Les mamans les plus puissantes d'Amérique | Kiera Butler
Leur croisade contre l'éducation publique n'est qu'un début.
Que feront donc les Moms for Liberty si elles prennent le contrôle des conseils scolaires ? Elles promettent des choses claires, comme lutter contre et les mesures de prévention sanitaire (masques et vaccins) et faire pression sur les bibliothèques scolaires pour qu'elles retirent les livres qu'elles jugent obscènes. Elles veulent supprimer les enseignements sur le racisme systémique, les livres adaptés aux LGBTI, les aménagements pour les étudiant·es transgenres. Mais, si vous écoutez attentivement, vous pourrez entendre des allusions à un objectif bien plus radical : liquider les écoles publiques.
Kiera Butler est rédactrice en chef chez Mother Jones. Elle couvre les sujets santé, alimentation et environnement. Elle supervise aussi les reportages sur les pandémies. Kiera a contribué au lancement et à la co-animation du podcast MoJo’s food politics, Bite. Elle est l'autrice du livre Raise : What 4-H Teaches 7 Million Kids- and How Its Lessons Could Change Food and Farming Forever (University of California Press).
Fondé en 1976, Mother Jones est un organe d'informations et d'investigation indépendant à but non lucratif financé par ses lecteurs. Récompensé par ses pairs comme Magazine de l'année, Mother Jones aborde les grands thèmes de l'époque, de la politique à la justice pénale et raciale, en passant par l'éducation, le changement climatique et l'alimentation/agriculture. Mother Jones c'est aussi le nom sous lequel est connue la militante activiste Mary G. Harris Jones fondatrice des Industrial Workers of the World
[Note de Cabrioles] En cette rentrée scolaire 2022 nous vous proposons en collaboration avec l’indispensable Action Antifouchiste - qui mène un précieux travail de veille à propos des réseaux conspiracistes anti-prévention - la traduction de cette enquête sur les Moms for Liberty qui semblent être l’une des principales sources d’inspiration du groupe français les Mamans Louves, un des satellites du réseau antisémite de désinformation médicale Réinfocovid.
C'est la première journée complète du sommet national inaugural des « Moms for Liberty, Joyful Warriors », et 500 de ces joyeuses guerrières écoutent attentivement le discours d'ouverture du gouverneur de Floride, Ron DeSantis. La grande salle de bal du Tampa Marriott est bondée. Autour des tables, les « Mamas for DeSantis» agitent des pancartes et portent des T-shirts aux slogans explicites : « Je ne coparente pas avec le gouvernement », « Arrêtez l'endoctrinement Woke ». Elles se trémoussent et applaudissent lorsque DeSantis, qui envisage la course aux présidentielles en 2024, se vante d'avoir résisté au « gauchisme » de Disney ou encore lorsqu'il se réfère au président « gaffeur » Joe Biden.
Les mamans ont été chauffées à blanc toute la matinée : la journée a débuté par une version « luxe » de l'hymne national additionné d'un couplet rarement chanté ajouté en 1986, sous les regards d'une Garde d'Honneur de quatre adolescents, drapeaux, sabres et fusils aux clairs. S'est ensuivi une prière faisant appel à Dieu dans la lutte contre le fléau du progressisme dans les écoles. Lorsque M. De Santis est finalement monté sur scène, trois dirigeantes de Moms for Liberty lui ont remis une épée bleu vif, ornée du logo du groupe. « C'est ce que les gladiateurs recevaient en récompense après avoir livré une longue et dure bataille pour la liberté », a déclaré la fondatrice du groupe, Tina Descovich. « C'est une distinction remise par l'ensemble des Moms for Liberty, pour tout ce que vous avez fait pour défendre les droits des parents. » Serrant l'épée dans ses bras, DeSantis a souri à la foule tandis que la presse, au fond de la salle de bal, les mitraillait de photos.
« Les droits des parents », c'est le cri de ralliement de Moms for Liberty. Elles ne parlent cependant pas de tous les droits. Elles ne se préoccupent, par exemple, pas du droit d'un parent à garantir la sécurité de son enfant LGBTI à l'école, ou que son enfant immunodéprimé·e, soit protégé·e du Covid. C'est au contraire autour de préoccupations parentales résolument conservatrices et réactionnaires qu'elles ont engagés leur action. Elles veulent supprimer les enseignements sur le racisme systémique, les livres adaptés aux LGBTI, les aménagements pour les étudiant·es transgenres et les mesures de prévention sanitaire (masques et vaccins). Elles défendent aussi le deuxième amendement, celui-là même qui a permis les tueries dans les écoles américaines. Elles travaillent à la réalisation de ces objectifs avec une bonne humeur aussi inébranlable que factice, d'où le thème de la conférence : « Guerrières Joyeuses ». « Les gens veulent être entourés de personnes joyeuses », déclare une des organisatrices. « Ils ne veulent pas nécessairement être entourés de personnes en colère, qui crient, qui hurlent, sinon ça ne va pas se développer ».
Moms for Liberty n'est pas le seul groupe de défense des droits des parents à s'être constitué ces dernières années dans la bataille pour l'hégémonie culturelle, mais c'est l'un des plus importants. L'organisation a été officiellement fondée début 2021. À peine 19 mois plus tard, elle compte plus de 100 000 membres dans quelque 200 groupes locaux répartis dans 38 États.
Les positions extrêmes de ses partisan.es au sujet de l'éducation, avait déjà donné au mouvement une visibilité médiatique nationale. Récemment, dans le New Hampshire, une section locale a offert une récompense de 500 $ à quiconque surprendrait un·e enseignant·e qui parlerait à ses élèves de racisme systémique. L'année dernière, après que la fondatrice de Moms for Liberty, Tina Descovich, ait perdu sa course pour intégrer le conseil scolaire dans le comté de Brevard en Floride, son adversaire, Jennifer Jenkins, a rapporté que le groupe était à l'origine de manifestations menaçantes. « Nous venons vous chercher », « Pédophile », criait la foule rassemblée devant son domicile, rapporte un éditorial du Washington Post. « Nous arrivons comme un train en marche ! Nous allons vous faire demander grâce. Si vous pensiez que le 6 janvier [attaque du Capitole par les partisan·es de Trump Ndt] était terrible, attendez de voir ce qu'on vous réserve ! ».Une personne malveillante l'avait dénoncée au ministère de l'Enfance et de la Famille, affirmant à tort qu'elle avait abusé de sa fille de 5 ans. « S'il y a des divergences d'opinion sur ce qui est juste pour tous·tes les élèves, je serais ravi d'en discuter », a-t-elle écrit. « Mais j'ai aussi des droits, et cela inclut le droit d'être à l'abri du harcèlement et des agressions. » (La justice a nié l'implication de Moms for Liberty dans cette campagne de harcèlement. "Nous sommes des guerrières de la joie, et notre section n'a jamais été impliquée dans quoi que ce soit de ce genre", ont-t-elles déclaré).
Le battage médiatique autour de Moms for Liberty tend souvent à les dépeindre comme des « cinglées », impossibles à prendre au sérieux. Mais, ce serait une erreur de sous-estimer leur pouvoir ou la possibilité qu'elles deviennent des actrices décisives dans les élections de mi-mandat. Si elle se présente comme une simple organisation populaire — une association peu structurée de mères partageant les mêmes idées et préoccupées par les tendances progressistes de l'éducation — parmi ses partisan·es, on compte pourtant des poids lourds du mouvement conservateur. D'influent·es stratèges républicain·es font partie de son équipe dirigeante, et d'importants Think Tank de droite leur apportent soutien financier et expertise.
Toutes ces prouesses politiques conservatrices alimentent un objectif explicite : prendre le contrôle des School Board, les conseils scolaires1. Les « sessions stratégiques » de la conférence étaient organisées par le Leadership Institute [une académie fondée en 1979, qui organise des séminaires pour former des leaders conservateurs ultra-libéraux] qui compte parmi ses anciens élèves le chef de la minorité du Sénat Mitch McConnell, l'ancien vice-président [de Trump] Mike Pence et l'activiste James O'Keefe. Les séances de formation comprenaient un cours accéléré « Vetting and Endorsing Candidates » sur « la manière d'identifier et de soutenir les meilleurs candidats au sein d'un groupe toujours plus important de personnes qui se revendiquent pro-parents ». Une autre session, « Win by the Numbers », promettait d'enseigner aux participant·es « les méthodes les plus efficaces pour convaincre les électeurs : comment stimuler la participation pour votre cause ou votre candidat, et déterminer exactement le nombre de votes dont vous avez besoin pour gagner ».
Bien que les membres qui constituent la base de Moms for Liberty se consacrent principalement aux campagnes d'élections des conseils scolaires, les organisateurs républicains qui les courtisent voient plus grand. Dans le discours prononcé au deuxième jour de la conférence, le sénateur Républicain de Floride Rick Scott, a exposé la stratégie politique d'ensemble en des termes très clairs : « Je suis responsable du prochain comité sénatorial républicain. Vous allez faire en sorte que les sénateurs gagnent dans tout le pays, que les membres du Congrès gagnent dans tout le pays.»
Scott n'émettait pas seulement une hypothèse. En novembre 2021, le gouverneur de Virginie, Glenn Youngkin, a battu le candidat sortant Terry McAuliffe grâce à un programme structuré autour des droits parentaux, courtisant les « mamans ourses» de son État2. Après sa victoire, Moms for Liberty écrivait dans un post Instagram triomphant : « Nous prévoyons les mêmes résultats tout au long du cycle de mi-mandat de 2022. Les parents sont engagés et cherchent des élus, à tous les niveaux de gouvernement, qui respectent leur droit à décider pour l'éducation, l'instruction et la santé de leurs enfants. »
Ron DeSantis courtise activement cet électorat spécifique, son insistance autour des droits parentaux (en particulier pendant la pandémie) aurait pu être tiré du manuel de formation de Moms for Liberty. Connu pour son manque de charisme - « Les personnes qui travaillent étroitement avec lui décrivent un homme si distant qu'il peine parfois à tenir une conversation », écrit Dexter Filkins dans le New Yorker - son discours a pourtant soulevé l'enthousiasme des mères guerrières. Sur scène, il enchaîne les punchlines : « Je pense que les parents de ce pays devraient pouvoir laisser leurs enfants aller à l'école, regarder des dessins animés, être simplement des enfants sans qu'on leur impose une idéologie ». Il fait ensuite l'éloge de l'armée croissante de parents qui se sont engagés à ses côtés dans sa guerre contre le wokisme : « Si vous montrez aux gens que vous êtes prêts à vous battre pour eux, ils marcheront pieds nus sur du verre brisé pour vous soutenir. »
Quelques heures après le début de la conférence, je me suis rendu compte que les Moms for Liberty n'étaient pas le seul groupe à organiser un événement dans ce petit coin du front de mer de Floride. Juste à côté, au centre de convention de la ville, se tenait Metrocon, un festival sur les thèmes de la science-fiction, de la bande dessinée et de l'animation, qui attire chaque année plus de 10 000 participant·es, principalement des adolescent·es et de jeunes adultes. Pendant les pauses, je regarde certaines des Moms for Liberty s'extasier devant la foule de la Metrocon : une adolescente déguisée en écolière japonaise, une jeune femme d'une vingtaine d'années vêtue d'un costume de Pikachu jaune et de bas résilles, une autre, habillée de manière tout à fait conventionnelle, à l'exception d'une queue préhensile réaliste qui sort de l'arrière de son jean. Alors que les acclamations et l'enthousiasme des Moms for Liberty se limitaient aux temps du discours, les Metroconners ont maintenu un rythme constant d'énergie jubilatoire, déambulant avec assurance dans le hall de l'hôtel.
J'observe tout cela depuis la mezzanine du deuxième étage, où je flâne entre les sessions. Un coordinateur de Moms for Liberty avait refusé ma demande de carte de presse pour assister à la conférence, me disant que j'avais dépassé la date limite. Mother Jones a donc payé les 199 dollars pour que je puisse y assister, en tant que participante. Cela présentait certains avantages : les membres des médias inscrits n'étaient pas autorisés à assister aux réunions en petits groupes, moi, j'avais un accès total. Je n'ai jamais menti sur mon identité ; si quelqu'un·e me posait la question, je ne lui cachais pas mon poste de journaliste pour Mother Jones. Lorsque je lâchais le nom de ma publication, la plupart des personnes à qui je parlais me souriais. Peut-être se réjouissaient-elles de l'attention médiatique, quelle qu'elle soit. Ou peut-être que ces mamans pour la liberté pensaient simplement que Mother Jones étaient un magazine pour... les mamans. En tout cas, personne ne semblait s'inquiéter de ma présence, même si j'étais l'une des seules personnes à porter un masque.
Parce que finalement, plus les guerrier·es sont joyeux·ses, mieux c'est ! Lorsque j'ai appelé la co-fondatrice de Moms for Liberty, Tiffany Justice, elle m'a décrit la naissance de leur groupe presque comme le fruit du hasard. En 2020, Justice, mère de quatre enfants, vient de terminer un mandat au sein de son conseil scolaire local dans le comté d'Indian River, en Floride, à mi-chemin sur la côte atlantique de l'État. L'autre co-fondatrice, Tina Descovich, mère de cinq enfants, vient de perdre sa campagne de réélection à la commission scolaire dans le comté de Brevard, en Floride, à environ 60 kilomètres au nord. Les deux femmes se rencontrent lors d'une cérémonie de remise de prix. Le courant passe immédiatement entre ces deux mères militantes, consternées par le peu d'influence des parents sur l'éducation de leurs enfants au sein des écoles publiques.
Elles commencent alors à s'organiser, avec des ami·es et des voisin·es, ell·eux aussi indigné·es par les politiques de prévention sanitaire liée au Covid. Mais également par ce dont iels ont été témoins lors des cours en distanciel sur Zoom pendant le confinement. « Beaucoup ont été étonné·es de constater qu'au lieu d'apprendre à lire, à écrire et à compter, leurs enfants recevaient des leçons sur des sujets très controversés et d'un intérêt scolaire discutable », écrivent les deux fondatrices, dans une tribune publiée en novembre 2021, dans le Washington Post. « Nous avons commencé avec seulement deux groupes ici en Floride dans nos communautés », déclare Descovich dans une vidéo YouTube datant de juin 2021. « Le vrai pouvoir de Moms for Liberty c'est vous », ajoute Justice.
Ce que les fondatrices ne mentionnent pas, c'est l'aide importante qu'elles ont reçue de conservateur·ices influent·es, à commencer par la troisième (et beaucoup moins visible) fondatrice du groupe, Bridget Ziegler, membre du conseil scolaire du comté de Sarasota, dont le mari, Christian Ziegler, est le vice-président du Parti républicain de Floride. « J'essaie depuis une douzaine d'années d'impliquer les jeunes femmes dans le Parti républicain », a-t-il déclaré au Washington Post en 2021. « Les Moms for Liberty le font maintenant pour moi ». La directrice exécutive de Moms for Liberty pour le développement est Marie Rogerson, une éminente stratège de la campagne républicaine en Floride.
Parce que Moms for Liberty est une organisation très récente, il est difficile d'obtenir des informations sur ses finances — les déclarations fiscales de l'association à but non lucratif n'étant pas encore disponibles. Mme Justice refuse de divulguer le budget annuel du groupe, elle se contente de répéter que ses principales sources de financement sont « les dons et les ventes de t-shirts ». Lors de la conférence, des allusions laissaient entendre que certains de ces dons sont considérables. Selon un tableau affiché dans le hall d'exposition, le Leadership Institute était un « sponsor principal » de la conférence, ce qui signifie qu'il a donné au moins 50 000 dollars. La Heritage Foundation, un think tank conservateur, a apporté au moins 10 000 $. Plusieurs groupes qui s'opposent au progressisme dans l'éducation, tels que Parents Defending Education et Turning Point USA, ont versé au moins 5 000 dollars chacun.
Fin juin, le tout nouveau comité d'action politique de Moms for Liberty a reçu un don de 50 000 dollars de Julie Fancelli, dont le père a fondé la chaîne de supermarchés Publix. Selon le Washington Post, Fancelli a également joué un rôle dans le financement des groupes dont les manifestations ont précédé l'insurrection du 6 janvier, notamment en versant 60 000 dollars à Kimberly Guilfoyle, la fiancée de Donald Trump Jr, en échange de sa présence au rassemblement ce jour-là.
La rapidité et l'efficacité qui caractérisent la force politique de Moms for Liberty ont stupéfié les expert·es et cell·eux qui, sur le terrain, y ont été confronté·es. Quinn Hargett, une mère au foyer de trois enfants dans le comté d'Union, en Caroline du Nord, se souvient qu'en 2021, apparemment sortis de nulle part, les membres du groupe ont commencé à publier sur les forums des réseaux sociaux locaux, invitant les parents à leurs réunions. Curieuse, Hargett a consulté la page Facebook publique de la chef de la section locale, Britney Bouldin. Elle a été sidérée par ce qu'elle y a vu. Il y avait des messages minimisant la gravité de l'insurrection du 6 janvier. L'un d'eux accusait les « médias mainstreams » d'avoir aidé les nazis pendant la Shoah. Dans un post plus récent, elle écrivait : « La tuerie de Uvalde3 est la conséquence de la politique migratoire laxiste de Biden ».
Plusieurs membres du conseil scolaire local du comté d'Union ont rejoint Moms for Liberty. Ces réunions publiques, qui se déroulaient auparavant dans le calme et une certaine confidentialité, attirent désormais une foule de militant·es conservateur·ices. Récemment, une personne s'est présentée portant un drapeau « Don’t Tread on Me » — un serpent à sonnette sur un fond jaune — symbole notamment utilisé par les libertariens, le Tea-Party ou lors des manifestations pro-armes. Hargett s'inquiète du résultat des élections scolaires cet automne — cinq des dix candidat·es sont actuellement ou ont été affilié·es à Moms for Liberty. « Je ne suis pas inquiète que quelqu'un·e prépare mon fils à devenir une drag queen », me confie-t-elle, « Je m'inquiète que quelqu'un·e prépare mon fils à devenir un suprémaciste blanc. »
Si l'association Moms for Liberty est récente, les idées qui l'animent sont anciennes. C'est d'ailleurs une panique morale concernant le bien-être des enfants qui est à l'origine des toutes premières théories conspirationnistes européennes, qui accusaient les Juifs d'assassiner les bébés chrétiens et de boire leur sang. Cette frénésie complotiste s'est à nouveau manifestée aux USA à partir des années 1950, lors du mouvement pour les droits civiques, lorsque des parents blanc·hes luttant contre la déségrégation ont affirmé que leurs filles seraient violées par des garçons noirs. Elle est réapparue dans les années 1970, lorsque Anita Bryant, chanteuse, ancienne deuxième dauphine de Miss America et adversaire acharnée des droits LGBTI, a mis en garde les parents contre le fait que les homosexuel·les vont harceler leurs enfants afin de les recruter dans leur style de vie gay. Dans les années 1980, alors que de plus en plus de femmes américaines entrent dans la vie active et inscrivent leurs enfants en crèche, une vague de rumeurs complotistes, la Satanic Panic, fait courir le bruit que des abus sexuels massifs se déroulent dans les garderies. Certaines des tactiques de guerre culturelle utilisées par Moms for Liberty semblent se déployer tous les dix ans environ — la pratique, consistant à interdire certains livres dans les écoles et à protester contre le vocabulaire utilisé dans les manuels scolaires, a une longue histoire aux États-Unis.
Ce qui différencie les Moms for Liberty des autres groupes de défense des droits des parents qui ont vu le jour ces deux dernières années, c'est qu'elles s'appuient sur les conseils scolaires locaux pour exercer leur pouvoir politique. Jeffrey Henig, professeur de sciences politiques et d'éducation au Teachers College de l'université de Columbia, m'a expliqué que les conflits au sein des conseils d'administration des écoles - généralement liés à des problèmes locaux, des questions budgétaires ou des surintendant·es impopulaires — n'ont jamais fait la une des journaux nationaux. « Beaucoup de gens avaient l'impression que la politique scolaire locale était une sorte d'arrière-boutique et que la véritable action se déroulait dans les capitales des États et à Washington, DC », a-t-il déclaré. « Les gens de droite ont eu un petit réveil, en comprenant qu'au niveau local, il y a énormément de ressources. » Qui plus est, les réseaux sociaux ont aidé les groupes locaux à travers le pays à se connecter les uns aux autres. « C'est un jeu tridimensionnel, dans lequel l'échelo local, régional et national sont interdépendants. »
Que feront donc les Moms for Liberty si elles prennent le contrôle des conseils scolaires ? Elles promettent surtout des choses claires, comme lutter contre le port du masque et faire pression sur les bibliothèques scolaires pour qu'elles retirent les livres qu'elles jugent obscènes. Mais, si vous écoutez attentivement, vous pourrez entendre des allusions à un objectif bien plus radical : liquider les écoles publiques.
Elles parlent ouvertement du « School Choice », une tendance éducative popularisée par l'ancienne secrétaire d'État américaine à l'éducation Betsy DeVos, dont le mandat a été marqué par sa croisade pour canaliser les fonds publics vers les écoles privées religieuses. Lors d'une session, après qu'un présentateur a détaillé les innombrables façons dont les écoles publiques endoctrinent les élèves avec des idées dangereuses, une participante épuisée a demandé : « Comment pouvons-nous arrêter tout ça ? Comment pouvons-nous empêcher que cela se produise dans nos écoles alors que le personnel nous ment frontalement ?» Le présentateur a soupiré : « Ma réponse est toujours la même : la seule façon d'arrêter ça, c'est de quitter les écoles publiques ».
Une fois de plus, le gouverneur de Floride Ron DeSantis est à l'avant-garde. Ses politiques ont ouvert la voie à un afflux d'écoles sous contrat, financées par des fonds publics. Il a aussi instauré un système de bons d'achat, qui permet aux parents d'utiliser l'argent de l'État pour payer les frais de scolarité dans l'école privée de leur choix. Cette nouvelle garde d'écoles sous contrat est exemptée de nombreuses lois fédérales sur l'éducation, notamment celles qui protègent les enfants et les enseignants LGBTI contre la discrimination. Selon la National Charter School Alliance, en Floride, le nombre d'écoles sous contrat a augmenté de près de 4 % de 2020 à 2021, tandis que celui des écoles publiques de district diminuait de 3 %.
Mme Justice exprime un profond scepticisme quant au rôle du ministère américain de l'éducation dans les écoles. « Il semble vraiment que le travail fait par le gouvernement fédéral soit très préoccupant, et vraiment très éloigné de ce que veulent les parents, les étudiant·es et les communautés », déclare-t-elle. Elle me fait savoir qu'elle, comme sa comparse Descovich , croit toujours en l'éducation publique, mais que « si un parent sent qu'il doit retirer son enfant du système d'éducation publique, nous le soutenons complètement.»
Lors de la conférence, l'enthousiasme suscité par les alternatives à l'école publique était palpable. Dans le hall d'exposition, un stand faisait la publicité d'Optima Classical Academy. C'est une toute nouvelle école sous contrat, où les enfants font cours grâce à des casques Oculus de réalité virtuelle, depuis chez ell·eux, assis·es confortablement sur leur canapé. Le programme est « classique », c'est-à-dire qu'il met fortement l'accent sur le canon Occidental. Afin d'en savoir plus sur, par exemple, la promesse de l'individualisme et les pouvoirs d'un gouvernement fort, les élèves pourront visiter la Rome antique, a fait savoir un représentant de l'entreprise. (J'apprendrais plus tard qu'Optima était un sponsor de la conférence.)
Pendant le « School Choice Lunch », Mme DeVos a elle-même lors d'un discours, dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas au sein de Moms for Liberty. Elle a alors reçu l'une des ovations les plus enthousiastes et les plus longues de toute la conférence. Mme DeVos a parlé du temps qu'elle a passé à la tête du département de l'éducation (l'équivalent de notre ministère de l'Éducation Nationale) sous la présidence de M. Trump. « Bien que je sache que nous avons oeuvrer dans l'intérêt des enfants, et en faveur de politiques qui redonnent vraiment autant de pouvoir aux États et aux communautés locales que possible. [...] Je pense personnellement que le département de l'éducation ne devrait pas exister. »
Si vous décidez d'envoyer vos enfants à l'école publique, les Moms for Liberty vous recommandent d'aborder « l'éducation de votre enfant, sous l'égide du gouvernement » avec une vigilance sans faille. « Si les parents baissent leur garde ne serait-ce qu'un instant, les progressistes sournois·es en profitent pour injecter subtilement leurs valeurs dans les programmes scolaires ». Le deuxième jour de la conférence, j'ai assisté à « Education Not Indoctrination Lunch », un repas de travail au cours duquel est intervenu le Dr James Lindsay, docteur en mathématiques, ancien massothérapeute et commentateur conservateur comptant 311 000 abonné·es sur Twitter. (Quelques semaines après la conférence, il sera banni de Twitter pour avoir qualifié un professeur de droit de Harvard de « spécialiste de la sexualisation des enfants »).
Lindsay était là pour discuter de l'une des bêtes noires les plus redoutables des Moms for Liberty et du mouvement des droits parentaux dans son ensemble : les programmes d'apprentissage socio-émotionnel. De nombreuses écoles enseignent des compétences « non scolaires » comme l'autorégulation, la résolution de conflits et la persévérance face à l'adversité. Les groupes d'extrême droite soutiennent que l'apprentissage socio-émotionnel n'est en réalité qu'un cheval de Troie pour faire rentrer la théorie critique de la race et l'idéologie du genre dans l'enseignement. La droite réactionnaire prétend ainsi que, les profs diplômé·es des universités qui enseignent ces matières, infusent leurs leçons avec ce qu'iels ont appris justement à l'université : que l'héritage de l'esclavage a rendu les systèmes et les institutions des États-Unis racistes, ou que l'identité de genre loin d'être binaire est un continuum.
Certain·es parents et décideur·euses politiques n'hésitent pas à surenchérir quant aux dangers qu'implique l'apprentissage socio-émotionnel. M. Lindsay, qui anime un podcast intitulé "Groomer Schools" et a changé son nom sur Twitter en « James Lindsay, equipping my war moms » à l'occasion de la conférence, a commencé son intervention en parlant à la foule d'une tendance en matière de responsabilité des entreprises. Il a présenté le principe des mesures "environnementales, sociales et de gouvernance", ESG, un ensemble de critères élaborés par le World Economic Forum, une association d'entreprises internationales de premier plan qui vise à promouvoir la responsabilité des entreprises. Au cours des deux dernières décennies, ce forum a de plus en plus utilisé les mesures ESG pour évaluer les contributions des entreprises au bien de la société - réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, par exemple, ou s'assurer que leurs pratiques d'embauche et de rémunération ne soient pas discriminatoires. Cependant, selon Lindsay, ces indicateurs ESG ne sont pas du tout orientés vers le bien social, mais plutôt au service d'un "plan diabolique" visant à ouvrir la voie à l'ère du marxisme mondialisé.
L'orchestrateur de ce plan, déclare Lindsay, ne serait rien de moins que Klaus Schwab, le président exécutif du WEF (avec George Soros, un des gros méchants des nombreuses théories antisémites du complot). Selon Lindsay, « Schwab et ses copains », auraient transformé les principes ESG en un programme d'apprentissage socio-émotionnel, conçu pour conditionner les élèves aux valeurs marxistes. Pour étayer sa thèse, Lindsay fait alors un parallèle entre Hitler et Klaus Schwab. « Hitler a dit : « Vous n'êtes rien car vous êtes mortel, moi, je possède vos enfants ". Et Schwab lui, dit que nous avons besoin d'un apprentissage socio-émotionnel ». Or, toujours selon Lindsay, le but de l'apprentissage socio-émotionnel serait d'injecter des messages sur le racisme systémique et de désarmer psychologiquement les enfants, car leur but « est de transformer le programme scolaire en un programme politique ». Finalement, la principale préoccupation de Lindsay, n'est pas tant la critique du racisme systémique, que la partie « la plus diabolique du plan de Schwab » consistant à sexualiser les enfants à travers des leçons sur la fluidité du genre.
« Lorsque vous sexualisez les enfants, vous les déstabilisez. Il n'est pas approprié, du point de vue du développement des enfants, que les catégories fondamentales — homme, femme, garçon, fille — soient compliquées. Avec l'apprentissage socio-émotionnel, on introduit ce sujet compliqué, puis on leur dit ce qu'ils sont censés ressentir à ce sujet... [Les enfants] deviennent des entités malléables que l'on peut façonner dans le but que l'on souhaite, comme devenir des agents du changement et des militants lorsqu'ils décident que le monde qu'ils voient et dans lequel ils vivent est fondamentalement injuste pour eux. Ensuite, vous les amenez à couper les liens avec leur famille. Votre enfant devient un petit déviant sexuel, un jour il rentre à la maison, il vous en parle. Et vous restez interloqué : Je ne veux pas que tu parles comme ça. Et, votre enfant de vous répondre : Maman, tu ne me comprends pas. Tu ne sais pas, les choses sont différentes maintenant »
Le parallèle le plus proche de l'apprentissage socio-émotionnel, note Lindsay de manière inquiétante, ce sont les programmes de rééducation communistes chinois. « Vous devez comprendre... que vous envoyez vos enfants dans des prisons maoïstes de réforme de la pensée », déclare-t-il face à la foule. C'est aux parents de « réparer ce système pour que cette merde soit vue et identifiée comme le crime contre l'humanité qu'il est, et retirée des écoles », tonne-t-il alors. « Vous êtes les mamans guerrières, vous pouvez le faire. » Les mamans guerrières ont applaudi.
Tiffany Justice, de Mom's for Liberty, est plus prudente et circonspecte que Lindsay (qui n'a pas répondu à une demande de commentaire pour cet article). Elle m'a dit qu'elle pensait que l'apprentissage socio-émotionnel « était peut-être à l'origine destiné à faire le bien » mais qu'il a depuis été utilisé comme une arme « pour creuser un fossé entre les parents et les enfants dans les écoles américaines ». Pourtant, quand on considère les faits, même cette thèse plus mesurée semble pour le moins exagérée. Contrairement à ce que prétend Lindsay, il n'y a absolument aucune preuve que les objectifs ESG font partie d'un grand projet marxiste. Et, si Schwab a fait l'éloge des programmes scolaires qui enseignent aux enfants des compétences pour contrôler leurs émotions, il ne les a certainement pas créés. L'apprentissage socio-émotionnel a été développé des décennies avant les principes de l'ESG. Il est apparu à la fin des années 1960 au Child Study Center de la Yale School of Medicine, grâce aux travaux du Dr James Comer, qui a étudié la vie émotionnelle des élèves dans les écoles défavorisées. Comer, le tout premier professeur noir titulaire de la Yale School of Medicine, a découvert que le fait d'apprendre aux élèves à établir des relations, les aidait à réussir sur le plan scolaire, mais également dans leur vie. Depuis lors, des psychologues et des éducateur·ices se sont appuyé·es sur les travaux de Comer pour créer des leçons fondées sur les preuves et adaptées aux phases de développement des enfants. Des recherches solides montrent que les programmes d'apprentissage socio-émotionnel améliorent les résultats des élèves aux examens, réduisent les incidents disciplinaires et encouragent l'engagement civique.
Mais les Moms for Liberty veulent-elles vraiment que leurs enfants deviennent des citoyen·nes engagé·es ? Lors de la session sur l'apprentissage socio-émotionnel, la présentatrice a semblé s'élever contre l'altruisme. « Contribuer à des communautés sûres, saines et justes ? » a-t-elle demandé avec incrédulité, en faisant référence à la description faite par un groupe de l'un des objectifs de l'apprentissage socio-émotionnel. « Quand est-ce que cela est devenu leur responsabilité ? Pensiez-vous que vous envoyiez vos enfants à l'école pour qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes et acquièrent des compétences et des connaissances pour améliorer leur propre vie ? Eh bien, tout à coup, ils sont responsables de co-créer la communauté scolaire et la communauté locale. »
Alors que la session se termine, une femme assise à côté de moi engage la conversation, me demandant si je pouvais lui envoyer les notes que j'avais prises. Elle me dit comprendre le sens de l'apprentissage socio-émotionnel pour les enfants dont les familles ne leur enseignent pas les bonnes valeurs à la maison, mais qu'elle ne trouve aucune raison pour que ses enfants discutent du racisme systémique puisque son district scolaire est composé à 90 % de Blanc·hes. De plus, « mes enfants ne voient pas la couleur », me confie-t-elle. Elle ne savait pas que les meilleur·es ami·es de son fils à l'école primaire étaient Noir·es jusqu'à ce qu'elle les rencontre à la fin de l'année. Son fils n'avait jamais mentionné la couleur de peau de ses ami·es — seulement leurs noms, qui n'étaient pas « des noms typiquement Noirs », a-t-elle noté. Elle secoue la tête avec regret. Elle se demande parfois si nos grands-parents et arrière-grands-parents avaient eux tout compris, à l'époque où l'école ne servait qu'à apprendre à lire, à écrire et à calculer. Elle s'est renseignée sur les écoles privées locales. Cependant, elle y a trouvé le même genre de programme, et, elle refuse de payer 40 000 dollars par an pour que ses enfants apprennent des « trucs de transsexuels ». En regardant vers l'avenir, elle s'inquiétait beaucoup des perspectives d'emploi pour ses fils Blancs — dans ce climat d'initiatives en faveur de la diversité, de l'équité et de l'inclusion, qui les embaucherait ?
Les 500 Moms for Liberty qui ont assisté à la conférence ne représentent que 0,005 % des membres, dont beaucoup se sont probablement inscrites sur internet et n'ont jamais assisté à la moindre réunion. Les comptes des réseaux sociaux de Moms for Liberty sont bien suivis : 40 000 sur Instagram et 54 000 sur Facebook, sans compter les comptes des centaines de sections locales. Mais, la plupart des gens ne découvrent probablement pas les Mons for Liberty par le biais des réseaux sociaux. La voie la plus courante est celle des milliers de petits groupes communautaires, où les parents de tout le pays discutent de tout, de l'apprentissage, de la propreté à la puberté. Avant, les parents échangeaient des recommandations sur les sièges de voiture ou passaient en revue les terrains de jeux locaux. Mais, comme je l'ai déjà rapporté, depuis le début de la pandémie, ces groupes sont devenus des creusets pour l'extrême droite.
Les influenceur·euses de bien-être en ligne ont commencé à fréquenter ces groupes afin de gagner des adeptes. Leurs adhérents, nouvellement radicalisés, ont utilisé les groupes pour partager des vidéos complotistes sur le Covid prétendant que la pandémie aurait été orchestrée par le gouvernement. Au fil des premiers mois chaotiques de la pandémie, l'inquiétude suscitée par le virus a cédé la place à des messages anti-vaccins et anti-masques, qui ont à leur tour ouvert les vannes aux théories selon lesquelles le virus n'était pas le véritable danger pour les enfants, mais que les plus grandes menaces étaient les pédophiles sous l'emprise d'un groupe obscur d'élites mondialisées. Ce fantasme paranoïaque, qui fait partie de la théorie de la conspiration QAnon, s'est répandu dans les groupes de mamans sur Facebook et a trouvé sa place dans les conversations des communautés locales. Suite à l'assassinat de George Floyd, alors que les protestations envahissaient le pays, les influenceur·euses complotistes ont intégré le mouvement Black Lives Matter dans leur grand récit, avertissant que ses organisateur·ices avaient élaboré un plan en connivence avec les élites mondiales, dans le but de « déstabiliser la nation avec leurs idées qui divisent sur la race. »
Les groupes de mamans semblent étrangement adaptés aux fantasmes QAnon sur l'état profond, un narratif qui parait pourtant très loin de leurs préoccupations immédiates. Mais, pour les personnes qui étudient la diffusion des théories complotistes, c'est un processus qui a tout son sens. Rachel Moran, chercheuse postdoctorale au Center for an Informed Public de l'université de Washington, s'intéresse à la diffusion de la désinformation dans les communautés de femmes en ligne. Ce n'est pas que les femmes soient plus crédules que les hommes, explique-t-elle. Ce sont plutôt les structures sociales sous-jacentes — celles qui font peser de manière disproportionnée la charge des enfants sur les mères — qui rendent les femmes vulnérables. Les pourvoyeur·euses de désinformation exploitent délibérément ces vulnérabilités. Les femmes ont la lourde charge de protéger les enfants contre tout danger — souvent sans congé familial payé, ni services de garde d'enfants abordables. La menace d'enlèvement et d'agression d'enfants, qui est au cœur des nombreuses théories complotistes qui circulent en ligne, laisse de nombreuses mères dans un état d'anxiété constante. Cette préoccupation obsessionnelle pour la sécurité des enfants, dans un monde rempli de prédateurs, peut constituer un terrain fertile à la propagation de la pensée conspirationniste. « Vous êtes à un moment très incertain de votre vie, dans la période d'incertitude incroyable que nous avons connue, et en plus, vous êtes isolée », dit Moran. Il est compréhensible que des femmes « aillent en ligne où il est trop facile de trouver, non seulement des informations erronées, mais également des communautés incroyables qui se construisent autour de ces narratifs ».
Cette immersion dans l'anxiété des réseaux virtuels, était une excellente préparation pour la conférence et ses présentateur·ices qui avaient l'intention de dresser le portrait d'un mouvement progressiste qui s'attaque aux enfants. Cette stratégie a été pleinement exposée lors de la session sur « l'idéologie du genre », lors de laquelle les intervenant·es ont utilisé le mot « transition » comme un verbe transitif, faisant référence aux enseignant·es qui élaborent des stratégies sur « la manière de ne pas dire aux parents qu'ils font passer leurs enfants en transition », comme l'a dit une responsable de session. Outre les enseignant·es, a-t-elle ajouté, ne faites pas confiance aux conseiller·es scolaires, car « ils font des interventions, à votre insu. Vos enfants pourraient faire l'objet d'une intervention ciblée ». Il en va de même pour les infirmièr·es scolaires qui, selon la conférencière, peuvent même donner des médicaments hormonaux aux élèves. (C'est faux.)
Les enseignant·es aussi sont dans le coup. Dans deux sessions différentes, les intervenant·es ont montré un dépliant censé être utilisé dans les classes d'école primaire, un diagramme d'un personnage étiqueté avec des termes comme « identité », « attraction » et « sexe ». (« C'est un bonbon sur ses parties génitales ? », siffle une femme à côté de moi, horrifiée. « Euh, je pense que c'est censé être de l'ADN ? » ai-je proposé. « Comme une double hélice. »)
Les intervenant·es ont recommandé aux parents de ne pas croire les défenseur·euses des jeunes transgenres qui citent les statistiques terribles sur les taux élevés de suicide chez les personnes souffrant de dysphorie de genre. « La grande majorité [des parents] ne seraient jamais d'accord si ce n'est à cause de ce chantage émotionnel », a déclaré l'un d'eux. Une autre intervenante, January Littlejohn, une mère de famille de Floride, a raconté qu'elle avait été consternée d'apprendre que son district scolaire aiderait son enfant de 13 ans à faire son coming out en tant que non-conforme au genre. Mme Littlejohn est convaincue que son adolescente a été « emportée par une sorte d'hystérie collective ». « Nous avons essayé pendant de nombreuses semaines de résoudre ce problème avec le district, parce que je pensais naïvement que, s'ils savaient ce que je sais, s'ils savaient qu'il s'agit d'une contagion sociale, que ces filles sont la proie de cette idéologie, ils seraient tout aussi horrifiés que moi. » Ses tentatives ayant échoué, elle a intenté un procès fédéral contre le district scolaire, qui a servi d'inspiration à la loi « Don't Say Gay » de Floride. Le procès est en cours, mais Littlejohn a fièrement annoncé pendant la session qu'elle avait empêché son enfant de faire sa transition. « Ma fille est la preuve vivante, a-t-elle dit, que l'argument du suicide est un mensonge. »
Ses affirmations manquent pourtant d'une nuance importante. Les adolescent·es qui souffrent de dysphorie de genre ont un risque élevé de suicide — environ la moitié des garçons trans et un tiers des filles trans ont déclaré avoir tenté de mettre fin à leurs jours, selon une étude publiée en 2018 par l'Académie américaine de pédiatrie. Et, selon une étude publiée en 2022 dans le JAMA, les soins d'affirmation de genre peuvent considérablement réduire ces risques. L'idée de « prosélytisme des défenseurs des trans qui menacent les parents du suicide de leurs enfants » est encore plus éloignée de la réalité, un écho du vieux mythe selon lequel les queers cherchent à « convertir » les hétéros.
Tout cela nous amène à une question plus fondamentale : qui exactement les Moms for Liberty considèrent-elles comme des ennemi·es ? D'après les intervenant·es, il s'agit de la « gauche Woke », des « bureaucrates du gouvernement » et parfois des « socialistes ». Pourtant, après cette série de conférences, il m'est devenu évident que leurs véritables cibles étaient les personnes marginalisées. Les Moms for Liberty refusent d'envisager que les expériences vécues par les trans puissent véritablement enrichir les discussions en classe, ou que la connaissance de la souffrance des Noir·es aiguise le sens moral d'étudiant·es Blanc·hes. Lorsque j'ai suggéré à Justice que les idées de Moms for Liberty pourraient être perçues comme menaçantes par les personnes issues de groupes marginalisés, elle m'a accusé de spéculer : « Il n'y a aucune raison de craindre qui que ce soit chez Moms for Liberty, comme je l'ai dit, nous sommes des guerrières de la joie ».
De retour dans ma chambre d'hôtel après la séance sur l'idéologie du genre, j'ai envoyé un texto à mon plus vieil ami, pour lui expliquer ce que j'avais vu. C'est le parent trans blanc d'un enfant noir adopté. « Je vais me coucher, car j'ai une longue journée de Liberté demain », ai-je écrit. Il m'a alors répondu « Tiens-moi au courant, mais ne dis rien à personne sur moi ou mon bébé. »
Lors du cocktail précédant le dîner de clôture et la remise des prix — au cours duquel les membres méritant·es reçoivent des prix aux noms des « mères fondatrices » du pays, de l'époque de la guerre d'Indépendance — une femme s'est approchée de moi et m'a demandé si j'étais journaliste. Lorsque j'ai répondu par l'affirmative, elle a souri et s'est présentée : elle était doctorante en théorie du genre à l'université d'État de l'Ohio et travaillait à une thèse sur la privatisation de l'éducation. Nous avons bavardé et partagé nos anecdotes sur nos expériences à la conférence. Nous nous sommes émerveillés du fait que nous n'avions pas été désignées comme des parias. Au contraire, aux tables de la grande salle de bal et pendant les sessions, les participant·es auxquel·les nous avons parlé semblaient supposer peut-être que nous partagions leurs convictions, que nous étions comme ell·eux.
Et pourquoi en serait-il autrement ? Les femmes présentes à la conférence formaient un tout hétérogène. Elles venaient de Floride et du Texas, mais aussi du Massachusetts ou de Californie. Des républicaines depuis toujours. D'autres se considéraient comme indépendantes. Elles ne se sont jamais réellement souciées de la politique jusqu'à ce qu'elles commencent à se réveiller politiquement en 2020. Elles aiment tout de Trump. Où elles ont aimé certaines politiques de Trump, mais ont détesté ses excès. Elles se considéraient comme des féministes. Alors que d'autres encore, ne supportaient pas les féministes et les qualifiaient de « gueulardes ». Elles portaient des robes BCBG rouge vif avec des talons aiguilles. Elles avaient les cheveux teints en violet et portaient des T-shirts et des jeans. Elles étaient presque toutes blanches, mais quelques-unes ne l'étaient pas. C'étaient des mamans ourses. Des mamies ourses. Quelques-uns étaient des papas ours. Elles n'étaient pas encore toutes membres de Moms for Liberty. J'ai parlé à plusieurs personnes à la conférence, qui étaient là « par elles-mêmes », sans leur section locale. Assise seule à une table dans la salle de bal, la mère d'un enfant d'âge préscolaire en Floride m'a dit qu'elle était venue pour apprendre. « Je n'ai pas encore d'enfants à l'école », a-t-elle dit. J'essaie juste de me faire une idée complète. C'est difficile de savoir. »
Pour lancer le dîner de remise des prix, Allie Beth Stuckey, une animatrice de podcast conservatrice et influenceuse avec 421 000 followers Instagram, a raconté à la foule le genre de femme qu'elle avait en tête lorsqu'elle écrivait le script de son podcast ou qu'elle façonnait un post Instagram. La femme dans son esprit, a-t-elle dit, penche pour le conservatisme, mais prête que peu d'attention à la politique, car elle suppose que les décisions des législateurs n'ont pas grand-chose à voir avec sa propre vie. « Je pense à ce moment-là où elle se réveille, où le danger se présente sur le pas de sa porte, dans la classe de son enfant, dans sa bibliothèque locale, son église, son travail, sa communauté », a déclaré Stuckey. « Sa naïveté est alors brisée. Et, elle est confuse. Elle a peur et elle est en colère. Elle veut savoir si elle est seule. Et, c'est là que nous intervenons. »
Jeffrey Henig, professeur d'éducation et de politique à Columbia, m'a dit qu'il n'était pas encore certain que la croisade des droits parentaux de Moms for Liberty laisserait une marque durable sur les programmes et les politiques scolaires. Il est possible, a-t-il dit, que les parents soient rebuté·es par l'extrémisme de ces groupes. Le tollé suscité par la théorie critique des races, par exemple, a d'abord fait grand bruit parmi les parents, « Mais je doute que lorsqu'ils ont commencé à regarder dans leurs communautés, leurs craintes se soient avérées fondées ». « Que va-t-il se passer ? Ma réponse est que je n'en sais rien. Cela ressemble à un hochet que l'on agite ».
Les mamans pour la liberté savent comment mobiliser leurs troupes. Après un repas composé de poulet et de steak grillés, les assiettes sont débarrassées et la cérémonie de remise des prix commence. Pendant que nous mangeons un gâteau au chocolat blanc, une douzaine de gagnant·es sont annoncé·es. Le prix Mercy Otis Ward, qui vise à « inciter les leaders épris·es de liberté à occuper des postes électifs », est décerné à une membre de New York. Le prix Sybil Ludington, pour « la compréhension du rôle limité du gouvernement », a été décerné à un membre d'une section de Caroline du Sud. Au moment de la remise du dernier prix, Mmes Descovich et Justice ont les larmes aux yeux. « J'espère que vous savez que nous sommes en mission pour le Bien », déclare Justice. « Pour le bien de nos enfants et l'avenir de ce pays ».
Une fois le programme terminé, j'ai pris l'escalator jusqu'au hall et j'ai quitté l'hôtel. Dans la chaleur écrasante de ce soir de juillet, j'ai regardé la foule du Metrocon défiler. J'ai vu une fille dans un costume de pieuvre et deux pirates minutieusement équipés tenant des épées, un peu comme celle offerte à DeSantis. J'ai vu des enfants racisés [Black and Brown and White kids, dans la version originale Ndt] ou blancs portant des perruques roses et des bottes de combat. Le tonnerre a grondé et la pluie est tombée, mais les enfants de Metrocon n'ont pas semblé s'en apercevoir. Iels étaient incandescent·es. Un grand groupe hurla de rire alors qu'iels traversaient la rue, ravis d'essayer d'être quelqu'un·e d'autre, ou peut-être simplement de se sentir à leur place.
Publication originale (22/08/2022) :
Mother Jones
Traduction :
Action Antifouchiste
Les conseils scolaires - School board - élaborent les politiques et les règlements pour contrôler le fonctionnement des écoles : organisation du système, contrôle du budget, achat d'équipement, personnel, assiduité, programme, etc. Les conseils peuvent également être autorisés par l'État à prélever des impôts, investir des ressources, acquérir du foncier… Ils font partie intégrante du système d'éducation publique américain et sont considérés comme le principal organe démocratique capable de représenter les citoyens dans les décisions locales en matière d'éducation.
"Il fait toutefois campagne en mettant de côté ses convictions anti-avortement et anti-mariage homosexuel, la Virginie étant traditionnellement favorable aux démocrates. Il a surtout insisté sur les questions d'éducation, s'opposant aux fermetures d'écoles à répétition du fait de la pandémie de Covid-19, à l'obligation du port du masque au sein des établissements et rejetant la Critical Race Theory", page Wikipédia française de Ron DeSantis
Tuerie de masse dans une école primaire qui a fait 21 morts dont 19 enfants de moins de 11 ans. Le tueur était un jeune latino, fils d'immigré.