Comment le SARS-CoV-2 combat notre système immunitaire | Science
De nombreux autres agents pathogènes, dont les virus de la grippe, d'Ebola et de l'hépatite C, s'attaquent à la réponse interféron. Mais le SARS-CoV-2 se distingue des autres. "Ce qui est inhabituel, c'est à quel point le virus est complet". Ses diverses protéines perturbent plusieurs étapes, notamment la détection de l'ARN viral par la cellule, la transmission du signal d'alerte au noyau, la synthèse des interférons et l'activation des gènes stimulés par les interférons. En outre, plusieurs protéines du coronavirus peuvent bloquer la même étape.
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John Travis : Editeur
· Cet article fait partie de notre dossier Saboteur immunitaire du 21 janvier 2023 ·
// Note de Cabrioles : Ceci est la traduction d’une très belle animation graphique interactive parue sur le site de la revue Science le 13 octobre 2022, sur les mécanismes de neutralisation du système immunitaire du SARS-Cov-2. Nous n’avons évidemment pas pu reproduire l’animation elle-même et vous invitons à la découvrir sur leur site. //
Alpha, Beta, Delta, Omicron, BA.5 - à chaque nouveau variant ou sous-variant du SARS-CoV-2, le coronavirus semble affiner sa capacité à se propager et à infecter les personnes. Si les vaccins, les médicaments et l'immunité conférée par des infections antérieures permettent à de plus en plus de personnes d'éviter les cas graves de COVID-19, le coronavirus a déjà tué plus de 6 millions de personnes, selon l'Organisation mondiale de la santé, et le véritable bilan pourrait dépasser les 18 millions. Certain·es virologues craignent que le COVID-19 soit là pour rester, le SARS-CoV-2 pouvant rendre les gens malades plusieurs fois par an, comme le font les adénovirus et autres coronavirus responsables du rhume.
L'une des clés du succès du virus est sa capacité à neutraliser la réponse immunitaire de l'organisme, grâce à son arsenal de protéines. Au cours des trois dernières années, les chercheur·euses ont commencé à explorer ces contre-mesures virales. Iels ont montré que de nombreuses molécules du SARS-CoV-2 parviennent à protéger le virus, au moins temporairement, contre l'immunité de l'hôte, ce qui permet à l'envahisseur de se répliquer et de se propager à d'autres personnes.
Une bataille rangée entre le virus et son hôte éclate lorsque le SARS-CoV-2 envahit les cellules vulnérables du corps, les transformant en usines à virus.
L'incursion, initiée lorsque les protéines spike du virus s'accrochent à des cibles cellulaires, déclenche une alarme, provoquant une contre-offensive massive du système immunitaire à plusieurs niveaux.
Sonner l'alarme
Les cellules attaquées commencent à libérer de puissantes protéines immunitaires appelées interférons (en bleu) qui renforcent la résistance au coronavirus. Les interférons activent des centaines de gènes qui peuvent entraver chaque étape du cycle d'infection d'un virus. Certains renforcent les défenses externes des cellules et leur permettent de repousser les virus qui tentent de s'infiltrer. D'autres renforcent les défenses internes des cellules qui sont infectées, en freinant la production de molécules virales ou en les empêchant de s'assembler en de nouvelles particules virales. D'autres gènes encore, stimulés par l'interféron, empêchent les virus naissants de quitter une cellule infectée.
Chercher et détruire
Les interférons mobilisent également des récepteurs sur diverses cellules immunitaires, les recrutant dans la lutte de l'organisme contre le virus. Certaines sentinelles immunitaires appelées cellules T (en bleu) traquent et détruisent les cellules infectées (en gris), réduisant ainsi la production d'autres virus.
Bloquer ce virus
Les cellules B du système immunitaire sont également activées et sécrètent des protéines appelées anticorps qui ciblent les protéines virales telles que la protéine spike (rouge). Ces anticorps se collent aux particules virales, les bloquant ainsi hors des cellules. Cependant, à mesure que les virus se répliquent, leur protéine spike peuvent muter, et créer des versions qui échappent à ces anticorps neutralisants. Les variants actuels du SARS-CoV-2, par exemple, peuvent échapper à de nombreux anticorps créés par les vaccins COVID-19 originaux ou par une infection antérieure.
Comme de nombreux virus, le SARS-CoV-2 est capable de bloquer, d'esquiver et de tromper nos protections immunitaires de différentes manières. "Les virus se livrent généralement à une course à l'armement avec l'hôte", explique l'immunologiste Adriana Forero, du Collège de médecine de l'Université d'État de l'Ohio.
Leurs stratégies suscitent une certaine admiration de la part du virologue Stanley Perlman de l'université de l'Iowa, qui étudie les coronavirus depuis plus de 30 ans. "Chaque fois que nous découvrons quelque chose de vraiment cool dans le système immunitaire, nous découvrons qu'un virus l'a déjà contré", dit-il.
Pour déterminer comment une protéine particulière du SARS-CoV-2 déjoue nos défenses immunitaires, les chercheur·euses modifient généralement les cellules pour qu'elles produisent des quantités anormalement élevées de cette molécule. Iels cataloguent ensuite les effets sur les réponses cellulaires telles que la production d'interféron. Ces études indiquent que la plupart de l'arsenal du virus joue un rôle immunosuppresseur, y compris sur des éléments aussi improbables que la protéine membranaire qui aide les nouvelles particules virales à s'assembler et l'enzyme d'édition qui réduit la taille des protéines fraîchement fabriquées.
Toutes ces fonctions n'ont cependant pas été confirmées. Les chercheur·euses ne s'accordent toujours pas sur le nombre de protéines fabriquées par les victimes cellulaires du SARS-CoV-2, les estimations vont de 26 à plus de 30. Mais il est clair qu'il dispose de plus d'armes que la plupart des autres virus à ARN. L'Ebolavirus, par exemple, se contente de sept protéines.
Le SARS-CoV-2 commence à construire son arsenal protéique en délivrant une chaîne d'ARN, son génome, dans une cellule.
Le virus possède moins de 15 gènes identifiés (couleurs) - également désignés sous le nom de cadres de lecture ouverts - mais les chaînes d'acides aminés qu'ils codent sont clivées pour produire un plus grand nombre de protéines. L'ORF1a, par exemple, génère 11 protéines dites non structurelles (Nsp1-11).
Une fois que le virus a profité de la machinerie de la cellule pour traduire ses gènes en protéines, certaines de ces protéines - spike, membrane, nucléocapside, enveloppe - vont former la structure de nouveaux virus. La plupart des protéines virales restent à errer dans la cellule, s'appropriant ses fonctions ou sabotant le système immunitaire chacune à leur manière.
Par exemple, le SARS-CoV-2 s'attaque aux interférons, qui semblent être essentiels pour combattre le coronavirus, du moins selon certaines études. Les réponses des interférons sont défectueuses chez un pourcentage non négligeable de patient·es développant une forme grave du COVID-19. Et jusqu'à 20 % des personnes les plus malades sont porteuses d'anticorps qui s'accrochent à leurs propres interférons et les neutralisent, selon les chercheur·euses.
De nombreux autres agents pathogènes, dont les virus de la grippe, d'Ebola et de l'hépatite C, s'attaquent à la réponse interféron. Mais le SARS-CoV-2 se distingue des autres, selon Forero. "Ce qui est inhabituel, c'est à quel point le virus est complet". Ses diverses protéines perturbent plusieurs étapes, notamment la détection de l'ARN viral par la cellule, la transmission du signal d'alerte au noyau, la synthèse des interférons et l'activation des gènes stimulés par les interférons. En outre, plusieurs protéines du coronavirus peuvent bloquer la même étape.
Cependant, le SARS-CoV-2 n'empêche pas seulement la réponse des interférons. Il peut également entraver d'autres défenses immunitaires. Certaines études tendent à montrer, par exemple, que des protéines virales telles que l'ORF3a, l'ORF7a et la protéine d'enveloppe entravent un processus appelé autophagie, au cours duquel les cellules infectées digèrent leur propre contenu, décomposant ainsi les virus et les protéines virales individuelles. Le SARS-CoV-2 peut également interférer avec le CMH-I, une protéine qui affiche des morceaux de l'envahisseur à la surface des cellules infectées et appelle les cellules T. Les protéines virales telles que l'ORF6 et l'ORF8 peuvent freiner la production du CMH-I par les cellules ou bloquer son transfert à la surface des cellules, empêchant ainsi les cellules T de reconnaître et de tuer les cellules infectées.
Les chercheur·euses pourraient utiliser leur connaissance des tactiques anti-immunitaires du SAR-CoV-2 contre le virus. Plusieurs groupes ont testé des composés et des médicaments existants pour déterminer leur activité contre le Nsp15, qui coupe des séquences distinctes dans les molécules d'ARN viral nouvellement fabriquées, contribuant ainsi à dissimuler l'ARN aux détecteurs cellulaires de pathogènes qui, autrement, déclencheraient la production d'interféron. Jusqu'à présent, cependant, personne n'a créé de médicaments spécifiquement conçus pour contrecarrer les effets anti-immunitaires du SARS-CoV-2. (La combinaison médicamenteuse de Pfizer, composée de nirmatrelvir et de ritonavir, plus connue sous le nom de Paxlovid, cible une enzyme virale, Nsp5, qui a des propriétés immunodépressives, mais l'objectif de Pfizer était plutôt de bloquer le rôle central de cette protéine dans la réplication du SARS-CoV-2).
Les scientifiques n'ont pas encore une vue d'ensemble des stratagèmes utilisés par le SARS-CoV-2 pour échapper aux défenses de l'organisme, mais au fur et à mesure que la pandémie se prolonge, iels auront de nombreuses occasions (et de nombreuses nécessités) d'en apprendre davantage. "Nous avons construit une bonne base," dit Forero, "mais il y reste beaucoup de marge pour aller plus loin."
Publication originale (14/10/2022) :
Science
· Cet article fait partie de notre dossier Saboteur immunitaire du 21 janvier 2023 ·