Les masques fonctionnent, n'écoutez pas ceux qui désinforment à leur sujet | Lucky Tran
Ces tactiques de désinformation réussissent à faire échouer les politiques de santé publique. Les responsables politiques sont sensibles aux arguments de mauvaise foi concernant les masques car iels sont tenu·es par les intérêts à court terme des entreprises. Les masques sont un symbole visible que la pandémie continue, et les politiques craignent que ces rappels empêchent les gens de consommer. Il est facile de mentir à celleux qui veulent croire. Leur objectif est de nous épuiser et de nous engourdir au point de perdre toute empathie et de baisser les bras.
Lucky Tran est un scientifique et un spécialiste de la communication en matière de santé publique qui travaille à l'université de Columbia. Pendant la pandémie, il a mené plusieurs actions visant à fournir les dernières informations sur le Covid-19 au public et aux responsables, et à plaider pour des politiques de santé publique plus équitables et plus justes. Il est titulaire d'un doctorat en biochimie de l'université de Cambridge.
Les masques ont joué un rôle essentiel pour nous protéger tout au long de la pandémie de COVID-19. Au début, les masques ont permis d'aplanir la courbe pour préserver nos systèmes hospitaliers, et depuis, les masques ont contribué à rendre les espaces publics et les services essentiels plus ouverts et accessibles à tous. De nombreuses études montrent que les masques fonctionnent, et qu'ils fonctionnent mieux lorsque tout le monde en porte un de haute qualité pour se protéger mutuellement. Les masques sont magnifiques.
Pourtant, trois ans après le début de la pandémie, nous voyons encore quotidiennement dans les journaux des récits contradictoires sur les masques. Le dernier coupable qui alimente ces titres semant la confusion est une nouvelle revue scientifique publiée dans Cochrane. L'article analyse de nombreuses études différentes qui évaluent l'efficacité des mesures physiques - y compris les masques - contre les virus respiratoires.
Cette étude est faussée car elle compare des pommes et des oranges. L'article mélange des études qui ont été menées dans des environnements différents, avec des risques de transmission différents. Il combine également des études où les masques étaient portés une partie du temps avec des études où les masques sont portés en permanence. Et il mélange des études portant sur le COVID-19 avec des études portant sur la grippe.
Si les pommes fonctionnent et les oranges ne fonctionnent pas, mais que votre analyse les mélange, vous risquez d'arriver à la fausse conclusion que les pommes ne fonctionnent pas. Sur les 78 articles analysés dans la revue, seuls deux ont réellement étudié le port du masque pendant la pandémie de COVID-19. Et ces deux études ont montré que les masques protégeaient effectivement leur porteur·euses du COVID-19. Mais ces études sont noyées dans le grand nombre d'études sur la grippe incluse, où le bénéfice du port du masque est plus difficile à détecter car il s'agit d'un virus beaucoup moins contagieux que le COVID-19.
Les auteur·ices elleux-mêmes reconnaissent dans le document : "Le risque élevé de biais dans les essais, la variation de la mesure des résultats et l'adhésion relativement faible aux mesures pendant les études empêchent de tirer des conclusions fermes."
Les problèmes évidents de l'étude n'ont pas empêché des voix bruyantes d'exagérer ses résultats sur de grandes plateformes. Bret Stephens a proclamé dans le New York Times que "Les prescriptions de port du masque ont été vaines. En tirera-t-on des leçons ?" Et Tom Jefferson, premier auteur du document Cochrane, a affirmé dans une interview : "Il n'y a tout simplement aucune preuve que [les masques] font une quelconque différence. Point final."
Ni l'un ni l'autre ne sont des sources objectives ou fiables. Stephens a déjà qualifié le réchauffement climatique d'"hystérie de masse" et a affirmé que la science du climat avait été "discréditée". Jefferson travaille pour le Brownstone Institute, un groupe de désinformation sur le COVID-19 alimenté par de l'argent sombre.
La mauvaise interprétation de l'étude Cochrane par ses auteur·ices et leurs sympathisant·es est délibérée. Celleux qui ont des intérêts particuliers sèment le doute sur la scientificité des protections contre le COVID-19 en utilisant le même manuel de désinformation que les compagnies de tabac, l'industrie des combustibles fossiles et le mouvement anti-vax ont utilisé dans le passé.
La promotion tapageuse de la revue Cochrane est un exemple classique de cherry-picking, où des groupes partisans mettent en avant un sous-ensemble de données qui soutiennent leur position, tout en ignorant le plus grand nombre de preuves qui ne vont pas dans leur sens. De nombreuses études directes en laboratoire montrent que les masques de haute qualité réduisent de manière significative le nombre de particules virales inhalées et émises par les porteur·euses de masque, mais elles sont intentionnellement omises dans les arguments des anti-masques.
Ces tactiques de désinformation réussissent à faire échouer des politiques de santé publique. Les responsables politiques sont sensibles aux arguments de mauvaise foi concernant les masques car iels sont tenu·es par les intérêts à court terme des entreprises. Les masques sont un symbole visible que la pandémie continue, et les politiques craignent que ces rappels empêchent les gens de consommer. Il est facile de mentir à celleux qui veulent croire.
Le COVID-19 est toujours une crise qui requiert de l'attention et de l'action. Le COVID-19 est toujours l'une des trois principales causes de décès, des millions de personnes contractent le COVID Long et beaucoup d'entre elles sont incapables de travailler en raison de cette situation. En l'absence de mesures de protection de santé publique, les personnes à haut risque, incluant les personnes immunodéprimées, handicapées et/ou âgées, sont incapables d'accéder en toute sécurité aux besoins essentiels tels que les soins de santé et les transports publics, et sont exclues de la vie publique. La pandémie n'est pas terminée. Elle ne fait que devenir encore plus injuste et inéquitable.
Comme des niveaux élevés de transmission du COVID-19 persistent sur le long terme, nous devons donner la priorité aux stratégies politiques qui rendent la société ouverte et accessible à tous·tes, en particulier aux personnes les plus exposées. Les masques restent une solution clé. Si les masques ne peuvent à eux seuls enrayer la pandémie, car le COVID-19 se propage rapidement dans les endroits où les masques sont retirés, comme dans les foyers et les lieux de rencontre, les masques contribuent à la protection des personnes dans les espaces où elles peuvent les porter en permanence, comme dans les hôpitaux et les transports en commun.
Le CDC recommande toujours le port du masque dans les transports publics, dans les établissements de santé lorsque la transmission est élevée et dans tous les espaces publics intérieurs lorsque le nombre d'hospitalisations est également élevé. Et bien que de nombreux dirigeants politiques aient abandonné leurs responsabilités, certains États et comtés continuent à juste titre à imposer le port du masque dans certains espaces essentiels. En outre, les guides sur les masques élaborés par des groupes dans tout le pays montrent que de nombreuses entreprises, lieux de travail et espaces publics continuent de protéger leurs travailleur·euses et leurs communautés en imposant le port du masque.
Nous pourrions faire beaucoup plus. Les sondages montrent régulièrement que la majorité du public, en particulier les communautés à faibles revenus et les communautés de couleur, sont favorables au port obligatoire du masque. Mais comme de nombreux endroits ont abandonné cette obligation, moins de gens portent des masques. Les recherches des CDC montrent que les gens sont plus disposés à porter un masque lorsque la transmission du COVID est élevée, mais la plupart pensent également que les niveaux de transmission du COVID-19 sont beaucoup plus bas qu'ils ne le sont en réalité. Un autre obstacle est qu'un certain nombre de personnes n'ont pas les moyens de se procurer des masques FFP2 et FFP3, mais le gouvernement ne les fournit pas gratuitement. La désinformation généralisée sur la science des masques sape les efforts politiques et éducatifs qui pourraient combler ces manques.
Cela ne signifie pas que nous n'avons pas besoin de meilleures études sur les masques. En science, nous recherchons toujours plus de preuves. De meilleures études nous aideront à mettre en œuvre des politiques plus efficaces en matière de masques. Nous pouvons en apprendre beaucoup plus sur les messages et les politiques les plus efficaces pour encourager davantage de personnes à porter des masques plus fréquemment, à les porter correctement et à porter des masques de haute qualité comme les FFP2.
Mais nous devons cesser de donner autant de place aux acteur·ices de mauvaise foi. Leur objectif est de nous épuiser et de nous engourdir au point de perdre toute empathie et de baisser les bras. La propagation incontrôlée du COVID-19 continue de nuire considérablement et de perturber la vie de nombreuses personnes, en particulier celles qui sont le plus à risque. Nous ne pouvons pas laisser l'avalanche de désinformation nous donner une excuse commode pour détourner le regard. De nombreuses données scientifiques nous montrent que les masques nous protègent, nous et nos communautés, lorsque nous en portons tous, et les masques sont toujours indispensables aujourd'hui. Mettons cette science en action.
Publication originale (27/02/2023) :
The Guardian