Comment l’auto-production populaire de purificateurs d’air sauve des vies | Douglas Hannah
L'histoire de la boîte Corsi-Rosenthal s'inscrit dans une histoire plus large, celle de la réponse populaire à la pandémie de Covid-19. Les premiers jours de la pandémie n'ont pas seulement fait des ravages sur la population. Ils ont également galvanisé un effort collectif massif, des dizaines de milliers de citoyen·nes se prêtant au jeu pour concevoir et produire les fournitures médicales et les équipements de protection individuelle dont on avait soudainement besoin.
Douglas Hannah, Professeur assistant de strategie et d’innovation à la Boston University .
· Cet article fait partie de notre dossier Air du 21 août 2022 ·
Un après-midi, une douzaine d'étudiant·es de l'université d'État de l'Arizona se sont réuni·es pour passer la matinée à découper du carton, coller des ventilateurs et assembler des filtres dans le but de fabriquer 125 purificateurs d'air portables pour les écoles locales. Le même matin, le personnel d'un refuge pour sans-abri de Los Angeles installait 20 purificateurs faits maison, tandis qu'à Brookline, dans le Massachusetts, un autre purificateur d'air artisanal ronronnait tranquillement au fond d'une crèche pendant que les enfants jouaient.
Dans ces trois cas, la technologie utilisée - une simple construction de carton et de ruban adhésif connue sous le nom de boîte Corsi-Rosenthal - joue un rôle important dans la lutte contre le Covid-19. L'histoire de sa création en dit long sur les communautés, en tant que sources d'innovation et de résilience face aux catastrophes.
Une technologie simple avec de grands effets
Lorsqu'il est devenu évident que le Covid-19 se propageait par voie aérienne, les gens ont commencé à porter des masques et les gestionnaires d'immeubles se sont empressé·es d'améliorer leurs systèmes de ventilation. Cela signifiait généralement l'installation de filtres HEPA à haute efficacité. Ces filtres fonctionnent en capturant les particules chargées de virus : L'air est forcé de pénétrer dans un tapis poreux, les contaminants sont filtrés et l'air propre le traverse.
L'efficacité du système de ventilation d'un bâtiment est toutefois régie par deux facteurs, et pas seulement par la qualité des filtres. La quantité d'air déplacée par les systèmes de ventilation est également importante. Les expert·es recommandent généralement cinq à six renouvellements d'air par heure dans les espaces partagés, ce qui signifie que le volume total d'air d'une pièce est remplacé toutes les 45 minutes. Les systèmes de nombreux bâtiments anciens ne peuvent cependant pas gérer ce volume.
Les filtres à air portables sont une option pour renforcer les systèmes de ventilation, mais ils coûtent généralement des centaines de dollars, ce qui les met hors de portée des écoles et autres espaces publics soumis à des contraintes budgétaires.
C'est là qu'intervient la boîte Corsi-Rosenthal. Il s'agit d'un cube composé de quatre ou cinq filtres de four du commerce, surmonté d'un ventilateur standard soufflant vers l'extérieur. Une fois scellé avec du ruban adhésif, il peut être posé sur le sol, une étagère ou une table. Le ventilateur aspire l'air par les côtés du cube et le fait sortir par le haut. Ces unités sont simples, durables et faciles à fabriquer, et sont plus efficaces que le simple fait de placer un filtre unique devant un ventilateur. Il suffit généralement de 40 minutes, de compétences techniques minimales et de 60 à 90 dollars de matériaux, disponibles dans n'importe quel magasin de bricolage.
Malgré cette simplicité, ces unités artisanales sont extrêmement efficaces. Utilisées dans un espace partagé comme une salle de classe ou un service hospitalier, elles peuvent compléter la ventilation existante et éliminer les contaminants en suspension dans l'air, notamment la fumée et les particules chargées de virus. Un grand nombre de recherches évaluées par des pairs récentes ont montré que les purificateurs d'air portables peuvent réduire considérablement la transmission par aérosols. D'autres prépublications et études en cours d'examen ont trouvé que les boîtes Corsi-Rosenthal sont aussi performantes que les unités professionnelles pour un coût bien moindre.
Origines de la boîte Corsi-Rosenthal
L'histoire officielle de la boîte Corsi-Rosenthal commence en août 2020, lorsque Richard Corsi, expert en qualité de l'air et aujourd'hui doyen de l'université de Californie, à Davis, lance sur Twitter l'idée de construire des caissons de filtres à air à ventilateur bon marché. Jim Rosenthal, le PDG d'une entreprise de filtres basée au Texas, s'est pris au jeu d’une idée similaire et a rapidement construit le premier prototype.
En quelques jours, des bricoleur·euses et des ingénieur·es spécialisé·es dans la qualité de l'air ont construit leurs propres filtres Corsi-Rosenthal et ont partagé les résultats sur les réseaux sociaux. Une conversation animée a vu le jour sur Twitter, mêlant l'analyse technique sophistiquée des ingénieur·es à la perspicacité et aux travaux des non-spécialistes.
En décembre, des centaines de personnes fabriquaient des boîtes Corsi-Rosenthal, et des milliers d'autres avaient pu lire des articles de presse dans des médias comme Wired. Dans différents coins du monde, les gens ont modifié les modèles en fonction de la disponibilité des fournitures et des différents besoins. Leurs améliorations et adaptations collectives ont été documentées par des sites web et des blogs spécialisés, ainsi que par des reportages.
Dans certains cas, ces modifications se sont avérées déterminantes. En novembre 2020, par exemple, un propriétaire de Caroline du Nord a découvert un problème d'aspiration de l'air par les coins des ventilateurs carrés les plus couramment utilisés. Des tests effectués par des expert·es en qualité de l'air ont montré que l'ajout d'une enveloppe au ventilateur augmentait son efficacité de 50 %.
L'analyse des réseaux sociaux et de la couverture médiatique donne une idée de l'ampleur du phénomène de ces boîtes Corsi-Rosenthal. En janvier 2022, plus de 1 000 unités étaient utilisées dans les écoles, et des milliers d'autres dans les foyers et les bureaux. Plus de 3 500 personnes avaient repris le hashtag #corsirosenthalbox sur Twitter, et des dizaines de milliers d'autres ont ont pris part aux débats en ligne. Les articles de presse et les vidéos explicatives sur YouTube avaient collectivement accumulé plus de 1,9 million de vues.
Les communautés comme sources d'innovation
L'histoire de la boîte Corsi-Rosenthal s'inscrit dans une histoire plus large, celle de la réponse populaire à la pandémie de Covid-19. Les premiers jours de la pandémie n'ont pas seulement fait des ravages sur la population. Ils ont également galvanisé un effort collectif massif, des dizaines de milliers de citoyen·nes se prêtant au jeu pour concevoir et produire les fournitures médicales et les équipements de protection individuelle dont on avait soudainement besoin.
Mon équipe de recherche a suivi ces actions. Grâce à des dizaines d'entretiens et à des mois de recherche dans les archives, nous avons constitué une base de données de plus de 200 nouvelles initiatives - formelles et informelles, à but lucratif et non lucratif - dont les activités vont de la conception de concentrateurs d'oxygène à l'impression 3D de masques faciaux, en passant par la construction de salles de désinfection par UV. L'image de l'innovation qui en ressort est bien loin de l'image traditionnelle des blouses de laboratoire et des managers moyen·nes que l'on associe généralement aux nouvelles technologies.
Tout d'abord, peu des innovations que nous avons suivies ont été inventées par une seule personne, ou même une seule équipe. Elles étaient plutôt le projet commun de vastes réseaux de contributeur·ices individuel·les issu·es de différents milieux et organisations. Cette diversité est importante car elle apporte plus de connaissances et des perspectives plus variées. Elle peut également être utile pour exploiter les connaissances existantes. Par exemple, à mesure que les boîtes Corsi-Rosenthal gagnaient en popularité, la communauté a pu s'appuyer sur des versions antérieures qui avaient été développées pour aider à lutter contre la fumée des feux de forêt.
Deuxièmement, le processus d'innovation échappait au contrôle hiérarchique. Il n'y avait pas une seule personne qui dirigeait où et comment la technologie était utilisée. Cette absence de contrôle a facilité l'expérimentation et l'adaptation aux conditions locales. Un exemple est le développement de concentrateurs d'oxygène pour les hôpitaux en Inde. Constatant que les technologies occidentales existantes échouaient fréquemment dans l'environnement humide typique de l'Inde, des équipes d'innovateur·ices se sont réunies pour développer et partager des conceptions améliorées en libre accès.
Troisièmement, ces communautés ont partagé leurs connaissances en ligne. Cela a permis aux contributeur·ices individuel·les de communiquer directement et de partager des idées, ce qui a contribué à la diffusion rapide des connaissances dans le réseau. Cela signifie également que les connaissances sont plus facilement accessibles. Les conceptions détaillées et les résultats des tests des ingénieur·es en qualité de l'air travaillant sur les boîtes Corsi-Rosenthal étaient facilement accessibles à tous les membres de la communauté.
En outre, la plupart des organisations que nous avons suivies utilisaient Facebook, Twitter et Slack comme outils pour gérer la collaboration au sein des organisations et entre elles. Comme d'autres et moi-même l'avons fait valoir, cela rend l'innovation populaire extrêmement prometteuse, surtout dans un monde où les perturbations à grande échelle comme une pandémie sont de plus en plus fréquentes.
Les obstacles de l'innovation populaire
Malgré cette promesse, il existe des domaines dans lesquels les communautés d'innovation de base échouent. L'une des difficultés est le manque de sophistication technologique et de ressources. Alors que certaines des communautés de notre étude ont produit des dispositifs remarquablement complexes, la plus grande contribution a été apportée par des produits beaucoup plus simples tels que les visières et les blouses chirurgicales.
Ensuite, il y a les règles et les réglementations. Même lorsque les communautés populaires peuvent produire des innovations sûres et efficaces, les règles existantes peuvent ne pas être prêtes à les recevoir. Certains hôpitaux n'ont pas pu accepter les équipements de protection individuelle fournis par la communauté pendant la pandémie en raison de politiques d'achat inflexibles, et aujourd'hui encore, certaines écoles continuent d'interdire les boîtes Corsi-Rosenthal.
Un dernier point concerne le maintien de l'effort. Si les communautés de base ont joué un rôle essentiel pour permettre aux hôpitaux et aux installations médicales de continuer à fonctionner pendant les premiers jours de la pandémie, bon nombre des efforts qui dépendaient du travail bénévole ont fini par s'essouffler.
Ce que cela signifie pour l'avenir
À l'approche du deuxième anniversaire de la déclaration de l'état d'urgence aux États-Unis, l'une des principales leçons que le monde a tirées est l'importance d'investir dans la qualité de l'air intérieur, par exemple en surveillant et en améliorant la ventilation et la filtration. Et la valeur de la ventilation en tant qu'outil de santé publique non invasif est d'autant plus grande que les prescriptions relatives aux masques sont abandonnées.
Une autre leçon, plus large, est le pouvoir de l'innovation populaire et de l'ingénierie citoyenne pour développer ces technologies. L'histoire de la boîte Corsi-Rosenthal, comme les milliers d'autres innovations populaires développées pendant la pandémie, est fondamentalement celle de personnes prenant en main le bien-être et la subsistance de leur communauté. Le tweet le plus populaire partagé au sujet des boîtes Corsi-Rosenthal est celui d'un jeune ingénieur en herbe de 14 ans de l'Ontario qui propose de construire et de donner des boîtes à toute personne qui en aurait besoin.
Publication originale (03/03/2022) :
The Conversation
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