Comment le réseau Koch a détourné la guerre contre le Covid | Alex Kotch, Walker Bragman
Il faut bien reconnaître un mérite aux auteur·ices de la Great Barrington Declaration : Ils ont eu un accès extraordinaire aux plus hauts leviers du gouvernement. Ils ont eu un impact profond sur l'élaboration des politiques. À maintes reprises, nous avons vu les personnes à l'origine de la Great Barrington Declaration obtenir ce qu'elles voulaient. Iels utilisent leur stature d''expert·es' pour faire pression en faveur de politiques indifférentes à la mort de masse en cours.
Alex Kotch, journaliste d'investigation, sa spécialité est de suivre l'argent. Il est actuellement journaliste d'investigation au Center for Media and Democracy, où il suit les réseaux de financement de la droite, et contribue à la rédaction de Sludge, un site d'information sur l'argent en politique qu’il a participé à lancer.
Walker Bragman, journaliste indépendant et dessinateur basé à New York. Son travail a été publié dans Paste Magazine, Salon, The Hill et TATM, The Huffington Post, Jacobin pour ne citer qu'eux.
Au début du mois de décembre, alors que le variant Omicron commençait à se répandre, une petite école des arts libéraux située sur un campus arboré du Michigan, le Hillsdale College, a annoncé qu'elle lançait une Académie pour la Science et la Liberté afin "d'éduquer le peuple américain à la libre circulation des idées scientifiques et la relation à privilégier entre la liberté et la science dans la recherche de la vérité".
L'académie a été inspirée par la pandémie. "Si nous réfléchissons au pire fiasco de l'histoire en matière de santé publique, notre réponse à la pandémie a dévoilé de graves problèmes concernant la manière dont la science est administrée", a noté le président du collège dans un communiqué de presse.
Mais le projet n'est pas exactement un programme visant à faire appliquer la science à la crise du Covid-19. Le soi-disant "fiasco" désigne ici les mesures gouvernementales de lutte contre la pandémie, telles que l'obligation de porter un masque et de se faire vacciner, le traçage des cas contacts et le confinement.
Hillsdale est une institution chrétienne conservatrice qui a des liens avec l'administration Trump. Et les universitaires derrière l'académie - Scott Atlas, Jay Bhattacharya et Martin Kulldorff - sont liés à l’argent sombre (dark money)1 de la droite qui attaque les mesures de santé publique.
Le trio a également des liens avec la Great Barrington Declaration, un manifeste largement critiquée mais influente qui encourage les gouvernements à adopter une politique d'"immunité collective" laissant le Covid-19 se propager largement sans contrôle, alors que le virus a déjà tué plus de 800 000 Américains.
L'académie est la dernière initiative en date destinée à fournir une couverture intellectuelle à une campagne de près de deux ans menée par la droite et les grandes entreprises pour forcer un retour à la normale afin d'augmenter les profits des entreprises dans un contexte de pandémie qui reprend de plus belle grâce à Omicron.
Le succès le plus récent de cette campagne est survenu au début du mois, lorsque les républicains du Sénat et une poignée de démocrates se sont unis pour adopter une mesure symbolique visant à abroger une règle de l'administration Biden obligeant les grandes entreprises à imposer des vaccins ou des tests Covid réguliers à leurs employé.e.s.
Voici comment cette campagne financée par les entreprises a commencé, et comment elle a continué à supplanter les expert·es en santé publique et à orienter la réponse gouvernementale face à la pandémie.
La guerre contre la santé publique
Lorsque le Covid a commencé à se propager aux États-Unis au début du mois de mars 2020, les États ont réagi en imposant des mesures de confinement à des degrés divers. Les 24 gouverneurs démocrates et 19 des 26 gouverneurs républicains ont émis des directives de maintien à domicile et des restrictions sur les activités non essentielles pendant plusieurs semaines.
Les mesures de confinement ont fait baisser le nombre de cas aux États-Unis et ont probablement sauvé des millions de vies dans le monde. Mais la baisse du shopping et du travail en présentiel, combiné aux fermetures d'usines dans des pays comme la Chine, ont perturbé l'économie. Selon un rapport publié en 2020 par le cabinet de conseil aux entreprises McKinsey & Co., les industries les plus durement touchées mettront des années à s'en remettre.
Si un secteur a été particulièrement affecté c’est bien l'industrie des combustibles fossiles. La demande de pétrole a fortement chuté en 2020, plaçant l'économie mondiale sur une trajectoire incertaine.
Très vite, les groupes d'intérêts commerciaux, notamment ceux liés aux combustibles fossiles, ont commencé à attaquer les mesures de santé publique qui menaçaient leurs chiffres d'affaires. Parmi eux, les groupes liés au milliardaire Charles Koch, propriétaire de Koch Industries, la plus grande société privée de combustibles fossiles au monde.
La guerre contre les mesures de santé publique a commencé le 20 mars 2020, lorsque Americans For Prosperity (AFP), l'organisation à but non lucratif de droite fondée par Charles et David Koch, a publié un communiqué de presse appelant les États à rester ouverts.
"Nous pouvons assurer la santé publique sans priver les personnes qui en ont le plus besoin des produits et services fournis par les entreprises à travers le pays", pouvait-on y lire.
Un mois plus tard, l'American Legislative Exchange Council (ALEC), un groupe de lobbying commercial partiellement financé par Koch Industries, a publié une lettre appelant le président Donald Trump à faire en sorte que les États puissent rouvrir leurs portes. Cette lettre a été signée par plus de 200 législateur·ices d'État et "acteur·ices", y compris des dirigeants de groupes financés par Koch comme la Texas Public Policy Foundation et le James Madison Institute.
Pour mener sa guerre, le réseau Koch s'est également appuyé sur la stratégie d’astroturfing2 du mouvement anti-gouvernemental Tea Party, en utilisant son infrastructure d’argent sombre pour coordonner les manifestations contre le confinement.
Les participants à un certain nombre de rassemblements contre le confinement ont été recrutés par FreedomWorks, un groupe lié à Charles Koch par de l’argent sombre qui a contribué à l'organisation des manifestations du Tea Party en 2009. Plusieurs des rassemblements de 2020 ont également été soutenus par la Convention of States Action, un groupe fondé par une organisation liée au réseau Koch et au milliardaire de fonds spéculatifs Robert Mercer, qui cherche à réécrire la Constitution des États-Unis. Dans le Michigan, un événement majeur a été organisé par le Michigan Freedom Fund, un organisme à but non lucratif financé par la famille de la secrétaire à l'éducation de Trump, Betsy DeVos.
Les groupes financés par les Kochs et leurs collègues se sont également tournés vers une forme de lutte plus insidieuse adaptée des stratégies du Tea Party : la construction d'un réseau universitaire et intellectuel qui créerait et promouvrait sa propre "science" pour attaquer les politiques d’atténuation du Covid.
"Renforcer l'immunité... par une infection naturelle"
Le 4 octobre 2020, la Great Barrington Declaration a été rendue publique dans le monde entier. Rédigée par Jay Bhattacharya, professeur à l'université de Stanford, Martin Kulldorff, ancien professeur à la Harvard Medical School, et Sunetra Gupta, professeure à l'université d'Oxford, la déclaration recommande aux gouvernements de permettre aux personnes les plus jeunes et en meilleure santé d'être infectées par le Covid-19 tout en réservant une "protection ciblée" aux personnes vulnérables, afin d'atteindre une immunité de groupe. Il est notamment suggéré que les maisons de retraite limitent la rotation du personnel et que les entreprises fassent appel à des travailleur·euses ayant une "immunité acquise".
« Une approche à la fois compassionnelle et prenant en compte les risques et les bénéfices consiste à autoriser celles et ceux qui ont le moins de risques de mourir du virus de vivre leurs vies normalement afin qu’ils fabriquent de l’immunité au travers d’infections naturelles, » peut-on lire dans la déclaration.
Le document peut se targuer d'un vernis de légitimité académique. Ses auteur·ices accrédités l'ont rédigé lors d'une conférence organisée par l'American Institute for Economic Research (AIER) à Great Barrington, dans le Massachusetts. Selon le site web de la déclaration, la lettre a depuis été signée par plus de 2 700 "scientifiques de la médecine et de la santé publique" et "aucun des auteur·ices ou cosignataires n'a reçu d'argent, d'honoraires, d'allocations ou de salaire de la part qui que ce soit".
Mais la déclaration est issue du monde de l’argent sombre de la droite et des intérêts des entreprises, et nombre de ses signataires ne sont pas authentifiés.
L'AIER, qui a accueilli, filmé la conférence et enregistré le site Web de la déclaration, est un think tank libertarien lié à Koch. De 2018 à 2020, la Fondation Charles Koch a donné plus de 100 000 dollars à cet institut. Et avant cela, la Fondation Koch a versé près de 1,5 million de dollars à la Fondation Emergent Order, anciennement Emergent Order LLC, une société de relations publiques qui s'est engagée dans du conseil en marketing pour l’AIER, pour une valeur équivalente à des centaines de milliers de dollars.
L'AIER a également reçu 54 000 dollars de l'Atlas Network, un groupe anti-réglementation anciennement connu sous le nom d'Atlas Economic Research Foundation qui a reçu plus d'un demi-million de dollars de la Fondation Charles Koch et de son Institut Charles Koch. Le Réseau Atlas a également empoché près de 3,9 millions de dollars de DonorsTrust, un fonds d’argent sombre lié à de riches donateurs de la droite tels que Koch et Mercer, et son groupe jumeau, Donors Capital Fund.
En échange, l'AIER a fourni des bourses à des universitaires dans plusieurs programmes financés par Koch. Notamment à l'économiste Peter Boettke, ancien président de la Société du Mont-Pèlerin, dont Charles Koch a été membre, et Michael Munger, chercheur associé au Cato Institute, soutenu par les Koch. Parmi les administrateurs de l'AIER figure Benjamin Powell, directeur du Free Market Institute de la Texas Tech University, qui a reçu des millions du réseau Koch. Powell est connu pour sa défense des ateliers de misère.
Bhattacharya, coauteur de la Great Barrington Declaration, est un ancien chargé de recherche à la Hoover Institution, il a reçu 430 000 dollars de la fondation de Charles Koch entre 2017 et 2018, ainsi que 1,4 million de dollars du fonds d’argent sombre DonorsTrust de 2016 à 2020. Depuis lors, Bhattacharya est apparu dans de multiples programmes vidéos de la Hoover.
Bhattacharya, Gupta et les représentant·es de l'AIER n'ont pas répondu aux demandes de commentaires. Kulldorff a insisté sur le fait qu'il n'a jamais reçu d'argent du réseau Koch.
"Les fondations affiliées à Koch ont financé la recherche pro-confinement du Dr Neil Ferguson à l'Imperial College, mais elles ne m'ont jamais financé, que ce soit directement ou indirectement", a déclaré Kulldorff. "Les confinements ont généré d'énormes profits pour Koch et d'autres grandes entreprises tout en jetant les enfants et la classe ouvrière sous le bus."
"Un accès aux plus hauts leviers du gouvernement"
La Great Barrington Declaration et sa stratégie d'immunité naturelle ont été largement moquées par les scientifiques du monde entier. Cette stratégie a été condamnée par l'Infectious Diseases Society of America et son HIV Medicine Association, tandis que le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, l'a qualifiée de "contraire à l'éthique". Des milliers de professionnels de la santé ont appelé les gouvernements à ne pas tenir compte des méthodes qui reposent sur la contamination naturelle.
"Jamais dans l'histoire de la santé publique, personne n'a suggéré d'infecter toute la population avec un agent pathogène, avec lequel nous n'avons aucune expérience à long terme, comme stratégie de gestion d'une pandémie" a déclaré l'épidémiologiste et médecin Robert Morris, qui a conseillé plusieurs agences fédérales.
Néanmoins, la déclaration et ses auteur·ices ont été adoptés par un certain nombre de dirigeants politiques, car leurs arguments conféraient à leur démarche de laisser-faire face à la pandémie une validité académique.
Le président Trump figurait parmi eux. Deux mois avant la publication de la Great Barrington Declaration, Trump a accueilli les auteur·ices du document lors d'une réunion à la Maison Blanche, même si la conseillère Covid-19 de l'administration, Deborah Birx, a averti ses collaborateurs que ces médecins appartenaient à "un groupe marginal sans connaissances de base en épidémies, en santé publique et sans expérience concrète du terrain".
Le conseiller Covid-19 de Trump, Scott Atlas, un neuroradiologue sans expérience en matière de maladies infectieuses, semble être l'un des nombreux membres du personnel qui ont soutenu la mise en place de la stratégie de la GBD. Bien qu'Atlas ait nié avoir préconisé une approche fondée sur l'immunité naturelle, il a publiquement affirmé que les masques ne contribuaient pas à endiguer le virus et a qualifié l'idée de rendre les vaccins obligatoires pour les jeunes de "déni de la science", une affirmation qui a été largement réfutée.
Le président Trump s'est entiché de la thèse de l'immunité collective et de la solution rapide qu'elle promettait pour sa campagne de réélection. À la mi-septembre 2020, il a commencé à ânonner les concepts qui seraient bientôt inscrits dans la Great Barrington Declaration. Il a déclaré lors d'une assemblée publique d'ABC News : "Et vous développerez... une mentalité collective (herd mentality) . Cela va être - cela va être développé en collectif, et cela va arriver."3
Suivant l'exemple de Trump, un certain nombre d'États dirigés par des républicains ont alors adoptés des stratégies de non-intervention face à la pandémie.
Le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, a ordonné la réouverture de la plupart des commerces en novembre 2020, y compris les restaurants en intérieurs, et a interdit aux localités de mettre en œuvre des mesures de port du masque et de distanciation sociale.
Le co-auteur de la déclaration, M. Bhattacharya, a conseillé DeSantis sur son approche et a qualifié le gouverneur d'"extraordinaire" pour sa gestion de la pandémie. En novembre 2021, DeSantis a signé une loi interdisant les obligations de vaccination dans tout l'État.
Le gouverneur du Texas, Greg Abbott, a levé les obligations de port du masque de son État et les restrictions commerciales dû au Covid en mars 2021. Le mois suivant, il a déclaré que le Texas pourrait être proche de l'immunité collective. Récemment, Abbott a publié un décret interdisant le port du masque, qu'un juge fédéral a jugé inapplicable parce qu'il violait l'Americans with Disabilities Act.
Les arguments centraux de la Great Barrington Declaration ont également trouvé un accueil favorable à l'étranger. En septembre 2020, la co-autrice Gupta a rencontré à Londres le Premier ministre britannique Boris Johnson, qui avait tardé à imposer des mesures de confinement et à mettre en place des tests après l'identification du coronavirus dans son pays. Un mois après cette rencontre, Boris Johnson a envoyé une série de textes reprenant les points de discussion de la déclaration, notamment le fait que le virus ne représentait pas un risque réel pour les personnes de moins de 60 ans.
Anders Tegnell, l'épidémiologiste d'État de la Suède, un pays qui s'est fait connaître par son refus du confinement, a également participé à la réunion de Londres. En avril 2020, le directeur de la santé publique suédoise affirmait : "Il n'y a pas de corrélation claire entre les mesures de confinement prises dans les pays et l'effet sur la pandémie."
"Il faut bien reconnaître un mérite aux [auteurs de la] Great Barrington Declaration : Ils ont eu un accès extraordinaire aux plus hauts leviers du gouvernement", a déclaré Gavin Yamey, M.D., M.P.H., professeur de santé mondiale et de politique publique à l'Université Duke. "Ils ont eu un impact profond sur l'élaboration des politiques. À maintes reprises, nous avons vu les [personnes à l'origine de la] Great Barrington Declaration obtenir ce qu'elles voulaient."
Un bilan dévastateur
Bien que la Great Barrington Declaration ait affirmé qu'elle soutenait "l'approche la plus compassionnelle" du Covid-19, les États et les pays qui ont adopté sa stratégie anti-interventionniste ont tous connu un massacre par le Covid.
Au moment de la publication de la déclaration, environ 200 000 Américain·es étaient mort·es du virus. Depuis, ce nombre a quadruplé, ce qui en fait le chiffre le plus élevé connu de tous les pays.
La Floride est devenue un foyer du Covid-19, représentant près d'un cas sur cinq aux États-Unis l'été dernier. Le nombre de cas de virus a également augmenté au Texas, les deux États représentant alors un tiers de tous les décès dus au Covid-19 aux États-Unis.
Même avec toutes ces infections, l'immunité collective n'a jamais été atteinte. La semaine dernière, des chercheurs de l'Université du Texas ont prévenu que le variant Omicron pourrait entraîner la plus grande flambée à ce jour dans cet État.
Les efforts internationaux pour atteindre une immunité collective naturelle n'ont pas donné de meilleurs résultats. Un rapport cinglant publié en octobre par des législateurs britanniques - dont beaucoup appartiennent au parti du Premier ministre Johnson - a conclu que l'incapacité du pays à réagir rapidement et énergiquement au virus a été "l'un des plus importants échecs en matière de santé publique que le Royaume-Uni ait jamais connus" et a entraîné "plusieurs milliers de décès qui auraient pu être évités".
Et en Suède, où environ 11 personnes sur 100 ont été diagnostiquées avec le virus, le taux de décès dus au Covid-19 s'élève à 1 476 par million, soit plusieurs fois celui de ses voisins les plus proches.
"Nous avons l'intention de ne pas laisser Omicron perturber le travail et l'école"
Malgré les coûts humains, les messages de la droite contre les mesures de santé publique continuent.
À première vue, les confinements peuvent sembler bénéfiques pour certaines grandes entreprises, en particulier celles qui étaient considérées comme des entreprises essentielles et qui pouvaient se vanter d'avoir de solides marchés en ligne. Mais l'épidémiologiste social Justin Feldman, du FXB Center for Health and Human Rights de Harvard, a noté que "certaines réglementations coûtent directement de l'argent aux entreprises."
Feldman a expliqué que "la quarantaine et l'isolement rémunérés signifient que les travailleur·euses seront payé·es pour rester à la maison au lieu de travailler", les obligations vaccinales pourraient "rendre l'embauche difficile en cas de pénurie de main-d'œuvre", et les obligations en matière de masques "signalent au public qu'il y a un danger et donc celui-ci ne fréquentera pas les établissements."
C'est probablement la raison pour laquelle, en mars 2021, le fonds d’argent sombre DonorsTrust a dépensé près de 800 000 dollars pour diffuser l'idée que le bilan de la pandémie était en fait dû aux interventions gouvernementales. En mai, DonorsTrust a publié un communiqué de presse affirmant que les confinements nuisaient aux travailleur·euses.
En juin, le Mercatus Center, un think tank libertarien de l'université George Mason largement financé par la famille Koch, a commencé à subventionner une base de données gérée par Emily Oster, une économiste qui a soutenu que les inconvénients des fermetures d'écoles l'emportent sur les risques d'exposition au Covid-19. Le travail d'Oster a été cité par le gouverneur DeSantis lorsqu'il a signé un décret en août dernier permettant aux parents de défier les obligations relatives au port du masque dans les écoles.
Et au début du mois, la Foundation for Economic Education, un autre organisme à but non lucratif financé par les Koch, a affirmé que les "interventions naïves des gouvernements" étaient responsables de l'augmentation des cas de paludisme et de l'aggravation de la pauvreté dans le monde.
Ces discours contre les interventions de santé publique ont eu un impact durable.
Le président Joe Biden n'a pas prôné l'immunité collective par l'infection comme l'a fait M. Trump, et il a instauré une obligation de vaccination dans les grandes entreprises qui a été contestée devant les tribunaux et repoussée par les législateurs républicains et démocrates conservateurs.
Mais Biden, dont l'équipe de gestion du Covid-19 est dirigée par l'ancien PDG d'une société d'investissement et soi-disant "homme d'affaires des hommes d'affaires" Jeffrey Zients, a poursuivi les efforts de son prédécesseur pour garder le pays ouvert, déclarant même prématurément son "indépendance" vis-à-vis du Covid-19 le 4 juillet de l'été dernier.
Au début du mois, Biden a assuré aux journalistes que les confinements ne reviendraient pas, malgré l'émergence du variant Omicron et la propagation continue de Delta. Selon une récente simulation scientifique, un arrêté de confinement de huit semaines en réponse à la nouvelle vague pourrait sauver 300 000 vies.
Vendredi dernier, l'équipe de gestion du coronavirus de la Maison Blanche a publié une déclaration réaffirmant son approche modérée, une position que Biden a réitérée dans ses remarques sur Omicron en décembre 2021 : "Nous avons l'intention de ne pas laisser Omicron perturber l'école et le travail des personnes vaccinées."
La suppression du confinement n'est qu'une partie de la prise de contrôle par les grandes entreprises de la réponse du pays au Covid-19.
Le moratoire sur les expulsions de logement dans le pays a été abrogé après avoir été confronté à de multiples contestations juridiques financées en partie par la Fondation Charles Koch - au moment même où Charles Koch commençait à faire de nouveaux investissements dans l'immobilier. Un moratoire ultérieur mis en place par l'administration Biden a également été annulé par la Cour suprême.
Et alors que l'une des premières promesses présidentielles de Biden était de clarifier les normes sanitaires face au Covid-19 sur les lieux de travail, les directives qui en ont résulté ont fini par être limitées à une petite sous-catégorie de travailleur·euses, après des mois de lobbying par des groupes d'affaires comme la Chambre de commerce des États-Unis.
La Chambre de commerce et d'autres intérêts commerciaux ont également fait pression pour obtenir une levée de la responsabilité des entreprises afin de protéger les employeurs contre les poursuites liées au Covid-19 et ont également lutté contre les efforts en cours au sein de l'Organisation Mondiale du Commerce pour la levée des brevets du vaccin afin d'accélérer la vaccination mondiale.
La pression de la droite contre les mesures de santé publique montre des signes de succès. Le soutien aux mesures de confinement en cas de pandémie a chuté de manière significative sur une période de neuf mois à compter du début de la pandémie. Selon un sondage Gallup de novembre 2021, 49 % des Américain·es déclarent qu’iels resteraient chez ell·eux en cas d'épidémie grave, contre 67 % en mars 2021. Cette baisse est principalement due à une "chute brutale" chez les républicains.
"Une ville brillante sur une colline"
Les auteur·ices de la Great Barrington Declaration continuent de promouvoir l'immunité de groupe par le biais des infections Covid-19. Gupta a cofondé une association britannique à but non lucratif appelée Collateral Global, qui se consacre à la dénonciation des effets négatifs présumés des mesures de prévention du Covid, et dont l'équipe compte Bhattacharya.
Bhattacharya, quant à lui, a publié un éditorial en janvier dernier dans lequel il affirmait que la vaccination de la population de son pays natal, l'Inde, était "contraire à l'éthique", car la plupart des gens avaient une "immunité naturelle" et que le risque de réactions indésirables l'emportait sur les avantages de l'inoculation. Un mois plus tard, le pays a connu la pire vague épidémique de son histoire.
Les trois co-auteurs sont également affiliés à l'Institut Brownstone pour la recherche sociale et économique, un organisme à but non lucratif basé à Austin, au Texas, fondé par l'ancien directeur de la rédaction de l'AIER, Jeffrey Tucker, en mai 2021, pour empêcher "le retour des confinements". Bhattacharya est le chercheur principal de l'organisation, Kulldorff est directeur scientifique et Gupta y est une autrice.
Selon Yamey, de l'université Duke, l'institut a activement promu la désinformation sur les vaccins.
"À maintes reprises, ils ont colporté de redoutables informations erronées et désinformées sur les vaccins", a-t-il déclaré. "Ils sont, par exemple, farouchement opposés à la vaccination des enfants, même si nous savons que les enfants non vaccinés ont 10 fois plus de risques d'être hospitalisés. Ils sont très tristement passés à la télévision pour dire que les soignant·es n'ont pas besoin d'être vaccin·ées parce qu'ils ont prétendu à tort que la vaccination n'avait aucun effet sur la transmission."
Les coauteurs de la déclaration, Bhattacharya et Kulldorff, ainsi que l'ancien conseiller de Trump, Scott Atlas, apparaissent une fois de plus, comme les trois premiers "chercheurs" de la nouvelle Académie pour la science et la liberté au Hillsdale College.
Hillsdale, école chrétienne privée, est depuis longtemps une fabrique de la pensée conservatrice. En 2016, lors d'un discours de remise des diplômes à Hillsdale, le juge de la Cour suprême Clarence Thomas l'a qualifiée de "ville brillante sur une colline". Les statues de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher ornent une section de son campus connue sous le nom de "Liberty Walk". Le président de Hillsdale, Larry Arnn, a présidé la réactionnaire commission 1776 de Donald Trump, qui avait pour but d’élaborer des programmes d'histoire américaine autour des points forts de l'Amérique.
Hillsdale refuse d'accepter des fonds publics afin de pouvoir s'affranchir des contraintes gouvernementales. Au lieu de cela, elle accepte de grosses sommes de fondations et de filières de donateurs : dirigeants d'entreprises de droite et leurs familles. La Fondation Charles Koch a donné plus de 300 000 dollars à Hillsdale depuis 2015, et DonorsTrust a fait don de plus de 3,6 millions de dollars depuis 2014, dont 2,5 millions en 2020. L'école a également trouvé de généreux bienfaiteurs dans la famille DeVos, connue pour sa fortune Amway, et les parents de Betsy DeVos, les Princes.
Selon le site web récemment lancé, la nouvelle académie s'efforcera "d'éduquer les décideurs politiques et le grand public sur les découvertes et les idées importantes qui pourraient autrement être ignorées par les journaux scientifiques et les médias d'entreprise." Pour ce faire, l'académie prévoit d'organiser des ateliers et des conférences scientifiques, de publier des articles universitaires et de s'engager dans "la sensibilisation des médias et des gouvernements".
Mais Feldman n'est pas dupe.
"Ils n'ont aucun intérêt pour la science", a-t-il déclaré. "Ils se sont trompés sur la pandémie à maintes reprises. Ils utilisent leur stature d''expert·es' pour faire pression en faveur de politiques indifférentes à la mort de masse en cours."
Publication originale (21/12/2021) :
The Daily Poster
Notes de traduction :
Dark money traduit ici par argent sombre : est un concept propre au système américain, il s’agit de fonds de dotation visant à influencer la politique du pays, détenus la plupart du temps par des organisations à but non-lucratif qui n’ont pas d’obligation de spécifier l’origine des dons qui leur sont fait.
Astroturf est une marque de gazon synthétique. Ce terme est utilisé en opposition à celui de « grassroots » qui désigne les mouvements populaires. Il décrit une stratégie visant à simuler des mouvements populaires, notamment pour promouvoir des campagnes de désinformation.
Trump fait ici une confusion avec la notion de “herd immunity”, immunité collective/grégaire, qui est centrale dans la stratégie eugéniste de “protection focalisée” promue par la Great Barringtonn Déclaration.