Chaque COVID léger peut accroître le risque de problèmes cardiaques | Mariana Lenharo
Deux ans après le début de la pandémie de COVID-19, il apparaît clairement que l'impact cardiovasculaire du SARS-CoV-2 ne se limite pas aux personnes ayant souffert d'une forme grave de COVID. Même les personnes atteintes d'une forme légère de la maladie semblent présenter un risque plus élevé de problèmes cardiaques.
Mariana Lenharo est journaliste spécialisée dans les sciences de la vie à Nature.
· Cet article fait partie de notre dossier Le Covid-19, une maladie vasculaire ·
Les scientifiques savent depuis longtemps que les infections respiratoires, telles que la grippe ou certains types de coronavirus, peuvent déclencher des maladies cardiaques. Cela s'explique par le fait qu'elles provoquent une inflammation, qui joue un rôle majeur dans les problèmes cardiovasculaires.
Avant même que le premier cas de COVID-19 ait été confirmé aux États-Unis, le cardiologue interventionnel Mohammad Madjid a commencé à s'intéresser aux effets potentiels des coronavirus sur le système cardiovasculaire. Madjid, professeur agrégé de médecine clinique à l'université de Californie à Los Angeles, s'attendait à constater une augmentation similaire des complications cardiaques liées au COVID. "Je savais que cela se produirait car j'avais déjà observé ce phénomène lors d'épidémies de grippe", explique-t-il. Dès 2004, lors des épidémies de grippe aviaire en Asie, il exhortait les organismes de santé publique à prendre en compte les questions cardiovasculaires dans les plans de préparation à la pandémie.
Deux ans après le début de la pandémie de COVID-19, il apparaît clairement que l'impact cardiovasculaire du SARS-CoV-2, le coronavirus responsable du COVID, ne se limite pas aux personnes ayant souffert d'une forme grave de COVID. Même les personnes atteintes d'une forme légère de la maladie semblent présenter un risque plus élevé de problèmes cardiaques un an après l'infection, selon l'une des plus grandes études visant à évaluer les conséquences cardiovasculaires à long terme du COVID. L'étude a été publiée en février dans Nature Medicine.
Les résultats ont surpris les chercheur·euses. "Je suis parti en supposant qu'il y aurait des facteurs de risque, en particulier chez les personnes atteintes d'une maladie très grave et devant être hospitalisées pendant la phase aiguë de l'infection", explique Ziyad Al-Aly, co-auteur de l'étude, chef de la recherche et du développement au sein du Département des anciens combattants (VA) du système de soins de santé de Saint-Louis et épidémiologiste clinique à l'université Washington de Saint-Louis.
Un grave problème de santé publique
Al-Aly et ses collègues ont analysé les chiffres relatifs aux problèmes cardiaques et autres problèmes cardiovasculaires survenus au cours de la première année suivant l'infection chez 153 760 patient·es atteint·es du COVID, à partir des bases de données nationales de soins de santé de la VA. Les chercheur·euses ont comparé ces patient·es à deux groupes de contrôle : une cohorte contemporaine qn’ayant jamais été infectée et une cohorte historique pré-pandémique.
Globalement, le risque de complication cardiaque au cours de la première année était 63 % plus élevé chez les personnes ayant eu le COVID que chez celles du groupe de contrôle contemporain. Au bout d'un an, 45 événements cardiovasculaires supplémentaires, comme des accidents vasculaires cérébraux ou des insuffisances cardiaques, pour 1 000 personnes ont été enregistrés chez les personnes ayant été testées positives au COVID. La comparaison avec les données historiques a donné des résultats similaires : le risque de problèmes cardiovasculaires dans le groupe ayant eu le COVID était supérieur de 58 % à celui observé dans le groupe de contrôle prépandémique.
Lorsque les chercheur·euses se sont penché·es sur les personnes ayant fait un COVID léger, iels ont constaté que ce groupe présentait un risque 39 % plus élevé de développer des problèmes cardiaques, par rapport au groupe de contrôle contemporain, soit 28 problèmes cardiovasculaires supplémentaires pour 1 000 personnes en 12 mois.
Il s'agit d'un risque beaucoup plus faible que celui observé chez les patient·es COVID qui ont été hospitalisé·es ou admis·es en soins intensifs. Néanmoins, l'augmentation du risque n'est pas négligeable. Par rapport aux personnes non infectées, les patient·es ayant développé une forme légère de la maladie présentaient un risque trois fois plus élevé de myocardite, une inflammation du muscle cardiaque, et un risque deux fois plus élevé d'embolie pulmonaire, un caillot sanguin qui se loge dans une artère pulmonaire et bloque la circulation sanguine.
"Il est non seulement surprenant, mais aussi très important de réaliser que le risque est manifeste même chez les personnes [qui ont eu des infections légères]", déclare Al-Aly. Ces cas représentent la grande majorité des infections par le COVID, dans la population de l'étude, 85 % des personnes diagnostiquées avec la maladie n'ont pas été hospitalisées. "C'est ce qui en fait certainement un grave problème de santé publique", ajoute-t-il.
Une étude rétrospective beaucoup plus modeste, décrite dans un article de prépublication qui n'a pas encore été publié ou évalué par des pairs [Elle a depuis été validée et publiée dans The American Journal of Cardiology, NdC], a également constaté que les patient·es atteint·es de COVID, y compris les asymptomatiques, présentaient un risque accru de problèmes cardiovasculaires six mois après l'infection. Le risque estimé de complications cardiaques après le COVID correspondait à celui observé dans l'étude d'Al-Aly, explique la cardiologue et biostatisticienne Larisa Tereshchenko, chercheuse au Cleveland Clinic Lerner Research Institute et auteure principale de la petite étude. "Malgré les différences de population et de critères de définition des résultats, [l'équipe d'Al-Aly] est parvenue à une estimation très similaire du risque absolu, ce que j'ai trouvé très intéressant car cela confirme les résultats de chaque étude", explique Larisa Tereshchenko.
Il est intéressant de noter que lorsqu'un autre groupe de chercheur·euses a recherché des anomalies cardiovasculaires chez les patient·es ayant développé un COVID léger, iels n'ont pas trouvé de différences dans la quantité ou le type d'anomalies chez celleux qui avaient eu le COVID par rapport à celleux qui ne l'avaient pas eu. Thomas Treibel, professeur agrégé de cardiologie à l'University College London, et ses collègues du COVIDsortium, un groupe d'immunologistes, de médecins spécialistes des maladies infectieuses et de scientifiques étudiant la pandémie au Royaume-Uni, ont recruté 149 travailleur·euses de la santé par ailleurs en bonne santé. "Nous avons associé des personnes qui n'avaient jamais eu le COVID à d'autres qui l'avaient eu et nous les avons toutes placées dans un scanner IRM [imagerie par résonance magnétique] pour examiner les lésions cardiovasculaires", explique-t-il. "Dans l'ensemble, nous n'avons constaté aucune différence dans la fonction cardiaque [ni] aucun signe de myocardite ou de lésions cardiaques. Je pense que c'est très rassurant", déclare Treibel.
Comment les scientifiques peuvent-iels concilier ces résultats ? Tereshchenko estime que l'examen des résultats cliniques des patient·es est plus important que l'imagerie cardiaque dans ce contexte. "Lorsqu'un·e patient·e est hospitalisé·e pour une insuffisance cardiaque, un infarctus aigu, une arythmie aiguë, un arrêt cardiaque..., cela est toujours plus important que les biomarqueurs intermédiaires" tels que l'imagerie, dit-elle.
L'impact à long terme du COVID sur le cœur
Bien qu'il soit très probable que l'inflammation joue un rôle dans les événements cardiovasculaires observés chez les personnes atteintes du COVID, la raison pour laquelle certaines personnes continuent d'être exposées à un risque accru longtemps après que le SARS-CoV-2 ai quitté leur corps reste indéterminée.
L'une des hypothèses est que le virus ne s'en va tout simplement pas. Certain·es ont avancé l'idée que l'organisme n'éliminait pas complètement le virus et qu'il restait dans ses "sites de prédilection", provoquant une inflammation de faible intensité, explique M. Al-Aly. Une autre hypothèse est que la réaction immunitaire au virus pourrait s'emballer et endommager le cœur.”
Une question importante est de savoir si le SARS-CoV-2 infecte directement le muscle cardiaque, dit Madjid. Les scientifiques ont montré qu'il était possible d'infecter des cellules cardiaques cultivées en laboratoire avec le virus. Cette découverte pourrait expliquer certains problèmes cardiovasculaires survenus après le COVID. "La distinction intéressante entre la grippe et le COVID est que, dans le cas du COVID, les artères cardiaques sont moins touchées, mais le muscle cardiaque l'est davantage", explique-t-il.
Le SARS-CoV-2 favorise également la coagulation du sang. "Nous observons des signes de thrombose veineuse profonde et d'embolie pulmonaire. Je pense que c'est important parce que les personnes qui ont ces microcaillots ou ces gros caillots risquent d'avoir de graves problèmes pendant très longtemps", explique M. Al-Aly.
Selon le cardiologue Bernard Gersh, professeur de médecine au Mayo Clinic College of Medicine and Science, de plus en plus de preuves suggèrent que le COVID affecte l'endothélium vasculaire, c'est-à-dire la paroi interne des vaisseaux sanguins. "Cela entraîne ce que l'on appelle un dysfonctionnement microvasculaire des petits vaisseaux, qui peuvent ne pas se dilater ou se contracter comme ils le devraient", explique Gersh. Cela pourrait expliquer pourquoi les symptômes du COVID Long ne se limitent pas au cœur.
"De nombreuses études sont en cours pour tenter de comprendre les mécanismes du COVID Long", explique Gersh. Mais les chercheur·euses n'ont pas encore identifié les mécanismes les plus probables à l'origine des maladies cardiaques post-COVID.
Le COVID Long et le cœur
En ce qui concerne le "COVID Long" - une constellation de symptômes, dont une fatigue intense, l'essoufflement, le brouillard cérébral et l'anxiété, qui persistent pendant plusieurs mois - il est encore difficile d'établir un lien avec la santé cardio-vasculaire.
"Ce que nous ne savons pas, et je parle en tant que cardiologue, c'est combien de ces patient·es avec un COVID Long ont réellement une atteinte cardiaque", explique Gersh. "Ce n'est pas parce qu'iels ont des palpitations qu'il y a des lésions structurelles au niveau du cœur".
Il est tout à fait plausible que la présentation typique du COVID Long, qui peut inclure l'épuisement et l'essoufflement, puisse être liée à des problèmes cardiovasculaires. Par exemple, une personne souffrant d'insuffisance cardiaque peut avoir une diminution du flux sanguin vers le cerveau, ce qui peut provoquer un brouillard cérébral. Mais à ce stade, il est difficile de démêler ces liens, note Al-Aly. Les problèmes observés dans les études d'Al-Aly et de Tereshchenko - notamment les accidents vasculaires cérébraux, l'insuffisance cardiaque et les maladies coronariennes aiguës, ne se produisent pas uniquement chez les personnes atteintes d'un COVID Long reconnaissable. Une personne peut souffrir d'un cas léger de COVID, sembler se rétablir complètement et pourtant présenter un risque plus élevé de problèmes cardiovasculaires dans les mois qui suivent.
"Malheureusement, l'estimation du risque est élevée", déclare Tereshchenko, ajoutant que ces études montrent que les risques cardiaques liés au COVID pourraient être du même ordre que ceux liés au tabagisme.
Al-Aly partage cet avis. "Les gens pensent que le cholestérol, la tension artérielle et le diabète sont des facteurs de risque pour les problèmes cardiaques. Nous devons ajouter le COVID-19 à cette liste", déclare-t-il.
Publication originale (16/03/2022) :
Scientific American
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