Pourquoi la gauche a-t-elle dépriorisé le COVID ? | Raia Small
Le capitalisme assure sa propre survie en transformant les personnes handicapées inaptes au travail, ainsi que les autres chômeur·euses, en une population excédentaire dont l'existence contraint les travailleur·euses salarié·es à accepter de mauvaises conditions de travail et un faible salaire, de peur de tomber dans la pauvreté et l'exclusion abjectes que connaissent de nombreuses personnes handicapées et sans emploi. Le travail sous le capitalisme est un processus handicapant, en raison de l'insécurité des lieux de travail, des blessures dues aux accidents ou au stress répétitif, et des conséquences mentales et psychologiques d'une culture du travail qui est presque universellement insoutenable. Contrairement à la plupart des syndicats d'aujourd'hui, les premiers mouvements syndicaux considéraient le handicap comme une composante du travail.
Raia Small est une écrivaine et organisatrice communautaire vivant dans le nord de la Californie. Son travail est publié dans Make/shift, et ses essais et sa poésie ont été publiés dans Kaleidoscoped, |Tap|, Two Hawks Quarterly, et l'anthologie Interdisciplinary Writers Lab de 2019.
· Cet article fait partie de notre dossier Travail du 12 février 2023 ·
La pandémie de COVID-19 est la crise sanitaire la plus déstabilisante à l'échelle mondiale depuis au moins 100 ans. Le bilan officiel est de 6,5 millions de morts dans le monde ; l'Organisation mondiale de la santé estime que le nombre réel de décès est d'au moins 15 millions. Il est probable que plus de 100 millions de personnes aient contracté un COVID Long, une maladie, parfois grave, persistant pendant plus de 12 semaines après une infection au COVID, et nous ne connaissons toujours pas les effets d'une infection au COVID 5, 10 ou 20 ans plus tard. Aux États-Unis, où je vis, la durée et la qualité de vie se sont fortement dégradées. Les populations noires et latino-américaines ont perdu en moyenne quatre et trois ans d'espérance de vie respectivement, et l'espérance de vie moyenne, toutes catégories démographiques confondues, a diminué de 1,5 an, soit la plus forte baisse depuis la Seconde Guerre mondiale. Les décès se sont concentrés sur des populations déjà opprimées, notamment les Noir·es, les Latinx, les autochtones et les pauvres. Le taux de mortalité des travailleur·euses agricoles est 2,6 fois plus élevé que celui des travailleur·euses "non essentiel·les" ; le taux de mortalité des travailleur·euses du secteur de la restauration est également élevé. Les personnes âgées et les personnes handicapées continuent de représenter la majorité des décès dus au COVID, et le discours soutenu par le gouvernement selon lequel ces personnes étaient "de toute façon malades" dissimule le fait que la grande majorité d'entre elles auraient vécu des années ou des décennies de plus si elles n'avaient pas contracté ce virus.
Dans le contexte de ce meurtre social, une forme de guerre de classe exacerbée menée par les riches, qui augmentent leurs profits en forçant les pauvres à continuer à travailler, avec une protection inadéquate, à travers des vagues d'infection, la gauche organisée n'a pas réussi à montrer qu'une autre réponse à la pandémie est possible, et que nos vies dépendent de la lutte pour celle-ci.
Fragmentation et enchevêtrement capitaliste
La pandémie touche tous les aspects de notre vie en tant que travailleur·euses : la sécurité sur les lieux de travail, l'accès aux soins de santé, la sécurité à l'école, notre capacité à prendre soin des aîné·es ou à profiter de notre vieillesse, ou simplement la possibilité de participer à la vie sociale sans risquer la mort ou l’invalidité. Pour les personnes présentant un risque élevé de conséquences graves du COVID , ce qui inclut non seulement les personnes immunodéprimées, mais aussi toute personne de plus de 50 ans, et toute personne souffrant d'hypertension ou de diabète, ou souffrant d'asthme ou de dépression, la participation à des relations sociales et économiques est devenue une expérience quotidienne où l'on risque la mort ou l'hospitalisation. Pendant ce temps, la gauche politique aux États-Unis et au Canada s'est curieusement retenue de combattre les échecs du gouvernement en matière de pandémie. Des groupes d'entraide improvisés ont vu le jour en 2020 et ont fourni une aide essentielle, mais très peu de syndicats, d'associations ou d'organisations socialistes ont répondu à la pandémie d'une manière qui reflète la gravité et l'ampleur de la crise. Les groupes de gauche aux États-Unis ont continué à s'organiser principalement dans le cadre de la campagne de 2019, mettant en avant Medicare for All, l'annulation des prêts étudiants, le changement climatique et le logement. Ces questions restent importantes, mais l'échec constant de la gauche à s'organiser contre ou même à nommer ce qui singularise le meurtre social en cours pendant cette pandémie a donné une marge de manœuvre aux capitalistes et à leurs partis politiques. Cela a permis au débat sur la politique de lutte contre la pandémie de se dérouler entre l'extrême droite et le centre droit, et en 2022, l'unité entre ces forces s'est concrétisée par la suppression des obligations de port du masque, la fin des tests gratuits et la subordination de la santé publique au profit des entreprises.
Si le président américain Joe Biden a fait campagne en promettant d'endiguer la pandémie par des mesures de sécurité fédérales accrues, telles que l'obligation de porter des masques et de se faire vacciner, et de poursuivre la distribution de chèques de relance et d'aide, il a changé de cap peu après le lancement des vaccins. En annonçant, le 4 juillet 2021, que nous avions presque atteint l'"indépendance" vis-à-vis du virus, Biden a déclaré que le COVID était devenu une "pandémie des non-vacciné·es". Ce faisant, il a déplacé la responsabilité de son administration des décès dus au COVID vers les personnes mourantes elles-mêmes. Des personnes vaccinées mouraient également, mais ces données ont été minimisées par le Center for Disease Control (CDC) et le gouvernement fédéral américain. Cela a inauguré la phase de "responsabilité individuelle" de la pandémie : jusqu'à l'été 2021, les États avaient été largement blâmés pour les décès du COVID-19 dont ils étaient responsables. Désormais, les décès du COVID-19 sont considérés comme un échec personnel des individus à se protéger correctement. Rendre les non-vacciné·es responsables de la pandémie en cours fonctionne, d'un point de vue rhétorique, de la même manière que rendre les migrant·es responsables de la baisse des salaires : cela déplace la colère légitime contre un état de fait déplorable sur une cible impuissante, et loin du gouvernement.
Si le vaccin était une carotte, le bâton, aux États-Unis, serai la fin des allocations de chômage fédérales. Les gouverneurs conservateurs et les propriétaires d'entreprises avaient passé des mois à faire pression contre ces prestations, des programmes gouvernementaux qui avaient sorti des millions de personnes de la pauvreté, permis à de nombreu·ses travailleur·euses essentiel·les de ne pas tomber malades et évité d'innombrables décès. Pourtant, dans l'ensemble, les grands syndicats ne considéraient pas le chômage comme leur problème. Face à de mauvaises options, la plupart des gens sont retourné·es travailler tranquillement, même si rien n'avait été fait au cours de l'année et demie précédente pour rendre leurs lieux de travail plus sûrs (la mise à disposition gratuite de masques FFP2 et l'amélioration de la filtration de l'air auraient été des mesures simples et évidentes). Le gouvernement capitaliste a offert aux travailleur·euses américain·es non pas une véritable sécurité, mais la participation au mythe national d'invulnérabilité. Et en agissant ainsi, en faisant pression pour rouvrir, pour déclarer la fin d'une année harassante et le retour à une certaine forme de "normalité", ils ont rencontré peu d'opposition de la part de toutes les composantes du spectre politique.
Une des raisons pour lesquelles la gauche a eu du mal à répondre de manière adéquate à la pandémie à l'échelle nationale ou internationale est son enchevêtrement avec les partis politiques capitalistes. Alors que le Premier ministre canadien Justin Trudeau a fini par faire taire le convoi de camionneurs d’extrême-droite qui a occupé Ottawa au cours de l'hiver 2022 pour exiger la fin des obligations vaccinales et des autres mesures de protection face au COVID, quelques mois plus tard, tous les partis au pouvoir dans les provinces avaient mis fin aux mesures de protection face au COVID ou les avaient considérablement réduites, cédant plus ou moins aux exigences du convoi. Au Canada et aux États-Unis, les principaux syndicats ont été réticents à critiquer le NPD ou le Parti démocrate malgré l'abandon des travailleur·euses au COVID par ces partis. Aux États-Unis, les démocrates qui critiquent le courant centriste du parti, comme Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez, ont été presque silencieux·ses sur le COVID-19 depuis que Biden a pris ses fonctions, permettant à l'administration et au Congrès de superviser la mort de masse sans pression sérieuse de l’aile gauche du parti. Lors d'une récente conversation publique avec Ashish Jha, le coordinateur de la réponse au coronavirus de la Maison Blanche, Bernie Sanders a commencé par dire : "Nous devons faire face à la lassitude du COVID, les gens en ont assez de porter leurs masques, iels en ont assez de ne pas pouvoir aller au restaurant, au cinéma. Que dites-vous à ces gens ?" Au lieu de soulever l'atrocité de plus d'un million de morts, de plusieurs millions de handicaps nouvellement acquis, de l'absence de levée des brevets des vaccins, ou de l'absence de soutien social sous forme d'allocations chômage, de soins de santé universels, ou de tests et de vaccins gratuits, Sanders a invoqué l'électeur américain fantasmé par l'administration Biden : blanc, de classe moyenne, non handicapé par le COVID ou toute autre maladie à haut risque, non préoccupé par la sécurité sur son lieu de travail ou par l'effondrement de l'infrastructure sanitaire américaine, mais fatigué de porter un masque et toujours amer d'avoir vu son consumérisme entravé dans l'intérêt de la santé publique pendant quelques mois en 2020.
Face aux crises de la pandémie, l'intervention la plus courante des groupes de gauche en Amérique du Nord a sans doute été de lancer des projets de solidarité populaire, en fournissant de la nourriture, de l'argent et d'autres produits essentiels aux personnes dans le besoin. Kristen Smith, vice-présidente des programmes du Disability Working Group des Socialistes Démocrates d'Amérique (SDA), a observé la prolifération de ce phénomène au sein des SDA. "Des groupes qui s'organisent au sein de leurs propres communautés pour se soutenir mutuellement... ce que cela donne est très décentralisé", me dit-elle, "et il est difficile de partager, de mettre en réseau et produire du soutien entre les groupes." De telles réponses localisées ont fait un travail impressionnant en redistribuant des ressources aux personnes dans le besoin et en construisant de nouvelles formations politiques dans le processus. L'inconvénient de cet accent mis sur l'entraide a été le manque de cohésion et de lutte commune au niveau national ou international. Smith souligne également que les réponses des groupes d'entraide en matière de "soins urgents" ont souvent été très stressantes pour les participant·es, et qu'une réflexion plus approfondie sur la durabilité militante et les soins collectifs sera nécessaire si l'on veut que ces groupes perdurent.
Aujourd’hui, les camarades tombent souvent dans le piège qui consiste à considérer le handicap et le vieillissement comme des problèmes personnels en dehors de la politique ou, pire, comme des échecs personnels. Comme le dit Brynne Olsen, secrétaire aux communications du Disability Working Group des Socialistes Démocrates d'Amérique, "de nombreu·ses camarades considèrent les questions de handicap comme des politiques identitaires, par opposition aux questions de libération." En mai, le Comité politique national des SDA a annoncé que le congrès de 2023, événement bisannuel où les sections envoient des délégué·es élu·es pour prendre des décisions politiques, se tiendrait en présentiel, sans option virtuelle de participation. En réponse, le Disability Working Group des SDA s'organise pour une convention hybride, avec des options en présentiel et virtuelles. Le secrétaire du Disability Working Group, Brandon Hull, a souligné qu'une convention hybride "non seulement soutient l'accessibilité pour les personnes handicapées, mais permet aux personnes de la classe ouvrière, la base que les Socialistes Démocrates d'Amérique est censée représenter et dont elle est composée, de participer de manière plus significative à la convention. De nombreu·ses travailleur·euses n'ont pas le temps de s'absenter du travail ou ne peuvent pas voyager pour des raisons financières, familiales ou autres. Le choix d'un congrès uniquement en présentiel exclurait de nombreuses personnes handicapées et notre perspective, et refléterait une décision classiste qui ne tient pas compte de la difficulté et du temps que peuvent prendre les déplacements pour les personnes de la classe ouvrière."
Il est troublant que l'organe national des Socialistes Démocrates d'Amérique, la plus grande organisation socialiste des États-Unis, ne considère pas la participation de ses membres handicapé·es comme essentielle à la construction d'un mouvement socialiste dans le pays. Mais cette position n'est pas en décalage avec les pratiques des groupes de gauche en général. Comme le rappelle Wendi Muse, doctorante en histoire et animatrice du podcast LeftPOC, "il est difficile pour les gens de reconnaître qu'iels sont à risque, à cause du validisme. S'iels attrapent le COVID en étant en bonne santé et qu'iels en ressortent fragilisé·es, iels ont du mal à le reconnaître. C'est ce qui alimente cette réticence à en parler à gauche. Si notre politique s'articule autour de la solidarité des travailleur·euses, que faisons-nous des personnes qui ne peuvent pas travailler ? Comment les intégrer ? La politique de gauche classique est axée sur le travail. Si nous avons des personnes qui ne peuvent plus être des travailleur·euses... comment aborder cela ?" La fétichisation du travailleur valide rend invisibles d'autres membres de la classe ouvrière : les personnes malades et handicapées, et les personnes qui ont vieilli hors du marché du travail. Elle rend même invisible le travailleur industriel blanc et masculin dès qu'un accident ou une maladie, qu'il s'agisse d'un accident du travail, d'une dépression ou du COVID-19, le sort de l'usine et le conduit à l'hôpital, dans un centre de rééducation, dans une clinique privée ou dans un centre d'hébergement.
Le validisme est contre-révolutionnaire
L'incapacité de la gauche à intégrer une analyse du handicap et du validisme est préjudiciable à notre vision et à notre capacité d'organisation. Le capitalisme lui-même est fondamentalement validiste, attribuant la nourriture et le logement nécessaires à la survie sur la base de la capacité d'un individu à travailler contre rémunération. Le capitalisme assure sa propre survie en transformant les personnes handicapées inaptes au travail, ainsi que les autres chômeur·euses, en une population excédentaire dont l'existence contraint les travailleur·euses salarié·es à accepter de mauvaises conditions de travail et un faible salaire, de peur de tomber dans la pauvreté et l'exclusion abjectes que connaissent de nombreuses personnes handicapées et sans emploi. Le travail sous le capitalisme est un processus handicapant, car les travailleur·euses s'affaiblissent en raison de l'insécurité des lieux de travail, des blessures dues aux accidents ou au stress répétitif, et des conséquences mentales et psychologiques d'une culture du travail qui est presque universellement insoutenable. Dans son livre Border and Rule, l'activiste et écrivaine Harsha Walia affirme que "contrairement à la conception néolibérale du handicap comme étant exceptionnel ou symptomatique, l'invalidité est une biopolitique racialisée et quotidienne du "travail et de la guerre"". Walia montre que le travail et la guerre sont des méthodes jumelles pour handicaper une classe ouvrière racialisée, où les personnes sans propriété sont jugées "disponibles pour des blessures", soit comme cibles de la guerre et de l'incarcération, soit comme travailleur·euses à bas salaire (ou les deux). Lorsque nous et nos organisations ne parvenons pas à établir ces liens, en considérant le handicap comme exceptionnel et apolitique, nous limitons les horizons de ce que nous pouvons exiger, au cours d'une pandémie où les personnes handicapées deviennent des victimes acceptables pour que le capitalisme puisse se poursuivre sans être perturbé.
Beatrice Adler-Bolton, artiste, handicapée, universitaire et animatrice du podcast de gauche sur la santé publique, Death Panel, explique que la capture par les élites du mouvement de défense des droits des personnes handicapées est l'une des raisons pour lesquelles la gauche actuelle a du mal à adopter une politique du handicap adéquate. "Pendant longtemps, il y a eu aux États-Unis une forme de militantisme en faveur des personnes handicapées orientée vers le libertarianisme néolibéral. Les personnes handicapées doivent être intégrées, avoir un emploi. Il s'agissait... [de] rechercher la représentation et l'inclusion comme moyen de sortir de l'institutionnalisation." Adler-Bolton cite la blanchité et l’appartenance à la classe moyenne du mouvement des droits des personnes handicapées, qui a mis l'accent sur l'accès à l'emploi et à l'éducation plutôt que sur une refonte du système capitaliste raciste, comme un élément clé de l'histoire qui informe les échecs actuels de la gauche à intégrer le handicap et la justice sanitaire dans les organisations anticapitalistes. "Ces mouvements [les luttes de gauche et le militantantisme handicapé] ont été cloisonnés", dit-elle. "Si vous vous souciez du handicap, vous êtes peut-être impliqué dans les mouvements handicapés et vous êtes peut-être aussi impliqué dans des mouvements de gauche qui sont séparés. De la même manière qu'il a fallu beaucoup de temps au reste de la société pour comprendre que les personnes handicapées sont partout autour de nous, la gauche aux Etats-Unis a un retard particulier a rattraper par rapport à d'autres pays, en raison du type d'activisme spécifique qui a permis de remporter certaines des principales victoires ici et de ses stratégies."
Contrairement à de nombreux syndicats d'aujourd'hui, les premiers mouvements syndicaux considéraient le handicap comme une composante du travail. Adler-Bolton me parle d'un ancien syndicat des chemins de fer qui a créé son propre établissement de soins de longue durée pour soutenir ses membres handicapés par la perte de mains ou de doigts au travail. "Le syndicat a accueilli les travailleurs et leurs familles dans cet établissement qu'il a construit lorsque les compagnies ferroviaires les ont abandonnés. Cette confrérie s'est formée non seulement pour protéger [les travailleurs] de nouvelles blessures, mais aussi pour protéger leurs frères qui étaient virés de leur emploi, qui étaient sans ressources et qui n'avaient aucun recours." Pour Adler-Bolton, cette histoire illustre pourquoi la distinction entre "travailleur·euses" et "populations excédentaires sans emploi et handicapées" est artificielle : la façon dont le travail et le handicap sont imbriqués. "Nous sommes tous malades sous le capitalisme, et nous sommes tous rendus malades par le travail, surtout sous le COVID."
En dehors du mouvement syndical officiel, une approche de gauche qui reconnaît la centralité du handicap dans le fonctionnement du capitalisme n'est pas sans précédent. En 1970, les Young Lords, une organisation qui luttait pour l'autodétermination des Portoricain·es et de tous les peuples colonisés, ont occupé l'hôpital Lincoln dans le sud du Bronx pour exiger de meilleurs soins de santé. En 1977, des militant·es des droits des personnes handicapées ont occupé un bâtiment fédéral à San Francisco pendant 26 jours, réclamant le droit d'accéder à tout service bénéficiant d'un financement fédéral : hôpitaux, universités, écoles, transports publics, bâtiments gouvernementaux, bibliothèques, etc. Ce sit-in n'aurait pas réussi sans le soutien du Black Panther Party, de la Gay Men's Butterfly Brigade et de l'United Farm Workers, qui ont fourni à l'occupation de la nourriture, une protection et une assistance aux soins personnels. Ces groupes ont compris que leurs membres avaient un intérêt dans les droits des personnes handicapées, qu'iels soient elleux-mêmes handicapé·es ou non.
La gauche doit s'unir contre le validisme pandémique, non pas par bienveillance ou par charité envers les militant·es handicapé·es, mais pour la survie de notre mouvement. Les organisations limitent le nombre de leurs membres potentiel·les lorsqu'elles idéalisent les pratiques d'organisation antérieures à la pandémie, où tout se passait en présentiel et où celleux qui ne pouvaient pas être présent·es en raison d'un handicap ou d'une maladie, d'un manque de moyens de transport, d'un conflit professionnel ou d'obligations familiales ne pouvaient tout simplement pas participer. Lorsque les syndicats ne comprennent pas, ou n'agissent pas en fonction de la compréhension, que les rares allocations au seuil de pauvreté pour invalidité et la fin des aides au chômage pandémique sont des attaques politiques contre toustes les travailleur·euses, dont l'exploitation se produit en relation avec la misère parallèle du chômage, iels manquent une occasion importante de contribuer au renforcement du pouvoir de la classe ouvrière dans son ensemble. Les deux dernières années ont été un temps fort pour l'organisation syndicale : des entrepôts d'Amazon aux magasins Starbucks et Trader Joe's, nous avons assisté à une vague d'organisation de nouvelleaux travailleur·euses dans les secteurs de la logistique, du commerce de détail et des services. Certaines de ces mobilisations ont mis en avant la protection face au COVID, comme lorsque, en janvier 2022, le Chicago Teachers Union a refusé le travail en présentiel sans protections adéquates lors de la vague hivernale d'Omicron. Ces travailleur·euses se sont organisé·es en comprenant que, même s'iels se portaient bien pour le moment, les conditions de leur travail pouvaient les handicaper ou les tuer, et que, comme le gouvernement dans son ensemble, leurs patrons ne donneraient pas la priorité à la prévention de ces conséquences.
Malgré ces puissantes actions syndicales, les mesures de santé et de prévention du COVID ont été supprimées sur les lieux de travail, dans les salles de classe, les hôpitaux, les entrepôts, les restaurants, les magasins et les agences de transport en commun partout en Amérique du Nord. Nous avons assisté au triomphe d'une idéologie capitaliste qui nous dit que si nous tombons malades, nous devons continuer à travailler, et que si nous mourons ou devenons handicapé·es, c'est de notre propre faute. Pour défier la classe dirigeante qui a réalisé des profits records au cours des deux dernières années et les partis politiques qui gèrent les affaires pour leur compte, nous devons organiser des actions collectives qui jettent des ponts entre nos lieux de travail individuels, nos problèmes et nos identités. Nous devons travailler ensemble en tant qu'enseignant·es, infirmièr·es, personnel scolaire, travailleur·euses du commerce, personnes âgées et personnes handicapées dont la vie est de plus en plus dangereuse et isolée, pour arrêter la production et la consommation et exiger une réponse de santé publique qui place la vie au-dessus du profit. Pour y parvenir, nous devons appeler la pandémie par son nom : un exercice d'eugénisme, un événement handicapant de masse et une intensification de la lutte des classes racialisée. Le travail de la gauche n'est pas d'accepter le récit des événements que les médias privés et les représentant·es du gouvernement nous donnent - "la pandémie est terminée" - mais d'élaborer le nôtre, en montrant à toustes combien de personnes en plus pourraient être maintenues en vie grâce à des politiques telles que la gratuité universelle des soins de santé et du logement, l'abolition des prisons, des frontières et des instituts médicalisés privés, ainsi que l'obligation de porter un masque, l'amélioration de la ventilation et la généralisation des tests. Nous ne sommes pas obligé d'accepter l’infection de masse. Pour survivre à cette pandémie et aux prochaines, nous devons reconnaître que nous avons toustes intérêt à transformer ce système extractiviste et qu'ensemble, nous avons le pouvoir de l'arrêter.
Publication originale (14/09/2022) :
Midnight Sun
· Cet article fait partie de notre dossier Travail du 12 février 2023 ·