Les disciples du bien-être New Age s'allient à l'extrême droite | Lisbeth Latham
La pensée conspirationniste est une caractéristique commune de l'extrême droite et des réseaux anti-vaccination qui se sont maintenant réunis. Cela va de pair avec la convergence croissante entre l'extrême droite et le mouvement de développement personnel New Age au cours des dernières années.
Au lieu d'essayer de prendre les gourous du développement personnel et les conspirationnistes New Age à l'extrême droite, nous devrions nous concentrer sur les parties de la société qui comprennent la nécessité d'une solidarité collective face à la crise.
par Lisbeth Latham, féministe trans australienne et militante syndicale qui écrit sur les terres du peuple Wurrundjeri de la nation Kulin. Elle a écrit des articles pour Green Left Weekly, the Irish Broad Left, Labor Notes, et Overland, et dirige le site internet Revitalising Labour.
La première vague de protestations australiennes anti-confinement est apparue à Melbourne au début du mois de juillet 2020. Depuis lors, elles n'ont cessé de prendre de l'ampleur et de l'influence, étendant leur champ de bataille aux obligations vaccinales et à d'autres politiques gouvernementales de santé publique. Le plus inquiétant, c'est que ce mouvement a attiré des éléments disparates de l'extrême droite et a étendu sa portée à des villes et des États qui n'avaient pas été touchés par des restrictions ou des décrets de confinement.
Il est indéniable que les inquiétudes de l'opinion publique quant à l'économie et sa frustration lié à l'impact perturbateur de la pandémie sur la vie quotidienne constituent le terreau dans lequel le mouvement anti-confinement a émergé. Mais ces éléments sont insuffisant pour comprendre pleinement ces mobilisations. Ce qui a permis à l'extrême droite en particulier d'exercer une influence aussi forte sur le mouvement, c'est la manière unique dont elle a cherché à exploiter ces sentiments. Les forces de la droite australienne ont renforcé leurs alliances avec le mouvement du développement personnel et les partisans de la spiritualité New Age. Cela a permis à leurs idées de paraître plus convaincantes aux yeux des gens ordinaires.
Un mouvement de Droite
Il ne faut pas oublier, malgré les invocations constantes du mouvement des menaces que le confinement fait peser sur nos libertés, qu'il défend un projet politique de droite. Cela a été mis en évidence par l'attaque des manifestant·es contre les bureaux de la branche victorienne et tasmanienne du syndicat Construction, Forestry, Maritime, Mining and Energy Union (CFMMEU) le 20 septembre. Les journalistes généralistes et progressistes ont suggéré que ces protestations reflétaient des désaccords politiques au sein du CFMMEU concernant la meilleure façon de défendre les intérêts de ses membres pendant la pandémie. Si quelques participant·es à l'action étaient bien membres du syndicat, ou au moins travailleur·euses de la construction, il apparaît en réalité que beaucoup étaient des acteur·ices de mauvaise foi se faisant passer pour des syndicalistes afin de donner du crédit à leur cause.
L'attaque contre les bureaux du CFMMEU s'inscrit dans une tendance mondiale plus large de militant·es de droite contre les mesures d’atténuation de la pandémie, s’en prenant aux syndicats. En octobre dernier, à Rome, des manifestant·es opposé·es aux pass vaccinaux ont attaqué les bureaux de la Confédération générale italienne du travail, ainsi que ceux du premier ministre italien, Mario Draghi.
Au fur et à mesure que le mouvement anti-vaccins opposé aux mesures d'atténuations de la pandémie a gagné en confiance, il s'est développé et est devenu plus pérenne et puissant que d'autres mobilisations d'extrême-droite en Australie ces dernières années. En effet, les manifestations ont continué après la fin du confinement en élargissant leur champ d'action pour s'opposer à d'autres réponses pandémiques. Elles se sont notamment attaquées aux ordonnances vaccinales, qui lient les dérogations aux prescriptions de santé publique au statut vaccinal.
Les changements intervenus dans le paysage politique au cours des deux dernières années ont en partie créé un terrain propice à cette progression. L'extrême droite a saisi cette opportunité en changeant d'orientation et de priorité en conséquence.
Il est compréhensible que les bouleversements financiers et l'insuffisance des aides au revenu, ainsi que les perturbations de la vie sociale causées par la pandémie et les mesures de santé publique, aient frustré de nombreuses personnes. Si ces mesures reposaient sur des sacrifices collectifs, ces sacrifices ont été à la fois inégalement prolongés et répartis. Dans certains cas, cela a approfondi l'individualisme au cœur du capitalisme néolibéral, le transformant en un rejet presque narcissique du bien commun. Cette frustration égoïste a permis aux forces de la droite, de l'extrême droite et des communautés du développement personnel de converger autour d'un rejet commun de la réalité sociale et d'une analyse paranoïaque des mesures de santé publique.
Les charlatans contre le capitalisme
L'expérience de la pandémie n'a pas été uniforme. Certain·es Australien·nes ont pu continuer à travailler à distance ou en présence, selon qu'iels étaient des « travailleurs essentiels » ou non. Les travailleur·euses de première ligne - en particulier les travailleur·euses de la santé - ont dû faire face aux pressions écrasantes de la surcharge de travail et au risque d'infection toujours présent. Les centaines de milliers de personnes qui n'ont pu conserver leur emploi ont dû faire face à la menace de la crise et à l'incertitude financière.
Au cours des premiers mois de la pandémie, le gouvernement fédéral a apaisé cette anxiété en augmentant les prestations d'aide sociale sous la forme d'une subvention salariale JobKeeper et en doublant le montant des allocations chômage. Ces versements, qui ont pris fin respectivement en mars et en avril de cette année, ont fourni à de nombreux·ses bénéficiaires des revenus inférieurs au salaire médian. Toutefois, cette situation était bien meilleure que celle à laquelle ont été confronté·es les travailleur·euses qui n'avaient pas droit à une aide ou qui se sont retrouvé·es sans emploi ou avec un revenu réduit lors des vagues d'infection de la fin de l'année 2021.
Au-delà de son impact financier, la pandémie a créé de l'isolement et de la détresse sociale. De nombreuses personnes ont répondu à ces difficultés en niant tout simplement la réalité de la pandémie en faveur d'un autre récit fondé sur des théories du complot. En effet, la pensée conspirationniste est une caractéristique commune de l'extrême droite et des réseaux anti-vaccination qui se sont maintenant réunis. Cela va de pair avec la convergence croissante entre l'extrême droite et le mouvement de développement personnel New Age au cours des dernières années. La conspiration QAnon est le sous-produit le plus notable de ces rapprochements.
Il est parfois possible de percevoir une forme d'anticapitalisme grossier dans l'hostilité exprimée par les mouvements du développement personnel et anti-vaccins envers l'industrie pharmaceutique. Cela peut faire paraître contre-intuitif leur rapprochement avec l'extrême droite. Bien qu'elles rejettent l'industrie pharmaceutique, ces deux communautés soutiennent l'industrie des compléments alimentaires.
Avec un chiffre d'affaires mondial d'environ 120 milliards de dollars - soit environ 10% du chiffre d'affaires de l'industrie pharmaceutique - l'industrie des compléments alimentaires est plus petite, mais ce n'est pas un acteur capitaliste insignifiant. Certaines entreprises de médecine naturelle et de compléments alimentaires ont directement encouragé l'hostilité à la vaccination et à d'autres mesures de santé publique.
Fascisme multiculturel
Au fur et à mesure que les manifestations en Australie ont pris de l'ampleur dans le courant du mois de juillet 2021, un débat a émergé sur la manière de caractériser ces mobilisations anti-confinement. Certains experts - notamment Josh Roose - ont reconnu que si ces manifestations partageaient certaines caractéristiques avec l'extrême droite traditionnelle, elles devaient être comprises comme des mobilisations de personnes marginalisées et isolées. "Ce qui distingue immédiatement ce genre de groupes de contestation de l'extrême droite", a déclaré Roose, "c'est qu'ils sont hautement multiculturels et qu'ils ne sont pas seulement constitués d'hommes en colère dans un rassemblement patriotique, mais aussi de femmes." Depuis lors, cependant, l'analyse de Roose a évolué pour prendre en compte l'influence que l'extrême droite continue d'exercer sur les manifestations anti-vaccins en Australie.
Malgré tout, nous pouvons tirer des leçons des faiblesses de l'analyse initiale de Roose dans la mesure où elle met en évidence les limites d'une image trop rigide de l'extrême droite contemporaine. Pendant longtemps, l'extrême droite australienne - comme dans la plupart des autres pays occidentaux - s'est construite au sein de sous-cultures suprématistes blanches, notamment skinhead. Récemment, cependant, des signes clairs montrent que l'extrême droite diversifie sa base et dédiabolise son image. Cela rejoint les tentatives analogues des forces d'extrême droite à l'échelle internationale pour accroître leur influence.
L'une des clés de cette popularité a été d'élargir son audience à des catégories de la population qu'elle a historiquement ciblées par des violences et des attaques racistes. Cela a nécessité de s'éloigner d'une conception explicitement racialisée du nationalisme. Dans le cas du parti d'extrême droite Rise Up Australia, fondé et dirigé par le prédicateur évangélique d'origine sri-lankaise Daniel Nalliah, le nationalisme chrétien et une islamophobie féroce constituent l'identité conjointe du mouvement.
Bien sûr, cela ne signifie pas que l'extrême droite n'est plus raciste. Cela signifie toutefois qu'elle tente d’agréger un mouvement unitaire en faisant de la place, dans sa vision nationaliste, à certaines personnes issues de communautés marginalisées. Nous pouvons en trouver des exemples dans le monde entier.
En France, par exemple, sous la direction de Marine Le Pen, le Front national a cherché à "dédiaboliser" le parti, en se rebaptisant Rassemblement national (RN). Dans ce cadre, le RN a commencé à interpeller les communautés homosexuelles, musulmanes et juives de France et à se présenter comme leur seul protecteur. Bien entendu, ces appels sont fallacieux et intrinsèquement contradictoires. Ils ont cependant connu un certain succès, puisque le RN a augmenté sa base électorale au sein de ces communautés. Toutefois, cette croissance électorale reste faible par rapport à la base blanche du parti.
En outre, les forces de la droite plus traditionnelles - en particulier les partis et les figures de proue de ses franges - tentent d'exploiter l'extrême droite à leurs propres fins. Le parti de droite United Australia Party (UAP), un organe électoral créé par le magnat des mines Clive Palmer, a dépensé des millions pour promouvoir en ligne des théories du complot anti-vaccins et des argumentaires anti-confinement. Cela fait partie de la tentative de Palmer de se présenter, lui et l'UAP, comme la seule véritable alternative aux partis traditionnels australiens, notamment les travaillistes, les libéraux et les verts. Bien que cela puisse augmenter la représentation électorale de l'UAP, le résultat le plus probable sera de diriger les votes vers les partis traditionels et nationalistes.
La riposte de la gauche
La réalité nouvelle d'une mobilisation de droite plus importante, plus cohérente et plus soutenue signifie que la gauche doit actualiser sa riposte. Ce faisant, nous devons reconnaître que le mouvement anti-vaccins et anti-santé publique s'appuie sur des angoisses très réelles ayant une base matérielle. Cependant, quelle que soit la façon dont l'extrême droite exploite ces angoisses, ses solutions consistent à nier la réalité et à rejeter la responsabilité des problèmes auxquels nous sommes confrontés sur des boucs émissaires ou, pire encore, sur cell·eux qui essaient d'aider - par exemple, les travailleur·euses de la santé. Par conséquent, la première étape pour la gauche est de contester le récit tronqué de la droite en proposant nos propres explications des conditions difficiles auxquelles les gens sont confrontés. Si nous ne le faisons pas, nous risquons de renforcer la légitimité de l'extrême droite et d'accroître son attrait démagogique.
Parallèlement, au lieu d'essayer de prendre les gourous du développement personnel et les conspirationnistes New Age à l'extrême droite, nous devrions nous concentrer sur les parties de la société qui comprennent la nécessité d'une solidarité collective face à la crise. Cela implique de travailler au sein du mouvement syndical pour faire comprendre que la solidarité sociale sera un élément crucial de la solution à la crise actuelle. Nous devons également augmenter les dépenses publiques pour les services publics et créer des emplois pour les communautés de la classe ouvrière, en commençant par les couches les plus pauvres, les plus marginalisées et les plus précaires de la population. Et nous devrons nous mobiliser pour rejeter toute tentative d'utiliser la crise pour imposer de nouvelles mesures d'austérité.
Si nous réussissons, le mouvement anti-vaccin pourra rester cantonné aux marges de la vie politique. Dans le cas contraire, le fascisme du 21e siècle pourrait s'accompagner de régimes à la mode, de curcuma et du retour de maladies infectieuses éliminées depuis longtemps grâce à la vaccination.
Publication originale (19/11/2021) :
Jacobin