Des lycéen·nes enquêtent sur la qualité de l'air dans leur communauté | Tony Marks-Block
Lorsque nous avons commencé, l'(in)justice environnementale ne faisait pas partie de leur vocabulaire, mais elle faisait partie de leur expérience. Mon défi était d'aider les élèves à relier leur compréhension viscérale de l'injustice raciale à un processus scientifique qui pourrait être utilisé pour développer des connaissances plus approfondies sur la santé communautaire et la pollution atmosphérique.
Tony Marks-Block est professeur adjoint au département d'anthropologie, de géographie et d'études environnementales de la California State University, East Bay. Anthropologue de l'écologie, il mène des recherches au croisement des incendies anthropiques, des pratiques de subsistance à petite échelle, des mouvements de souveraineté indigène et de l'écologie politique de la gestion des terres en Californie. M. Marks-Block aime enseigner la pyrogéographie critique, l'écologie humaine et l'écologie politique, ainsi que les méthodes anthropologiques appliquées et engagées dans les communautés.
· Cet article fait partie de notre dossier Science du 12 septembre 2022 ·
"Wow-Tony, regarde ces chiffres ! Ils sont deux fois plus élevés qu'avant", s'est exclamé un élève de notre programme de recherche scientifique extrascolaire après le passage d'un grand train. Les élèves utilisaient une machine pour compter les matières particulaires (MP), des particules microscopiques créées principalement par la combustion de divers combustibles fossiles, le long de notre transect de qualité de l'air sur l'avenue Fruitvale à Oakland, en Californie [Le transect désigne la traversée, selon une ligne imaginaire, d'un espace géographique afin d'en analyser les composantes Ndt]. Ce qui était autrefois quelque chose de banal - un train traversant le quartier à toute vitesse - est devenu un catalyseur permettant aux élèves de comprendre les liens entre l'énergie et la qualité de l'air.
Pendant un an, un petit groupe de lycéen·nes a sacrifié ses après-midi et son été pour participer à un programme scientifique qui était, comme l'a dit Maraya, "très différent des cours de sciences". Il s'agissait de l'un des nombreux programmes extrascolaires d'Oakland et de Richmond que je dirigeais en tant qu'instructeur de l'East Bay Academy for Young Scientists (EBAYS), un projet de la National Science Foundation coordonné par le Lawrence Hall of Science de l'UC Berkeley. Les étudiant·es participant à nos projets effectuent des recherches locales, basées sur la communauté. Étant donné la proximité de nombreuses écoles avec les autoroutes, les voies ferrées et l'industrie, nous avons décidé de nous concentrer sur la production d'énergie et sa relation avec la qualité de l'air, afin de contribuer au développement d’une culture scientifique et de la justice environnementale.
Avec l'aide du personnel du lycée, j'ai recruté un groupe d'élèves de troisième. Beaucoup d'entre ell·eux avaient des difficultés scolaires et souhaitaient obtenir le crédit scientifique supplémentaire offert par mon projet extrascolaire. Bien que nous leur ayons expliqué qu'iels feraient des recherches sur la qualité de l'air, les élèves m'ont dit plus tard qu'iels ne savaient pas dans quoi iels s'embarquaient et qu'iels s'étaient inscrits principalement pour le crédit supplémentaire.
Lorsque nous avons commencé, l'(in)justice environnementale ne faisait pas partie de leur vocabulaire, mais elle faisait partie de leur expérience. Mon défi était d'aider les élèves à relier leur compréhension viscérale de l'injustice raciale à un processus scientifique qui pourrait être utilisé pour développer des connaissances plus approfondies sur la santé communautaire et la pollution atmosphérique. S'iels pouvaient collecter et analyser des données sur les polluants atmosphériques, puis communiquer leurs résultats et leurs implications à leur communauté et à d'autres, ce serait un pas vers la prise en charge de leur environnement et la sensibilisation de leur communauté.
Fusées en tube à essai
Avant d'initier mes élèves à la qualité de l'air et à la collecte de données sur les particules, je les ai fait participer à des activités liées à l'énergie, structurées de manière à les aider à acquérir des compétences en matière de recherche et à comprendre les problèmes fondamentaux qui sous-tendent la qualité de l'air. Contrairement à de nombreux cours de sciences, où la mémorisation des faits est la norme, notre programme met l'accent sur le développement de nouvelles connaissances par la manipulation et la réalisation de tests sur divers systèmes.
Tout d'abord, j'ai présenté aux élèves les fusées-tube à essai. Je les ai mis au défi de trouver la combinaison de bicarbonate de soude et de vinaigre qui propulserait le plus haut un tube à essai fermé par un bouchon en caoutchouc. C'était une affaire désordonnée et compétitive. Dans leur excitation, les élèves oubliaient souvent les proportions de chaque produit chimique utilisé pour un essai spécifique. Comment pouvais-je laisser passer cette occasion de souligner l'importance de prendre de bonnes notes scientifiques ? Les élèves ont vite compris qu'iels pouvaient mieux affiner leur système lorsqu'iels documentaient leurs mesures.
Une fois que nous avons eu une combinaison gagnante de bicarbonate de soude et de vinaigre, j'ai demandé : "D'où vient l'énergie qui fait partir les fusées ?" J'espérais que quelqu'un pourrait expliquer que la réaction chimique entre le bicarbonate de soude et le vinaigre produit du gaz carbonique qui fait monter la pression dans le tube et le lance à partir du bouchon en caoutchouc. Mais il y a eu un silence de mort.
Je leur ai donc demandé de penser à leur propre corps : "Quelles sources d'énergie les humain·es utilisent-iels pour se déplacer, que ce soit avec leurs jambes ou dans leurs voitures ? Utilisons-nous le bicarbonate de soude et le vinaigre comme source d'énergie ? Pourquoi ou pourquoi pas ?" Bien qu'iels aient ri de ces questions stupides, iels ont eu du mal à y répondre car, dans leurs classes, le monde est rarement enseigné dans une perspective systémique ou comparative.
J'ai constaté qu'il est souvent utile de demander aux élèves de comparer le fonctionnement humain à d'autres systèmes, alors j'ai insisté : "Quels sous-produits les gens créent-ils lorsqu'iels consomment de l'énergie ?" Finalement, André s'est souvenu de son cours de biologie que nous expirons du dioxyde de carbone. Le groupe a alors émis l'hypothèse que le dioxyde de carbone pouvait également être le gaz produit par la combinaison du bicarbonate de soude et du vinaigre, ainsi que par la combinaison des combustibles fossiles avec la chaleur.
Bien sûr, une seule expérience n'a pas permis aux élèves d'acquérir une compréhension complète de l'énergie et des innombrables façons dont les humain·es produisent de l'énergie pour faire fonctionner leurs sociétés. Je leur ai présenté les systèmes électriques parce qu'ils font partie intégrante de notre vie quotidienne, tout en étant abstraits et cachés. Nous avons expérimenté le déplacement de l'électricité de différentes manières pour produire différents effets, de l'allumage d'une ampoule au fonctionnement d'un moteur. Je leur ai également présenté les sources d'énergie solaire et éolienne et nous les avons comparées à une batterie de base. La construction de circuits a permis à mes élèves de développer une connaissance conceptuelle d'un système important. La question suivante a été posée : "Tous nos bâtiments et appareils dépendent de l'électricité. D'où vient-elle ?"
Consommation d'énergie et qualité de l'air
La plupart de l'électricité, bien sûr, est produite par la combustion de combustibles fossiles. Pour faire le lien avec la qualité de l'air, j'ai présenté aux élèves des combustibles courants qui produisent de l'électricité et, comme il se doit, nous les avons brûlés. Avant de mettre le feu à de l'essence, du diesel, de l'éthanol et du bois, j'ai demandé aux élèves de prédire quels combustibles produiraient le moins de particules. Je leur ai également présenté notre Fluke 983, une machine qui pompe l'air ambiant et compte ensuite le nombre de particules de 0,3, 0,5, 1, 2, 5 et 10 micromètres grâce à la technologie laser. Les plus petites particules sont les plus dangereuses car elles peuvent se déplacer plus loin dans votre corps et s'accumuler dans vos poumons et votre circulation sanguine. Cette machine est impressionante pour les jeunes car elle produit des données en quelques secondes. Les élèves peuvent facilement faire fonctionner le Fluke et, pendant qu'il pompe un litre d'air, iels peuvent le regarder compter les particules en temps réel. Lorsque les élèves ont comparé les données quantitatives du Fluke et les données qualitatives de leurs observations visuelles des combustibles que nous venions de brûler, iels ont été ravi·es de constater que leurs observations présentaient une forte corrélation avec les données du Fluke.
La plupart des élèves ont été étonné·es par la quantité de particules microscopiques présentes dans l'air, et ont immédiatement eu de nombreuses questions et commentaires : "D'où viennent ces particules ?" "Est-ce que je peux ramener ça chez moi ?" "Y aura-t-il plus de particules dans la salle de bains ?" "Combien coûte ce truc ? "
Mes élèves ont spontanément commencé à générer leurs propres questions de recherche. Je les ai encouragés à développer une méthode pour répondre à leurs questions : "Comment détermineriez-vous quelle pièce contient le plus de particules ?" "Si vous ne testez l'air qu'une seule fois, cela suffirait-il à prouver qu'une pièce particulière a toujours des niveaux plus élevés de particules ?". Mon incitation a donné lieu à une discussion pleine d'énergie et de curiosité. Pedro a demandé : "De quoi sont faites les particules ?". Bien que nous n'ayons pas eu le temps ce jour-là d'approfondir la réponse, la discussion a certainement aidé mon enseignement. J'ai commencé à préparer de futures leçons pour les aider à apprendre ce qu'iels voulaient savoir.
Pour que les élèves comprennent les effets des particules sur la santé, j'ai fait venir un conférencier qui a expliqué comment les particules affectent les systèmes respiratoire et circulatoire de l'organisme et comment elles peuvent provoquer et exacerber l'asthme, les maladies pulmonaires et les maladies cardiaques. Nous avons également effectué des recherches sur les statistiques sanitaires du comté d'Alameda. Le tableau de chiffres avec des colonnes sur la race, le sexe, les hospitalisations et les décès a intimidé les élèves. Iels n'avaient pas fait beaucoup d'analyse de données à l'école, et les questions spécifiques telles que "Quelle race a le taux le plus élevé d'asthme dans le comté d'Alameda" les ont découragé·es. Iels n'avaient pas envie de participer à des activités qui étaient plus "scolaires" et moins "pratiques".
Ce n'est pas seulement les maths qui ont rendu mes élèves réticents à s'engager dans cette voie. Dans l'ensemble, les Afro-Américain·es et les Latinx ont des taux de maladie plus élevés dans le comté. Pour beaucoup de mes élèves, c'était un obstacle de plus ; chez certain·es, cela a suscité du cynisme. Lorsque j'ai demandé pourquoi, selon ell·eux, l'asthme touchait davantage les Afro-Américain·es et les Latinx que les Blanc·hes dans le comté d'Alameda, Raúl a répondu que c'était parce que leurs quartiers étaient plus proches des sources de polluants environnementaux, mais Cecilia a fait remarquer que "les Mexicain·es ne font que fumer de l'herbe", reflétant ainsi le malaise de nombreux·ses élèves face à cette discussion. Comme de nombreux·ses jeunes de couleur, iels étaient aux prises avec les perceptions et les stéréotypes de leurs communautés dans la société américaine. Dans l'ensemble, je n'ai pas reçu la même avalanche de questions initiées par les élèves que lorsque j'ai présenté la Fluke. Loin d'une discussion enthousiaste menée par les élèves, je devais m' efforcer d'éloigner la discussion de l'autodépréciétation.
J'aimerais avoir plus d'exemples de communautés avec des données montrant que la réduction de polluants environnementaux spécifiques diminue les maladies. L'analyse de ces données serait une expérience plus enrichissante pour nous tous ! En fin de compte, ces leçons ont aidé les élèves à ancrer les liens entre l'énergie, la qualité de l'air et la santé, malgré les difficultés rencontrées par les élèves pour s'engager pleinement dans la matière. Lorsqu'on lui a demandé quel était l'impact de la consommation d'énergie sur sa communauté, Huong a résumé la situation :
La façon dont vous produisez de l'énergie... vous avez besoin de combustibles fossiles pour la convertir en électricité, et toute cette combustion produit beaucoup de fumée et de substances dans l'air... et cela donne aux gens des problèmes respiratoires... et de l'asthme.
Appliquer la recherche dans le quartier
En nous appuyant sur ces nouvelles connaissances de base sur l'énergie, la pollution de l'air et la recherche scientifique, nous avons commencé à concevoir une expérience avec le compteur de particules Fluke pour tester les hypothèses des élèves. J'ai sorti quelques cartes locales et j'ai demandé : "Si nous voulons savoir où, dans le quartier, il y a le plus de particules, où devrions-nous collecter des échantillons ?" En utilisant leur connaissance du fait que les automobiles et les camions diesel émettent beaucoup de particules, les élèves ont suggéré que nous prenions des échantillons dans le parking. Nous avons essayé plusieurs fois. Puis j'ai ramené les élèves à ma question initiale et je leur ai demandé si le fait d'effectuer des tests dans le parking nous permettrait de mieux comprendre la présence des particules dans l'ensemble de la communauté. Finalement, nous avons convenu de prélever des échantillons de particules à de nombreux endroits de leur communauté. Comme iels avaient identifié les voitures et les camions comme une source de PM [Les matières particulaires ou PM sont les particules en suspension Ndt], je leur ai demandé s'il y avait d'autres zones à forte circulation automobile, et iels ont immédiatement désigné l'autoroute I-880 toute proche. "Qu'en pensez-vous ? Je leur ai demandé. "Les PM vont-elles augmenter ou diminuer à mesure que l'on s'éloigne de l'autoroute ?" Iels ont émis l'hypothèse que les PM seraient plus élevées près de l'autoroute et qu'elles diminueraient avec la distance.
Nous avons commencé à collecter des échantillons à chaque intersection entre l'autoroute et l'International Blvd. le long de l'avenue Fruitvale, tous les mercredis après-midi après l'école entre mars et mai. Cette opération était parfois fastidieuse, mais les élèves ont compris pourquoi il était important de collecter des échantillons à plusieurs reprises : La qualité de l'air change chaque jour, et iels voulaient comprendre les tendances des particules dans la région au fil du temps. Une semaine, alors qu'iels avaient trouvé des niveaux de particules plus élevés au niveau de l'autoroute, je leur ai demandé comment iels pouvaient prouver qu'il en était toujours ainsi : "Quelles variables pourraient avoir un impact sur le nombre de particules chaque semaine ?" Les élèves ont répondu par une liste que désormais ils comprenaient : "La température, l'humidité, la vitesse du vent et les niveaux de trafic."
Un jour, j'ai demandé aux élèves quelle serait la méthode de recherche idéale qui nous permettrait d'obtenir les résultats les plus complets. Veronica a répondu qu'un moniteur sur place, collectant en permanence des données, nous permettrait de mieux comprendre. D'autres élèves ont ajouté que si la machine pouvait également détecter la composition chimique des particules, nous pourrions savoir si certains des produits chimiques présents dans l'air étaient à des niveaux plus élevés, et éventuellement déterminer la source des particules.
Ces réponses remarquables ont soulevé de si grandes questions politiques que j'ai dû poursuivre avec d'autres questions : "Pourquoi cette surveillance n'est-elle pas effectuée si les niveaux de maladie sont si élevés dans cette communauté ? Qui devrait mener ces opérations de surveillance ?" Mes élèves n'avaient pas vraiment réfléchi à ce problème et supposaient simplement que "d'autres scientifiques" devaient diriger ces efforts.
"Pourquoi pensez-vous que d'autres scientifiques ne font pas ce genre de recherche ?" J'ai demandé.
"Les scientifiques ne se soucient pas vraiment des Mexicain·es et de Fruitvale", a dit Francisco.
"C'est peut-être vrai. Pensez-vous que les scientifiques et les agences gouvernementales qui régulent la pollution de l'air ont même les ressources nécessaires pour mener à bien cette recherche ?"
"Ha ! Bien sûr que non", ont répondu plusieurs élèves. D'après leur expérience en matière d'éducation et la qualité de vie dans leur quartier, tous les points étaient reliés. Si le gouvernement consacre si peu de ressources aux autres services sociaux, pourquoi y aurait-il des ressources pour la santé ou l'environnement ? Au cours de discussions comme celles-ci, j'ai essayé d'intégrer un nouveau vocabulaire, notamment celui de l'injustice et du racisme environnemental, pour définir ce que mes élèves avaient déjà expliqué.
Les élèves soulèvent de nouvelles questions de recherche
Grâce à la collecte de données le long du transect, les élèves ont souhaité utiliser le Fluke pour effectuer d'autres tests. Par exemple, iels ont vu combien de fois les trains passaient et iels ont voulu voir l'effet sur les PM. Iels ont donc commencé à noter l'heure d'arrivée des trains et se sont placé·es près des voies pour prélever des échantillons. Iels ont conclu : "La teneur en PM augmente de manière significative, très probablement en raison des gaz d'échappement du carburant diesel des trains combinés à l'accumulation de particules de poussière balayées du sol lorsque le train passe à grande vitesse".
Iels ont également commencé à recueillir des données à l'intérieur d'une des salles de classe et des sanitaires de l'école pour tester la qualité de l'air intérieur, puisque c'est là qu'iels passent (malheureusement) la majeure partie de leur journée. Les comptages des plus petites particules (PM de 0,3 micromètre) se sont avérés beaucoup plus élevés dans les toilettes et les salles de classe de l'école qu'à l'extérieur. Au début, cela a déconcerté les élèves, car iels avaient émis l'hypothèse que les niveaux seraient plus faibles à l'intérieur. Un élève a suggéré qu’il pouvait s’agir d'une exception - peut-être quelqu'un·e avait-iel simplement pulvérisé du nettoyant dans les toilettes ? Mais les niveaux plus élevés de PM ont persisté chaque semaine, et lorsque nous avons finalement calculé la moyenne de nos données pour tous les sites de l'échantillon, les sites intérieurs présentaient toujours des niveaux de PM 0,3 significativement plus élevés que les sites extérieurs.
Comme nous n'avions pas fait de recherches de fond sur la qualité de l'air intérieur, j'ai apporté la fiche d'information de l'Agence de protection de l'environnement (EPA) pour nous aider à formuler des hypothèses sur les niveaux plus élevés. Nous avons utilisé les informations de l'EPA pour réduire les sources probables des taux élevés de particules dans l'air intérieur à des meubles ou des peintures qui émettent des gaz, des liquides de nettoyage (comme nous l'avions prédit précédemment), et/ou une mauvaise ventilation.
Pour continuer à pousser les élèves à utiliser des méthodes scientifiques, je leur ai demandé de concevoir une méthode pour tester l'une des causes potentielles de la mauvaise qualité de l'air intérieur. Delia a pensé que nous devrions simplement ouvrir la porte de la classe pour voir si la qualité de l'air s'améliorait lorsque l'air extérieur entrait dans la classe. Comme de juste, le nombre de particules a diminué lorsque la porte a été ouverte sur la cour extérieure. Comme les élèves l'ont expliqué plus tard dans leur exposé de recherche : "L'ouverture de la porte a permis à l'air extérieur d'entrer dans la salle, et nous avons constaté que les niveaux de particules de toutes tailles ont été divisés par sept. Cependant, peu de temps après que les niveaux de particules aient diminué à l'ouverture de la porte, nous avons commencé à sentir l'odeur de barbecue provenant d'un restaurant voisin, et le nombre de particules dans la pièce a immédiatement augmenté à nouveau."
Mais pourquoi ces petites particules s'accumulaient-elles en premier lieu ? J'ai suggéré que le système de ventilation du bâtiment, qui filtrait l'air entrant dans le bâtiment, fonctionnait mal ou n'était pas conçu pour filtrer de si petites particules. Il s'agissait d'un problème de qualité de l'air auquel nous pouvions remédier !
Transformer les données en analyse
La première étape a consisté à consolider et à analyser nos données. Par coïncidence, à ce moment précis, les élèves ont eu l'occasion de créer un exposé scientifique de leurs travaux pour la prochaine conférence de l'American Geophysical Union à San Francisco. L'élaboration et la production d'un document scientifique les aiderait à comprendre leurs données à un niveau plus profond, et leur donnerait la pratique et la légitimité nécessaires pour utiliser leurs recherches en tant que jeunes militant·es de l'activisme environnemental.
Cette tâche n'était pas facile. Je les ai guidés pas à pas dans l'analyse la plus élémentaire des données, car iels n'avaient jamais utilisé de tableur pour les aider à organiser des données quantitatives. Après qu'iels aient saisi toutes leurs données, je leur ai demandé : "Comment pouvons-nous voir si un endroit particulier contient plus de particules que les autres au fil du temps, et pas seulement un jour ?". J'espérais que les élèves reconnaîtraient qu'iels pouvaient utiliser leurs connaissances existantes sur les moyennes et les appliquer à leurs données, mais j'ai eu beaucoup de regards vides. Pour beaucoup d'entre ell·eux, les données étaient une masse d'informations apparemment impénétrables. Je leur ai montré comment utiliser des fonctions pour calculer la moyenne des PM à chaque emplacement, puis comment créer des graphiques pour comparer les moyennes de chaque emplacement de l'échantillon. Nous avons ensuite travaillé sur les compétences de chacun·e à expliquer les graphiques.
Bien que ce processus ait été difficile pour nous tous·tes, je savais que cette expérience les aiderait à développer leurs compétences mathématiques à l'avenir. En raison des contraintes de temps, je n'ai pas pu leur enseigner les statistiques qui pourraient renforcer leurs arguments, mais nous avons articulé leurs principaux résultats.
Leur tâche suivante consistait à transformer leurs données et leurs graphiques en un diaporama et une présentation par affiches de leurs recherches. Je leur ai demandé d'organiser leurs graphiques et de rédiger une présentation qui passerait en revue leurs résultats. Lorsque les graphiques n'avaient pas de titres ou d'étiquettes, ou que leur échelle les rendait difficiles à lire, j'ai demandé aux élèves s'iels pensaient que d'autres personnes seraient capables de lire le graphique, ou même de savoir ce qu'il représentait : "Quelle unité l'axe des y représente-t-il ? Je vois seulement qu'il y a 70 000 de quelque chose à Fruitvale et International - s'agit-il de 70 000 emballages de chewing-gum, de voitures, de mouches ?" Utilisé l'humour a permis d'éviter les effondrements et nous a aidés à passer à travers un processus qui était entièrement nouveau pour ell·eux. Une fois que les élèves ont mis en forme leurs graphiques et rédigé les paragraphes expliquant leur objectif, leur méthodologie et leurs conclusions, nous avons travaillé sur leurs compétences en communication orale. Un aspect important ici était de s'assurer que chacun·e pouvait discuter de tous les aspects du projet, même si chaque élève s'était concentré sur un élément particulier du diaporama et de l'affiche.
Lors de la conférence de San Francisco, de nombreux·ses scientifiques ont abordé leur affiche simultanément, si bien que chaque étudiant·e a dû s'adresser à de "vrai·es" scientifiques et expliquer l’affiche. La conférence a poussé les étudiant·es à réfléchir aux questions auxquelles iels n'avaient pas répondu dans leur affiche et à développer de nouvelles approches pour exprimer leur compréhension à un public qui les avait intimidé·es au départ. La conférence a également montré à d'autres scientifiques le travail qui doit être fait dans les communautés sous-financées, ainsi que les capacités des étudiant·es qui sont gravement sous-représenté·es dans le domaine. Cet frottement des cultures a mis au défi à la fois les étudiant·es et les scientifiques professionnel·les, qui ont été époustouflé·es par le travail rigoureux des étudiant·es.
Transformer l'analyse en action
Après la conférence, nous sommes revenu·es sur la question de savoir comment aborder les niveaux élevés de particules à l'intérieur. Cela a déclenché une discussion pour savoir qui avait l'information et/ou le pouvoir de faire quelque chose pour résoudre les problèmes de qualité de l'air qu'iels avaient identifiés à l'école. Les élèves ontproposé le directeur comme le point de départ. Le directeur les a renvoyé·es vers le gestionnaire du bâtiment, qui les a immédiatement dirigé·es vers l'ingénieur du bâtiment.
Malheureusement, l'ingénieur n'a pas tenu compte des préoccupations des élèves. Il leur a dit que le système de ventilation fonctionnait bien et que le niveau de fréquentation de l'école devait être à l'origine d'un taux de particules aussi élevé. Lorsque nous avons demandé à voir le système de filtration et de ventilation pour savoir comment il fonctionnait, l'ingénieur s'est défilé et nous a posé un lapin à plusieurs reprises.
Entre-temps, les élèves ont commencé à remarquer que les bouches d'aération de leurs salles avaient accumulé des couches de poussière qui empêchaient manifestement l'air de sortir de la pièce. J'ai suggéré que le directeur pourrait peut-être exercer une pression nécessaire pour faire quelque chose au sujet des bouches d'aération des salles de classe. Un jour, plusieurs mois après le début de nos travaux, les élèves ont remarqué que la direction avait finalement envoyé du personnel pour nettoyer les couches de poussière qui s'étaient accumulées sur les bouches d'aération. Dès que les bouches d'aération ont été nettoyées, les élèves ont dit : "Testons nos salles maintenant !". Comme de juste, les relevés ont été constamment plus bas au cours des semaines suivantes.
Même si le nettoyage des bouches d'aération n'a pas permis de s'attaquer à la cause première de la création de PM, c'est un problème que les élèves ont réussi à résoudre. Ce succès leur a donné plus de confiance, et j'ai commencé à les mettre en contact avec d'autres organisations, des médias et des hauts responsables du district scolaire unifié d'Oakland. Il est intéressant de noter qu'un comité sur la qualité de l'air intérieur avait récemment été formé au sein du district, et que l'infirmière qui dirigeait cette initiative était ravie d'entendre parler du travail de mes élèves. Iels ont été invité·es à s'exprimer devant le comité, puis à le rejoindre. Leur expérience leur a conféré un niveau d'autorité et d'expertise que les autres membres du district n'avaient pas, et on leur a demandé de commencer à tester l'air dans d'autres écoles. J'espère voir mes élèves former d'autres élèves pour qu'iels effectuent des recherches dans chacune de leurs écoles. Comme l'a dit Eric :
« Ce n'est qu'un début, je ne pense pas que nous ferons tout, pour que tout le monde dans la communauté soit au courant des particules, mais nous pouvons y contribuer, et commencer, et dans le futur, d'autres pourront continuer le travail. »
Ces mots sont la preuve de la perspective communautaire que mes élèves ont développée. Iels reconnaissent que leur travail a été réalisé en équipe, et non individuellement, et que plus il y a de personnes impliquées, plus on peut accomplir de choses.
Si au début, les élèves étaient timides et manquaient de confiance en ell·eux, grâce à leurs expériences avec de nombreux publics différents, iels sont devenu·es d'excellent·es défenseur·euses de la réduction de la pollution atmosphérique et de la création d'alternatives aux carburants polluants. Iels ont découvert que les scientifiques, les enseignant·es et leurs pair·es respectent leur travail, ce qui les a aidé·es à apprécier leurs propres efforts. Evelina a déclaré :
« Je me suis sentie bien en montrant mon travail à tous les scientifiques ; nous leur avons parlé de toutes les particules à tous les points d'échantillonnage. Je me suis sentie professionnelle. Grâce à la science, je peux dire à ma communauté ce qui est mauvais pour toi, et si tu utilises trop de [combustibles fossiles], tes enfants peuvent avoir des maladies ou de l'asthme. Je peux dire à ma famille ce qu'il y a dans l'air. Ma maison est également proche de l'autoroute. Faire plus de présentations et de recherches sera bénéfique pour la communauté. »
Selon Ricardo :
« Nous avons décidé des règles et du calendrier. Tony nous a un peu guidé·es, mais nous avons fait le reste. »
Je pense que ce sentiment d'être des scientifiques qui "possèdent" leurs recherches et qui peuvent voir leur rôle positif dans l'élaboration de solutions aux problèmes de santé a eu un effet profond sur leur développement et leur estime.
Les étudiant·es ont de nombreuses idées pour de futures recherches. Iels veulent recueillir des données sur des polluants spécifiques, comme le monoxyde de carbone et le dioxyde d'azote, et effectuer des transects et des tests similaires dans d'autres parties de l'East Bay. Iels souhaitent également partager leurs résultats avec un public beaucoup plus large. En donnant aux jeunes l'accès à des outils scientifiques et à un cadre pour communiquer leurs résultats, on favorise l'émergence de futurs leaders ayant une perspective communautaire, ce qui est essentiel pour créer des communautés dynamiques.
Créer un espace qui permettent à nos étudiant·es de participer pleinement à des actions communautaires est l'étape suivante pour rendre leurs recherches applicables et pertinentes dans leur vie. Eric a déclaré qu'il "investirait plus d'argent dans les panneaux solaires et les énergies renouvelables sur les maisons et qu'il utiliserait la science pour apprendre à construire des panneaux solaires moins chers." Avons-nous l'infrastructure ou les ressources nécessaires pour soutenir ces objectifs ? Si c'est à cela que ressemble la justice pour lui, alors comment pouvons-nous l'aider à développer cette vision ?
Tous·tes les étudiant·es qui sont conscient·tes des problèmes ont besoin de débouchés et d'organisations avec lesquelles iels peuvent travailler pour construire des alternatives pour leur communauté. Pour vraiment intégrer la justice environnementale depuis les salles de classe jusqu’à la communauté, nous devons prendre part aux mouvements communautaires qui travaillent sur ces questions afin de pouvoir impliquer nos élèves. Ce n'est que lorsque de nombreux·ses acteur·ices ont fait pression pour que les conduits d'aération du lycée soient nettoyés qu'ils l'ont été. S'il faut autant d'efforts pour obtenir le nettoyage de certaines bouches d'aération, il faudra des forces plus importantes que quelques membres du personnel de nos districts scolaires pour exiger un air sain. En tant qu'enseignant·es, militant·es et organisateur·icess, notre rôle est de travailler avec les élèves pour mettre en place des campagnes qui remettent en cause le passage des camions et des autoroutes dans nos communautés, et d'encourager des modes de transport et de production alternatifs afin d'utiliser des sources d'énergie propres. Si nous voulons que nos élèves deviennent des leaders et des militant·es de la justice environnementale, nous devons nous aussi exercer un certain leadership !
Publication originale (Printemps 2011) :
Rethinking Schools
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