L'entraide populaire face à la faillite de l'État Chinois dans les premiers temps de la pandémie
La majorité des participants à ces groupes d'entraide nouvellement formés n'avaient aucune expérience préalable de l'organisation communautaire. C'est l'urgence de la crise et l'échec du gouvernement qui les ont poussés à se rassembler et à s'engager dans des pratiques d'auto-organisation.
· Cet article fait partie de notre dossier Chine du 12 décembre 2022 ·
Ceci est la traduction de la première partie d’une série de 3 articles parue en mars 2020 sur la plateforme chinoise Matters et intitulé L’auto-organisation pendant la pandémie. Traduit ici depuis la version anglaise publiée par Lausan en juillet 2020.
L'année 2020 s'annonce comme une année inoubliable. Au début de l'année, la Chine a traversé une crise de santé publique aussi grave que la pandémie de SRAS de 2003. Le dysfonctionnement inattendu du pouvoir de l'État pendant la pandémie a suscité des vagues d'anxiété, de désenchantement et de colère au sein de la population.
Face à une telle situation, beaucoup de gens ne savaient pas quoi faire à part suivre les directives de santé publique : ils portaient des masques, restaient à l'intérieur et se protégeaient des dangers du monde. Dans cet article, nous nous intéressons à un groupe de personnes qui ont agi à contre-courant, qui se sont organisées en réseaux d'entraide et qui ont joué un rôle crucial dans la circulation des informations et des fournitures pendant la pandémie. Avec l'aide d'Internet, ces personnes se sont rapidement ralliées à des causes communes sans établir une structure bureaucratique hiérarchique limitée à un lieu spécifique. Répondant à l'évolution des besoins sociaux, ces groupes sont passés d'un projet à l'autre, sans en attendre de gain financier ou de réputation. Ces initiatives individuelles ont franchi les barrières imposées par la pandémie et le système politique, atteignant les coins les plus négligés de la société. Contrairement à l'inertie institutionnelle, ces réseaux d'aide mutuelle ascendants se caractérisaient par leur efficacité, leur attention et leur flexibilité.
Nous ne saurions trop insister sur le caractère inédit de ce mouvement d'entraide. Ces dernières années, l'espace social d'organisation en Chine a fortement diminué en taille et en portée. Un article publié sur le site Beijing Cultural Review souligne le fait que "de nombreuses ONG ont toujours considéré que le gouvernement était un partenaire indispensable. Fuir le soutien du gouvernement local revient à laisser aux ONG une marge de manœuvre quasi nulle... En Chine, la réalité pratique est que les ONG sont très dépendantes du gouvernement et du capital. Les ONG ne peuvent pas survivre sans le soutien de l'État et des entreprises." De même, "les dons annuels des particuliers sont négligeables par rapport au financement des entreprises et autres entités. Depuis que la participation des entreprises à des projets à but non lucratif est devenue à la mode, les valeurs et la logique commerciales ont imprégné le secteur non lucratif. Non seulement le capital contrôle l'allocation des fonds publics, mais il exige également que les acteurs du secteur sans but lucratif imitent les comportements et les valeurs des entreprises."
Bien sûr, les organisations existantes de la société civile ont apporté quelques idées et ressources à ces nouvelles initiatives. Cependant, la majorité des participants à ces groupes d'entraide nouvellement formés n'avaient aucune expérience préalable de l'organisation communautaire. C'est l'urgence de la crise et l'échec du gouvernement qui les ont poussés à se rassembler et à s'engager dans des pratiques d'auto-organisation.
Par conséquent, nous pensons qu'il est nécessaire de faire la distinction entre les réseaux d'entraide bénévoles qui ont émergé pendant la crise et les organisations préexistantes et légalement reconnues, y compris les entreprises générales, les ONG et les ONGG (organisations non gouvernementales organisées par le gouvernement) qui sont une extension de l'appareil d'État. Certaines analyses situent ces groupes d'entraide dans le cadre traditionnel de la "société civile", existant dans l'espace intermédiaire entre l'État, l'individu et la famille. On considère que ces organisations sont le produit du transfert de pouvoir du parti au pouvoir vers les élites moyennes, c'est-à-dire les experts techniques et les intellectuels.
Pourtant, les groupes d'entraide dont il sera question dans cet article ne correspondent pas à cette étiquette, étant donné leur caractère éphémère et leur manque de structure formelle. Cependant, malgré les faiblesses de ces groupes et leur nature non durable, ils ont dépassé les rôles traditionnels de la société civile dans un contexte d'échec généralisé du gouvernement et du marché. Pour cette raison, ces groupes d'entraide ne peuvent être compris selon le concept traditionnel de "société civile".
S'appuyant sur un large éventail de rapports et de commentaires publics, cet article abordera le contexte et les effets de l'émergence de ces groupes d'entraide. Nous analyserons le discours public entourant ces groupes, ainsi que les positions politiques sous-jacentes des différentes parties. Nous éluciderons les différents types d'attentes que les gens ont envers la société, tout en révélant les revendications qui restent cachées au public. Enfin, nous tenterons d'articuler ces demandes cachées et de montrer comment elles se manifestent dans les expériences vécues des gens.
Il est important de noter qu'en raison de la pandémie, les auteurs de cet article ont dû s'appuyer sur des reportages de seconde main sur ces groupes d'entraide, plutôt que de s'engager dans une recherche approfondie de première main. C'est l'une des limites inévitables de cet article. Heureusement, certains des auteurs de cet article ont participé bénévolement à leurs propres projets d'entraide, et ont ainsi pu apporter leurs propres réflexions à l'article. Si nous parvenons, à tout le moins, à consolider les informations existantes et à fournir aux lecteurs un point de départ et une liste de référence exhaustive pour en savoir plus sur ces groupes d'entraide, alors tout ce travail en aura valu la peine. Dans la troisième partie de cet article, nous avons inclus de nombreuses études de cas de formes alternatives d'organisation sociale, ainsi que notre propre analyse théorique, afin d'approfondir cette étude sur les groupes d'entraide. Nous espérons qu'elle pourra servir de source d'inspiration.
L’entraide en temps d’urgence
Le gouvernement local de la province du Hubei, l'épicentre de la pandémie, a fait les frais de la censure publique. Le 31 décembre 2019, la Commission municipale de la santé de Wuhan a publié le premier avis public concernant le nouveau coronavirus. Mais ce n'est que le 22 janvier 2020 que le gouvernement de la province du Hubei a émis une demande d'aide urgente auprès du reste du pays. Avant cela, les responsables n'ont pris aucune mesure proactive pour lutter contre la propagation, insistant sur le fait que le virus était "évitable et contrôlable." Le 19 janvier, le quartier Baibuting de Wuhan a accueilli un banquet réunissant des dizaines de milliers de participants ; le 21 janvier, le Hongshan Hall de Wuhan a organisé sa fête annuelle du Nouvel An.
Le fait que ces événements communautaires massifs aient pu avoir lieu aux premiers stades de l'épidémie de coronavirus témoigne d'un grave manquement à leurs devoirs de la part des fonctionnaires. Cette situation a suscité un doute généralisé au sein de la population quant aux affirmations du gouvernement concernant le virus. Lors d'une conférence de presse tenue le 26 janvier, un haut fonctionnaire a mal porté son masque facial, a buté à plusieurs reprises sur les statistiques de production de masques et a fait des erreurs quant à l'existence d'une pénurie de fournitures médicales.
Le rapide et le lent
Cependant, il serait erroné de rejeter toute la responsabilité sur le gouvernement local. Selon l'article de l'universitaire Zhang Wenwen, l'incapacité du gouvernement local du Hubei à prendre des mesures adéquates de prévention du virus, ancrée dans un conservatisme et une léthargie endémiques, est en fait le reflet de la logique comportementale des "gouvernements locaux faibles" au sein du système étatique chinois : "Les gouvernements locaux faibles, comme celui de la province du Hubei, existent au sein d'une structure d'autorité descendante. Habitué à recevoir des ordres de l'appareil central, c'est précisément en raison de cet habitus que le gouvernement local du Hubei n'a pas été en mesure de réagir au coronavirus en temps voulu." Une telle logique se manifeste non seulement entre le commandement central à Pékin et les gouvernements locaux, mais au sein de toute bureaucratie hiérarchique. En tant que "gouvernements locaux faibles", les unités subordonnées n'ont d'autre choix que d'"attendre passivement que les dirigeants donnent des ordres unifiés".
Bien sûr, cette perspective ne tient pas compte du fait que les gouvernements locaux avaient tout intérêt à cacher la vérité sur le virus afin d'échapper à leurs responsabilités. Mais elle rappelle un aspect crucial du problème : dans un tel système descendant, organisé de manière centralisée, le pouvoir de l'État règne en maître. Cela a toujours été présenté comme le style de gouvernance le plus efficace, notamment dans les moments de crise où il était important de "concentrer nos efforts collectifs pour exécuter des tâches importantes."
Mais lorsque le pouvoir est exercé sans contrôle public et sans possibilité de participation, lorsque la communication est insuffisante et lorsque des structures de pouvoir labyrinthiques créent une situation dans laquelle les fonctionnaires se renvoient continuellement la balle et se trompent les uns les autres en vue d'obtenir des avantages politiques, il en résulte un cocktail qui mène au chaos. Si l'on part du principe que les politiciens sont habiles à se livrer à des intrigues politiques dans le but de gagner l'approbation aveugle des électeurs dans le cadre de la démocratie électorale, on peut en dire autant des gouvernements locaux et des responsables de comités flagorneurs dans le cadre du système de "responsabilité envers son supérieur".
L'exemple le plus classique d'une telle performance serait peut-être celui du "Système national de signalement des urgences de santé publique", également connu sous le nom de "Système de signalement", qui coûte plusieurs milliards de dollars. Comme le rapporte le Financial Times, Gao Fu, le directeur du Centre de contrôle des maladies, a tenu les propos suivants lors du Forum de Boao pour l'Asie 2019 sur la santé mondiale : "La Chine dispose d'un système de signalement très robuste. Lors de toute épidémie potentielle, y compris de maladies nouvelles ou récurrentes, la Commission nationale de la santé sera informée dans les six heures. Cela s'explique par le fait que nous avons créé un système de signalement complet et direct."
Pourtant, 28 jours après la découverte du nouveau coronavirus, le système de notification demeurait inutilisé. Les responsables sont revenus sur leur parole concernant les fonctions du système : "Avant que les nouvelles maladies puissent être signalées dans le système, elles doivent d'abord passer par le Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC), puis être évaluées par des experts de la Commission nationale de la santé. Ce n'est qu'après la vérification de la maladie que les institutions médicales de niveau inférieur pourront signaler les cas dans le système." De toute évidence, le processus de déclaration reste entravé par une bureaucratie hiérarchique stricte. Si l'on considère les nombreuses couches de dissimulation et de tromperie au sein de la structure bureaucratique, il devient évident que les responsables de l'État central n'ont pas été en mesure d'acquérir une compréhension réaliste de la propagation du virus, ce qui a retardé la vitesse de leur réponse globale.
Un autre élément du système bureaucratique est ce que l'universitaire Zhou Xueguang appelle la "sous-traitance administrative". Par le biais de la sous-traitance administrative, "les fonctionnaires de différents niveaux du gouvernement central transmettent les responsabilités du gouvernement local (sécurité, emploi, développement économique, services publics, etc.) au niveau suivant de la chaîne bureaucratique. La tâche de nommer, de sélectionner et de gérer ces fonctionnaires de niveau inférieur est assumée par leurs supérieurs immédiats (ou de deuxième niveau)." Selon M. Zhou, ce système est conçu pour aplanir les difficultés de fonctionnement entre l'autorité du gouvernement central et le pouvoir effectif des gouvernements locaux. L'idée est que si l'autorité et les ressources ultimes appartiennent au gouvernement central, le fait de confier le pouvoir de gestion aux gouvernements locaux augmente l'efficacité générale. Cependant, en raison du manque de responsabilité publique de ces structures d'autorité et de la disjonction qui existe entre la réalité sur le terrain et ce qui est communiqué aux échelons supérieurs de la hiérarchie, la sous-traitance administrative a en fait contribué à l'incapacité de l'État à répondre au virus.
L'épidémie de SRAS de 2003 avait laissé derrière elle un système de réponse aux épidémies relativement complet et bien conçu en Chine. Pourtant, les stocks d'approvisionnement d'urgence de nombreuses provinces étaient insuffisants pour répondre aux besoins de la population. Ils étaient également gérés de manière inefficace. Selon les exigences du plan d'intervention d'urgence, les mesures de prévention des maladies, y compris les coûts liés aux équipements et aux installations, doivent figurer dans les plans budgétaires des gouvernements locaux. Cependant, de nombreuses organisations de prévention des maladies manquent de ressources financières. Même à Shenzhen, qui est souvent présentée comme un "gouvernement local fort", certaines organisations ne disposent pas de stocks de ressources suffisants.
Pourquoi les systèmes d'intervention en cas de pandémie des collectivités locales ont-ils échoué ? Le problème est peut-être que la réponse à la pandémie a toujours été au bas de la liste des priorités de cet État bureaucratique. Le travail de prévention des maladies et de préparation aux situations d'urgence n'est pas au centre du système. Comme d'autres travaux d'infrastructure, les projets de santé publique ne rapportent pas d'argent aux collectivités locales et ne sont pas non plus le genre de réalisations que les responsables locaux peuvent mettre à profit pour obtenir une promotion. C'est précisément la raison pour laquelle tant d'hôpitaux de base manquaient de ressources médicales lors du déclenchement de la pandémie.
Un employé de l'hôpital qui avait participé à des activités de collecte de fonds a déclaré : "Nous avons choisi de collecter des fonds pour obtenir des ressources, plutôt que de passer par les procédures d'approvisionnement habituelles, car l'approvisionnement à l'hôpital est plutôt compliqué et difficile à réaliser en peu de temps. La collecte de fonds est beaucoup plus directe." Nous avons ici un aperçu du point de vue d'un médecin de première ligne sur les avantages des groupes d'entraide : dans une situation où le système original d'allocation des ressources a déraillé et où le système d'approvisionnement ne peut pas répondre de manière adéquate à une urgence en cours, les groupes d'entraide peuvent entrer en contact direct avec les hôpitaux, découvrir leurs besoins et fournir des dons directement. En effet, nous avons rapidement constaté une prolifération de ces groupes de collecte de fonds sur Weibo, WeChat Moments, parmi les organisations d'anciens élèves et même les fan-clubs.
Il est difficile pour le système unique du gouvernement de répondre aux besoins spécifiques des différents secteurs de la société. Et en raison de son incapacité à s'adapter et à répondre aux nouvelles informations, les politiques de l'État peuvent en fait entrer en conflit avec les besoins de ses citoyens. L'une des principales difficultés rencontrées pour relancer la production de masques a été l'encombrement du flux de marchandises, créé par les contrôles de circulation mis en place par le gouvernement local. La fermeture soudaine de Wuhan, bien qu'efficace pour empêcher la propagation des cas asymptomatiques de Wuhan à d'autres régions, a également empêché le fonctionnement normal des mécanismes préexistants de répartition des ressources.
Le gouvernement local n'ayant pas la capacité de réagir efficacement et les réseaux de collaboration préexistants étant désorganisés, d'importants problèmes sont apparus au niveau du transport et de l'hébergement des travailleurs de première ligne, ce qui a entraîné un épuisement rapide des ressources médicales. Dans ces circonstances, une équipe de volontaires de Wuhan s'est chargée de relancer le système de transport paralysé. Le site Mediafox a rendu compte du service de voitures privées mis en place par ces groupes d'entraide : ils se sont relayés pour conduire des professionnels de la santé à leur lieu de travail et transporter des fournitures médicales, en couvrant de leur poche les frais d'essence, de désinfectant et de masques. Plus de 4 000 volontaires ont participé à ces équipes de transport, au péril de leur vie. Bien que les volontaires aient subi des examens de santé réguliers, que les voitures aient été correctement désinfectées et équipées de matériel de prévention du virus, quelques personnes ont malheureusement contracté le COVID-19 et en sont mortes.
Tout au long de la pandémie, ces groupes d'entraide ont fait preuve de compétences impressionnantes en matière de collecte, de traitement et de communication des informations. Non seulement ils ont continuellement fourni au public des informations sur les fournitures et les besoins essentiels, mais ils ont également créé des plateformes pour partager des mises à jour en temps réel et démentir les rumeurs. Par exemple, l'organisation de volontaires A2N, lancée le 22 janvier, a été créée dans le double but de "promouvoir la culture scientifique et de réfuter les rumeurs". Plus tard, à mesure que l'équipe de volontaires s'est agrandie, son champ d'action s'est étendu à la collecte de données sur la pandémie, à la cartographie de la propagation du virus, à la rédaction et à l'édition d'articles de vulgarisation scientifique, à la démystification des rumeurs, au suivi des hôpitaux et des fournisseurs et à la fourniture d'informations sur la manière de faire don de ressources.
Certains de ces groupes d'entraide se sont même engagés dans la recherche sociale afin de faire progresser la conscience publique. Par exemple, en publiant des articles et des affiches sur les réseaux sociaux, le groupe Retarder le Retour au Travail, Contrôler la Pandémie a pu établir une large base de membres, inspirer de nombreuses discussions et pousser à l'établissement de certaines politiques. Les groupes de distribution de masques dans différentes villes ont mobilisé des volontaires pour connaître l'opinion des gens sur les réponses de l'État à la pandémie, y compris celle des travailleurs sanitaires locaux. En réponse à la tendance de l'État à considérer le journalisme produit par les citoyens comme une "rumeur" (ce qui entraîne leur suppression rapide d'Internet), certains de ces groupes d'entraide ont pris l'initiative de soutenir les messages qui pourraient être supprimés. Par exemple, le groupe Anti404 a compilé tous ses messages relatifs à la pandémie du 25 janvier au 2 février, en utilisant des captures d'écran pour lutter contre l'oubli.
En raison des retards interminables et des contradictions dans la diffusion des informations sur la pandémie, les responsables publics ont perdu toute crédibilité. Le monopole à long terme de l'État sur la circulation de l'information signifie qu'il a perdu la capacité de dialoguer avec l'opinion publique. Dans ces circonstances, on attendra certainement du gouvernement qu'il assume la responsabilité de ses omissions ou de ses erreurs, qui ont entraîné un cercle vicieux de désinformation et de méfiance.
En comparaison, les groupes d'entraide transmettent l'information de manière beaucoup plus dialogique. Les messages contradictoires et conflictuels abondent par nature. Cependant, dans un environnement en ligne rempli d'informations différentes, l'existence de plusieurs voix permet une surveillance, une vérification et un soutien mutuels. Nous avons même vu le travail "miraculeux" accompli par des groupes d'entraide pour démentir des rumeurs émanant du gouvernement, mais cela ne devrait-il pas se produire tout le temps ?
Les marges négligées
Dans le cadre d'un système de distribution centralisé, le gouvernement a alloué la majorité des ressources disponibles à la capitale de la province, Wuhan. Ce faisant, il a ignoré le grave impact de la pandémie sur les villes voisines et les zones rurales de Wuhan. L'organisation SEED pour l'innovation sociale a fait remarquer à propos de la fourniture de ressources par les fonctionnaires : "La priorité de l'administration chinoise est de pourvoir aux besoins des zones d'importance politique centrale, puis de s'étendre lentement vers l'extérieur. Cette forme fixe et hiérarchique de distribution est totalement inappropriée face à une pandémie." En réalité, la répartition irrégulière et inégale des ressources entre les différentes régions est un problème qui serait difficile à résoudre rapidement, même face à l'épidémie.
Les habitants de la ville de Huanggang ont tenté de traverser le fleuve Yangtze pour se faire soigner à Wuhan, faute de ressources suffisantes sur place. Aucun des trois hôpitaux de la ville de Huanggang n'était équipé de manière adéquate : deux d'entre eux sont de petits hôpitaux de district et des maisons de soins, et le troisième est un hôpital pour maladies infectieuses qui avait été abandonné. Sans parler des ressources limitées fournies aux différents comtés. De nombreuses villes voisines de Wuhan, comme Huanggang, existent dans son ombre, ce qui a conduit de nombreux habitants à s'engager dans des activités d'entraide pour sauver leur communauté.
Les zones rurales dominées par des résidents âgés sont mis en danger par le grand nombre de travailleurs qui sont rentrés de Wuhan dans leur pays d'origine. Le problème n'est pas seulement que les personnes âgées sont très vulnérables, mais aussi que les services médicaux sont rares dans les zones rurales. Dans un village, la majorité des habitants n'avaient pas de masques et ne pouvaient pas se permettre d'en acheter. Il n'y avait qu'un seul thermomètre numérique partagé par toute la communauté. Compte tenu des besoins des 103 travailleurs migrants de retour au pays et du reste de la population du village, ce n'était clairement pas suffisant. En raison du manque de thermomètres, les gens devaient deviner leur propre température et signaler eux-mêmes comment ils se sentaient. Ailleurs, nous avons vu des images tragiques de villageois utilisant des pelures d'orange, des sacs en plastique ou des paquets de nouilles instantanées pour fabriquer leurs propres masques.
Même si les groupes d'entraide ne peuvent pas résoudre les inégalités structurelles dans la distribution des ressources, ils ont atténué les disparités entre les villes et les campagnes en mobilisant les dons sur Internet. Un exemple est la plateforme de messagerie, Hubei Medical Resource Supply-Demand Platform, lancée le 25 janvier. Cette plateforme a d'abord été créée par un groupe de bénévoles, qui s'est rapidement transformé en un réseau de plus de 1 000 personnes. En l'espace de quatre jours, la plateforme a non seulement été améliorée trois fois, mais elle a également recueilli des informations sur les besoins de 308 hôpitaux de la province du Hubei. Le 28 janvier, les bénévoles ont lancé la version 3.0 de leur plateforme, qui comprend des informations sur les besoins des hôpitaux de la périphérie de Wuhan, et qui offre également la possibilité de rechercher et de faire don de diverses ressources médicales à ces différentes institutions. Les volontaires ont également essayé de rassembler des informations sur d'autres provinces qui ont besoin de ressources médicales, afin de combler les lacunes concernant ce qui se passe dans des endroits souvent négligés.
La pandémie a mis en évidence les clivages de classe créés par la répartition inégale des ressources dans la société. Selon les résultats des recherches menées par les groupes d'entraide Masked Shenzhen, Masked Beijing, Masked Shanghai et Masked Guangzhou, bien que les travailleurs de l'assainissement soient en première ligne de la lutte contre le virus et soient constamment exposés à des déchets dangereux, la majorité d'entre eux ont eu du mal à acheter des masques et autres équipements de protection individuelle. Face à cette situation difficile, de nombreux groupes d'entraide ont lancé des campagnes de dons de fournitures médicales, qui ont suscité un grand intérêt et un large soutien sur Internet. Non seulement ces résultats de recherche démontrent les difficultés rencontrées par les travailleurs de l'assainissement dans les conditions particulières de la pandémie, mais ils soulignent également les problèmes de longue date de surcharge de travail et de manque de protections sur le lieu de travail auxquels ces travailleurs sont confrontés. Les tâches particulières résultant de la pandémie, ainsi que la réduction de la main-d'œuvre due aux restrictions imposées à la circulation des travailleurs migrants, peuvent avoir encore exacerbé les charges auxquelles ces travailleurs sont confrontés.
Les travailleurs à bas salaire ne sont pas les seuls à subir une érosion de leurs droits du travail en raison de la pandémie. Afin d'empêcher un grand nombre de travailleurs migrants de se déplacer entre leur ville d'origine et leur ville d'emploi après le Nouvel An chinois, ce qui entraînerait inévitablement une propagation à grande échelle du virus, un groupe d'entraide appelé Retarder la Reprise du Travail sous la Pandémie a été créé le 25 janvier. Par le biais de Wechat, Weibo, Douban et d'autres plateformes médiatiques, les membres ont réussi à mobiliser des milliers de citoyens à travers le pays pour demander au Conseil d'État de prolonger les congés annuels afin de réduire la propagation du COVID-19. Deux semaines plus tard, le Conseil d'État et diverses entités étatiques ont annoncé que la reprise du travail et de l'école serait retardée, en réponse à cette demande.
D'autres personnes ont été négligées par le système, notamment les personnes handicapées, les femmes enceintes, les personnes vivant avec le VIH/sida et les personnes âgées vivant seules. Après le confinement des villes et des villages de la province du Hubei, le personnel médical du Centre Chinois de Contrôle et de Prévention des Maladies a été réorienté vers la réponse d'urgence au COVID-19. De nombreuses personnes vivant avec le VIH/sida n'ont donc pas pu avoir accès à leurs médicaments. Pour les personnes vivant avec le VIH/sida, une interruption, même temporaire, de la prise de médicaments peut avoir de graves conséquences - elle peut entraîner une aggravation de leur état, une résistance aux médicaments, voire la mort. Dans ces circonstances, les organisations LGBTQ+ et les groupes de soutien aux malades du sida de Wuhan se sont immédiatement mobilisés pour créer des groupes de soutien bénévoles chargés de livrer les médicaments essentiels aux personnes concernées. Les personnes atteintes du VIH/sida dans la même ville se sont envoyées des médicaments par courrier, afin d'atténuer l'anxiété de celles dont l'approvisionnement en médicaments avait été coupé. D'autres groupes d'entraide similaires ont également vu le jour, notamment le groupe de soutien aux personnes souffrant de troubles auditifs et le groupe de soutien NCP.
Il existe un autre groupe de personnes dont les besoins ont été négligés au cours de cette pandémie en raison de l'oppression structurelle : les travailleuses médicales. Bien qu'il y ait eu de nombreux reportages sur les travailleuses médicales pendant la pandémie, les femmes dans ces articles étaient principalement dépeintes comme des mères, des amies et des épouses faisant d'immenses sacrifices. Ces reportages des médias grand public étaient construit selon le point de vue des hommes et ignoraient les besoins matériels réels des travailleuses médicales. La rumeur selon laquelle de nombreuses femmes médecins se sont fait raser le crâne pour pouvoir travailler sans être distraites a contribué au récit patriarcal de la force et de la fierté nationales, qui a toujours reposé sur le travail des femmes et s'est souvent fait au détriment des droits des travailleuses.
Dans ces conditions, les groupes d'entraide ont apporté aux travailleuses la dignité et le soutien matériel dont elles avaient besoin. Peu après la formation du groupe d'entraide Sisters Against the Virus le 7 février sur Weibo, l'équipe a pu recruter de nombreux bénévoles. Le 15 février, le groupe avait réussi à livrer 85 boîtes, soit 6 120 serviettes hygiéniques, aux travailleuses médicales en première ligne. Le 25 février à 22 heures, le groupe avait fait don de 421 389 paires de slips périodiques, 303 939 paires de sous-vêtements jetables, 77 592 serviettes hygiéniques, 700 tubes de crème pour les mains, à 109 hôpitaux et équipes médicales, soit plus de 64 000 personnes.
Les échecs du corporatisme d'État
Alors que les groupes d'entraide locaux s'efforçaient de fournir un soutien matériel aux communautés locales pendant la pandémie, les organes officiels de l'État ont continué à concentrer le pouvoir de distribution des ressources entre leurs propres mains. Le 26 janvier, le ministère des Affaires civiles a publié sa 476e annonce, indiquant que divers dons de charité destinés à soutenir le travail de prévention du virus à Wuhan seraient distribués à la branche de la Croix-Rouge du Hubei, à la Fédération caritative du Hubei, à la Fondation pour le développement de la jeunesse du Hubei, à la Fédération caritative de Wuhan et à la branche de la Croix-Rouge de Wuhan.
Le juriste Ge Yunsong a fait valoir que cette politique non seulement ne parviendrait pas à résoudre les problèmes liés à la pénurie de ressources, mais qu'elle saperait également les initiatives de la société civile, entravant ainsi les efforts de prévention du virus. Les événements ultérieurs ont prouvé que les organisations caritatives officielles, dont la branche de Wuhan de la Croix-Rouge est le meilleur exemple, n'avaient pas la capacité de distribuer les ressources en temps voulu et de manière efficace. Elles n'avaient pas non plus la capacité et la crédibilité nécessaires pour répondre de manière satisfaisante aux questions de la population. Et pourtant, c'est la Croix-Rouge de Wuhan, avec l'appui du ministère des Affaires civiles, qui s'est vu confier le monopole des dons de ressources.
Ceci est exemplaire du corporatisme comme logique de gouvernement. Pour emprunter le point de vue de Philosophia dans leur article "Une réflexion structurelle sur la pandémie : Rumeurs, bureaucratie et nationalisme" : "En raison du climat sensible, il est naturel que l'État tente d'imposer un contrôle sur les organisations de la société civile. En inscrivant l'autorité du Parti et du gouvernement au sein de la Croix-Rouge et en s'intégrant à l'organisation, l'État peut transformer la Croix-Rouge en une partie de son appareil administratif."
Par la suite, l'espace de participation à la sphère publique est devenu de plus en plus restreint. Les groupes qui travaillaient à l'origine au niveau de la base ont été cantonnés à des formes particulières de participation, et certains sont devenus des appendices de l'appareil gouvernemental. Les logiques de gouvernance descendante ont mis à mal les liens étroits de ces groupes avec des localités et des communautés particulières, sans parler de leur flexibilité et de leur capacité à réagir rapidement. En outre, l'absence de toute réglementation fait de cet espace un terrain propice aux affaires de corruption.
Les organisations traditionnelles d'autogestion au niveau local, telles que les comités de résidents urbains et les comités de villageois, s'inscrivent dans une logique similaire. La participation de ces organisations traditionnelles de masse a été essentielle à la lutte contre le virus, comme l'a souligné l'expert en maladies infectieuses Jiang Rongmeng dans une interview accordée au Southern Weekly : "Ce qui est unique dans le travail de prévention du virus, c'est qu'il s'agit d'un effort collectif. Il ne dépend pas simplement des professionnels, mais de la participation de chacun." Ces groupes ont assumé de nombreuses responsabilités au nom de la prévention des virus. Dans le même temps, leurs activités de lutte contre les virus ont également permis de mettre au jour de nombreux problèmes endémiques.
Premièrement, face à la pandémie, les organisations de masse traditionnelles se sont révélées mal équipées et en sous-effectif. Dans un quartier de taille moyenne, des cadres dirigeants ont été contraints de déplacer personnellement des cadavres alors que la pression sur les organisations populaires ne cessait de croître. À partir de la mi-janvier, le secrétaire du Parti d'un comité de résidents local, ainsi que 13 travailleurs sociaux et 9 agents de sécurité, ont commencé à travailler 24 heures sur 24 pour répondre aux besoins de 2 000 ménages, soit 5 000 personnes. Chaque jour, les travailleurs sociaux ont reçu des appels de nombreux résidents inquiets qui demandaient des ambulances et des accompagnateurs pour se rendre à l'hôpital - certains ont même demandé de l'aide pour déplacer des cadavres en dehors de leur domicile. Les organisations de masse traditionnelles ont été confrontées à des défis sans précédent quant à leurs capacités de coordination et de réponse aux urgences. L'une des histoires les plus tragiques résultant d'un échec organisationnel est celle d'un adolescent handicapé de 17 ans qui a été retrouvé mort, après que son père ait été mis en quarantaine pendant 6 jours.
Deuxièmement, il s'est avéré que les formes traditionnelles d'organisation communautaire avaient peu d'influence sur leurs opérations. D'après les entretiens menés avant le confinement de Wuhan le 23 janvier, la seule tâche des travailleurs communautaires consistait à dire aux habitants que le virus n'était pas grave, conformément à la déclaration du gouvernement : "Ne croyez pas aux rumeurs, ne les répandez pas". Après le confinement, cependant, les instructions officielles ont changé. Les travailleurs communautaires ont reçu l'ordre d'informer les résidents de la gravité du virus infectieux et de leur demander de se laver les mains fréquemment et de porter des masques. Dans le même temps, ces travailleurs ont également été chargés de désinfecter la communauté et de gérer le confinement. Dans ce contexte, les habitants des quartiers sont devenus des objets de gouvernance.
Dans une interview au Beijing Times, l'universitaire Wen Tiejun a déclaré qu'il devrait y avoir un mouvement de réforme des soins de santé encourageant la participation du public aux activités de prévention des maladies. Cela permettrait de répartir plus équitablement les ressources médicales dans la société lorsque la pandémie s'atténuerait. Mais jusqu'à présent, l'ampleur du travail de santé communautaire n'a pas incité les habitants à lancer leurs propres projets. Entre-temps, les organisations de masse traditionnelles ont de plus en plus étendu le bras de l'appareil d'État jusqu'à la base, se transformant en relais de la bureaucratie.
Ce qui est peut-être encore plus inquiétant, c'est que les gouvernements locaux ont étendu le système de gestion sociale par le réseau. Les groupes d'entraide n'ont pas beaucoup de pouvoir et restent donc négligés par la plupart des gens. Dans le même temps, on assiste à une prolifération des comités de quartier de sous-district et des comités de village ruraux. Les villes qui étendent cette forme de gestion sociale ont divisé leurs quartiers en grilles. Chaque grille gère les espaces de travail et les allées et venues de dizaines, voire de centaines de foyers, par une surveillance quotidienne. Les gens doivent montrer leur carte d'identité et obtenir un permis temporaire pour entrer ou sortir de leur quartier. Cette évolution est inquiétante, car l'État cherche à exercer un contrôle accru sur la société civile et à s'immiscer encore plus profondément dans la vie des individus.
En même temps, nous avons vu comment le sens du terme "entraide" peut être déformé pour devenir un outil qui renforce l'aliénation sociale et viole les droits individuels, s'il n'est pas ancré dans une éthique communale. Certaines communautés ont été extrêmement efficaces et performantes dans la prévention de la propagation du virus. Mais l'exclusion des personnes extérieures, qui était au cœur de certaines de leurs campagnes, a trahi l'élan initial de soins communautaires qui sous-tend le concept d'entraide, et a également empêché l'émergence d'espaces de participation publique et de mobilisation collective.
Dans de nombreux quartiers, les organisations de masse traditionnelles ont bloqué les routes et conçu des barrières pour empêcher les gens de l'extérieur d'entrer et les gens de l'intérieur de sortir. Certaines ont même divulgué des informations privées sur l'identité des personnes qui s'étaient rendues à Wuhan et ont restreint leurs déplacements. Certains comités locaux de village ont décrété le confinement de leurs quartiers, interdisant aux travailleurs migrants de Pékin d'y entrer et piégeant des gens à l'extérieur de leur propre communauté. Par la suite, de nombreux "vagabonds de Pékin", qui avaient été poussés par leurs entreprises à quitter la capitale, se sont retrouvés dans une situation où ils n'avaient pas de maison où retourner. Être un étranger est devenu synonyme d'être "impur". Les étrangers étaient dépeints comme des porteurs de virus qui allaient infecter la communauté fermée et déstabiliser la loi et l'ordre.
Ces problèmes ne résultent pas de la mobilisation des groupes d'" entraide ", mais de l'absence de formes véritablement inclusives de prise de décision collective. Les étrangers qui n'ont pas le statut de résident n'ont jamais eu le droit de participer aux affaires de la communauté locale. Même pour les résidents locaux, il est difficile de dire qu'il peut y avoir une prise de décision collective réelle alors qu'il n'y a pas d'espaces de discussion et de débat publics. Et c'est précisément en raison de l'absence historique d'une tradition démocratique et d'entraide, et du manque de formation pratique sur le fonctionnement de la participation publique, que les personnes extérieures et intérieures au système peuvent être privées de leurs droits dans des situations de changement social rapide.
Nous avons assisté, incrédules, à l'interdiction faite à certains membres du personnel médical, qui travaillaient en première ligne de la pandémie, d'entrer chez eux après un vote des résidents mobilisés par les gestionnaires de la propriété. Tout au long du processus, personne n'a exprimé d'opinion divergente, et les travailleurs médicaux eux-mêmes n'ont pas eu l'occasion de faire entendre leur voix. Ce n'est pas de la démocratie : la démocratie ne se résume pas aux votes et à la tyrannie de la majorité. Il s'agit d'une manipulation rhétorique du terme "démocratie" pour atteindre des objectifs d'exclusion.
Dans le cadre du corporatisme d'État, la question de l'organisation et de la gestion de la société reste cruciale.
Les difficultés de l'auto-organisation
Bien que nous soyons heureux de l'émergence de groupes d'entraide pendant la pandémie, nous avons également essayé d'éviter d'idéaliser le phénomène. La répression persistante de la société civile signifie que beaucoup de ces groupes d'entraide manquent d'expérience en matière d'organisation. Nombre de ces campagnes sont confrontées à des obstacles importants, de l'intérieur comme de l'extérieur.
L'auteur, Feng Xiyi, s'est appuyé sur l'exemple d'une campagne de dons en ligne qui a échoué pour exposer les problèmes auxquels sont confrontés certains groupes d'entraide en matière de crowdfunding. Premièrement, les réseaux sociaux de soutien sont diffus et les bénévoles peuvent manquer de compétences en matière de planification et de coordination. Deuxièmement, les bénévoles doivent choisir des produits sur un marché fluctuant (y compris des produits promus par des escrocs), ce qui signifie que certains biens donnés peuvent ne pas répondre aux normes exigées par les hôpitaux. Troisièmement, les bénévoles qui ne comprennent pas les besoins pratiques des hôpitaux peuvent donner de grandes quantités de matériel superflu, ce qui crée une charge pour le personnel médical qui doit trier les ressources.
Ces questions reflètent sans aucun doute la situation de nombreuses campagnes de dons mené par des groupes d’entraide. Mais peut-être devrions-nous aller un peu plus loin et nous demander : qu'est-ce qui a fait que beaucoup de ces groupes d'entraide manquent de coordination entre eux, ce qui aboutit à un manque de planification globale ? Qu'est-ce qui fait que des groupes d'entraide apparaissent et veulent fournir aux hôpitaux des ressources appropriées, sans avoir l'expérience ou la connaissance des matériaux nécessaires ? Qu'est-ce qui est à l'origine des problèmes de communication entre les bénévoles et les hôpitaux ? Nous sommes arrivés à la conclusion que nous ne pouvons pas discuter des échecs de ces groupes d'entraide sans aborder les problèmes structurels de la société chinoise : le manque historique d'initiatives d'entraide et le manque d'information et de transparence.
Un autre auteur et organisateur, qui avait participé à une campagne de dons avec un groupe de camarades de classe, est arrivé à une conclusion très différente : selon lui, les groupes d'entraide ne sont tout simplement pas appropriés pour les projets de coordination et de gestion à long terme. "Le problème le plus grave est celui de la confiance : nous devons savoir si les sources de matériel sont crédibles, si les demandes des gens sont légitimes et si les détails du projet sont exacts. Cela signifie qu'une quantité importante de temps et d'énergie est consacrée à la vérification d'une action apparemment simple." Et c'est pour la même raison que, selon eux, "l'État est le tiers fiable par excellence pour la répartition et la coordination centrales."
L'auteur affirme en outre que le développement progressif des réseaux d'entraide et l'augmentation du nombre de ces groupes présenteront les mêmes lacunes s'ils prennent progressivement la forme et la fonction de structures gouvernementales. En effet, le fonctionnement interne de ces groupes reste "enraciné dans un style de communication qui dépend de l'analyse cérébrale et de la discussion collective linéaire", ce qui est "rétrograde." Cet article tente de démontrer qu'un mécanisme centralisé de masse (c'est-à-dire le gouvernement technocratique et les entreprises big-tech), avec ses capacités techniques (comme la capacité de lire les big data), est indéniablement plus moderne et avancé qu'un groupe d'entraide décentralisé. Mais le peuple est-il vraiment incapable d'exploiter la puissance du big data, ou n'est-il pas capable de briser l'étau des structures existantes sous le monopole du big data ?
Cette attitude technologique élitiste constitue un contrepoids intéressant à l'argument de Leung Man-to, qui emprunte les idées du philosophe français Condorcet pour avancer que tant que les individus d'une communauté ne sont pas influencés par des opinions préconçues et peuvent exercer un jugement indépendant, leurs décisions collectives serviront le bien du plus grand nombre. Leung a également cité l'exemple de l'esprit de ruche dans le livre de Kevin Kelly, Out of Control : bien que les abeilles ne disposent pas d'un niveau élevé de matière grise, elles sont capables, grâce à une mobilisation commune, de s'engager rapidement et efficacement dans des formes d'action collective. Du point de vue de Leung, l'émergence de groupes d'entraide énergiques à Wuhan pendant la pandémie suit sans doute un schéma similaire de coordination et de coopération mutuelles : "Il s'agit d'une sorte d'arrangement collectif et communautaire par le biais de plateformes de médias sociaux ouverts. L'internet permet aux gens d'utiliser leurs compétences pour aider ceux qui sont dans le besoin, tout en trouvant simultanément de nouveaux modes de communication et de coordination entre eux."
Le commentaire de Leung ne porte pas seulement sur l'émergence de groupes d'entraide pendant la pandémie, mais exprime également une vision de la société future. Mais nous ne pouvons qu'être déçus lorsque nous comparons cette vision à notre situation actuelle. Fin janvier, le ministère des Affaires civiles a annoncé que tous les dons de fournitures devaient passer par la Croix-Rouge et que le gouvernement se chargerait ensuite de la gestion et de la distribution de ces dons. De nombreuses campagnes de dons ont ainsi été interrompues.
Dans l'ensemble, il semble que les actions entreprises par ces groupes d'entraide aient été une forme de premiers soins d'urgence - un mouvement spontané né d'un moment d'exception, où les mécanismes de distribution des ressources, jusque-là étroitement contrôlés par la société, ont perdu leur efficacité, et où les gens ont dû intervenir pour combler le vide temporaire. C'est un peu comme lorsque le corps humain subit une rupture artérielle : les groupes d'entraide, dans cette analogie, sont les agents coagulants. Dans notre vie quotidienne, nos organes "dégradent" les coagulants en les considérant comme des éléments inutiles du corps humain ; ils ne sont nécessaires à la reprise de l'équilibre corporel que dans une situation d'urgence. Les coagulants restent des coagulants. Ils ne seront jamais un substitut complet.
Publication originale (03/2020) :
Lausan
· Cet article fait partie de notre dossier Chine du 12 décembre 2022 ·