Prendre soin en dehors des institutions | seeley quest
Nous pouvons souvent répondre à nos besoins plus directement en dehors des institutions, grâce à des réseaux de soins et d'entraide. Cet article explore quatre cas de soins aux personnes handicapées dispensés avec succès au sein même de leur communauté.
seeley quest est un·e écologiste trans handicapé·e vivant à Montréal depuis 2017. Travaillant dans le domaine de la création littéraire et corporelle, de l'éducation et de la curation, sie a été actif au sein de Sins Invalid de 2007 à 2015 et anime une newsletter sur questletters.substack.com.
· Cet article fait partie de notre dossier Validisme du 12 Novembre 2022 ·
Les programmes gouvernementaux, les organisations à but non lucratif et les institutions ne répondent souvent pas aux besoins des personnes handicapées, en particulier des sans-papiers ou de celles qui n'ont pas été officiellement étiquetées comme handicapées. On pense souvent que les personnes handicapées ne peuvent satisfaire leurs besoins que dans des institutions telles que les établissements spécialisés, les hôpitaux et les cliniques. Or, nous pouvons souvent répondre à nos besoins plus directement en dehors de ces institutions, grâce à des réseaux de soins et d'entraide. Cet article explore quatre cas de soins aux personnes handicapées dispensés avec succès au sein même de leur communauté.
Bibliothèque d'aide à la mobilité et de matériel médical
Michael Hampson, un militant de Hamilton, en Ontario, avait besoin de réparations pour son fauteuil roulant électrique. Le Programme de dispositifs d'assistance de l'Ontario aide les personnes ayant un handicap physique de longue durée à payer l'équipement, mais il ne couvre pas les réparations dont Hampson a si souvent besoin et qu'il ne peut pas se payer. En 2020, il est mort après une longue période de détérioration de sa santé, aggravée par le manque constant de mobilité.
Sahra Soudi a trop souvent entendu ce genre d'histoires : des membres handicapés de la communauté qui ont besoin de matériel adapté utilisable, mais qui ne peuvent pas y accéder à cause des insuffisances des programmes gouvernementaux. Lassés de la négligence de l'État, Sahra Soudi et le reste de l'équipe du Disability Justice Network of Ontario, une organisation dirigée par des personnes handicapées basée à Hamilton, sont passés à l'action.
En décembre 2021, l'équipe a commencé à recueillir des dons de matériel et d'équipement, notamment des fauteuils roulants manuels, des chevillères, des béquilles, des déambulateurs, des cannes de mobilité et des cannes blanches, ainsi que des glucomètres et des bandelettes de test. Quatre mois plus tard, elle ouvrait une bibliothèque de matériel d'aide à la mobilité et d'équipements médicaux à Hamilton. Cette bibliothèque fonctionne comme n'importe quelle autre bibliothèque : les habitant·es envoient un courriel à la bibliothèque pour soumettre une demande d'équipement, et si celui-ci est disponible, iels viennent le chercher. Iels peuvent conserver leur prêt d'équipement jusqu'à six semaines, ou plus longtemps s'iels le renouvellent, et doivent le rendre en bon état lorsqu'iels n'en ont plus besoin.
L'équipe de la DJNO a reçu un énorme soutien, des membres de la communauté de tout le pays demandant à leur ville de mettre en œuvre des projets similaires. si cette bibliothèque permet de fournir aux personnes handicapées les outils dont elles ont besoin au quotidien, elle met également en évidence l'incapacité du Programme d'appareils et d’accessoires fonctionnels de l'Ontario à répondre à leurs besoins fondamentaux. Elle montre qu'en partageant les ressources entre voisin·es, nous pouvons répondre aux besoins des un·es et des autres sans la paperasse, les délais d'attente et les conditions de ressources des programmes gérés par l'État.
Logement intégré
Les logements accessibles et abordables sont rares en Colombie-Britannique. L'allocation logement dans cette province pour une personne handicapée célibataire n'est que de 375 $ par mois, alors que le loyer mensuel moyen d'un F1 dans la région du Grand Vancouver est de 2 450 $. En raison de la hausse vertigineuse des loyers et de la faible couverture des services de soins à domicile et des médicaments sur ordonnance, de nombreuses personnes handicapées sont obligées de vivre dans des établissements spécialisés dans les soins de longue durée ou dans des institutions pour personnes souffrant de déficiences intellectuelles ou de troubles du développement, même si les communautés de personnes handicapées réclament massivement la désinstitutionnalisation et les soins à domicile. Le manque d'options de logement pour les personnes handicapées est à l'origine de la création de Chorus en 2016, un immeuble de 71 appartements inclusifs à des tarifs inférieurs à ceux du marché, à Surrey. Il comprend 20 logements pour les personnes ayant une déficience intellectuelle ou développementale et 51 logements pour le grand public, avec des loyers allant de 725 dollars par mois pour un studio jusqu'à 1 375 dollars pour un logement de trois chambres.
Trois organisations à but non lucratif regroupées sous le nom d'UNITI ont contribué à Chorus : La Semiahmoo House Society (SHS) apporte son soutien aux activités quotidiennes des locataires handicapé·es à domicile ; la Peninsula Estates Housing Society (PEHS) possède et gère le bâtiment ; et la Semiahmoo Foundation (TSF), un fonds destiné à développer des options de logement pour les adultes handicapé·es, a investi dans le développement et détient l'hypothèque. Les auxiliaires employé·es par la SHS se rendent auprès des locataires au besoin et les aident à gérer les courses, la cuisine, le nettoyage, le budget et d'autres tâches.
Trois organisations à but non lucratif gèrent le bâtiment, mais les futur·es locataires et leurs familles ont été fortement impliqués dans la planification et la conception. En 2004, SHS a organisé des entretiens avec les futur·es locataires handicapé·es et leurs familles sur leurs désirs et besoins concernant leur maison. C'était la première étape d'un long processus de consultation et de planification pour s'assurer que Chorus conviendrait à ses locataires. Une fois la conception terminée, les locataires handicapé·es ont également choisi leur logement avant leurs voisin·es non handicapé·es. Les résident·es font l'éloge du modèle de Chorus pour son soutien, son caractère abordable et son autonomie. Le succès de Chorus a incité l'UNITI à rechercher des financements supplémentaires pour d'autres constructions.
StopGap
Après que Luke Anderson ait subi une atteinte à la moelle épinière et soit devenu un utilisateur de fauteuil roulant motorisé, de nombreux magasins et cafés de sa ville natale de Toronto lui sont devenus inaccessibles à cause d'une seule marche à l'extérieur des entrées des bâtiments. Frustré, il a construit avec quelques ami·es une rampe à l'aide de matériaux de récup', et le propriétaire d'un magasin a accepté de l'installer à l'entrée de sa boutique. Fabriquée en bois, munie de poignées en corde, peinte de couleurs vives avec une finition antidérapante, et amovible, avec ce design de rampe permet les propriétaires de magasins n'ont plus besoin du permis que la ville de Toronto, comme beaucoup d'autres villes, impose pour les rampes permanentes. Depuis le début du projet en 2011, plus de 2 000 autres rampes ont été construites au Canada et à l'étranger, en utilisant ce modèle en une étape qu'Anderson et ses ami·es ont imaginé, et des sections de StopGap ont été créées sur tout le continent.
Depuis l'été 2022, l'équipe de StopGap a commencé un recensement de l'accessibilité à Toronto, en déterminant le nombre de rampes existantes dans la ville et en repérant les endroits qui pourraient utiliser une rampe StopGap et qui n'en ont pas. Bien que la Loi sur l'accessibilité pour les personnes handicapées de l'Ontario exige que la province soit sans obstacles d'ici 2025, les propriétaires d'entreprises ont peu de ressources pour assurer cet accès physique, et un examen effectué en 2019 a montré que l'Ontario était loin de remplir l'objectif de la loi. Comme le fait remarquer Anderson dans un entretien avec Broadview, " dans la plupart des municipalités, des règlementations d'empiètement empêchent les rampes de se déployer dans les rues. Nous avons cet objectif vraiment ambitieux de devenir une province sans obstacles, mais malheureusement il y a ces politiques désuètes dans la plupart des municipalités du Canada qui sont restrictives et empêchent l'égalité d'accès." Ainsi, lui et d'autres membres de StopGap expliquent la relative facilité de mise en place de rampes amovibles et sensibilisent les adultes et les enfants à réduire les obstacles autant que possible.
Formation à la prévention du suicide
Depuis la cinquième, Carly Boyce soutient des ami·es qui envisagent le suicide. Elle a assisté à plusieurs formations sur l'intervention en cas de suicide, mais beaucoup de formations officielles ne discutaient pas des systèmes et des structures à l'origine des idées suicidaires chez Boyce et ses ami·es.
"J'ai vu des gens qui avaient vraiment peur pour leur propre survie, s'entendre dire par des médecins ou d'autres structures officielles qu'iels allaient bien, ou être rejeté·es parce qu'iels auraient simplement cherché à attirer l'attention", raconte Boyce à Briarpatch. "J'ai aussi vu des personnes qui se débattaient, mais qui s'en sortaient bien avec le soutien de leurs pairs et leurs propres réseaux de soins, être retenues contre leur gré et, dans les services de psychiatrie, être infantilisées, voir leur genre et/ou leur sexualité pathologisés, recevoir des médicaments ou d'autres traitements qu'elles ne trouvaient pas utiles. J'avais l'impression que presque toutes les personnes que je connaissais ne recevaient soit pas assez d'aide, soit trop d'aide, soit une aide qui n'était pas vraiment utile !"
En 2016, elle a donc créé Suicide Intervention (for Weirdos, Freaks, and Queers), un atelier d'éducation par les pairs conçu comme un espace plus fiable. Les participant·es peuvent échanger sur les moyens de soutenir leurs ami·es en cas d'idées suicidaires sans faire appel à des institutions, sources d'expériences néfastes, comme la police, les urgences et les services psychiatriques. Elle a également adapté son atelier en un zine afin de rendre ces outils plus facilement accessibles et partageables.
Contrairement à certaines formations plus officielles, Boyce reconnaît dans le zine qu'il n'existe "aucune recette secrète, aucune formule magique garantissant que toutes les personnes que vous aimez et qui luttent contre le suicide resteront dans le coin". Les formations sont un espace pour acquérir des outils et être en communauté avec d'autres personnes qui font un travail similaire pour s'éloigner des réponses de crise par défaut qui reposent sur la police et l'incarcération. "Plus je comprends l'interconnexion des différentes luttes, moins je me sens seule dans ce travail, ce qui le rend beaucoup plus joyeux et durable pour moi", explique Boyce.
Elle estime que se réunir pour discuter du suicide est en soi un acte radical : "Cell·eux qui croient en l'autonomie, la compassion, la douceur et la résistance à l'intervention de l'État et à l'incarcération [...] nous sommes puissant·es", écrit-elle. "Nous sommes prêt·es à briser le silence omniprésent autour du suicide".
Publication originale (09/2022) :
Briarpatch
· Cet article fait partie de notre dossier Validisme du 12 Novembre 2022 ·