Covidonégationnisme, Free Speech et eugénisme : la pseudoscience de l’Alt-Right | Nafeez Ahmed
La désinformation sur le COVID-19 est devenue la nouvelle ligne de front de l'entrisme d'extrême droite. Sa philosophie morale de la "survie du plus apte" ne vient pas de nulle part. La capacité revendiquée de Toby Young à donner un prix à la vie découle de convictions politiques sous-jacentes, et notamment de son penchant pour l'eugénisme.
Nafeez Ahmed, journaliste d'investigation et universitaire interdisciplinaire spécialisé dans la sécurité internationale et la théorie des systèmes complexes. Il est actuellement le reporter chargé des enquêtes spéciales et des tendances mondiales pour le mensuel britannique Byline Times. Créateur de la plateforme Age of Transformation.
· Cet article fait partie de notre dossier Fascisation du 12 mars 2023 ·
Partie 1 - Désinformation et négation du Covid-19
La désinformation sur le COVID-19 est devenue la nouvelle ligne de front de l'entrisme d'extrême droite. Alors que le gouvernement britannique trébuche de crise en crise, sa mauvaise gestion de la réponse à la pandémie a attisé la peur, l'anxiété et la colère, ce qui a largement alimenté la diffusion de dangereuses théories du complot, non pas par des voix marginales, mais par des personnes influentes ayant des liens significatifs avec les gouvernements américain et britannique.
Certes, comme je l'ai déjà indiqué, les confinements draconiens ont toujours été évitables ; les défaillances catastrophiques des gouvernements ont aggravé la première et la deuxième vague ; et les meilleures solutions pour sortir de la crise et revenir à une situation quasi normale sont négligées. Pourtant, ces manquements, ainsi que l'impact dévastateur de la pandémie et des mesures de confinement sur les citoyen·nes ordinaires (en particulier les plus vulnérables), ont permis à des voix marginales et à des théories spéculatives de s'exprimer et d'atteindre de plus en plus le grand public.
L'épicentre de ce nouveau réseau de désinformation est le commentateur britannique de droite Toby Young, qui est devenu l'un des principaux diffuseurs de désinformation sur le COVID-19, manifestement fausse et dénuée de tout fondement scientifique. Pourtant, Young a récemment fait l'objet d'un article dans le Financial Times pour ses publications sur le COVID-19, et il entretient des liens avec certaines des personnalités les plus influentes de l'establishment conservateur britannique dans les sphères politique, médiatique et parlementaire. Ce qui soulève des questions sur la manière dont des pseudo-sciences marginales tentent d'influencer le discours public à travers le prisme du "free speech".
Free Speech ou Fake Speech
Toby Young, rédacteur en chef adjoint du magazine Quillette à Londres, a fondé la Free Speech Union (FSU) à la fin du mois de février 2020 afin de défendre les droits de ses membres en matière de liberté d'expression. Le conseil consultatif de la FSU comprend plusieurs personnalités médiatiques de droite bien connues, telles que Julia Hartley-Brewer de talkRADIO, Allison Pearson du Telegraph, David Rose du Daily Mail et Paul Staines de Guido Fawkes. Ainsi, le travail de Toby Young a une grande portée parmi les principale·aux influenceur·euses conservateur·ices.
Parmi les autres conseiller·es du FSU de Toby Young on compte un certain nombre d'universitaires et de personnalités publiques de premier plan : La baronne Claire Fox ; le responsable intégration de Policy Exchange, David Goodhart, nommé par Liz Truss commissaire à la Commission pour l'égalité et les droits de l'homme (EHRC) ; le professeur Matthew Goodwin de l'université du Kent ; David Green de Civitas [think tank britannique libertarien, pro-Brexit, climatonégationniste Ndt] ; le professeur Eric Kaufmann de Birkbeck ; Mark Littlewood, directeur général de l'Institute for Economic Affairs (IEA), un groupe de lobbying partisan d'un Brexit dur ; Lord Matt Ridley, baron du charbon conservateur climatonégationniste ; l'auteur de best-sellers de renommée mondiale Lionel Shriver, pour n'en citer que quelques-un·es.
La remarquable faculté de Young à rassembler ce réseau de voix influentes issues de la presse, du monde universitaire ou politique, de tout le spectre de la droite, est une démonstration éloquente de l'ampleur de l'infiltration de son travail dans le discours public. Cela explique aussi en partie la pénétration de la désinformation pseudo-scientifique sur le COVID-19 dans les médias grand public.
En avril, Young a lancé le site LockdownSceptics.org, où il a publié et encouragé le "scepticisme" à l'égard des réponses de santé publique au COVID-19, en mettant particulièrement l'accent sur le Royaume-Uni.
Lockdown Sceptics est essentiellement une façade pour la FSU de Toby Young. Le logo FSU figure sur chaque page du site web, et la plate-forme est conçue et gérée par Ian Rons, cofondateur et secrétaire général de la FSU.
Même si Young affirme vouloir "éviter les théories conspirationnistes", LockdownSceptics.org est rapidement devenu un foyer de théories du complot pseudo-scientifiques, de "fake news" et de désinformation.
Parmi les éléments de désinformation les plus criants publiés par Young sur Lockdown Sceptics figure un "rapport d'enquête" non vérifié et invérifiable qui prétend interviewer une infirmière diplômée dénonçant le fait qu'elle aurait passé cinq mois, pendant la crise du COVID-19, à travailler dans un hôpital vide de 800 places où elle passait ses journées à ne rien faire. Comme l'illustre la manière dont il a été interprété sur les réseaux sociaux et par les commentateur·ices de Lockdown Sceptics, cet article laissait entendre que la pandémie était délibérément exagérée dans le cadre d'un complot mystérieux de grande envergure.
Fake News et agitations des peurs
L'histoire de l'hôpital vide crée un récit qui vise à ébranler la confiance du public et à créer un climat de paranoïa.
L'auteur de cet article, Gavin Phillips, n'est pas journaliste mais se décrit comme un entrepreneur qui vend des plugins Photoshop.
Sa seule qualification pertinente pour écrire l'article est qu'il est un fier négateur du COVID qui gère un compte Twitter propageant des théories conspirationnistes sur la pandémie. Parmi ces théories, M. Phillips fait régulièrement la promotion d'un site web appelé "Stop World Control", qui affirme que le COVID-19 est un coup monté planifié pour imposer un gouvernement mondial et des micro-puces de surveillance.
M. Phillips nous a expliqué qu'il a pris position très tôt au cours de la pandémie, persuadé qu'il s'agissait d'une fausse crise fabriquée par les gouvernements.
"Lorsque Boris Johnson a décrété le confinement le 23 mars, j'ai été très choqué. Je ne pensais pas que de telles mesures étaient nécessaires. Au fur et à mesure que nous avancions dans le mois d'avril, il m'est apparu très clairement qu'il n'y avait pas de pandémie. J'ai utilisé Twitter comme un outil de recherche très utile. C'est une sorte de fil d'actualité où les gens publient des articles et des opinions intéressantes que l'on ne trouve pas dans les médias dominants. J'ai appris il y a longtemps à ne jamais faire confiance aux médias dominants, et je n'ai cru à aucun de leurs discours volontairement effrayant sur les "millions de morts"... À l'approche du mois de juin, je n'arrivais pas à croire que le gouvernement continuait à proférer des mensonges sur les soi-disant décès massifs dus au COVID-19."
Ayant publié ces idées sur Twitter depuis le début de la crise, M. Phillips raconte que la prétendue infirmière a vu ses tweets et a pris contact avec lui ; il avait lancé un appel spécifique aux travailleur·euses de la santé pour obtenir des "informations de l'intérieur". L'article rapporte les propos de l'infirmière : "Depuis le début, je ne pense pas que c'est une pandémie. Je pense que les gens ont été intentionnellement effrayés et c'est ce qui a attiré mon attention". L'article a été proposé à plusieurs autres publications - UnHerd, The Telegraph, OffGuardian - qui l'ont toutes refusé, avant que Toby Young ne s'y intéresse.
M. Phillips a déclaré avoir vérifié le numéro de licence de l'infirmière pour s'assurer qu'elle exerçait bien cette profession, mais il a reconnu n'avoir vérifié aucune de ses affirmations. Il ne lui a même pas demandé dans quel hôpital elle travaillait et n'a pas cherché à vérifier lui-même ses allégations concernant ledit hôpital : "Je ne lui ai pas demandé de quel hôpital il s'agissait. Elle était très nerveuse, car si son identité était révélée, sa vie deviendrait un enfer", a déclaré M. Phillips. "Même si je savais de quel hôpital il s'agit, je ne pourrais jamais y accéder. Même si vous pouviez bluffer pour entrer dans l'hôpital, vous ne seriez jamais autorisé à vous y promener. Alors quelles preuves pourriez-vous recueillir ?"
En bref, Phillips a cru à ses déclarations. Lorsque je lui ai demandé si je pouvais vérifier l'identité de l'infirmière de manière confidentielle pour vérifier les faits, Phillips a prétendu que l'infirmière avait refusé. Il a également déclaré que Lockdown Sceptics n'avait rien fait pour vérifier ou contrôler l'exactitude des affirmations contenues dans l'interview.
Byline Times a interrogé Toby Young sur ces affirmations, mais il a choisi de ne pas répondre à la demande de commentaire.
Oublier de vérifier les faits
Quant à M. Phillips, il n'a pas voulu donner la localisation régionale de l'hôpital présumé. Mais, à force d'insistance, il a fini par dire qu'il se trouvait quelque part au sud de Londres, non loin d'Epsom. Il a fait remarquer que les propres collègues de l'infirmière à l'hôpital n'étaient pas d'accord avec elle, et que la fréquentation de l'hôpital semblait maintenant être revenue à la normale. "S'iels l'apprennent, ses collègues lui reprocheront d'avoir raconter tout ça."
Si rien ne permet de présumer de la véracité de l'histoire, elle n'est pas incompatible avec ce que nous savons déjà. Ce n'est pas une grande révélation que certains hôpitaux du sud de l'Angleterre ont accueilli moins de patient·es au plus fort de la pandémie, grâce à la réactivité des équipes du NHS. Les données recueillies entre avril et juin (au cours de la période décrite par l'infirmière présumée) montrent que le nombre moyen de lits occupés dans les hôpitaux du Surrey a diminué de 37 % par rapport à la même période de l'année précédente. Cela s'explique par le fait que les efforts effrénés du NHS pour augmenter la capacité ont entraîné une augmentation du nombre de lits disponibles ainsi que l'annulation d'opérations non urgentes et des sorties plus précoces.
Un mois avant l'article de Lockdown Sceptics, SurreyLive rapportait : "Alors que plus de lits ont été mis à disposition, il y a eu en réalité moins de personnes à l'hôpital car des soins non urgents ont été annulés". Il n'est donc pas surprenant que certains membres du personnel hospitalier de ces régions aient connu une charge de travail bien inférieure à la normale pendant une période limitée.
Byline Times a fait part de ces données à Young, qui n'a pas répondu.
En raison de la nature de la propagation de l'épidémie, plus rapide dans les zones densément peuplées, les situations peuvent être très variées. L'University College Hospital de Londres, par exemple, a atteint sa capacité maximale en avril. Des images vidéo l'ont confirmé, et j'ai obtenu d'un médecin de l'hôpital, dès la mi-mars, la confirmation directe de l'aggravation de la situation.
Si l'histoire "exclusive" de l'infirmière de Lockdown Sceptics contient une quelconque vérité, elle semble être basée sur les lacunes scientifiques d'une travailleuse de la santé qui, ayant déjà un penchant pour le déni conspirationniste autour du COVID-19, n'a pas compris les dynamiques complexes et variées de la pandémie en cours, telles qu'elles ont impacté sur le système de santé britannique, et s'est tournée avec enthousiasme vers Phillips, rencontrant en lui un autre croyant à la "plandémie".
Pourtant, des publications comme The Telegraph se sont emparées à tort de ces récits pour affirmer que les hôpitaux sont tout simplement "à moitié vides", une idée réfutée dans le British Medical Journal par le Dr David Oliver, consultant en gériatrie au sein du NHS.
Obscursir les tests
Les choses ne s'arrêtent pas là. Lockdown Sceptics a publié un large éventail d'autres pseudo-sciences, alimentant les théories conspirationnistes autour du COVID-19. Parmi les articles les plus populaires, on trouve les tentatives de Mike Yeadon, ancien cadre de Pfizer, de jeter le doute sur les tests PCR, en laissant entendre que les faux positifs sont si nombreux qu'une grande partie de l'épidémie de COVID-19 est un simple produit des tests. Ces affirmations ont été complètement démenties, y compris par des scientifiques qui écrivent pour UnHerd [journal libertarien en ligne, climato et covidonégationniste Ndt].
Yeadon est souvent présenté par les négationnistes du COVID-19 comme une voix indépendante et crédible, mais il bénéficie d'un financement du gouvernement britannique dirigé par les conservateur·ices, relation qu'il n'a pas déclarée dans ses écrits publics sur le COVID-19. De 2014 à 2016, son entreprise pharmaceutique Ziarco a reçu une subvention de 1,7 million de livres sterling de la part du Technology Strategy Board du gouvernement (aujourd'hui Innovate UK). En 2017, Phil Smith, alors président du conseil, a été nommé coprésident du Digital Skills Partnership Board du gouvernement. Le coprésident de M. Smith était alors le ministre du numérique et actuel ministre de la santé, Matt Hancock. L'actuel coprésident du conseil d'administration de M. Smith est le nouveau secrétaire d'État au numérique, Matt Warman, qui, avant de se lancer dans la politique, a été rédacteur en chef de la technologie au Telegraph pendant dix ans.
Yeadon semble donc être lié à un groupe conservateur mécontent qui, au début de la pandémie, a tenté de promouvoir une stratégie d'"immunité collective".
Loin des affirmations de Yeadon, amplifiées par Lockdown Sceptics, la littérature scientifique évaluée par les pairs sur les tests PCR pour le COVID-19 nous raconte une histoire sensiblement différente. Une étude dirigée par le Dr Paul S. Wikramaratna du groupe Evolutionary Ecology of Infectious Disease de l'Université d'Oxford souligne que le risque le plus important réside dans les faux négatifs plutôt que dans les faux positifs : "... la probabilité de faux positifs est faible, mais les faux négatifs sont possibles en fonction de l'individu, du type d'écouvillon et du moment de progression de l'infection."
En août, une étude parue dans Clinical Chemistry and Laboratory Medicine a examiné les données des tests et a également constaté que : "Les résultats positifs de RT-PCR ont une valeur prédictive de 98 % pour une probabilité pré-test de 5 % et de 99 % et plus pour une probabilité pré-test de 10 % et plus," alors que le taux de faux-négatifs est d'environ 13 %.
Le même mois, le New England Journal of Medicine a publié une analyse réalisée par des scientifiques de Harvard, de Yale et du Dartmouth Institute for Health Policy and Clinical Practice, passant en revue une série d'études montrant que la probabilité de faux négatifs pouvait atteindre 29 % dans certaines circonstances, en fonction du contexte, notamment la manière dont les tests sont effectués et le moment où ils sont réalisés par rapport à l'apparition des symptômes.
En effet, un article publié en avril dans Mayo Clinic Proceedings a mis en garde contre le risque réel que les faux négatifs entraînent une sous-estimation de l'ampleur de l'épidémie, tout en encourageant un grand nombre de personnes infectées à propager le virus, ce qui aurait pour effet d'accélérer l'épidémie et d'exposer davantage de personnes à des risques.
"Même avec des valeurs de sensibilité aussi élevées que 90 %, l'ampleur du risque lié aux faux négatifs sera considérable à mesure que les tests se généraliseront et que la prévalence de l'infection par COVID-19 augmentera," souligne l'article rédigé par trois éminent·es expert·es médicaux de la Mayo Clinic.
"En quoi cela est-il important pour enrayer la propagation du COVID-19 ? Les faux négatifs sont lourds de conséquences. Les personnes qui obtiennent ces résultats peuvent relâcher la distance physique et d'autres mesures personnelles destinées à réduire la transmission du virus à d'autres personnes. Dans le cas des clinicien·nes, iels peuvent être envoyé·es en première ligne et transmettre par inadvertance le virus à des patient·es et à des collègues, mettant ainsi à rude épreuve la capacité déjà précaire du système de santé à répondre à la pandémie".
Pour illustrer l'ampleur potentielle de ce problème, ils ont noté que si, par exemple, 80 % des 6,5 millions d'habitant·es de Madrid étaient infecté·es par le COVID-19, les tests de masse aboutiraient à ce que 520 000 personnes soient "faussement classées comme exemptes d'infection". De même, en Californie, si la moitié de la population était infectée, les tests de masse pourraient produire jusqu'à 2 millions de faux négatifs. Et même si seulement 1 % de cette population était testée, cela produirait tout de même 20 000 faux négatifs.
En d'autres termes, la réalité est totalement opposée aux affirmations de Lockdown Sceptics. Si, à des niveaux élevés de tests, les faux positifs peuvent évidemment poser un problème, ils seraient statistiquement largement compensés par un plus grand nombre de faux négatifs : en bref, il est plus probable que nous manquions des cas réels de COVID-19 plutot que nous surestimions faussement le nombre de cas.
Ces problématiques font constamment l'objet de discussions et de débats ouverts dans la littérature scientifique. Toute personne un tant soit peu familiarisée avec ces recherches sur les tests PCR sait que les expert·es médicale·aux sont profondément conscient·es des complexités et des défis à relever, et que ceux-ci sont constamment pris en compte lors de l'élaboration des stratégies de santé publique. Ce que nous savons également, c'est que les pays d'Asie de l'Est où des tests de masse complets ont été déployés avec succès, parallèlement à des politiques de traçage et d'isolement et à des contrôles aux frontières, ont contenu les taux d'infection par le COVID-19 et les décès à un niveau minimum, tout en évitant un cycle prolongé de confinements draconiens répétés. Aucune de ces recherches ne semble avoir intéressé Lockdown Sceptics.
Les opinions exprimées sur la plate-forme de Young ont été amplifiées par des commentateur·ices conservateur·ices tels que Julia Hartley-Brewer et Allison Pearson. Yeadon, par exemple, a été présenté par Hartley-Brewer sur talkRADIO au début du mois de novembre, affirmant que "la pandémie est fondamentalement terminée au Royaume-Uni", une affirmation dénoncée comme inexacte par l'organisme de surveillance de l'actualité scientifique Health Feedback.
Donner un prix à la vie
Toby Young utilise sa plateforme pour promouvoir des voix marginales dont les théories sont largement rejetées par la grande majorité des scientifiques de la santé publique. Cette désinformation est à son tour diffusée sur les réseaux conservateurs traditionnels et met le public en danger, en l'encourageant activement à éviter des mesures de santé publique crédibles : masques, tests, distanciation sociale.
L'"immunité collective" a été érigée en politique au début de la pandémie par une cohorte de conseillers gouvernementaux autour de Dominic Cummings. Mais au fur et à mesure que les données affluaient et que l'opinion publique prenait conscience de la folie de cette approche, il est devenu évident que l'immunité collective maximisait à la fois le nombre de décès dus au COVID-19 et la destruction de l'économie. Lorsque le gouvernement s'est détourné de cette approche, Lockdown Sceptics a été lancé en tant qu'outil de lobbying pour défendre une attitude de laisser-faire.
C'est le résultat d'une idéologie. Un mois avant de lancer Lockdown Sceptics, Young écrivait que "dépenser 350 milliards de livres pour prolonger la vie de quelques centaines de milliers de personnes, pour la plupart âgées, est une utilisation irresponsable de l'argent du contribuable".
Cette philosophie morale de la "survie du plus apte" ne vient pas de nulle part. La capacité revendiquée de Young à donner un prix à la vie découle de convictions politiques sous-jacentes, et notamment de son penchant pour l'eugénisme.
Partie 2 - ‘Free speech’ et racisme scientifique
Pour résumer, en février 2020, le commentateur britannique Toby Young a créé la Free Speech Union (FSU), soi-disant pour protéger le droit au free speech sur les lieux de travail ou dans l'espace public.
L'un des premiers exemples de "free speech" de la FSU, a été la diffusion de fausses informations par l'intermédiaire de LockdownSceptics.org, un site web qui publie une multitude de désinformations pseudo-scientifiques conspirationnistes sur la pandémie de COVID-19. Cette désinformation a eu un impact délétère sur la pensée conservatrice dominante concernant le coronavirus, tout en encourageant le public à faire fi des directives de santé publique visant à protéger les gens.
La FSU ne s'est pas lancée dans la diffusion de pseudo-sciences marginales par hasard. Elle fait partie d'un réseau plus large de lobbying de l'"Alt-right" qui a déployé des efforts considérables pour normaliser les pseudosciences racistes, promouvoir les politiques identitaires blanches et attaquer le mouvement "Black Lives Matter".
Young est l'épicentre de ce réseau.
Dans un de ses discours Young a défendu les recherches pseudoscientifiques du Pioneer Fund, un fonds de dotation nazi créé aux États-Unis juste avant la Seconde Guerre mondiale. Ce fonds défendait notamment la croyance en une base biologique pour les "différences raciales de QI", justifiant la sous-représentation des femmes dans les disciplines scientifiques, technologiques et mathématiques (STEM).
Le soutien apparent de Young aux scientifiques racistes américain·es fait partie intégrante de ses liens avec des personnalités publiques britanniques de droite, dont aucune ne condamne les opinions de Young.
Les conseiller·es de Toby Young à la FSU ressemblent à un véritable Who's Who des politiques identitaires blanches. Parmi elleux, l’apologiste des attentats de l’IRA et ancienne députée européenne du parti Brexit, la baronne Claire Fox, qui a fait campagne contre l'interdiction de la publicité pour le tabac et la pornographie enfantine, et en faveur des opérations de purification ethnique des Serbes de Bosnie, du réchauffement climatique, du clonage humain et de la liberté des entreprises. On compte également David Goodhart, responsable de l'intégration du groupe de réflexion Policy Exchange, qui a passé la dernière décennie à défendre ce qu'il appelle les "doléances de la majorité ", nommé par Liz Truss commissaire à la Commission pour l'égalité et les droits de l'homme.
Parmi les autres conseiller·es figurent Matthew Goodwin, dont les travaux universitaires ont été accusés de dédiaboliser l'extrême droite ; David Green, du think tank Civitas, qui a passé toute sa carrière à affirmer que le racisme institutionnel n'existe pas (par exemple dans le maintien de l'ordre ou l'écart de rémunération entre les communautés ethniques) ; Eric Kaufmann, politologue qui soutient "l'intérêt racial des Blanc·hes" et nie le racisme structurel ; Lord Matt Ridley, baron du charbon conservateur climatonégationniste, qui souhaite convaincre les gens que croire en une "base biologique de la race" ne fait pas de vous un "raciste" ; l'auteur Lionel Shriver qui s'est plaint du programme de promotion de la diversité proposé par Penguin Random House ; et l'historien David Starkey qui a déclaré que l'esclavage ne pouvait pas être interprété comme une pratique génocidaire parce que "tant de putains de Noir·es" avaient survécu.
Leur volonté de soutenir l'engagement de Young dans la dangereuse désinformation sur le COVID-19 et le racisme scientifique témoigne du déclin - et de la radicalisation - du conservatisme britannique.
Le rapport Black Lives Matter
Parmi les autres directeur·ices de société membre de la FSU de Toby Young figure Douglas Murray, qui était jusqu'en 2018 directeur associé de la Henry Jackson Society (HJS).
La HJS est un groupe de lobbying conservateur qui exerce une influence considérable sur les stratégies de lutte contre l'extrémisme du gouvernement, et en particulier sur les politiques de Boris Johnson en matière de Brexit, d'affaires étrangères et de fonction publique. Il a également des liens directs avec l'ancien stratège en chef de Donald Trump, Steve Bannon, et est soutenu par des donateur·ices républicain·es pro-Trump.
En mai 2018, Murray a assisté et pris la parole lors d'une conférence en Hongrie organisée par un think tank du gouvernement hongrois appelé Szazadveg, aux côtés de Bannon. Lors de leur séjour à Budapest, Murray et Bannon ont tous deux rencontré personnellement le Premier ministre antisémite hongrois Viktor Orban.
Inaya Folarin Iman, fondatrice et directrice du projet Equiano, qui vise à promouvoir le free speech autour de la question raciale, fait également partie du conseil d'administration de la FSU de Toby Young. Inaya Iman a travaillé en étroite collaboration avec le HJS.
Iman a contribué à un rapport publié par le HJS en septembre, Black Lives Matter UK : An Anthology. Insistant sur le fait que les auteurs du rapport sont "issus des communautés noires de Grande-Bretagne", le HJS a conclu que "la politique identitaire de gauche dure, dont une grande partie est culturellement importée des États-Unis, menace d'affaiblir les relations raciales nationales et de déstabiliser la démocratie multiraciale de la Grande-Bretagne".
Esther Krakue, qui a également contribué au rapport, est membre de Turning Point UK, la division britannique du réseau conservateur des campus Turning Point USA, qui a embauché à plusieurs reprises des racistes anti-noir·es et des nationalistes blancs. Mme Krakue anime sa propre émission sur la chaîne YouTube de Turning Point UK. Dans un épisode, elle a réalisé une interview enthousiaste du fondateur de Turning Point US, Charlie Kirk, qui minimise les violences policières anti-noires, qualifie le concept de privilège blanc de raciste et affirme que ce sont les conservateur·ices blanc·hes, et non les personnes noires, qui sont les véritables victimes de discrimination sur les campus. Le fondateur de Turning Point UK est le conspirationniste pro-Trump QAnon et scientologue, John Mappin.
Un autre contributeur du rapport, Calvin Robinson, est un ancien militant du Parti conservateur devenu candidat du Parti du Brexit. A Hartlepool, le siège disputé par Richard Tice, président du parti du Brexit, des images filmées par Channel 4 ont révélé ce que la chaîne a appelé "un racisme et des préjugés choquants", y compris "des insultes contre les musulman·es, les noir·es, les pakistanais·es et les turc·ques". Inaya Iman était elle aussi candidate du parti du Brexit.
Selon Hope Not Hate, les personnalités du parti du Brexit ont de nombreux liens directs avec des extrémistes de droite, des nationalistes blanc·hes et des antisémites, et ont recruté à plusieurs reprises des membres du British National Party, partisan·nes de la suprématie de la race blanche. M. Robinson est récemment devenu conseiller en stratégie et en politique pour le nouveau Reclaim Party créé par l'acteur Laurence Fox, qui a boycotté Sainsbury's pour avoir soutenu le Black History Month et critiqué les acteur·ices noir·es (et les acteur·ices issu·es de la classe ouvrière) pour s'être plaint·es du manque de diversité dans l'industrie du divertissement.
Katharine Birbalsingh, directrice d'école à Wembley, a également contribué à ce rapport en exhortant les enseignant·es et les autorités scolaires à ignorer les plaintes des élèves concernant des enseignant·es racistes : "Si un enfant dit que son professeur est raciste, soutenez l’enseignant. Quoi que dise l'enfant, soutenez l'enseignant. Si vous ne le faites pas, vous laissez tomber l'enfant et vous lui permettez de vous prendre pour un imbécile".
Konstantin Kisin, membre du conseil consultatif de la FSU et humoriste qui fait des blagues sur la culture "woke", a également participé à la rédaction. Ni Kisin ni aucun·e de ses collègues ne semblent avoir d'expérience ou d'expertise en matière de campagne contre le racisme anti-noir.
Toby Young et la controverse autour de The Bell Curve
Outre le fait qu'il anime LockdownSceptics.org, qui semble n'être guère plus qu'une vitrine pour sa FSU, Toby Young est rédacteur en chef de Quillette.
Au début de l'année 2020, il a interviewé le politologue américain Charles Murray sur le podcast de Quillette. Murray, chercheur à l'American Enterprise Institute, un organisme néoconservateur, est l'auteur de The Bell Curve, qui affirme que les personnes noires sont bien moins intelligentes que les personnes blanches, en raison non seulement de facteurs environnementaux, mais aussi de facteurs génétiques. À l'époque et depuis lors, ce livre a été amplement tourné en dérision pour ses "défauts scientifiques".
La pseudoscience de Murray soutient que les personnes noires, les femmes, les pauvres et les Latinx sont globalement inférieures sur le plan génétique, ce qui explique l'augmentation des inégalités entre les groupes raciaux. Un passage du livre dit ceci : "Le consensus professionnel indique que les États-Unis ont subi des pressions dysgéniques pendant la majeure partie du siècle (les optimistes) ou pendant tout le siècle (les pessimistes). Les femmes de toutes les races et de tous les groupes ethniques suivent ce modèle de manière similaire. Certains éléments indiquent que les Noirs et les Latinos subissent des pressions dysgéniques encore plus fortes que les Blancs, ce qui pourrait conduire à une divergence accrue entre les Blancs et les autres groupes dans les générations futures".
La fascination de Young pour ce que beaucoup considèrent comme du racisme scientifique semble être ancienne. En 2015, il prônait un "eugénisme progressiste" impliquant que les parents pauvres dépistent et avortent les embryons à faible quotient intellectuel (une idée sans aucune valeur scientifique). Il a ensuite tenté de se dissocier de la notion d'eugénisme.
Mais en 2018, il a notoirement assisté à la London Conference on Intelligence (LCI) à l'University College London, une "conférence eugéniste secrète" organisée par un universitaire nationaliste blanc. L'un des principale·aux organisateur·ices et participant·es régulier·es de la conférence est l'eugéniste nationaliste blanc danois Emil Kirkegaard, qui a été accusé de sympathies nazies et a déjà tenté de justifier le viol d'enfants. Kirkegaard est chercheur à l'Institut de recherche sociale de l'Ulster (UISR), dont les membres étaient fortement impliqués dans la conférence, y compris son principal organisateur James Thompson.
L'UISR est financé par le Pioneer Fund, une organisation classée comme groupe haineux par le Southern Poverty Law Centre, fondée par des sympathisant·es nazis dans le but de promouvoir "l'amélioration raciale" et créée à l'origine pour promouvoir le "rapatriement" des Noir·es américain·es vers l'Afrique. Dans un article publié dans la revue American Behavioural Scientist, Steven J. Rosenthal, professeur de sociologie à l'université de Hampton, décrit le Pioneer Fund comme un "fonds de dotation nazi spécialisé dans la production de justifications pour l'eugénisme depuis 1937".
Une grande partie des recherches utilisées dans The Bell Curve a été financée par le Pioneer Fund.
La revue de l'UISR, Mankind Quarterly, a été cofondée par un membre éminent du groupe de travail sur l'eugénisme de Benito Mussolini et l'un des anciens membres de son conseil d'administration était Otmar von Verschuer. Sous le régime nazi, Verschuer a été directeur de l'Institut de biologie génétique et d'hygiène raciale jusqu'en 1942, date à laquelle il est devenu directeur de l'Institut Kaiser Wilhelm d'anthropologie, d'hérédité humaine et d'eugénisme à Berlin. Verschuer a également enseigné et encadré Josef Mengele, officier SS nazi tristement célèbre connu sous le nom d'"ange de la mort" pour avoir réalisé des expériences mortelles sur des prisonnier·es à Auschwitz.
Young avait déjà rencontré Emil Kirkegaard de l'UISR lorsqu'il s'était exprimé lors d'une conférence distincte organisée par l'International Society for Intelligence Research (ISIR) en juillet 2017. Alors que l'ISIR compte de nombreux·ses scientifiques éminent·es, le directeur du Pioneer Fund, Richard Lynn - qui a appelé à l'"élimination progressive" des "populations de cultures incompétentes" - faisait partie du comité de rédaction de la revue Intelligence de l'ISIR, tout comme un autre directeur du Pioneer Fund, Gerhard Meisenberg. Tous deux se sont retirés de la revue seulement après que le magazine New Statesman et le Guardian aient fait état de leur collaboration.
La défense du racisme scientifique par Young en lien avec le Pioneer Fund nazi
Ce qui n'a pas été rapporté jusqu'à présent, c'est le rôle de Toby Young lors de l'événement de l'ISIR en 2017, où il a fait une présentation sur le prétendu déni libéral du rôle de la génétique dans le QI, et a dévoilé par inadvertance à quel point lui et l'ISIR sont imprégnés de racisme scientifique.
Young a justifié les commentaires de Larry Summers, président de Harvard, qui ont conduit à sa démission en 2005, lorsqu'il a affirmé que les femmes étaient sous-représentées dans les matières STEM en raison d'une plus grande variabilité des capacités cognitives des hommes que des femmes. Si les degrés de variabilité sont reconnus, l'idée que cela explique la marginalisation des femmes dans certains domaines de l'emploi et de l'éducation est massivement démentie par la littérature scientifique.
Young a ensuite cité positivement les travaux de l'extrémiste nationaliste blanche Linda Gottfredson, qui a été financée par le Pioneer Fund pour soutenir que les inégalités raciales sont le résultat direct de différences raciales génétiques en matière d'intelligence.
"Si ceux qui discutent des différences entre les hommes et les femmes doivent faire preuve de prudence, il en va de même pour tous ceux qui sont assez fous pour soulever la question des différences raciales de QI", a déclaré Young, avant de se plaindre que l'université du Delaware avait "refusé de laisser [Gottfredson] et Jan Blits bénéficier d'une subvention pour poursuivre leurs recherches en 1990. Il lui a fallu deux ans et demi pour récupérer son financement".
Young fait référence aux tentatives de l'université de bloquer le financement qu'elle recevait du Pioneer Fund. Outre les travaux de Murray et de Gottfredson, le principal bénéficiaire actuel du Pioneer Fund est le think tank American Renaissance, qui accueille des militant·es du Ku Klux Klan et des néo-nazis.
Young a ensuite défendu les travaux de Charles Murray dans The Bell Curve en les qualifiant de "discussion mesurée des preuves" et en approuvant apparemment son hypothèse centrale selon laquelle "une société méritocratique finira par dégénérer en un système de castes biologiques". Young a également défendu les travaux de Nicholas Wade, auteur de A Troubling Inheritance, qui tente de démontrer l'existence d'une base biologique des races. Mais le généticien des populations Jeremy Yoder le souligne : "À maintes reprises, les données qui réfutent ses arguments ne sont pas seulement disponibles et largement citées dans la littérature sur la génétique des populations - elles se trouvent souvent dans le texte des articles énumérés dans les notes de fin d'ouvrage".
Young a ensuite tenté de faire valoir que le fait de croire en des différences raciales d'intelligence génétiquement déterminées ne fait pas d'une personne quelqu'un·e de raciste tant qu'elle défend l'égalité des droits (en éludant soigneusement le fait que nombre de celleux qu'il défend ne le font pas) : "Vous pouvez croire qu'il existe des différences de QI entre les groupes - vous pouvez même croire que ces différences sont héréditaires à 80 % - et rester attaché à l'égalité des droits".
Mais il se plaint ensuite que celleux qui rejettent les "droits civiques" soient qualifié·es de racistes : "Si vous écrivez un livre qui s'oppose aux droits civiques, ou s'il semble que vous le fassiez à la simple lecture du résumé, alors vous êtes un raciste".
Byline Times s'est entretenu avec deux éminents experts au sujet du discours de M. Young.
Selon le professeur Keith Baverstock, du département des sciences environnementales et biologiques de l'université de Finlande orientale, qui a publié de nombreux articles sur le sujet dans des revues spécialisées, "les fondements des arguments de Young sont extrêmement faibles".
Le Dr Jay Joseph, psychologue clinicien et auteur de The Gene Illusion et The Trouble with Twin Studies, estime quant à lui que le discours de Young est "une défense assez typique du racisme scientifique et qu'il se fait un point d'honneur d’essayer de dépeindre les opposants à cette position comme des marxistes ou stalinien·nes en tout genre". Il n'y a "aucune valeur scientifique" à cela, a-t-il ajouté, notant que " Young cite favorablement les héréditaristes Cyril Burt et Hans Eysenck, qui ont tous deux été démasqués comme des fraudeurs " ainsi que l'étude de Thomas J. Bouchard sur les jumeaux qui "comme les études précédentes sur les jumeaux "séparés" relève de la pseudo-science".
Joseph a décrit l'ISIR, où Young s'est exprimé, comme "le foyer des partisan·nes déclaré·es d'un QI héréditaire, du racisme scientifique et des différences raciales. Je ne suis pas surpris qu'il y ait prononcé son discours... Je ne dirais pas que ces idées sont uniquement liées au nazisme. Elles sont liées à des choses comme l'eugénisme, le colonialisme, le néocolonialisme, etc. Ces idées étaient répandues dans les milieux universitaires et la psychologie américaines et britanniques bien avant les nazis. C'est un excellent moyen de justifier l'existence d'un empire colonial et, comme toujours, les pseudo-sciences sont utilisées pour justifier des objectifs politiques".
Young a tenté d'introduire ce réseau de pensée pseudo-scientifique marginale directement au sein de la FSU. Son conseil consultatif de la FSU comprend le professeur Robert Plomin, éminent généticien. Lorsque The Bell Curve de Murray a été publié, Plomin a été l'un des principaux signataires d'une déclaration rédigée par le Pioneer Fund pour défendre la science qui sous-tend le livre, sans pour autant rejeter ses conclusions racistes.
Plomin a également publié des articles avec l'American Eugenics Society et a pris la parole lors de plusieurs réunions de la British Eugenics Society (qui s'est rebaptisée Galton Institute en 1989), deux organisations de promotion de la science raciale. Et, bien sûr, Plomin est largement cité dans le tristement célèbre rapport de Dominic Cummings à Michael Gove, qui affirme que les gènes jouent un rôle plus important que l'enseignement dans le QI d'un enfant.
Un autre membre du conseil consultatif de la FSU est le professeur Timothy Bates, qui a été président de l'ISIR en 2017 et 2018 et a introduit le discours de Young à cette occasion - qu'il héberge personnellement sur YouTube.
Quillette et le mouvement pour la biodiversité humaine
Young est loin d'être le seul à faire revivre le racisme scientifique de cette manière peu subtile. Selon The Nation, Quillette, dont Young est rédacteur en chef, consacre une grande partie de son espace web à "remettre au goût du jour une science raciale discréditée", notamment en publiant des articles pseudo-scientifiques rédigés par des partisan·nes du " Mouvement pour la biodiversité humaine " (Human Biodiversity Movement - HBD).
Le professeur Curtis Dozier du Vassar College décrit le HBD comme un euphémisme utilisé pour donner de la crédibilité à l'affirmation pseudo-scientifique selon laquelle la supériorité blanche a une base génétique ou évolutive. De même, Forward qualifie le HBD de "racisme pseudo-scientifique de l'Alt-Right". Les écrits du HBD, comme de Quillette, sont très populaires parmi les groupes suprémacistes blancs.
"En termes simples, Quillette offre une tribune à l'idée que les personnes noires sont juste plus stupides que les personnes blanches, que l'évolution les a faites ainsi, et que rejeter cette idée revient à s'opposer à Darwin", écrit le professeur John Jackson, historien de la race à l'université de l'État du Michigan. Le magazine se spécialise dans le recyclage de la mythologie frauduleuse selon laquelle les scientifiques dominant·es ont peur de poser des questions sur la race dans leur travail scientifique.
En réalité, note Jackson : "Les discussions scientifiques sur la race sont nombreuses, contrairement à ce que Quillette voudrait faire croire. Même sur des questions brûlantes comme la race et le QI, il existe de nombreuses preuves d'un débat public et technique vigoureux. Tous les deux ou trois ans, un livre vantant les mérites de la science raciale est publié".
Mais il y a une raison, explique Jackson, pour laquelle Quillette veut faire croire à ses lecteur·ices que les scientifiques ont peur de parler de la race : parce qu'"une grande partie de cette littérature sur la race et la science sert à dédiaboliser les approches réchauffées du 19e siècle de Quillette sur la race. En effet, l'argument du lien entre race et quotient intellectuel s'est largement effondré à la fin des années 1920".
Des pages web archivées et supprimées révèlent qu'avant de fonder Quillette, Claire Lehmann était citée dans un blog raciste HBD, "HBDchick", qui proposait une définition de l'HBD comme "la diversité qui a une base biologique trouvée parmi et entre les populations humaines" - l'auteur du blog a noté : "J'ai volé cette définition très élégante à Claire Lehmann".
Cette page web a été supprimée, et les définitions de HBD formulées par Lehmann ne sont plus disponibles. Interrogée à ce sujet par Nathan Oseroff-Spicer, ancien philosophe des sciences du King's College de Londres, l'auteur du blog n'a pas reconnu avoir supprimé sa référence à la définition de l'HBD de Lehmann.
En 2016, Quillette a publié un article de l'eugéniste et nouvel assistant de Boris Johnson, Andrew Sabisky, qui avait été embauché par l'ancien conseiller en chef, Dominic Cummings. Dans son article, Sabiski, qui pense que les personnes noires sont génétiquement prédisposées à avoir un QI plus faible, déplore "la mort blanche", qui " siège sur le trône de la diversité ethnique", alimentée par la mondialisation et l'immigration de masse.
Claire Lehmann a également eu des échanges positifs en ligne avec l'eugéniste néerlandais d'extrême droite Emil Kirkegaard.
Claire Lehmann n'a pas répondu à la demande de commentaire de Byline Times.
De nombreux·ses contributeur·ices de Quillette siègent également au conseil consultatif ou au conseil d'administration de la FSU de Young, notamment Lee Jussim, qui a défendu le célèbre mémo de Google attaquant la diversité de genres ; Konstantin Kisin, contributeur anti-Black Lives Matter de la HJS ; Douglas Murray, ancien directeur de la HJS ; le classiciste Jaspreet Singh Boparai ; James Flynn, chercheur en QI ; et Pamela Paresky, PDG du lobby pour le "free speech" sur les campus, financé par les Kochs.
Les articles de Quillette sur les questions raciales sont très recherchés par les groupes suprémacistes blancs, et sont régulièrement republiés par American Renaissance, la plateforme d'extrême droite financée par le fond néo-nazi Pioneer Fund - dont le rédacteur en chef de Quillette, Toby Young, défend ardemment les scientifiques et les recherches.
Normalisation dans le débat public
Lorsque Byline Times a contacté les membres du conseil d'administration et les conseillers de la FSU dont il est question dans cet article, aucun d'entre eux n'a voulu condamner les pseudosciences racistes que Young avait promues à l'ISIR. En fait, seuls deux d'entre eux ont répondu.
L'universitaire Matthew Goodwin n'a pas répondu s'il était d'accord avec l'idée d'une base biologique pour la race et les différences raciales de QI, mais il a déclaré : "Je suis ravi d'être associé à la Free Speech Union".
En 2018, Goodwin a coécrit un article avec son collègue conseiller de la FSU, Eric Kaufman, qui posait la question suivante : "La diversité ethnique augmente-t-elle ou réduit-elle les perceptions de menace des Blanc·hes ?" Il a conclu que "l'augmentation de la diversité - toutes choses égales par ailleurs - augmente le sentiment anti-immigration et le soutien à la droite radicale populiste chez les Blanc·hes né·es en Occident". L’article a simplement supposé que la première entraîne automatiquement la seconde (tout en ignorant commodément les données démontrant la corrélation et les liens de cause à effet entre les campagnes politiques racistes et les pics de sentiment raciste chez les Blanc·hes).
Le conseiller de la FSU Mark Littlewood, directeur général du groupe de lobbying du Brexit, l'Institute for Economic Affairs (IEA), a eu le mérite de dire que, bien qu'il ne soit pas expert, il ne croit pas du tout à l'idée de différences raciales dans le QI ou d'une base biologique pour la race. Mais, tout en admettant que le racisme doit être dénoncé, il n'a pas voulu condamner la promotion du racisme scientifique par Young parce qu'il ne pense pas que son discours de 2017 ait été particulièrement raciste. Il a défendu Young en disant qu'il était "à mille pour cent pas raciste" et a expliqué qu'il continuerait à soutenir la FSU parce qu'elle défendait "une recherche intellectuelle ouverte".
De même, le Bureau gouvernemental pour l'égalité et la Commission pour l'égalité et les droits de l'homme (Equalities & Human Rights Commission - EHRC) ont défendu la récente nomination du conseiller de la FSU David Goodhart à l'EHRC.
Un porte-parole de l'EHRC a déclaré : "Les commissaires sont nommés par le gouvernement en place. Tous les membres de notre conseil d'administration apportent une grande expérience et ont de solides antécédents en matière d'égalité, de droits de l'homme et de gestion d'entreprise."
Un porte-parole du Bureau gouvernemental pour l'égalité a déclaré : "Les nouvelle·aux commissaires de la Commission européenne des droits de l'homme ont été nommé·es dans le cadre d'une compétition équitable et ouverte, et chacun·e d'entre elleux apporte une base de connaissances spécialisées à la fonction. Nous sommes convaincu·es qu'iels aideront la Commission à mener à bien son important travail de défense et de promotion de l'égalité et des droits de l'homme en cette période cruciale pour le Royaume-Uni".
Il est difficile de comprendre comment Goodhart est capable de promouvoir l'égalité et les droits de l'homme alors qu'il est incapable de prendre position contre le racisme scientifique lié aux nazis au sein même de l'organisation qu'il conseille.
Cette absence de condamnation de la défense du racisme scientifique par Toby Young de la part des conseiller·es de la FSU est révélatrice. Elle suggère que la FSU risque de transformer les idéaux admirables de "liberté d'expression" et de "recherche intellectuelle ouverte" en prétextes pour légitimer la généralisation des idées pseudoscientifiques sur la race promulguées par les extrémistes nationalistes blanc·hes.
Cela nous permet de voir que cela se produit, non pas parce que toutes les personnalités et tous les conseiller·es de la FSU sont "racistes", mais simplement parce qu'iels ne sont pas disposés à combattre activement le racisme en leur sein. Et cela illustre la ligne d'influence directe qui mène de l'idéologie de l'Alt-right à des personnalités publiques au cœur de la pensée conservatrice et de l'élaboration des politiques en Grande-Bretagne.
La FSU est une fenêtre sur la normalisation du racisme scientifique en action. Que Young et son équipe de la FSU le réalisent ou non, iels sont devenus un canal pour les discours de l'extrême droite sur la race qui sont massivement rejetés par la communauté scientifique aujourd'hui - et qui sont hérités du racisme scientifique qui a culminé dans le nazisme. La résurgence de la croyance que la race est une réalité biologique est inextricablement liée à la légitimation croissante de la défense des intérêts raciaux des Blanc·hes.
En insistant sur le fait que de telles idées, qui ont conduit à l'Holocauste, devraient être considérées comme un élément parfaitement raisonnable du discours public quotidien, les partisan·nes du racisme scientifique sont autorisé·es à renverser la situation et à se poser en victimes : ce sont elleux, et non les minorités, qui sont persécuté·es en tant que "racistes" pour avoir osé s'engager dans un échange d'idées robuste et libre, pour avoir simplement "fait de la science". Comment ose-t-on utiliser le spectre du "racisme" pour mettre fin à leur liberté d'expression ?
Dans ce contexte, les liens de Young avec des groupes créés par le Pioneer Fund - dont les fondateurs et les premiers membres avaient des contacts directs avec des scientifiques nazis travaillant sur le programme d'"hygiène raciale" d'Hitler - expliquent en partie pourquoi il gravite autour des théories pseudoscientifiques sur la pandémie de coronavirus, qui entraîne des morts de masse et des ravages économiques encore plus graves que ceux auxquels nous sommes déjà confronté·es.
Alors que l'anxiété publique croît de manière compréhensible en raison de l'incompétence, de la négligence et de la mauvaise gestion des gouvernements, la vulnérabilité à des récits profondément toxiques sur la race et l'identité est un danger réel et présent. C'est pourquoi il est d’une ironie glaçante que, dans sa vidéo de lancement de la FSU, Young fasse cyniquement référence à celleux qui sont morts en repoussant les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, afin de susciter des souscriptions à sa grande campagne de "free speech".
"Beaucoup d'hommes et de femmes de bien sont morts en se battant pour notre droit de dire ce que nous pensons et d'échanger des idées sans être persécutés par les responsables du conformisme intellectuel et du dogme moral", a-t-il déclaré. "C'est notre précieux héritage. Et nous leur devons, ainsi qu'à nos enfants, de le défendre".
Toby Young n'a pas répondu à la demande de commentaire de Byline Times.
Publication originale (04/12/2020 & 08/12/2020) :
Byline Times - partie 1 / partie 2
· Cet article fait partie de notre dossier Fascisation du 12 mars 2023 ·