L'industrie des médecines alternatives voient dans le COVID Long une opportunité commerciale | Katie Thornton
Aujourd'hui, jusqu'à 23 millions d'Américain·es présentent des symptômes persistants que l'on qualifie de COVID Long, et peu obtiennent des réponses. Dans ce vide inquiétant, des prestataire de soins alternatifs et des sociétés de bien-être ont créé une industrie artisanale de remèdes miracles au COVID Long. Au cours des sept prochaines années, la valeur du secteur mondial des "médecines" complémentaires et alternatives pourrait quadrupler ; les spécialistes évoquent les thérapies alternatives pour le Covid comme une des raisons de cette croissance.
Katie Thornton est une journaliste, spécialisée dans la presse écrite et audio, dont les travaux ont été publiés dans The Atlantic, The Washington Post, The Guardian, Bloomberg's CityLab, National Geographic, etc.
· Cet article fait partie de notre dossier COVID Long du 21 février 2023 ·
Parmi les 23 millions d'Américain·es qui présentent des symptômes persistants, rares sont celleux qui obtiennent des réponses. Dans ce vide inquiétant, des prestataires de soins alternatifs et des sociétés de bien-être ont créé une industrie artisanale.
Robert McCann, consultant en stratégie politique de 44 ans de Lansing, dans le Michigan, dort en général 15 heures, et lorsqu'il se réveille, il lui est toujours impossible de sortir du lit. Parfois, il se réveille si confus qu'il ne sait plus quel jour on est.
McCann a été testé positif au Covid en juillet 2020. Il a eu des symptômes légers qui ont disparu en une semaine environ. Mais quelques mois plus tard, la douleur, la confusion générale et l'épuisement débilitant sont revenus et ne sont jamais complètement partis. Les symptômes de McCann ont fluctué du tolérable au très handicapant. Après une montagne de rendez-vous chez le médecin, d'IRM, de radiographies, d'analyses de sang, de tests respiratoires et de scintigraphies, il a dépensé plus de 8 000 $ de sa poche, sans aucune réponse. Près d'un an et demi après le retour de ses symptômes, il lui faut parfois plus de trois heures pour sortir du lit.
"Je ne veux pas dire qu'iels s'en fichent, parce que je ne pense pas que ce soit exact", m'a dit McCann. "Mais ... vous avez juste l'impression de faire partie d'un système qui ne se préoccupe pas vraiment de ce qui vous affecte."
Lorsque McCann s'est récemment vu proposer un rendez-vous dans une clinique de COVID Long de l'Université du Michigan, le délai était de 11 mois. En l'absence de réponses ou de pistes d'action de la part des professionnel·les de santé, il s'est tourné vers des plateformes en ligne, comme un forum Reddit, qui compte près de 30 000 membres, où les "longhaulers" partagent les suppléments et protocoles de traitement qu'iels ont essayés. Il dit être sceptique quant aux "remèdes miracles". Mais, après environ 17 mois de maladie et aucun soulagement lors des visites chez le médecin, il est désespéré. "Je vais être franc", m'a-t-il dit, "si quelqu'un a mentionné sur le Subreddit que cela l'a aidé, je l'ai probablement acheté et essayé".
Le COVID Long est encore très largement incompris, mais il a déjà la caractéristique peu enviable d'être une affection dite "controversée" - une lettre écarlate souvent appliquée aux maladies de longue durée dans lesquelles les preuves physiques des symptômes rapportés par les patient·es ne sont pas encore mesurables par la médecine conventionnelle (et donc considérées, par certain·es médecins, comme non réelles). Bien que je n'aie pas de COVID Long, j'ai reçu un diagnostic d'affection controversée en 2015 après avoir vécu une situation tout aussi décourageante en étant laissée à moi-même.
Aujourd'hui, jusqu'à 23 millions d'Américain·es présentent des symptômes persistants que l'on qualifie de COVID Long, et peu obtiennent des réponses. Et dans ce vide inquiétant, des prestataireles de soins alternatifs et des sociétés de bien-être ont créé une industrie artisanale de remèdes miracles au COVID Long. Certain·es médecins proposent des tests sanguins controversés qui prétendent identifier les signes de cette maladie insaisissable. D'autres praticien·nes parlent avec assurance des avantages de sauter le petit-déjeuner et de suivre une thérapie à l'ozone, ou de la façon dont le zinc peut faire revenir le goût ou l'odorat. Certain·es patient·es, prêt·es à tout, se sont rendu·es à l'étranger pour bénéficier d'une thérapie controversée à base de cellules souches. Au cours des sept prochaines années, la valeur du secteur mondial des "médecines" complémentaires et alternatives pourrait quadrupler ; les spécialistes évoquent les thérapies alternatives pour le Covid comme une des raisons de cette croissance.
De nombreux·ses patient·es atteint·es de COVID Long avec lesquel·les j'ai parlé, comme Colin Bennett, du sud de la Californie, ont déjà mis leur corps en danger, et ont parfois dépensé des fortunes, pour avoir une chance de se sentir mieux grâce à des thérapies alternatives. L'ancien golfeur professionnel, qui avait 33 ans lorsqu'il a été infecté l'été dernier, dit s'être réveillé avec une "sensation de brûlure folle" sur tout le corps après environ deux semaines de symptômes légers de Covid. "Toute ma poitrine était en feu. J'avais l'impression que quelqu'un se tenait sur ma poitrine. J'avais des engourdissements dans tout le bras gauche", a-t-il déclaré. Il a d'abord pensé qu'il faisait une crise cardiaque. Mais lorsqu'il s'est rendu aux urgences, tous ses examens sont revenus normaux. Après s'être vu prescrire uniquement des médicaments contre l'anxiété par son médecin, il s'est tourné vers les cliniques privées.
En moins d'un an, il a dépensé environ 60 000 $ de ses économies pour des thérapies alternatives et des visites chez le médecin qui n'étaient pas couvertes par son plan PPO (Preferred Provider Organization), une option d'assurance qui permet d'avoir accès à plus de prestataires, mais qui est souvent très coûteuse. Souffrant de symptômes allant des tremblements et de la vision trouble à l'accélération du rythme cardiaque et à l'épuisement, Bennett a tout essayé, des chambres à oxygène hyperbare à l'oxygénation extracorporelle du sang et à la machine à ozoner, qui extrait le sang du corps par une aiguille plantée dans un bras, le fait passer dans un filtre et le renvoie dans le corps par une aiguille dans l'autre bras.
Avec l'aide d'un "ami médecin", il s'est même fait expédier des cellules souches du Mexique et les a insérées dans son corps par intraveineuse. Rien de tout cela n'a aidé.
Bennett a dit que le manque de preuves derrière ces traitements est plus ou moins sans importance pour lui. "Quand vous êtes comme ça, je n'ai aucune crainte", a-t-il dit. "Je veux dire, qu'est-ce que j'ai à perdre ? Je suis tellement mal en point, qui s'en préoccupe ?" Pour les patient·es désespéré·es, l'envie d'aller mieux peut rendre insignifiante la différence entre les études en double aveugle et les anecdotes de réussite.
Pour celleux qui cherchent des réponses en dehors des sources conventionnelles, il peut être difficile de trouver des informations montrant quelles options de traitement ont un fondement scientifique. Parfois, ces informations sont inexistantes. Aux États-Unis, les industries des compléments alimentaires et des soins de santé alternatifs prospèrent sans beaucoup de surveillance. Chaque année, les Américain·es dépensent environ 35 milliards de dollars rien qu'en compléments alimentaires. C'est en grande partie grâce à une loi peu connue, la Dietary Supplement Health and Education Act de 1994 (DSHEA), qui garantit que les fournisseurs de vitamines, de minéraux, d'acides aminés, d'herbes et de plantes médicinales n'ont pas à prouver l'efficacité de leurs produits. Cette loi de déréglementation a été défendue par l'ancien sénateur Orrin Hatch de l'Utah, qui avait des liens familiaux avec l'industrie des compléments alimentaires, et par des groupes industriels qui ont eu recours à des tactiques d'intimidation, comme la distribution aux patient·es de brochures portant les mentions "Écrivez au Congrès aujourd'hui ou dites adieu à vos compléments alimentaires" et "Ne laissez pas la FDA vous retirer vos compléments alimentaires".
Le secteur a explosé après la promulgation de la DSHEA, le nombre de produits disponibles ayant été multiplié par près de huit en un peu plus de dix ans. Selon un groupe commercial de l'industrie, la confiance des Américain·es dans l'industrie des compléments alimentaires a considérablement augmenté au cours de cette pandémie mondiale dans laquelle le doute a prospéré.
Il n'y a pas que les compléments alimentaires qui ont été présentés comme des remèdes ; certain·es médecins (dont beaucoup ne peuvent pas accepter l'assurance de leurs patient·es) ont prescrit des médicaments existants approuvés par la FDA, comme l'azithromycine et l'ivermectine, pour des utilisations non indiquées sur l'étiquette, même lorsque les avantages d'une telle utilisation étaient, au mieux, anecdotiques et, au pire, facilement réfutés mais soutenus par des théories conspirationnistes.
Une enquête de Mother Jones datant du début de l'année a mis en lumière un traitement du COVID Long particulièrement coûteux et polémique, dont la société IncellDX utilise des méthodes qui font grincer des dents, notamment "offrir des conseils médicaux et recruter des patient·es sur YouTube et les réseaux sociaux, cacher ses conflits d'intérêts financiers et présentant des incohérences dans les résultats de laboratoire". Les patient·es ont payé plusieurs centaines de dollars pour le test de diagnostic COVID Long d'IncellDX, qui n'a pas fait ses preuves (95 % des tests sont revenus positifs), ainsi que pour des recommandations de traitement, qui comprennent souvent des médicaments actuellement approuvés pour le VIH et le cholestérol. Bien que la société affirme que 80 à 85 % de ses patient·es ont vu leur état s'améliorer, elle n'a pas encore soumis son protocole de traitement à des essais cliniques.
J'ai de la sympathie pour celleux qui sont prêt·es à essayer n'importe quoi. J'ai payé pour de nombreuses procédures diagnostiques et interventions polémique et des cocktails de suppléments depuis que j’ai été atteint·e d'une maladie controversée en 2015. Avec un certain soutien de ma famille, j'ai contribué pour environ 12 000 $ au marché des compléments alimentaires au cours des sept dernières années, et au moins 10 000 $ de plus en visites payantes chez des médecins qui recommandaient un parcours spécifique d'actions non approuvées par la FDA. L'industrie est maintenue à flot, en partie, grâce à l'argent provenant des poches de personnes comme moi : des malades qui aspirent à un répit, dont le scepticisme à l'égard d'une industrie du bien-être à but lucratif n'a été surpassé que par le besoin impérieux d'un semblant de rétablissement.
Mes soucis médicaux ont commencé pour de bon en 2012, bien avant que la plupart d'entre nous connaissent le mot coronavirus, à peu près au moment de mon 19e anniversaire, avec une infection de la vessie. D'abord sans conséquence, j'ai pris des antibiotiques, mais l'inconfort ne s'est pas atténué. Six mois plus tard, une série de symptômes invalidants en cascade (douleurs époustouflantes dans le dos et la hanche, douleur irradiante dans l'épaule gauche, etc.) Au début de la vingtaine, je m'étais habitué à ce que le colorant métallique et glacé des IRM coule dans mes veines, à ce que l'on me remette sans ménagement des papiers qui me posent des questions que je passais mon temps à essayer d'ignorer ("Sur une échelle de un à dix, comment vous sentiriez-vous si vous deviez vivre le reste de votre vie avec vos symptômes tels qu'ils sont aujourd'hui ?"), à marcher avec une canne les mauvais jours.
On m'a dit à plusieurs reprises que tout allait bien. Les résultats de mes tests étaient normaux. Comme me l'a dit un médecin de la clinique Mayo : "Nous vous avons déjà dit que nous n'avions rien d'autre pour vous ici. Et je pense que vous devez mettre un point à la fin de cette phrase."
Après avoir épuisé pendant trois ans toutes mes possibilités de traitement dans les différents hôpitaux, une clinique privée située dans un centre commercial à l'extérieur de Minneapolis m'a offert une nouvelle perspective de guérison. Derrière la façade indescriptible de l'Institut de médecine naturelle du Minnesota, on m'a conduit dans un solide couloir jusqu'au bureau ensoleillé du Dr Chris Foley, un homme d'une soixantaine d'années, aux cheveux bruns foncés et à la carrure moyenne, qui m'a serré la main avec une certaine assurance. Dans le bureau du Dr Foley, il n'y avait pas de regard vide de doute, pas de regard vers l'horloge.
Quelques mois après ma visite, lorsque mes analyses sanguines sont revenues, le Dr Foley m'a appelé au travail pour m'annoncer que j'avais la maladie de Lyme. J'étais impatiente de me lancer dans le traitement recommandé de deux ans de teintures à base de plantes et de suppléments que je devais prendre à sept moments différents de la journée. Ce ne serait pas bon marché, et mon assurance ne le couvrirait pas, ces traitements n'étaient pas approuvés par la FDA. Mais, m'a-t-on assuré, de nombreux·ses patient·es ont eu de bons résultats avec ce protocole. Je me suis acheté une bouteille de vin. "Ne pas boire avant la fin du traitement de Lyme", ai-je écrit sur le sac en papier brun, et j'ai dessiné un cœur.
Je n'ai jamais "guéri". Une combinaison mal définie de temps, de traitements, de réduction de l'inflammation et d'un large degré d'acceptation m'a rendu une grande partie de ma vie. Je ne me sers plus de ma canne ; je peux même faire quelques figures, de temps en temps, dans un skatepark. Mais, comme beaucoup de personnes atteint·es de COVID Long, je dois encore gérer des douleurs inexpliquées, ainsi que des symptômes cardiaques et pulmonaires. Jusqu'à récemment, je prenais environ 70 pilules par jour, principalement des herbes et des suppléments. Près de sept ans après mon diagnostic, cette bouteille de vin se trouve toujours dans mon sous-sol.
Début 2022, j'ai allumé ma radio au milieu d'un reportage local sur un médecin apprécié qui avait pratiqué des médecines alternatives. Ce médecin, en pleine forme et âgé de 71 ans seulement, était mort la semaine précédente du Covid-19, disait le journaliste. Il n'était pas vacciné. Et dans les mois qui ont précédé sa mort, il a utilisé sa pratique médicale pour faire passer de dangereuses fausses informations sur les masques et les vaccins. J'ai quitté le cabinet du Dr Foley fin 2016, mais avant même que le journaliste ait pu prononcer le nom du médecin, je savais que c'était lui.
Pendant la pandémie, Foley a publié des articles sur le site Internet de sa clinique, affirmant que le vaccin allait probablement aggraver le Covid, que les masques offraient peu de protection et étaient dangereux, que la vitamine D était aussi efficace que le vaccin, et qu'il était prouvé que l'extrait d'algue carraghénane et l'ivermectine permettaient de prévenir et de traiter le Covid. Il a prescrit de l'ivermectine à de nombreux·ses patient·es malgré le fait que le médicament n'avait pas et n'a pas démontré un bénéfice significatif dans le traitement du Covid-19. En mars 2021, il parlait du Covid comme d'une "soi-disant pandémie".
Il a obéi à ses propres convictions et est peut-être mort à cause de cela, et ses conseils très suivis ont peut-être tué d'autres personnes.
Compte tenu de la longue histoire du scepticisme vaccinal dans les milieux de la médecine alternative, je n'ai pas été surpris par ses penchants conspirationnistes. J'ai simplement ressenti de la tristesse à l'idée que mon parcours médical m'ait laissé, ainsi qu'à tant d'autres, l'impression de n'avoir d'autre recours que de consulter des médecins susceptibles de flirter avec les théorie du complot.
Selon le Dr Jessica Jaiswal, professeure adjointe en sciences de la santé à l'université de l'Alabama, les désinformations médicales peuvent être particulièrement dangereuses lorsqu'elles émanent de médecins pratiquant des médecines alternatives, qui peuvent jouir d'une certaine estime aux yeux de patient·es parfois désespéré·es. "Cela peut être particulièrement le cas si les prestataires proposant des options alternatives reconnaissent les sentiments d'impuissance et de frustration des patient·es", déclare Jaiswal, "et consacrent un temps de qualité que les médecins de la plupart des établissements conventionnels ne sont pas en mesure d'accorder en raison de contraintes structurelles."
C'était certainement mon expérience, et je ne suis pas la seule : selon les revues médicales, avoir envie de passer plus de temps avec un·e médecin et avoir l'impression que leur médecin ne s'intéressait pas à leur cas sont parmi les raisons pour lesquelles les patient·es déclarent chercher des alternatives. Bien que tout le monde puisse être victime d'un tel rejet, les personnes de couleur et les femmes, qui ont statistiquement et systématiquement moins de chances d'être traitées pour leur douleur, y sont confrontées de manière disproportionnée. Et les personnes vivant avec une maladie chronique, comme celles atteint·es de COVID Long, sont plus susceptibles de recourir aux médecines alternatives que les autres. "Lorsque les gens ont été abandonnés par le système de santé, que ce soit par négligence, par rejet ou par exclusion systémique", dit Jaiswal, "les voies alternatives peuvent apporter de l'espoir et du réconfort, mais elles peuvent aussi donner l'impression d'être le seul moyen d'exercer une prise et un potentiel d'action dans une situation chaotique qui nous retire du pouvoir."
Renee McGowan, 52 ans, n'est pas étrangère aux affections médicales insaisissables et aux soins dérisoires et méprisants. En 2019, on lui a diagnostiqué une fibromyalgie, qui se manifestait par des douleurs incessantes, des problèmes d'équilibre et une neuropathie. Elle a été orientée vers une psychothérapie et une kinésithérapie, mais a déclaré qu'elle ne s'est jamais sentie satisfaite de la portée limitée de son protocole de traitement. Ainsi, lorsque McGowan a commencé à montrer des signes de COVID Long en 2020, elle n'a pas été surprise par la réaction. "Je me suis sentie complètement et totalement déconsidérée", m'a dit McGowan. "J'amène mon mari avec moi parce qu'il donne de la crédibilité à mes propose, ceux une femme d'âge moyen qui se plaint de douleurs ou d'une accélération du rythme cardiaque", dit-elle.
McGowan a perdu son odorat à la mi-février 2020, après une visite dans le New Jersey. Elle a eu des difficultés à respirer et a toussé au point de provoquer un prolapsus de la vessie. Comme sa maladie est survenue plusieurs semaines avant que les tests Covid ne soient disponibles dans son petit village de Caroline du Sud d'un peu plus de 9 000 habitant·es, elle n'a jamais été testée. Deux mois après le début de ses symptômes, son cœur s'est mis à battre rapidement dans sa poitrine, et sa vision est devenue si floue qu'elle ne pouvait souvent ni lire ni conduire. Elle ne pouvait pas manger, pouvait à peine dormir et avait des accès de rage qui la terrifiaient. Elle a finalement commencé à marcher avec une canne, et s'est fracturé le genou lors d'une de ses nombreuses chutes. À l'été 2020, lorsque Mme McGowan a suggéré à son médecin que ses symptômes pouvaient être des séquelles du Covid-19 (elle a même apporté une étude imprimée lors du rendez-vous, que son médecin n'a pas regardée), celui-ci l'a orientée vers un psychologue.
La réponse est la même chez les autres médecins et spécialistes qu'elle consulte. Finalement, McGowan a cessé de se faire soigner par le système médical ordinaire. N'ayant pas les moyens de se payer les traitements alternatifs coûteux dont elle a vu d'autres malades du COVID Long discuter en ligne, elle a passé près d'un an avec YouTube et Twitter comme principaux pourvoyeurs de soins, expérimentant différentes herbes et suppléments. Ce n'est qu'en février 2022, près de deux ans après ses premiers symptômes, que Mme McGowan a pu consulter un rhumatologue, qui lui a prescrit une faible dose d'un bloqueur d'opioïdes dont il a été démontré qu'il atténuait les douleurs chroniques. Selon Mme McGowan, ce médicament lui a permis d'éliminer progressivement son utilisation du kratom, un produit végétal en vente libre qui ressemble aux opioïdes et qui peut créer une accoutumance. Elle a commencé à l'utiliser après avoir eu des réactions très indésirables aux seules prescriptions recommandées par son médecin pour sa douleur : les antidépresseurs Cymbalta et Gabapentin.
Au cours de ses années passées dans les méandres des réseaux sociaux et de Twitter, Mme McGowan dit avoir vu des praticien·nes colporter des remèdes miracles alternatifs dont elle se méfie. Et s'il y a certainement des médecins qui exploitent le désenchantement légitime des patient·es, il n'y a pas forcément de malice de la part de ces praticien·nes alternatif·ves, dont beaucoup ont peut-être quitté la médecine traditionnelle après avoir vu leurs patient·es croupir dans ce système. "La médecine allopathique et les écoles de médecine sont devenues très efficaces pour sauver la vie des gens", explique le Dr David Scales, professeur adjoint de médecine à l'université Weill Cornell. "Si vous avez un problème qui ne vise pas à sauver votre vie, nous sommes beaucoup moins bons". Mais ces médecins qui travaillent à traiter des invalidités chroniques n'ont pas toujours beaucoup de preuves à présenter.
La médecine, qu'elle soit conventionnelle ou alternative, est un jeu de devinettes, une série de jeux d'essais et d'erreurs individualisés. La médecine conventionnelle est loin d'être omnisciente, et certaines connaissances traditionnelles et végétales sont curatives de manière démontrable et prouvée. Mais dans l'industrie actuelle des médecines alternatives, peu réglementée, les patient·es qui ont l'impression de se heurter à des murs dans les cliniques conventionnelle se voient souvent proposer une pléthore de produits curatifs. Un étalage si séduisant qu'il peut faire oublier que ces "remèdes" sont loin d'avoir fait la preuve de leur efficacité. Entre les suppléments coûteux et une foule d'interventions médicales non approuvées par la FDA que les médecins peuvent légalement recommander, le potentiel de guérison semble n'être limité que par nos portefeuilles. Et si et quand iels en ont le privilège, on ne peut pas reprocher aux patient·es d'essayer.
Pendant des années, nombre d'entre nous souffrant de maladies chroniques et controversées ont eu l'impression de n'avoir d'autre recours que des traitements peu réglementés, coûteux et potentiellement dangereux. Aujourd'hui, des milliers de malades du COVID Long rejoignent nos rangs. Une part de moi veut les mettre en garde contre le chemin périlleux qu'iels s'apprêtent à emprunter, les encourager à faire tout ce qu'iels peuvent pour trouver un médecin conventionnel qui accepte leur assurance et qui soit prêt à essayer de traiter leurs symptômes, même si ces médecins ne peuvent pas encore leur en dire plus sur la nature de la nouvelle maladie qui fait des ravages dans leur corps. Mais en même temps, je me surprends à observer ces malades pour glaner des idées de traitements possibles. Je prends des notes mentales inconscientes sur les médicaments et les traitements qu'iels ont essayés et que je n'ai pas encore testé. Bien que j'aie dépensé une petite fortune et des années de ma vie dans des traitements alternatifs largement infructueux et que je me consacre théoriquement à la médecine fondée sur les preuves, je continue moi aussi de me débattre, et parfois cette lutte menace de supplanter mes convictions.
À ce stade, je sais que les paramètres ont changé. Je ne m'attends pas à en avoir un jour "fini" avec cette maladie. Mais j'espère encore. Non pas un remède miracle, mais que les patient·es atteint·es de maladies controversées comme le COVID Long et la maladie de Lyme puissent voir leurs préoccupations médicales prises en compte et traitées par des médecins qui acceptent nos assurances. Pour des traitements étayés par des preuves statistiques et des études en double aveugle avec des échantillons de grande taille, y compris, si la recherche les trouve vraiment efficaces, les traitements qui ne sont actuellement disponibles que pour celleux qui peuvent se permettre des frais exorbitants. J'espère un investissement continu et accru dans la recherche sur le COVID Long. Sans cela, c’est la survie de centaines de nos ami·es, de nos voisin·es et peut-être de nous-mêmes dans le futur qui est menacée.
Publication originale (02/06/2022) :
The Guardian
· Cet article fait partie de notre dossier COVID Long du 21 février 2023 ·