Pourquoi devons-nous continuer à utiliser le terme "COVID Long" créé par les patientes ? | Elisa Perego et al.
Le terme COVID Long insiste sur le fait que de nombreux cas dits "bénins" ne le sont pas. Il abandonne également la division entre hospitalisé·es et non-hospitalisé·es qui continue de délimiter la gravité de la maladie.
Elisa Perego est associée de recherche honoraire à l'University College London. Ses recherches actuelles portent sur la santé et le handicap dans les sociétés actuelles et passées. @elisaperego78
Felicity Callard est professeure de géographie humaine à l'Université de Glasgow. Ses recherches portent sur la santé, les expériences des patients, et les humanités médicales. @felicitycallard
Laurie Stras est professeure de recherche en musique à l'université de Huddersfield et professeur émérite de musique à l'université de Southampton. @LaurieStras
Barbara Melville-Jóhannesson dirige un projet de linguistique et d'intelligence artificielle, financé par Creative Informatics à l'université d'Édimbourg. @keyeri
Rachel Pope est maître de conférences en préhistoire européenne à l'université de Liverpool. Ses recherches portent sur l'analyse des données archéologiques. @preshitorian
Nisreen A Alwan est professeure associée en santé publique à l'université de Southampton et consultante honoraire en santé publique à l'hôpital universitaire de Southampton NHS Foundation Trust. @Dr2NisreenAlwan
Conflit d'intérêts : Toutes les autrices ont fait l'expérience de symptômes de COVID-19 prolongés et ont participé à divers types de sensibilisation au COVID Long.
· Cet article fait partie de notre dossier COVID Long du 21 février 2023 ·
Le terme "COVID Long" a été utilisé pour la première fois par Elisa Perego comme hashtag sur Twitter en mai 2020 pour décrire sa propre expérience d'une maladie multiphasique et cyclique dont l'évolution dans le temps et la symptomatologie différaient du parcours biphasique évoqué dans les premiers articles scientifiques, qui se concentraient sur les patient·es hospitalisé·es. Trois mois plus tard, suite à un intense militantisme des patient·es du monde entier, ce terme créé par les patient·es a été repris par des acteurs puissants, dont l'Organisation mondiale de la santé. Les politicien·nes l'ont également utilisé : Matt Hancock, secrétaire britannique à la santé, a récemment expliqué devant une commission parlementaire que "l'impact du COVID Long peut être vraiment invalidant pendant une longue période."
"COVID Long" a clairement fait mouche. Cependant, ce n'est pas le seul terme utilisé pour décrire des symptômes persistants : nous avons également vu des expressions telles que covid-19 post-aigu, syndrome post-covid et covid-19 chronique. En tant que patient·es et professionnel·les, nous considérons que " COVID Long " est mieux à même de répondre aux défis sociopolitiques, cliniques et de santé publique posés par la pandémie dans les mois à venir, et ce pour plusieurs raisons :
1. Le terme COVID Long reconnaît que la cause et l'évolution de la maladie sont encore inconnues.
Le terme COVID Long souligne que la cause des symptômes à long terme et le moment où la phase aiguë du COVID-19 prend fin restent inconnus. Sa force réside dans sa non-spécificité. Il reflète l'humilité en reconnaissant l'incertitude. Le COVID Long peut très bien inclure plusieurs affections ayant plus d'une étiologie, même chez un·e seul·e patient·e. Il est trop tôt pour supposer qu'après 2-3 semaines, toustes les patient·es sont "post-viraux". La possibilité d'une persistance virale nécessite des recherches.
2. Le terme COVID Long indique clairement que le COVID-19 "léger" ne l'est pas nécessairement.
Le COVID Long remet en question la première division du COVID-19 en trois catégories : légère, sévère et critique, qui était basée sur des données provenant de Chine. On a d'abord supposé que le COVID-19 était une maladie respiratoire et les classifications ont été largement construites autour de la gravité de la pneumonie. Il semble maintenant qu'il y ait plusieurs trajectoires de la maladie. Des manifestations légères au stade précoce peuvent évoluer, souvent beaucoup plus tard, vers une maladie grave et/ou des séquelles. Le terme COVID Long insiste sur le fait que de nombreux cas dits "bénins" ne le sont pas. Il abandonne également la division entre hospitalisé·es et non-hospitalisé·es qui continue de délimiter la gravité de la maladie.
3. Le terme COVID Long évite les termes "chronique", "post" et "syndrome".
Le terme "COVID Long" met l'accent sur la seule chose dont nous soyons actuellement certain·es : les symptômes du COVID-19 peuvent durer longtemps, même si nous ne pouvons cerner cette durée. De manière cruciale, le COVID Long évite les termes "post", "chronique" et "syndrome". Ces termes peuvent finir par délégitimer la souffrance des patient·es et rendre plus difficile l'accès aux soins, en particulier lorsqu'un syndrome ou une chronicité est associé aux femmes et/ou aux minorités. Les anthropologues médicaux ont montré que ce sont souvent des facteurs structurels, plutôt que des mécanismes physiologiques, qui produisent et maintiennent la "chronicité" de la maladie. Nous pensons que l'utilisation des termes "chronique", "syndrome" et "post" à l'heure actuelle, alors que l'on en sait si peu sur les causes et les mécanismes du COVID Long, risque de mettre à l'écart des personnes atteintes du COVID Long, surtout si et quand un vaccin efficace sera distribué.
4 Le terme COVID Long attire l'attention sur la morbidité
Le COVID Long permet d'attirer l'attention sur la morbidité ainsi que sur la mortalité, et de la quantifier. Déjà, des centaines de milliers de personnes dans le monde n'ont pas réussi à retrouver leur état de santé initial, bien que nous sachions peu de choses sur la prévalence et les personnes les plus susceptibles d'être affectées. Un auteur (Alwan) a lancé la campagne "Count Long Covid", afin de remédier à cette situation et de renforcer les efforts de prévention en recueillant systématiquement cette mesure de morbidité pour éclairer la réponse pandémique. Le fait de savoir qu'une personne peut, à la suite d'une infection par le SARS-CoV-2, développer un COVID Long (un terme probablement plus difficile à ignorer ou à écarter que, par exemple, le "Syndrome Post-Covid") peut influencer la façon dont les gens et les gouvernements évaluent le risque.
5. Le terme COVID Long met les personnes handicapées au centre
Le terme "COVID Long", créé par les patient·es, inclut explicitement les personnes handicapées. Beaucoup de celleux qui ont créé le terme "COVID Long”, y compris certain·es d'entre nous ici, ont fait l'expérience du handicap et d'un traitement discriminatoire dans l'accès aux soins. Nous cherchons également à attirer l'attention sur le fait que des enfants et des jeunes sans maladie préexistante connue ou handicap antérieur peuvent présenter des symptômes persistants. La notion de COVID Long récuse les classifications, employées fréquemment depuis le début de la pandémie, en terme de valeur et de risque qui séparent les personnes souffrant ou non de "problèmes de santé sous-jacents".
Les clinicien·nes, les praticien·nes de la santé publique, les décideurs politiques et le public ont besoin d'un terme simple et puissant qui maintienne au premier plan l'existence et la gravité des symptômes à long terme, ainsi que l'urgence de les mesurer et de les traiter. Ce terme, selon nous, doit reconnaître l'incertitude étiologique sans risquer de minimiser ou de négliger les symptômes des personnes. COVID Long, un terme issu de la communauté des patient·es qui est devenu largement connu et utilisé en très peu de temps, remplit ces critères. Le terme COVID Long est celui qui a le plus de chances d'inciter tout le monde à faire tout ce qui est possible, tant sur le plan sociopolitique que sur le plan clinique, pour que ce long ne devienne pas le véritable "chronique".
Publication originale (01/10/2020) :
The BMJ Opinion
· Cet article fait partie de notre dossier COVID Long du 21 février 2023 ·