Le "retour à la normale" abandonne les enfants au Covid | Dr. Susan Kuo, Dr. Christopher Applewhaite et Kerri Coombs
Le risque qu'un·e enfant meure du COVID est six à neuf fois plus élevé que le risque qu'un·e enfant meure de la grippe. Et contrairement aux rhumes et à la plupart des grippes, le COVID peut provoquer des troubles médicaux graves à long terme chez les enfants, même chez celleux qui présentaient initialement des symptômes "légers".
La Dre Susan Kuo est un médecin de famille de Richmond. Le Dr Christopher Applewhaite est médecin de famille à Salt Spring Island. Kerri Coombs est conseillère en communication. Ils sont membres de Protect Our Province BC, dont le comité directeur a contribué à cette analyse.
· Cet article fait partie de notre dossier Enfants du 21 novembre 2022 ·
Quelques semaines seulement après la réouverture des écoles cet automne, le National Post a publié une tribune intitulée "Laissez l'ancienne normalité régner dans les écoles sans la menace des restrictions du COVID".
Deux des quatre auteur·ices de l'article du 23 septembre, les docteures Jennifer Grant et Martha Fulford, sont associées à Urgency of Normal [Urgence de la normalité], un mouvement qui fait pression pour mettre fin à toutes les protections des enfants face à la pandémie. Le groupe trouve un public enthousiaste parmi celleux qui ont été largement épargné·es par le pire de la pandémie.
Selon la journaliste Melody Schreiber, Urgency of Normal, "ce mouvement visant à abandonner les précautions contre la pandémie a une toute autre origine - un mélange puissant de lassitude face à la pandémie, de politique, de pensée individualiste et, si l'on en croit les sondages et les statistiques sur la pandémie, un clivage persistant fondé sur la classe et la race".
À notre sens, le groupe Urgency of Normal semble motivé par des facteurs tout autres que le désir que la politique de santé publique soit fondée sur les meilleures preuves disponibles. Nous considérons que la plupart des déclarations contenues dans la tribune du National Post sont soit des manipulations astucieuses des données, soit des affirmations qui ne sont absolument pas étayées par les connaissances scientifiques actuelles sur le COVID-19. Toutes peuvent être facilement contredites.
La tribune commence par affirmer à tort que le COVID "n'a jamais été une menace majeure pour les enfants", que "la très faible menace qui était présente au début de la pandémie a considérablement diminué" et que "la gravité du COVID chez les enfants est moindre que celle de la grippe".
En réalité, le risque qu'un·e enfant meure du COVID est six à neuf fois plus élevé que le risque qu'un·e enfant meure de la grippe. Aux États-Unis, les données des Centers for Disease Control and Prevention ont montré que 600 enfants sont mort·es du COVID en 2021, soit six fois plus que le nombre de décès dus à la grippe au cours d'une année normale. En outre, les hospitalisations pour COVID-19 d'enfants âgé·es de 12 à 17 ans en 2020-2021 étaient plus nombreuses que pour la grippe au cours des trois années précédant le COVID, selon les statistiques des CDC américains ; en juillet et août, il y a eu plus d'hospitalisations pour COVID de nourrissons âgés de zéro à cinq mois que d'adultes âgé·es de 65 à 74 ans.
Contrairement aux rhumes et à la plupart des grippes, le COVID peut provoquer des troubles médicaux graves à long terme chez les enfants, même chez celleux qui présentaient initialement des symptômes "légers". Un rapport hebdomadaire des CDC sur la morbidité et la mortalité a révélé qu'après une infection au COVID, les enfants de moins de 17 ans présentaient une incidence plus élevée de diabète de type 1 et de myocardite, ou inflammation du cœur, et un risque accru de développer une insuffisance rénale, des caillots dans les poumons ou les membres, et des arythmies cardiaques. Avant l'arrivée du COVID, toutes ces pathologies étaient rares chez les enfants.
Ce ne sont là que les problèmes dont nous avons connaissance à ce jour, deux ans et demi après le début de la pandémie. Nous ne connaissons pas encore le potentiel d'impacts futurs sur les personnes qui ont connu une ou plusieurs infections au COVID dans leur enfance.
Le ministre allemand de la santé, Karl Lauterbach, a déclaré : "Il est incompatible avec mon travail de ministre de la santé que des enfants tombent malades en grand nombre. Infecter une génération entière est irresponsable. Nous ne savons pas encore ce que cette infection fait au système immunitaire des enfants lorsqu'elle se répète. En tant que société, nous ne pouvons pas prendre le risque d'une infection massive dans les écoles."
Bien que le groupe Urgency of Normal minimise le risque et l'impact du COVID long chez les enfants, en réalité, le COVID long touche six pour cent des enfants infecté·es. Si l'on multiplie ce chiffre par un grand nombre d'enfants infecté·es, 80 % ou plus dans de nombreuses communautés, on obtient un nombre énorme d'enfants et de familles qui souffrent du COVID long.
Les auteur·ices de l'article d'opinion citent des preuves de mauvaise qualité, sélectionnées au hasard, pour soutenir leur affirmation audacieuse selon laquelle le risque d'un COVID long chez les enfants est négligeable. Par exemple, ils font référence à un outil d'auto-déclaration où les auteur·ices ont simplement supposé que l'absence d'auto-déclaration indiquait une résolution complète des symptômes, et font une comparaison dénuée de sens de la fréquence des symptômes entre les enfants avec et sans infection antérieure au COVID, plutôt qu'une comparaison de la qualité de vie de ces mêmes enfants avant et après l'infection au COVID.
Iels affirment également que "les enseignant·es ne courent pas un risque plus élevé que la communauté en général". Cette affirmation est directement contredite par les données de WorkSafeBC sur les demandes de congés de maladie pour COVID. Au 30 septembre 2022, les travailleur·es de l'éducation ont soumis 2 457 demandes, ce qui les place au deuxième rang derrière les 9 213 demandes enregistrées par les travailleur·euses de la santé et des services sociaux.
La majorité de ces demandes ont été enregistrées en 2022, après l'arrivée d'Omicron. Étant donné que le sous-variant Omicron BA.5, plus contagieux, circule et que la plupart des écoles ont abandonné les protections COVID, nous verrons beaucoup plus de réclamations de WorkSafeBC provenant du personnel éducatif, à moins que les protections contre la pandémie dans les écoles ne soient réintroduites.
Les auteur·ices affirment que "les écoles ne sont pas les principaux vecteurs de transmission communautaire", mais nous savons depuis la réouverture des écoles en 2020, sur la base de plusieurs études, que les enfants sans protection dans les écoles deviennent des vecteurs majeurs de transmission du COVID pour leur famille et leur communauté. Cela a été confirmé au Québec, en Colombie-Britannique et en Alberta, bien que chaque gouvernement provincial prétende le contraire.
La tribune du National Post présente de nombreuses autres informations erronées et affirmations douteuses tout au long de l'article, comme le concept théorique de "dette immunitaire". Publiée en mai 2021 dans un journal médical français, cette hypothèse suggère que le système immunitaire humain perd de son efficacité s'il n'est pas régulièrement infecté par des maladies contagieuses. En réalité, l'infection par le COVID-19 ne confère pas d'immunité à long terme, et le virus peut continuer à inflammer de multiples organes et à perturber le système immunitaire longtemps après l'infection initiale.
L'article d'opinion se complaît dans les lamentations sur l'impact de la protection des enfants contre le COVID-19 sur leur santé mentale, en dépit du fait que les visites des enfants aux urgences pour des raisons de santé mentale ont en fait diminué pendant la pandémie.
D'autre part, le nombre d'enfants qui pleurent un·e parent·e, ou un·e proche qui les élevaient, décédé·e à cause du COVID-19 est maintenant de 10,5 millions dans le monde. Comme l'affirme le Dr Tyler Black, "la meilleure façon de protéger la santé mentale de nos enfants est probablement de réduire le nombre de décès dus au COVID".
L'affirmation la plus ridicule de cette tribune est qu'il n'existerait pas de preuve irréfutable en faveur du port du masque dans les écoles. Après deux ans et demi, les preuves que les masques réduisent considérablement la transmission du COVID-19 sont absolument accablantes. Les données de l'Arizona montrent clairement que, lorsqu'ils ont été mis en place rapidement, les masques dans les écoles ont permis de diviser par 3,5 le risque d'infection au COVID-19 par rapport aux écoles sans obligation de port du masque. Rien ne vient étayer la suggestion de l'éditorial selon laquelle le port du masque entrave le développement de la parole.
On devrait se poser des questions sur toute personne qui suggère de "laisser régner l'ancienne normalité". L'"ancienne normalité" nous a donné une pandémie, une crise climatique, une guerre, le racisme systémique et les inégalités sociales, y compris la maladie, l'invalidité et la mort inéquitables du COVID. Suggérer un retour à l'"ancienne normalité" montre une incapacité à regarder au-delà de ses propres privilèges.
Nous suggérons de passer de l'urgence de la normalité à l'urgence de l'équité.
Nous nous inquiétons de ce qu'il adviendra de la jeune génération qui a été frappée par les effets à long terme du COVID-19 à cause des gouvernements du monde entier qui étaient prêts à sacrifier des enfants et des familles en croyant, à tort, que laisser une infection dangereuse se répandre dans nos communautés était bon pour l'économie.
Nous ne pouvons pas rester les bras croisés alors que le discours d'Urgency of Normal est largement répandu, endormant les gens en leur faisant croire qu'il n'est pas nécessaire de prendre des mesures simples, efficaces et raisonnables afin de prévenir la mort et le handicap de nos enfants.
Publication originale (21/11/2022) :
The Tyee
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