Les tests Covid sur les vols chinois relèvent d’une politique raciste | Frankie Huang

En traitant uniquement le Covid venant de Chine comme un réel danger et les cas nationaux, et ceux des autres pays, comme étant présumés plus bénins, le gouvernement adopte les tropes séculaires faisant des Asiatiques "les étrangers malades" et l’idée que le coronavirus est, en fait, le "virus Chinois". Cela place une fois de plus les Asiatiques en position de cibles et de boucs émissaires du racisme.
Frankie Huang est une écrivaine et une illustratrice. Elle est co-éditrice de Reappropriate, un magazine féministe américain d'origine asiatique.
Lorsque le gouvernement chinois a brusquement assoupli sa politique draconienne concernant le Covid-19 en décembre, j'ai ressenti une étrange combinaison d'horreur et de soulagement. Après trois ans d'interminables tests PCR et de confinement, la politique du "zéro Covid", qui a pris la Chine en étau, a finalement pris fin. Les Chinois d'outre-mer comme moi vont enfin pouvoir retrouver plus facilement leur famille et tenter de rattraper le temps perdu.
Mais la réouverture inconsidérée de la Chine s'est transformée en un cauchemar grotesque, avec des millions de personnes infectées, des hôpitaux et des crématoriums débordés ; du jour au lendemain, j'ai eu l'impression que toutes les personnes que je connais en Chine ont été testées positives au coronavirus. L'obligation de dépistage imposée par le Centre américains de contrôle et de prévention des maladies (C.D.C) aux passagers "des vols en provenance de la République populaire de Chine (RPC), y compris les régions administratives spéciales (RAS) de Hong Kong et de Macao", va une fois de plus provoquer un backlash raciste contre les Asiatiques en Amérique.
Même si les exigences du C.D.C. ne constituent pas une interdiction de voyager fondée sur la nationalité, l'histoire m'a appris à me préparer aux paniques xénophobes. Je n'ai pas eu à attendre longtemps avant que l'administration Biden ne mette rapidement en place une nouvelle politique exigeant que les voyageurs en provenance de Chine présentent des tests Covid-19 négatifs avant d'entrer aux États-Unis.
Pendant trois ans, les médias occidentaux ont traité la situation du Covid en Chine comme un spectacle, une occasion de s'extasier devant le bocal toxique confiné dans un isolement auto-imposé de l'autre côté de l'océan. Mais maintenant que les vols entre les États-Unis et la Chine sont sur le point de revenir à une fréquence prépandémique, les Chinois ne seront plus "là-bas", mais pourront à nouveau voyager régulièrement. Nous vivons déjà avec le Covid ; les taux d'infection - mesurés par les hospitalisations - sont en hausse dans de nombreux pays du monde. Le Covid n'est pas un nouvel ennemi, car il a déjà franchi les murs des États-Unis.
Certains experts en santé publique ont rapidement dénoncé cette nouvelle politique comme inutile pour enrayer la propagation du coronavirus hautement contagieux. La première ministre italienne, Giorgia Meloni, dont le pays a mis en place une obligation de dépistage similaire, a demandé à l'Union européenne de suivre l'exemple de l'Italie en adoptant la même politique, mais sa demande a été rejetée par la plupart des États membres pour cause d'inefficacité. En effet, en l'absence d'obligations universelles en matière de tests, de recherche des contacts et de port du masque, le contrôle sélectif sur la base de l'origine géographique ne réussit qu'à pointer du doigt les voyageurs majoritairement chinois et à raviver la haine anti-asiatique. En lieu et place d'une politique cohérente, des exigences similaires à celles des États-Unis - et d'une poignée d'autres nations, comme l'Italie, la France, le Japon et la Grande-Bretagne - ne sont rien d'autre que la crispation violente et incontrôlée d'un muscle raciste géant.
Pendant la majeure partie de cette année, le discours dominant en Amérique a été que la pandémie est terminée et que le Covid ne représente plus un véritable danger. Le président Biden l'a dit lui-même, et seuls 12 % de tous les adultes aux États-Unis considèrent encore le Covid-19 comme un risque sanitaire grave. Même au milieu de la "triple épidémie" hivernale, aucune mesure d'atténuation virale à l'échelle nationale n'a été prise, et les commentateurs se moquent allègrement du port du masque comme d'un activisme marginal. Les rapports troublants sur les symptômes invalidants du Covid long et les réinfections multiples n'ont guère influencé la politique, mais dès que la Chine s'est rouverte au monde, l'administration s'est mobilisée. Le récit officiel fait état de la crainte qu'une vague d'infections en Chine ne donne naissance à un variant plus dangereux, même si le nouveau sous-variant XBB.1.5, dont les propriétés immuno-évasives sont documentées, se propage rapidement aux États-Unis sans déclencher de mesure de port du masque ou d'alerte à l'échelle nationale.
Pourquoi l'administration traîne-t-elle les pieds sur XBB.1.5 mais traite-t-elle le "variant Chinois" comme un fléau dangereux et volatile qu'il faut empêcher d'envahir l'Amérique ? Cela rappelle l'interdiction de voyager début 2020 pour les passagers en provenance de Chine, une décision politique raciste qui s'est concentrée sur la propagation du coronavirus depuis la Chine tout en ignorant les voyageurs européens qui l'ont apporté à New York.
En traitant uniquement le Covid venant de Chine comme un réel danger et les cas nationaux comme étant présumés plus bénins, le gouvernement américain adopte effectivement les tropes séculaires faisant des Asiatiques "les étrangers malades" et l’idée que le coronavirus est, en fait, le "virus Chinois". Cela place une fois de plus les Asiatiques d'Amérique en position de cibles et de boucs émissaires du racisme. Les jours de violence anti-asiatique exacerbée sont à peine derrière nous, et je crains le retour des aînés vulnérables agressés en public, des insultes criées. L'année dernière, la loi sur le Covid-19 et les crimes de haine, qui traite de la violence anti-asiatique, a été adoptée avec un rare soutien bipartisan des deux chambres du Congrès. Mais même cette législation pourrait s'avérer être un geste vide de sens maintenant que l'administration Biden crée des politiques qui encouragent activement la xénophobie qu'elle prétend vouloir éradiquer.
Nous en savons beaucoup plus sur le Covid qu'il y a trois ans, et il y a tant de choses à faire pour protéger réellement les Américains des nouvelles souches. Le Dr Lucky Tran, du centre médical Irving de l'université Columbia, m'a dit : "Si les États-Unis s'inquiètent vraiment des variants et de la propagation du Covid à travers les voyages, ils devraient exiger des tests négatifs pour tous les voyageurs, quelle que soit leur provenance, et rétablir l'obligation de port du masque dans les transports publics."
Le coronavirus ne connaît pas de nationalités ni de frontières, et le traiter comme un problème uniquement chinois ne sert pas seulement à pathologiser les Asiatiques, mais empêche également de protéger le public américain, dont la compréhension de la façon dont le virus se propage et nuit à la santé dépend de messages cohérents et scientifiquement rigoureux de la part du gouvernement. La racialisation d'une pandémie est le résultat d'un état d'esprit malade, qui, près de trois ans après le début de la pandémie, n'est plus acceptable. La bonne nouvelle est que nous avons déjà le remède pour cela.
Publication originale (05/01/2023) :
The New York Times