent épuisées et dysfonctionnelles - elles pourraient donc ne pas être efficaces assez longtemps."
Des chercheur·euses australien·nes ont fait état de résultats similaires intrigants après avoir examiné les profils sanguins de patient·es souffrant de COVID long et les avoir comparés à des témoins sains. Iels ont constaté que "le dysfonctionnement immunologique persistait pendant huit mois après une infection légère à modérée", y compris des indicateurs "d'activation chronique des cellules T et potentiellement d'épuisement." Iels ont également constaté que les personnes souffrant d'un COVID long manquaient de cellules T naïves, exactement ce que Leonardi avait prédit.
Le lauréat du prix Nobel et immunologiste australien Peter Doherty a émis l'hypothèse que ces résultats préliminaires "pourraient refléter une confrontation continue entre un virus persistant et des cellules immunitaires et des anticorps qui tentent de l'éliminer de notre corps, mais n'y parviennent pas tout à fait".
En 2022, une étude chinoise a montré que le COVID infecte et tue les cellules T, contribuant ainsi à un dysfonctionnement immunitaire qui favorise la persistance du virus dans l'organisme. Deux chercheur·euses commentant les implications de l'étude ont noté que les cellules T infectées "sont non seulement compromises dans leur capacité à contrôler l'infection virale, mais elles peuvent également transporter le virus vers d'autres parties du corps à travers la circulation sanguine, provoquant la propagation de l'infection, affectant divers organes et parties du corps."
D'autres immunologistes éminent·es ont commencé leurs explorations dans ce sens.
L'immunologiste de Yale Akiko Iwasaki a émis l'hypothèse que le COVID long pouvait être causé par une infection virale persistante, des restes de virus ou une réaction auto-immune. Dans une étude récente qui a examiné attentivement le système immunitaire de 99 patient·es atteint·es de COVID long, l'équipe d'Iwasaki a trouvé exactement ce que Leonardi avait d'abord supposé : des cellules T épuisées qui laissaient penser que les patient·es combattaient une infection chronique active. L'intensité de l'épuisement des cellules T correspondait également à la réactivation du virus Epstein-Barr chez des patient·es.
À bien des égards, les personnes atteintes d'un COVID long ressemblent beaucoup aux patient·es atteint·es par une encéphalomyélite myalgique, une autre forme de dérèglement immunitaire provoqué par une infection virale chronique.
Le mois dernier, des chercheur·euses suédois·es ont à nouveau confirmé ce que Leonardi avait spéculé il y a deux ans : les personnes atteintes d'un COVID sévère présentaient des effets durables sur le système immunitaire pendant sept à huit mois. "Les effets sur les cellules T du système immunitaire sont intéressants et variables", a déclaré Marie Larsson, professeure de virologie au département des sciences biomédicales et cliniques de l'université de Linköping, et responsable de l'étude.
"Certain·es d'entre elles sont encore activées longtemps après l'épisode de la maladie, tandis que d'autres sont 'fatiguées' et ne peuvent pas fonctionner normalement. Nous observons des effets similaires chez les patient·es atteint·es d'une infection chronique par le VIH. La question est la suivante : pourquoi ces effets sont-ils encore présents après autant de temps ?" se demande Larsson.
La société pharmaceutique Merck considère désormais le COVID comme une cause majeure de lymphocytopénie : une destruction des globules blancs,qui comprend les cellules T.
En juin dernier, l’essai d'un nouveau médicament, l'Abatacept, qui bloque directement l'activation des cellules T, a permis d'éviter des décès chez des patient·es sévèrement atteintes de COVID.
Même Antonio Bertoletti, opposant de Leonardi, a récemment présenté une perspective plus nuancée sur les cellules T et le COVID dans la publication Immunity qu'il ne l'a fait sur Twitter.
"Il est donc possible que des mécanismes de dysrégulation fonctionnelle des cellules T puissent être à l'origine des événements inflammatoires exacerbés qui caractérisent le COVID-19 sévère et même de certains aspects de la pathologie prolongée observée chez certain·es convalescent·es du COVID-19." Il ne mentionne pas Leonardi.
2. Vulnérabilité liée à l'âge
En juillet 2020, six mois avant que les vaccins contre le COVID ne soient disponibles et bien avant que nous n'apprenions que le virus évoluerait de manière à provoquer des "vagues d'infections" malgré les vaccins, Leonardi a exprimé cette sombre préoccupation :
"Dans le pire des cas, dans une situation où ce virus mute suffisamment et se perpétue, je crains un monde où la plupart des personnes âgées succombent aux complications du COVID."
De nombreux·ses expert·es de l’espérance de vie ont déclaré que de telles spéculations étaient ridicules. (Iels ont depuis supprimé leurs tweets.) À l'époque, iels ont fait valoir qu'un virus qui ressemblait à la grippe ne pouvait pas faire ce genre de dégâts au niveau de la population.
Mais Leonardi a avancé que le COVID a causé plus de décès que la grippe, et il a noté que le système immunitaire est à son apogée lorsque les gens sont dans la trentaine et qu'il décline lorsque les gens entrent dans la cinquantaine. L'impact du COVID sur les personnes âgées était inquiétant, a-t-il noté en 2020, "car en vieillissant, nous ne produisons pas beaucoup, voire plus du tout, de cellules T..... On ne peut pas revenir en arrière sur les cellules T. Si elles doivent relever trop de défis, elles s'épuisent et vieillissent. Sans compter que le virus va muter et échapper à l'action des vaccins."
Il s'avère que Leonardi avait encore raison.
Un article scientifique récent et de premier plan a confirmé que l'âge de 50 ans est effectivement un point d'inflexion pour les décès dus au COVID. Selon cet article, la perte ou la diminution de la diversité des cellules T en réponse aux infections pourrait expliquer cette situation.
Dans un récent tweet, Leonardi a demandé à ses lecteur·ices : "Avez-vous une idée de ce que vous avez perdu ? Au revoir les années dorées.... Je vous l'avais dit".
3. L'"Effet Leonardi" pour d'autres agents pathogènes
Si le COVID peut affaiblir une réponse immunitaire efficace et activer d'autres agents pathogènes latents (qu'il s'agisse du zona ou du virus d'Epstein-Barr), pourrait-il également nuire à la capacité d'une personne à combattre d'autres agents pathogènes ? Leonardi s'est posé cette question en 2020.
En d'autres termes, la pandémie pourrait-elle avoir l'effet non désiré de supprimer les systèmes immunitaires, ce qui entraînerait une plus grande vulnérabilité à d'autres infections virales, bactériennes ou fongiques et, par conséquent, accélérerait leur propagation ?
Le Dr David Joffe, un médecin australien, a nommé cette idée "l'effet Leonardi". Il pense que cela pourrait expliquer "la diffusion généralisée de maladies auparavant dormantes, désormais présentes sous de multiples formes".
Les faits montrent que l'idée n'est pas farfelue. En fait, la littérature scientifique regorge de récits de virus et de bactéries se comportant étrangement à la suite de la pandémie de COVID-19. Les centres américains de contrôle et de prévention des maladies, par exemple, ont noté une augmentation récente des maladies respiratoires graves nécessitant une hospitalisation chez les enfants, causées par un entérovirus normalement bénin. Les hôpitaux américains ont également signalé l'admission d'enfants souffrant d'un ensemble inhabituel de deux, voire trois infections respiratoires, en même temps. Elles semblent également plus tenaces.
La variole du singe, un virus de rongeur limité en principe à l'Afrique, s'est transformée en une pandémie atypique dans le monde entier. La polio a refait surface à New York et à Londres. Un virus Coxsackie a fait son apparition en Inde cette année, créant des éruptions cutanées inhabituelles de la taille d'une tomate. Une hépatite grave est apparue et a mystérieusement affecté le foie de plus de 1 000 enfants, ce qui a conduit des scientifiques chinois à soupçonner l'infection par Omicron d'en avoir augmenté le risque.
Les infections non virales sont également en augmentation. Les centres américains de contrôle des maladies ont signalé une augmentation de 15 % de la résistance aux antimicrobiens dans les hôpitaux au cours de la première année de la pandémie. Certain·es chercheur·euses ont émis l'hypothèse que la poussée de maladies fongiques qui a frappé les patient·es COVID pourrait être due en partie à l'épuisement des cellules T. Ces cellules sont connues pour jouer un rôle essentiel dans la réponse immunitaire adaptative contre les infections fongiques.
On a également constaté une augmentation inexplicable des infections cérébrales chez les enfants. Une enquête menée en 2022 auprès de 109 hôpitaux américains a révélé un bond de 236 % des infections cérébrales bactériennes depuis le début de la pandémie. Certaines pouvant être traitées par des antibiotiques, d'autres nécessitant une intervention chirurgicale. Les chercheur·euses ont émis l'hypothèse que les bactéries présentes dans la bouche et le nez pouvaient se déplacer vers le cerveau, du fait de l’affaiblissement du système immunitaire par le COVID.
Par conséquent, un nombre croissant de scientifiques prennent très au sérieux l'idée d'une immunodépression à la suite d'infections par le COVID. Un rapport de Santé publique Ontario a averti plus tôt cette année qu'"une augmentation potentielle de l'immunité déficiente acquise dans la population ontarienne pourrait avoir un impact significatif sur l'incidence et la charge associée à des maladies infectieuses... ainsi qu'à d'autres problèmes de santé à plus long terme".
Le microbiologiste Brendan Crabb, directeur du Burnet Institute de Melbourne, a déclaré à Bloomberg qu'il serait surpris que le COVID n'ait pas d'effet sur l'infectiosité d'autres maladies, étant donné l'affaiblissement avéré du système immunitaire chez les patient·es atteint·es du COVID long.
"Vous avez la majeure partie des 100 millions à un demi-milliard de personnes dans le monde dont la capacité à répondre aux virus est très modifiée", a déclaré Crabb à Bloomberg. "Il n'est pas possible que tout continue normalement en ce qui concerne l'écologie microbienne".
Crabb a exposé trois conséquences différentes. La suppression immunitaire provoquée par le COVID pourrait aggraver les symptômes d'autres agents pathogènes, modifier le comportement de transmission d'autres virus et même créer des porteur·euses chroniques de différentes maladies.
Donc les preuves s'accumulent que "l'Effet Leonardi" est réel.
4. Réinfections répétées
Au début de la pandémie, les réinfections étaient rares. Mais cette réalité a changé avec l'émergence de Delta puis d'Omicron, deux variants à fort échappement immunitaire.
Alors que de plus en plus de personnes étaient réinfectées, de nombreux·ses virologues ont réagi à cette nouvelle tendance en affirmant que cela ne poserait pas de problème. L'infection ou la réinfection par un virus léger de type grippal ne ferait que renforcer notre immunité, ont-iels ajouté. En outre, les gens doivent s'exposer afin de maintenir leur système immunitaire en bon état de marche.
En novembre 2020, la virologue Angela Rasmussen a écrit dans le Guardian que le COVID n'était "pas un virus anormal capable de réaliser des prouesses miraculeuses d'évasion immunitaire" et que nos systèmes immunitaires traitaient ce virus de manière habituelle.
Mais Leonardi a adopté un point de vue différent. Il ne considérait pas le COVID comme un nouveau virus présentant quelques effets secondaires désagréables, mais comme un virus présentant une gravité intrinsèque. Si les cellules T sont endommagées par la première infection, la deuxième infection pourrait ne pas être bénéfique et pourrait, chez certaines populations, entraîner un dysfonctionnement du système immunitaire.
Il a également souligné que les infections virales répétées ne renforçaient ou n'amélioraient pas toujours l'immunité. Les réinfections par la dengue, par exemple, étaient beaucoup plus graves lors de la deuxième occurence que lors de la première. En août 2020, il a conseillé aux gens de se faire vacciner et d'éviter les infections.
"Si vous ne comprenez pas ce qui provoque une maladie grave dans le COVID-19, vous ne serez pas en mesure d'imaginer ce qui pourrait se passer lors d'une réinfection", a-t-il expliqué dans une interview l'année dernière. "Nous observons une réponse des cellules T qui est tardive et excessive parce que le COVID pénètre dans l'organisme sans être détecté jusqu'à ce qu'il soit trop tard."
En cas de réinfections, le Dr Leonardi craint que l'organisme ne se souvienne que de la mémoire immunitaire existante et n'oppose qu'une faible réponse immunitaire aux nouveaux variants. Comme le note le robot de traduction du Dr Leonardi : "Le Dr AJ a averti que nous exposions les gens à des lésions organiques et à la perte de fonctions vitales. Les dommages pourraient être irréversibles."
Des preuves croissantes viennent confirmer la thèse de Leonardi. Une étude préliminaire (preprint) réalisée en 2022 par le chercheur américain Ziyad Al-Aly a mis en lumière l’association entre les réinfections et un risque plus élevé de complications. En d'autres termes, les personnes ayant contracté une deuxième ou une troisième infection par le COVID présentaient des taux significativement plus élevés de maladies cardiaques et de troubles rénaux au cours des 30 premiers jours de l'infection, ainsi que dans les six mois suivants, que les personnes ayant contracté une seule infection.
Al-Aly n'a pas constaté que les réinfections entraînaient nécessairement des symptômes plus graves que ceux de la première infection. Mais son étude a mis en évidence un risque supplémentaire et significatif. En d'autres termes, une réinfection peut pousser les personnes vulnérables, en fonction de leur âge et de leur état de santé, vers des complications graves, une fibrose et des lésions organiques.
Un article publié dans Science par l'immunologiste britannique Danny Altmann a également remis en question le dogme sur l'efficacité des réinfections. Son étude a provoqué une onde de choc au sein de la communauté scientifique, car elle a révélé que l'infection par le COVID n'apportait "aucun renforcement immunitaire" aux travailleur·euses de santé triplement vacciné·es. Les personnes ayant contracté une seconde infection présentaient également une réponse des cellules T nettement plus faible que face au premier variant avec lequel elles avaient été infectées. "Même en ayant eu Omicron, nous ne sommes pas bien protégés contre d'autres infections", a déclaré Altmann.
Ensuite, une étude danoise a documenté le même phénomène : une augmentation des réinfections par Omicron en raison de l'affaiblissement ou de l'absence d'immunité durable. Dans certains cas, les personnes ont été réinfectées en trois semaines, la moyenne étant de 22 semaines. Comme l'explique un vulgarisateur scientifique : "Les résultats indiquent que les infections primaires avec des variants non Omicron préoccupants n'ont pas permis de fournir une protection immunitaire suffisante pour prévenir les réinfections avec Omicron."
Une nouvelle étude chinoise a soulevé encore plus d'inquiétudes. Elle montre que les personnes atteintes d'une infection post-vaccinale par des nouveaux vairants d'Omicron voit leur gamme d'anticorps et leur anticorps neutralisants diminuer. Même les traitements efficaces sont neutralisés.
"Où est donc passée la prise en compte du fait que l'infection réduit effectivement la quantité d'anticorps et la réponse neutralisante ?" s'interroge maintenant M. Leonardi.
"Quiconque affirme qu'une exposition continue est meilleure pour l'individu et les réponses immunitaires va à l'encontre des nouvelles données et fait preuve d'un optimisme excessif", a déclaré Leonardi au Tyee. "C'est cet optimisme débridé à propos de l'infection et de l'immunité qu'elle confère qui a contribué à nous mettre dans un tel pétrin."
5. Exposer les enfants à la souffrance
Lorsque Omicron est apparu l'année dernière et a explosé dans les écoles, de nombreuses autorités de santé publique ont fait valoir que l'infection était le plus souvent bénigne, inéluctable ou qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter.
Leonardi a exprimé son désaccord avec véhémence. Il a même écrit des lettres aux commissions scolaires pour expliquer ses inquiétudes. Il a fait valoir que les vaccins conféraient une meilleure immunité que les risques substantiels que comportait l'infection naturelle, notamment le COVID long et les lésions cérébrales chez les enfants.
Il a également prévenu que contracter le COVID "tous les ans ou tous les deux ans" n'est pas judicieux et ni juste vis-à-vis des enfants. "Il s'agit d'un virus SARS virulent et non d'un simple rhume et il a évolué pour devenir plus sévère". À ce titre, il a plaidé pour les masques, une meilleure filtration de l'air et des vaccins pour les enfants.
Pour Leonardi, partir du principe qu'une infection n'aura pas de conséquences à long terme chez les adultes ou les enfants ne semble pas être une bonne politique de santé publique. "Je sais, d'après ce que j'ai lu dans les études qui ont été publiées, que certaines personnes vont certainement être génétiquement susceptibles d'avoir de très graves complications et de mourir", a-t-il déclaré lors d'une interview il y a un an. "Et je pense qu'il n'est pas juste que les enfants soient simplement exposés à cela sans avoir une chance de se battre, sans être vaccinés".
Chaque jour, les recherches sur les effets du COVID sur les enfants prennent de l'ampleur. L'un des principaux problèmes est le risque accru de diabète chez les enfants après l'infection, une revue l'ayant qualifié de "tendance inquiétante".
Les complications neurologiques constituent un autre problème majeur. Elles peuvent toucher un enfant sur 12 hospitalisé pour COVID-19 et "avoir un impact significatif" sur leur vie.
Face à ces risques, certaines administrations ont adopté le principe de précaution et adoptent désormais le discours de Leonardi. Prenons l'exemple de Karl Lauterbach, le ministre fédéral de la santé de l'Allemagne. Il a récemment défendu sa décision d'imposer le port du masque dans les écoles cet automne, en déclarant : "Infecter toute une génération est irresponsable. Nous ne savons pas encore ce que cette infection fait au système immunitaire des enfants lorsqu'elle se répète."
6. L'immunité collective
Au début de la pandémie, de nombreux·ses expert·es ont fait valoir que l'immunité collective était le moyen pour la civilisation de sortir de la pandémie. Si seulement la majorité des personnes étaient infectées par le COVID ou vaccinées, leur immunité stopperait la circulation du virus et priverait le COVID de nouveaux hôtes.
Leonardi a toutefois prévenu que l'immunité collective ne pouvait être obtenue avec les coronavirus. Ils ne sont pas stables comme le virus de la polio ou de la rougeole, mais très volatils et en constante mutation. Il ne s'agit pas non plus d'un virus unique.
Leonardi a estimé en septembre 2020 que pour ce virus, "l'immunité collective n'existe pas". Au lieu de cela, nous aurions quelque chose "comme un COVID endémique où des vagues et des vagues d'infection produisant des résultats cinq fois pires que la grippe".
Il a ajouté que de nouveaux variants deviendraient probablement plus performants en matière d'invasion immunitaire et que les vaccins, aussi bons soient-ils pour réduire les décès et les maladies, ne seraient pas en mesure de prévenir l'infection et le cycle de transmission.
Il a expliqué que la seule raison d'attraper une maladie est d'aider votre système immunitaire afin qu'il puisse mieux la gérer lorsque vous êtes plus âgé et plus vulnérable aux complications.
Mais, certaines infections ne génèrent pas une bonne mémoire immunitaire, et par conséquent l'infection n'a aucun avantage. Il a classé le COVID dans cette seconde catégorie.
Leonardi n'était pas le seul à avancer de tels arguments. Le virologue américain William Haseltine a émis des avertissements similaires compte tenu de la nature des coronavirus.
Contre de telles prédictions, le chœur de l'optimisme s'est avéré beaucoup plus fort. Quoi qu'il en soit, en avril 2021, Leonardi a déclaré qu'il n'y aurait "aucune immunité collective par infection" car "chaque incidence d'infection est un facteur négatif net et une pilule empoisonnée. Elle remet à zéro le décompte de l'immunité en contribuant à l'évolution et à l'échappement immunitaire."
Le consensus scientifique confirme désormais clairement la thèse de Leonardi. Ni les infections ni les vaccins n'ont permis d'atteindre l'immunité collective en raison de la nature immuno-évasive du virus. La plupart des scientifiques considèrent désormais le concept d'immunité collective comme un mirage. Le biologiste évolutionniste Gregory : "Et bravo à Leonardi. Il avait raison à propos de l'immunité collective."
Dans un tweet du 20 juin 2022, Leonardi a donné sa version du brouhaha :
Je ne suis certainement pas Galilée.
La seule raison pour laquelle mes opinions ont été controversées est que l'Occident a choisi de nier la réalité et de supposer que l'immunité collective par l'infection était possible, et que des scientifiques avides de pouvoir ont corroboré cette thèse.
PROPHÈTE DE LA PESTE ÉTERNELLE
Le dossier montre que Leonardi a été remarquablement clairvoyant, cohérent et souvent juste. Oui, sa thèse sur l'épuisement des cellules T et le dysfonctionnement immunitaire reste une hypothèse de travail. Pourtant, de nombreux éléments indiquent que le virus est à l'origine d'un dérèglement immunitaire généralisé, tant dans les cas légers que dans les cas graves.
L'immunité collective, comme l'avait prédit Leonardi, reste une fiction.
Les réinfections ont été associées à des conséquences inquiétantes dans une étude très remarquée.
L'effet Leonardi pourrait bien expliquer la recrudescence des infections bactériennes, virales et fongiques après les vagues de COVID.
Les risques pour les enfants restent graves en l'absence de masques et d'une bonne filtration et ventilation de l'air.
Alors qu'il voit ces données s'accumuler, comment Leonardi se sent-il ? " Déçu, parce que la plupart des scientifiques n'ont pas pleinement mesuré la probabilité d'une évolution antigénique aussi rapide, de sorte que nous sommes maintenant submergé·es par un virus mortel qui provoque de nombreux handicaps et qui continuera à mettre de plus en plus de gens à genoux ", a-t-il déclaré au Tyee.
Il ne sait pas quand la pandémie prendra fin. Il pense qu'un excellent vaccin en spray nasal, combiné à des changements à long terme dans les infrastructures publiques pour assainir l'air, pourrait réduire la menace du COVID.
D'ici là, l'évolution pourrait prendre le dessus, le virus devenant plus habile à échapper à l'immunité suscitée par les infections antérieures au COVID et les injections de vaccin.
Leonardi n'a nullement échappé à la tempête de controverses qui l'entoure depuis les premiers jours de la pandémie. Mais à mesure que l'on en sait plus, il ne voit aucune raison de revenir sur son évaluation de ce à quoi nous sommes confronté·es, ainsi que la manière dont nous devons réagir.
"Les infections et les réinfections ont en effet un effet cumulatif sur le virus", a-t-il expliqué à The Tyee. Notamment en propulsant l'évolution du virus dans la mesure où il peut mieux "échapper à l'immunité de l'infection qu'il a précédemment causée".
"Laissez-moi le dire autrement", a-t-il poursuivi. "Dans l'ensemble, pour la population de notre planète, les infections ont conféré plus d'évasion immunitaire au virus à travers l'évolution que d'immunité pour nous. Les infections ont donc plutôt été une aubaine pour le virus que pour notre immunité."
Il y a environ un an, l'épidémiologiste Larry Brilliant, qui a mené la charge pour l'éradication de la variole, a averti le monde que le COVID serait "le virus éternel".
Et c'est ainsi que Leonardi le voit aujourd'hui, lui aussi.
Les premières occasions de stopper le COVID dans son élan ont été manquées, dit-il, "parce que nous avons été trop stupides" en tant que sociétés pour prendre des précautions rigoureuses afin d'éviter sa propagation.
Et pourtant, il reste essentiel pour chacun d'entre nous de porter des masques, de garder une certaine distance et de fréquenter des espaces avec une faible densité de population et bien aérés, ne serait-ce que, selon l'analyse de Leonardi, pour éviter une réinfection, étant donné que chacune d'entre elles a tendance à affaiblir notre système immunitaire.
Ces dernières semaines, des virologues américains comme Jeremy Kamil se sont montré·es peu préoccupé·es par les récents taux d'hospitalisation en Europe et par les nouveaux variants qui échappe au système immunitaire. Kamil, par exemple, ne s'attend pas à l'avenir à une vague "catastrophique" de " variants convergents échappant aux anticorps ".
Anthony Leonardi, naturellement, ne partage pas cet avis.
Publication originale (07/11/2022) :
The Tyee
· Cet article fait partie de notre dossier Saboteur immunitaire du 21 janvier 2023 ·