Comment le Covid-19 affecte le cerveau | Jamie Ducharme
Au début de la pandémie, le Dr Avindra Nath et ses collègues ont scanné et analysé physiquement le cerveau de personnes décédées du COVID-19. Ils ont constaté des dommages importants aux vaisseaux sanguins, qui étaient recouverts d'anticorps. Il semblait que le système immunitaire de l'organisme s'était emballé en réponse au virus, l'amenant à attaquer ses propres vaisseaux sanguins et déclenchant une cascade d'effets qui ont conduit à une inflammation importante dans le cerveau.
Jamie Ducharme est correspondante santé au TIME. Elle couvre la pandémie de COVID-19, le COVID Long, la santé mentale, le vapotage et bien d’autres sujets. Son travail pour TIME a remporté des prix du Deadline Club, du New York Press Club et du Newswomen's Club of New York. Elle est l'autrice de Big Vape: The Incendiary Rise of Juul.
· Cet article fait partie de notre dossier Le Covid-19, une maladie vasculaire ·
Au début de la pandémie de COVID-19, les médecins ont commencé à remarquer quelque chose de frappant. Pour ce qui était à l'origine décrit comme un virus respiratoire, le SARS-CoV-2 semblait avoir un effet important sur le cerveau, provoquant toutes sortes de choses, de la perte du goût et de l'odorat au brouillard cérébral et, dans les cas les plus graves, à l'accident vasculaire cérébral (AVC).
NYU Langone Health, un hôpital de recherche de la ville de New York, a commencé à rassembler ces événements d’abord anecdotiques dans l'espoir de mieux comprendre comment le virus affecte le cerveau et le système nerveux. Des années plus tard, le projet s'est transformé, passant d'un simple examen des symptômes aigus à un suivi des problèmes neurologiques de longue durée dont souffrent certaines personnes atteintes du COVID Long, explique la directrice du programme, le Dr Sharon Meropol.
La liste des troubles neurocognitifs que l'équipe de Méropol et d'autres chercheur·euses doivent suivre est longue : déclin cognitif, modifications du volume et de la structure du cerveau, dépression et pensées suicidaires, tremblements, crises d'épilepsie, pertes de mémoire et apparition ou aggravation de la démence ont tous été liés à des infections antérieures par le SARS-CoV-2. Dans certains cas, ces problèmes persistants surviennent même chez des patient·es ayant développé une forme relativement légère de COVID-19.
Selon Meropol, le "Graal" serait de savoir ce qui se passe dans le cerveau des patient·es atteint·es de COVID-19 et comment inverser les dommages.
Matière grise
Si l'on examinait le cerveau d'une personne infectée par certains virus, comme celui de la rage, on verrait "des virus grouiller partout". "C’est évident que le cerveau est infecté", nous dit le Dr Avindra Nath, directeur clinique du National Institute of Neurological Disorders and Stroke (NINDS).
Avec le SARS-CoV-2, la zone grise est plus importante. Au début de la pandémie, Nath et ses collègues ont scanné et analysé physiquement le cerveau de 13 personnes décédées du COVID-19. Iels n'ont pas trouvé le virus SARS-CoV-2 dans ces cerveaux, mais iels ont constaté des dommages importants aux vaisseaux sanguins, qui étaient recouverts d'anticorps. Pour Nath, il semblait que le système immunitaire de l'organisme s'était emballé en réponse au virus, l'amenant à attaquer ses propres vaisseaux sanguins et déclenchant une cascade d'effets qui ont conduit à une inflammation importante dans le cerveau, pouvant aboutir à des lésions fatales de la partie qui contrôle la respiration.
Chez les personnes qui survivent au COVID-19, l'inflammation cérébrale peut également expliquer les symptômes qui perdurent pendant des années, comme le brouillard cérébral et la perte de mémoire, bien que "nous n'en soyons pas absolument certain·es", dit Nath.
La Dr Lara Jehi, qui étudie le COVID-19 et le cerveau à la Cleveland Clinic, considère également l'inflammation comme un déclencheur possible des symptômes neurologiques du COVID-19. Elle a trouvé des preuves d'une inflammation anormale chez les personnes souffrant de maux de tête chroniques post-COVID. Dans une étude réalisée en 2021, Mme Jehi et ses collègues ont comparé les cerveaux de personnes atteintes du COVID Long et de la maladie d'Alzheimer. "Nous avons trouvé de nombreuses zones de chevauchement entre les deux, et ces zones de chevauchement étaient centrées sur... l'inflammation dans le cerveau et les lésions microscopiques des vaisseaux sanguins", dit-elle.
Dans cette étude, explique Jehi, son équipe voulait déterminer si le virus SARS-CoV-2 pénétrait dans le cerveau et causait des dommages directement, ou s'il déclenchait une réponse immunitaire qui entraînait des changements dans le cerveau. Leurs résultats ont penché en faveur de cette dernière hypothèse, mais les chercheur·euses n'ont toujours pas exclu la possibilité que le virus ait des effets directs sur le cerveau.
Du virus dans le cerveau
Depuis le projet de Nath de scan du cerveau au début de la pandémie, d'autres chercheur·euses ont trouvé le virus dans le cerveau de personnes décédées du COVID-19.
Pour un article paru dans Nature en 2022, les chercheur·euses ont analysé les tissus cérébraux de 11 personnes atteintes du COVID-19 au moment de leur décès. Chez toutes ces personnes sauf une, les chercheur·euses ont trouvé le matériel génétique du virus dans les tissus du système nerveux central, ce qui, écrivent-iels, "prouve définitivement que le SARS-CoV-2 est capable d'infecter le cerveau humain et de s'y répliquer."
Pour Nath, cependant, la question reste ouverte et mérite d'être approfondie. Son équipe a continué à étudier les cerveaux des patient·es atteint·es de COVID-19 et n'a pas encore trouvé de preuve concrète de la présence du virus SARS-CoV-2 dans ces organes. Dans un cas, dit-il, ils ont trouvé des protéines virales - mais pas le virus complet - dans le tissu biopsié d'une personne atteinte de COVID-19 au moment où elle subissait une opération du cerveau pour une épilepsie. Les chercheur·euses à l'origine d'une étude d'avril 2023 qui n'a pas encore fait l'objet d'une évaluation par les pairs ont également trouvé des protéines spike du SARS-CoV-2, qui se trouvent à la surface du virus et lui permettent de pénétrer dans les cellules humaines, dans le cerveau de personnes décédées à cause du COVID-19.
Mais les recherches sont "incohérentes", selon Nath. "Certain·es l'ont trouvé, d'autres non, et celleux qui l'ont trouvé n'en ont trouvé que de très petites quantités. Il y a encore des lacunes dans les connaissances".
Le Dr Wes Ely, qui fait des recherches sur les maladies du cerveau au Vanderbilt University Medical Center, se dit convaincu que le SARS-CoV-2 peut s'attaquer aux "cellules de soutien" du cerveau, ou à celles qui font en sorte que les neurones soient capables d'assurer le fonctionnement normal du cerveau et du corps. Selon Ely, l'endommagement de ces cellules de soutien peut déclencher un effet domino conduisant à la mort de tissus cérébraux.
Mais, selon Ely, "il est presque certain qu'il y a plusieurs processus en jeu", il se pourrait que le virus affecte directement le cerveau et qu'il provoque des changements dans le système immunitaire qui conduisent à des problèmes neurocognitifs. "Nous ne sommes pas à la recherche d'une explication miracle qui résoudrait tous ces problèmes en même temps", précise-t-il.
S'il n'y a pas de solution unique, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de solution. Ely a constaté que la "rééducation cognitive", un processus de reconstruction des fonctions cérébrales par le biais d'exercices mentaux ciblés, peut aider les personnes qui développent un déclin cognitif similaire après un séjour en unité de soins intensifs. Cette approche pourrait être risquée pour les personnes atteintes du COVID Long, dont beaucoup voient leurs symptômes s'aggraver après un effort mental ou physique, explique Ely. Mais modifier le fonctionnement du système immunitaire dans l'espoir de réduire l'inflammation dans le cerveau des personnes atteintes du COVID est une autre voie prometteuse.
Le NINDS recrute actuellement des patient·es pour une étude sur l'immunothérapie en tant que traitement potentiel du COVID Long neurologique. Cette approche est particulièrement intéressante, explique Nath, car elle fait appel à une thérapie déjà utilisée pour traiter une série d'affections auto-immunes et neurologiques. Si elle s'avère efficace, elle pourrait donc être appliquée assez rapidement aux patient·es atteint·es de COVID Long.
Certaines recherches préliminaires suggèrent également que les anticoagulants pourraient aider à briser de minuscules "microcaillots" dans le sang qui sont liés à l'inflammation systémique, ce qui pourrait soulager les symptômes du COVID Long, notamment la fatigue, le brouillard cérébral et les difficultés de concentration.
À l'heure actuelle, il n'existe pas de thérapies éprouvées pour les personnes présentant des symptômes du COVID Long, qu'ils soient neurologiques ou autres. Mais Ely se dit optimiste quant au fait que les changements cérébraux liés au COVID sont réversibles, d'une manière ou d'une autre. "Le cerveau est incroyablement neuroplastique", dit-il, "et il peut faire des choses étonnantes".
Publication originale (17/07/2023) :
TIME
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