Les personnes de couleur avec un COVID Long doivent faire face à une bataille éreintante pour être entendues | Troy Farah
Dans la mesure où les gens sont confrontés au COVID Long, les personnes de couleur vont être confrontées aux mêmes inégalités auxquelles elles sont confrontées en termes d'accès aux soins de santé en général, et en termes de traitements potentiels pour le COVID Long.
Troy Farah est un journaliste spécialisé dans les sciences et la santé publique dont les reportages sont parus dans Scientific American, STAT News, Undark, VICE, Salon, etc. Il co-anime le podcast Narcotica sur la politique des drogues et la science.
· Cet article fait partie de notre dossier COVID Long du 21 février 2023 ·
En mars 2020, lorsque les habitant·es de Los Angeles ont commencé à se mettre à l'abri face à la pandémie de COVID, Angela Vázquez et son mari sont sorti·es faire des courses de première nécessité. Quelques jours plus tard, iels ont tous·tes deux ressenti de légers symptômes du COVID : fièvre légère, maux d'estomac, fatigue, maux de tête, frissons, perte de l'odorat, rien de suffisamment grave pour qu'un médecin demande des tests de confirmation, rationnés à l'époque.
Le COVID lui a finalement été diagnostiqué quelques jours plus tard, et dand les semaines et mois qui ont suivi l'état de Mme Vázquez s'est aggravé. Elle a commencé à ressentir ce qu'elle décrit comme des symptômes semblables à ceux d'une attaque cérébrale, notamment une confusion grave, et a eu du mal à marcher ou à garder l'équilibre.
"Je me suis rendue aux urgences plusieurs fois en une semaine et on m'a dit à chaque fois qu'il était impossible que les symptômes du COVID durent aussi longtemps", raconte Vázquez, aujourd'hui âgée de 35 ans. Une fois, ajoute-t-elle, on l'a renvoyée chez elle alors qu'elle avait "le souffle court". Elle avait l'impression qu'on lui disait que tout était dans sa tête.
Les séquelles (ou symptômes durables) déclenchées par une infection temporaire par le virus responsable du COVID, le SARS-CoV-2, peuvent durer des mois, voire des années, un état que l'on a fini par qualifier de COVID Long. La constellation de symptômes invalidants signalés peut toucher presque tous les systèmes organiques. Sa pathologie inclu souvent des troubles cognitifs ("brouillard cérébral") et une fatigue incessante qui s'aggrave après un effort physique ou mental, même mineur.
Le fait de souffrir d'une maladie invalidante qui laisse encore la science médicale perplexe peut être un cauchemar pour n'importe qui. Mais Mme Vázquez explique que son jeune âge, son sexe et son origine ethnique ont rendu particulièrement difficile la tâche de convaincre les médecins de la réalité de ses symptômes. "Je voyais surtout des hommes médecins blancs, et il était très facile de psychologiser les symptômes et renvoyer chez elle une jeune Latina se présentant aux urgences", explique-t-elle.
Aujourd'hui, Vázquez est la présidente de Body Politic, une organisation qui défend les intérêts des personnes atteintes du COVID Long et leur offre un groupe de soutien en ligne. Selon elle, beaucoup de ces personnes ont des histoires similaires : elles ont dû se battre contre une nouvelle maladie déroutante et naviguer dans une bureaucratie mal équipée en tant que personne de couleur [People of color]. Elle décrit la propagation du COVID Long comme un événement " handicapant de masse ". Et "nous savons parfaitement que le COVID-19 a eu un impact disproportionné sur les communautés de couleur et les communautés immigrées", souligne-t-elle. "Mais iels ne se présentent pas dans nos cliniques de soins primaires pour diverses raisons, comme un manque structurel d’accès aux soins de santé."
Ashley Jackson, actrice, scénariste et productrice basée en Californie, raconte une expérience similaire. Elle dit avoir attrapé ce qui était probablement le COVID en janvier 2020 (avant que les tests ne soient disponibles) et ses médecins lui ont dit qu'elle devrait aller mieux après deux semaines. Mais ses symptômes ne sont jamais partis.
"Dès la huitième semaine, je me suis dit que quelque chose n'allait pas", raconte Jackson, qui a maintenant 23 ans. Elle a fini par attraper à nouveau le COVID en avril 2020, cette fois confirmé par un test, et a perdu pendant un court moment sa capacité à respirer facilement. Encore une fois, dit Jackson, ses médecins ont negligé ses inquiétudes. Après environ deux semaines, iels lui ont dit : "Vous devriez aller bien. Le test est négatif maintenant", ajoute-t-elle. "Et je ne me suis jamais remise."
Mme Jackson, qui a contracté le COVID pour la troisième fois au début de l'année, dit avoir eu des maux de tête constants qui se sont transformés en migraines, ainsi qu'un essoufflement et un rythme cardiaque élevé. Depuis, elle est atteinte de fibromyalgie et de la maladie de Graves, une maladie auto-immune qui entraîne une hyperthyroïdie. "Depuis le début, mon corps est en désordre", dit-elle. " Sachez qu'avant tout cela, j'étais en parfaite santé ".
Jackson a fini par rejoindre Body Politic, qui, selon elle, l'a aidée à comprendre ce qu'elle vivait et l'a empêchée de baisser les bras. Elle dit qu'elle est maintenant traitée au programme COVID Long de l'UCLA Health à Los Angeles. Il lui a cependant fallu beaucoup de temps et d'efforts pour trouver des médecins qui comprennent réellement son état. "Je pense que le fait d'être une femme noire dans un espace médical, quel qu'il soit, est encore un objet de discrimination historique. Notre douleur est souvent minimisée dans les espaces médicaux", dit Jackson.
Samantha Artiga, vice-présidente et directrice du programme Racial Equity and Health Policy de la Kaiser Family Foundation, a coécrit un rapport au début de l'année, dans lequel elle souligne que les personnes de couleur ont été les plus touchées par la pandémie de multiples façons, notamment en étant plus exposées aux risques d'infection, de maladie et de décès. La manière dont cela se traduit dans les conséquences du COVID Long n'est pas tout à fait claire, mais beaucoup pensent que la recherche d'une réponse mettra en évidence une disparité raciale de plus parmi beaucoup d'autres dans le système de santé américain - une disparité qui a reçu relativement peu d'attention.
"Il n'y a pas beaucoup de données permettant de comprendre qui est touché et comment", explique Mme Artiga. Les données sur environ 88 millions de cas recueillies par les Centres américains de contrôle et de prévention des maladies ne comprenaient des données sur la race ou l'ethnicité que dans 65 % des cas. Un examen de 2021 des études caractérisant le COVID Long a révélé que seulement six études sur 39, soit 15 pour cent, incluaient des données ethniques.
"Dans la mesure où les gens sont confrontés au COVID Long, les personnes de couleur vont être confrontées aux mêmes inégalités auxquelles elles sont confrontées en termes d'accès aux soins de santé en général, et en termes de traitements potentiels pour le COVID Long", dit Artiga. Mais sans de bonnes données dans ce domaine, il peut être difficile de savoir plus précisément à qui s'adresser pour chercher de l’aide et comment.
Les CDC estiment qu'un·e adulte américain·e sur 13 est maintenant atteint·e de COVID Long, défini comme des symptômes qui durent plus de trois mois après que l'on ait contracté le SARS-CoV-2. Citant les données de la Household Pulse Survey, que le Census Bureau a commencé à collecter en collaboration avec le National Center for Health Statistics et plusieurs autres agences fédérales en avril 2020, le CDC indique qu'entre fin juillet et début août, 9,2 % des adultes hispaniques ou latinx ont déclaré souffrir de COVID Long, contre 7,4 % des adultes blanc·hes et 5,4 % des adultes noir·es. Le pourcentage d'adultes asiatiques était de 4,6 %.
Malheureusement, ces données sont parmi les seules qui existent actuellement dans ce domaine, et elles ne permettent pas de savoir qui reçoit, ou ne reçoit pas, un traitement COVID Long adéquat ou approprié. Les autorités reconnaissent peut-être enfin le problème, même si les mesures semblent encore timides. Le 5 avril, le président Joe Biden a publié un "Mémorandum sur la prise en compte des effets à long terme du COVID-19" dans le cadre des "efforts de la Maison Blanche pour prévenir, détecter et traiter" le COVID Long. Dans ce document, il s'engage à "faire progresser notre compréhension des charges sanitaires et socio-économiques qui pèsent sur les personnes touchées par le COVID Long, y compris parmi les différents groupes raciaux et ethniques".
Plus récemment, l'administration a publié deux rapports du département de la santé et des services sociaux sur le COVID Long, l'un détaillant les services et le soutien pour le traitement de la maladie et l'autre décrivant les stratégies de recherches. Si ils abordent la question, aucun des deux rapports ne s'attarde sur les disparités raciales ni sur les moyens de surmonter ces obstacles, qui peuvent inclure un accès insuffisant aux ressources pour le COVID Long ou une couverture d'assurance maladie inadéquate.
"Si les disparités raciales dans le COVID Long sont relativement peu explorées, il est bien entendu que certaines communautés raciales et ethniques minoritaires sont touchées de manière disproportionnée par le COVID-19", indique l'un des rapports, The National Research Action Plan on Long COVID. Les deux rapports ont été publiés début août.
En décembre 2020, le Congrès a accordé aux Instituts nationaux de la santé 1,15 milliard de dollars sur quatre ans pour étudier le COVID Long. Le projet, appelé RECOVER (Researching COVID to Enhance Recovery), a été lancé en février 2021. Il implique "plus de 100 chercheur·euses qui dirigent des études sur le COVID Long à plus de 200 endroits dans le pays", selon son site web.
Jusqu'à présent, RECOVER a recruté environ 8 600 adultes ayant déjà été infecté·es par le COVID, un nombre quelque peu inférieur à l'objectif déclaré du programme de recruter 17 680 patient·es COVID Long. Les documents démographiques fournis par Catherine Freeland, directrice du programme de communication et d'engagement de RECOVER, indiquent que les participant·es à l'étude sont composés de 16 % de Noir·es, 7 % d'Asiatiques, 3 % d'Amérindien·nes ou d'autochtones d'Alaska, 15 % d'Hispaniques, 0,5 % d'Amérindien·nes d'Hawaï ou d'autres insulaires du Pacifique et 63 % de Blanc·hes.
Outre le manque de données sur les personnes diagnostiquées avec le COVID Long, il y a également peu d'informations sur celles qui reçoivent un traitement. "Nous savons que les personnes de couleur sont moins susceptibles d'avoir une couverture d'assurance maladie, ce qui se traduit par des obstacles accrus à l'accès aux soins de santé", explique Artiga. "Les données disponibles à ce jour sont également vraiment limitées en ce qui concerne la manière dont les traitements du COVID-19 sont distribués et qui les reçoit."
Une étude publiée en juillet a passé en revue plus de 400 000 cas de COVID confirmés en laboratoire dans une base de données de plus de 50 organisations de soins de santé américaines, rassemblées par TriNetX, un réseau privé de ce type d'organisations dans le monde. Les chercheur·euses ont identifié 8 724 cas de personnes ayant eu recours à une réadaptation ambulatoire, que de nombreu·ses spécialistes recommandent pour aider à traiter le COVID Long.
Malgré les ajustements effectués pour tenir compte de la gravité des symptômes, de l'âge, du sexe et des comorbidités, cette étude montre que, parmi les personnes cherchant à bénéficier d'une réadaptation ambulatoire, les patient·es noir·es avaient un taux d'utilisation de ces services nettement inférieur à celui des personnes de toute autre race. "Les différences raciales dans le recours à la réadaptation ambulatoire et les besoins potentiellement non satisfaits pendant le rétablissement peuvent exacerber les dommages disproportionnés que le COVID-19 a causés aux personnes et aux communautés afro-américaines/noires aux États-Unis", ont écrit les auteur·ices de l'étude.
"Parfois, le fait de ne pas voir un groupe de personnes dans votre clinique est le signe d’une disparité", déclare Giv Heidari-Bateni, un cardiologue qui travaille à la clinique de cardiologie COVID-19 de l'université de Loma Linda. Giv Heidari-Bateni dit avoir vu personnellement un nombre disproportionné de patient·es hispaniques par rapport aux blanc·hes, mais beaucoup moins de patient·es noir·es. "Est-ce que cela signifie qu'iels sont plus enclin·es à cela, ou que le fait de ne pas venir à ma clinique signifie qu'ils ont moins accès à ces soins ?". se demande Heidari-Bateni. Sans données supplémentaires, il lui est difficile de se prononcer. Il note également que le manque d'information du public peut jouer un rôle dans les disparités potentielles.
"Le COVID Long est encore un terme nouveau, et beaucoup de mes patient·es ne sont pas familier·es avec cette entité ", explique Heidari-Bateni. "Les gens peuvent, par exemple, avoir des palpitations [cardiaques]. Iels ne savent peut-être pas que ces palpitations peuvent être dues au COVID qu'iels viennent de contracter. La question est donc maintenant de savoir si nous avons une éducation à ce sujet disponible gratuitement et facilement pour tout le monde. La réponse est probablement non."
Le département de santé publique de Californie (CDPH) a collecté des données sur le COVID Long mais a été confronté au manque "d'études qui examinent de manière adéquate l'impact sur les communautés de couleur", a écrit un porte-parole du CDPH dans un e-mail à Scientific American. "Nous espérons être en mesure de caractériser les différences dans la façon dont ces communautés sont touchées par le COVID Long."
Le porte-parole a également écrit que le CDPH s'est associé à plus de 200 organisations communautaires pour diffuser des "messages clés culturellement pertinents" par le biais de campagnes publicitaires, de webinaires, de pages Web, de plateformes de réseaux sociaux telles que Twitter et Instagram, de documents multilingues, et même d'un chatbot WhatsApp en espagnol et en anglais. Lorsqu'on lui envoie un texto sur le COVID Long, ce robot renvoie un lien vers le portail d'information de la Californie sur le COVID Long, qui comprend des vidéos dans les deux langues.
"Je pense que nous avons encore beaucoup de travail à faire pour identifier les conséquences du COVID Long", déclare Jennifer Chevinsky, une médecin qui a été l'une des premières à reconnaître le COVID Long comme une maladie chronique lorsqu'elle était agent du service de renseignements épidémiologiques du CDC. En s'appuyant sur les informations fournies par Body Politic et d'autres groupes de soutien pour le COVID Long, notamment Survivor Corps et Patient-Led Research Collaborative, Jennifer Chevinsky a rédigé les directives provisoires du CDC à l'intention des professionnel·les de santé qui évaluent et soignent les patient·es atteint·es d'affections post-COVID.
Mme Chevinsky est actuellement agent de santé publique adjoint au Riverside University Health System-Public Health, qui dessert le comté de Riverside, en Californie. Elle s'est efforcée de donner la priorité à la question des éventuelles inégalités raciales dans la réponse au COVID Long de l'État. Pour ce faire, elle a effectué des dizaines de milliers d'appels de suivi pour connaître les expériences des patient·es après un test COVID positif, donné des cours sur les préjugés implicites aux professionnel·les de santé locaux et organisé des séances de formation sur le COVID Long à l'intention des "promotores", des agents de santé communautaires qui desservent la population latina, notamment les travailleur·euses migrant·es et agricoles.
"La manière dont le COVID Long affecte différentes personnes dans différents groupes démographiques est un domaine que nous devons développer davantage. Nous allons probablement constater des disparités, donc nous devons agir sur ce point", explique Mme. Chevinsky. "Le combat continue. Nous avons besoin de plus de ressources, et de plus de financement. Et nous travaillons pour essayer d'améliorer les services qui sont là. Mais il y a encore du travail à faire."
Publication originale (22/09/2022) :
Scientific American
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