Un réseau de négation des sciences du climat derrière la Great Barrington Declaration | Nafeez Ahmed
À travers leurs diverses fondations et autres entités, Charles et son frère, feu David Koch, sont réputés pour être parmi les plus grands financeurs mondiaux de la négation de la science du climat.
par Nafeez Ahmed, journaliste d'investigation et universitaire interdisciplinaire spécialisé dans la sécurité internationale et la théorie des systèmes complexes. Il est actuellement le reporter chargé des enquêtes spéciales et des tendances mondiales pour le mensuel britannique Byline Times.
Des documents consultés par Byline Times confirment que la déclaration de Great Barrington prônant une approche fondée sur "l'immunité collective" face à la pandémie de COVID-19 a été financée par une institution intégrée à un réseau subventionné par Koch qui nie la science du climat tout en investissant dans les industries polluantes des combustibles fossiles.
Le 3 octobre 2020, l'American Institute for Economic Research (AIER), un think-tank libertarien partisan du libre-échange situé à Great Barrington, dans le Massachusetts, a accueilli une réunion privée de scientifiques, d'économistes et de journalistes pour discuter des réponses à la pandémie de COVID-19. Parmi eux se trouvait l'éminente épidémiologiste de l'Université d'Oxford, le professeur Sunetra Gupta, l'une des plus ardents défenseuses de la stratégie d'"immunité collective".
La déclaration de Great Barrington, du nom de la ville où elle a été élaborée, a été rédigée par Gupta avec deux autres scientifiques américains de haut niveau, le professeur Martin Kulldorff de l'université de Harvard et Jay Bhattacharya, de Stanford. La déclaration elle-même - qui demande que seules les personnes âgées et vulnérables soient mises en quarantaine tout en encourageant les jeunes à contracter le virus - a été signée par un premier groupe de quelque 35 scientifiques.
À l'heure où nous écrivons ces lignes, la déclaration revendique la signature de plus de 5 000 "scientifiques en médecine et en santé publique" et de 11 267 "médecins", ainsi que de plus de 155 000 membres du grand public.
L’affirmation selon laquelle des "milliers de scientifiques" soutiennent la Déclaration de Barrington a été largement relayée par les grands médias, de la BBC au Daily Mail. Mais lorsque j'ai tenté de vérifier le fonctionnement du processus de signature, j'ai découvert qu'aucune procédure de contrôle n'avait été mise en place pour les signataires - n'importe qui pouvait devenir signataire confirmé de la Déclaration et être classé comme scientifique ou médecin en falsifiant des informations et en cochant une case. En expérimentant moi-même le processus, j'ai pu m'ajouter en tant que signataire dans la catégorie "Chercheurs en médecine et en santé publique" et j'ai reçu un courriel automatique le confirmant.
Jeffrey A. Tucker, directeur éditorial de l'AIER, a répondu sur Twitter en affirmant que : " En réalité, les administrateurs ont repoussé les fraudeurs depuis le début. Ce n'est pas facile de gérer un site web avec des millions de vues en permanence, et en plus de lutter contre les trolls."
Mais lorsque je lui ai demandé exactement comment l'AIER "vérifiait et contrôlait les signataires" et s'ils contactaient les gens pour vérifier leurs identités prétendues et références scientifiques, il n'a pas été en mesure de répondre.
Pour un document censé représenter un ensemble significatif d'opinions scientifiques, l'absence de vérification est surprenante - et indique que la Great Barrington Declaration est moins une entreprise scientifique véritablement indépendante qu'un projet de propagande.
L'AIER ne s'est pas contenté d'accueillir l'événement qui a donné naissance à la Déclaration, mais est également propriétaire du nom de domaine enregistré du site web qui publie la Déclaration, gbdeclaration.org.
« Koch Connection »
Les registres d'entreprise déposés auprès de l'Internal Revenue Service (IRS) des États-Unis confirment que l'AIER opère dans le cadre d'un réseau financé par Koch de climatonégationnistes qui considèrent la réglementation environnementale comme une menace pour sa vision dérégulés et sans entraves des marchés.
Les derniers documents disponibles à l'IRS révèlent qu'en 2018, l'AIER a reçu 68 100 dollars pour un "soutien général au fonctionnement" de la part de la Fondation Charles Koch, qui agit au nom du milliardaire d'extrême droite Charles Koch.
À travers leurs diverses fondations et autres entités, Charles et son frère, feu David Koch, sont réputés pour être parmi les plus grands financeurs mondiaux de la négation de la science du climat.
L'AIER elle-même n'est pas étrangère à ce type de négationnisme. Tous ses rapports et commentaires sur le changement climatique s'attachent à minimiser la gravité des risques climatiques et à obscurcir les données scientifiques relatives à l'exploitation humaine du pétrole, du gaz et du charbon, qui est à l'origine des niveaux actuels de réchauffement de la planète.
L'AIER a publié des negateurs de la science du climat comme l'économiste David Henderson, qui a rejeté la validité du consensus scientifique sur le changement climatique.
Le président de l'AIER est l'éminent économiste de l'école autrichienne Edward P. Stringham, un chercheur de l'Independent Institute - un autre think-tank favorable au marché qui a régulièrement remis en question les preuves scientifiques de l’origine humaine du changement climatique et a reçu des financements de Koch, ainsi que le soutien d'ExxonMobil.
En effet, l'AIER n'est pas seulement un think-tank du libéralisme. Elle tire une grande partie de son financement de ses propres activités d'investissement, notamment dans les combustibles fossiles, les services énergétiques, le tabac, la technologie et les biens de consommation. L'AIER est propriétaire d'une importante société d'investissement, American Investment Services Inc. qui utilise les recherches du think-tank pour étayer ses conseils en matière d'investissement. Les documents de la Security Exchange Commission consultés par le Byline Times confirment que American Investment Services Inc. de l'AIER gère un fonds privé évalué à 284 492 000 dollars.
Le document le plus récent de la SEC, déposé en août, révèle que les actifs du fonds comprennent un large éventail de sociétés, dont : Chevron, ExxonMobil, General Electric, One Gas Inc, Duke Energy Corp, Northwestern Corp, WEC Energy, Xcel Energy, le géant du tabac Philip Morris International, JP Morgan Chase, Visa Inc, Mastercard, Alphabet Inc (le propriétaire de Google), Microsoft, McDonalds, Verizon Communications, Intel Corp, Nike Inc, le géant des biens de consommation Procter and Gamble, Host Hotels & Resorts, Dow Inc, Pepsico, les principaux conseillers boursiers Vanguard Group, et bien d'autres encore.
Ce contexte, loin d'être mentionné sur le site Web de la Great Barrington Declaration, suggère qu'elle est moins le produit d'un processus scientifique rigoureux, fiable et impartial que le résultat d'un effort de lobbying opaque.
Dans ce contexte, il n'est pas surprenant de constater que la qualité et l'intégrité scientifiques de la déclaration puissent être sévèrement critiquées par de nombreux experts en santé publique. Par exemple, le Dr Rupert Beale, chef du groupe de biologie cellulaire du laboratoire d'infection de l'Institut Francis Crick, a qualifié l'idée de la déclaration selon laquelle "nous pouvons en toute sécurité renforcer l'immunité collective du reste de la population" de "pensée magique".
"Il n'est pas possible d'identifier complètement les personnes vulnérables, et il n'est pas possible de les isoler complètement. En outre, nous savons que l'immunité contre les coronavirus s'affaiblit avec le temps et qu'une réinfection est possible. Il est donc très peu probable qu'une protection durable des personnes vulnérables par l'établissement d'une "immunité collective" soit obtenue en l'absence de vaccin", a ajouté le Dr Beale. "Les scientifiques peuvent raisonnablement ne pas être d'accord sur les mérites relatifs de diverses interventions, mais ils doivent être honnêtes quant à la faisabilité de ce qu'ils proposent. Cette déclaration ne constitue donc pas une contribution utile au débat."
Le Dr Michael Head, chercheur émérite en santé mondiale à l'Université de Southampton, a lui aussi qualifié les propositions de la Déclaration de "très mauvaise idée".
"Environ 8 % de la population britannique présente un certain niveau d'immunité contre ce nouveau coronavirus, et cette immunité va probablement s'affaiblir avec le temps et ne suffira pas à prévenir une deuxième infection", a noté le Dr Head.
"Certains pays gèrent relativement bien la pandémie, notamment la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande, et leurs stratégies ne consistent pas à laisser le virus se déchaîner tout en espérant que la communauté des asthmatiques et les personnes âgées puissent trouver un endroit où se cacher pendant 12 mois."
Il n'est donc pas étonnant que certains experts ne considèrent pas cela comme de la science, mais comme la manifestation d’une économie néolibérale prédatrice déguisée.
Que les scientifiques impliqués soient ou non sincères ou compétents, de sérieuses questions sont à se poser quant à l' intégrité scientifique effective de cette déclaration.
Publication originale (09/10/2020) :
Byline Times