Comment nous avons appris à arrêter de nous inquiéter et à aimer la protection ciblée | Beatrice Adler-Bolton, Artie Vierkant et Death Panel
Pour la Great Barrington Declaration, la "protection focalisée" décrit une réponse visant à mettre à l'abri les personnes vulnérables tout en permettant aux personnes "ordinaires" et "saines" de poursuivre leur vie normale. Les propos de la Great Barrington Declaration présentent une ressemblance frappante avec ce qui est devenu l'opinion dominante dans les récits des médias et l'écrasante majorité des messages du gouvernement fédéral.
par Beatrice Adler-Bolton, artiste, écrivaine et militante pour la justice du handicap. Ses écrits ont été publiés dans Jacobin et The New Inquiry. Elle prépare une maîtrise en Disability Studies à CUNY.
Artie Vierkant, artiste et écrivain. Ses écrits ont été publiés dans October Journal, Art in America et ArtNews.
Death Panel , un podcast qui s'intéresse à l'économie politique de la santé. Il a été fondé en novembre 2018 par Artie Vierkant, Beatrice Adler-Bolton, Vince Patti et Phil Rocco. Depuis 2021, tous les fondateurs du podcast, à l'exception de Patti, en restent les co-animateurs. Une grande partie de l'inspiration initiale du podcast provient des expériences d'Adler-Bolton issues de ses interaction avec le système de santé des États-Unis.
La pandémie est finie
Voilà ce qui ressort clairement des opinions populaires chez les commentateur⸱ices et les responsables politiques libéraux. Début février, Anthony Fauci a déclaré au Financial Times que les États-Unis sortaient de "la phase de pandémie totale" du Covid. Alors que les gouverneurs du parti démocrate ont abandonné à l'unisson, ces dernières semaines, la plupart des obligations d’État de port du masque, Bloomberg a publié un article intitulé "Les obligations de port du masque n'ont pas fait une grande différence de toute façon". Dans The Atlantic, Yascha Mounk s'est demandé : "Combien de temps encore les restrictions de la vie quotidienne vont-elles s'éterniser ? Quel objectif servent-elles encore ?"
Malheureusement, ces opinions partagées ne sont rien d'autre que cela - des opinions, inspirées par l'émotion ou le calcul politique, qui n'ont que peu de rapport avec la réalité. Plus de 60 000 personnes sont mortes du Covid en janvier seulement ; à l'heure où nous écrivons ces lignes, les États-Unis ont enregistré plus de 2 000 décès quotidiens dus au Covid pour chacun des 30 derniers jours. Les décès quotidiens dus au Covid sont supérieurs à 1 000 depuis plus de 180 jours (soit environ la moitié d'une année entière).
Dans ce contexte, qu'est-ce qui pourrait justifier la déclaration impromptue de la fin de la pandémie ? Nous avons longtemps mis en garde contre le fait que la fin de la crise serait une construction sociologique plutôt qu'une fin effective de la charge permanente que représente le Covid pour la santé publique. Au cours des dernières semaines, ce processus de normalisation du virus et de la mort, des symptomes débilitants et du handicap qu'il entraîne est devenu si omniprésent qu'on a l'impression qu'à tout moment, le gouvernement fédéral va une fois de plus déclarer son "indépendance vis-à-vis du virus". Mais même sans l'aval explicite de l'État, le message est imparable : dans l'esprit de celleux qui ont droit à la parole, la société est prête à passer à autre chose, sans un grand nombre d'entre nous.
Nous ne sommes pas obligé⸱es d’accepter cela. Cependant, la "fin" socialement construite de la pandémie a été un processus long et continu. Des années de prédictions optimistes, d'insistance sur la responsabilité personnelle et d'hypothèses réductrices sur le risque individuel se sont transformées en un ensemble de positions aujourd'hui défendues par nombre des voix les plus influentes sur le Covid. Mais les discours des experts "respectables" ne se distinguent guère des pires positions des négationnistes, des minimiseur⸱atrices et des détracteur⸱ices du Covid. Leurs arguments reposent sur l'acceptation : premièrement, sur l'acceptation de leur vision du monde idyllique, et deuxièmement, sur l'acceptation du fait que le monde a simplement changé, et qu'avec ce changement, beaucoup plus d'entre nous sont devenus jetables.
Ce faisant, ces modèles risquent de transformer une idée appelée "protection focalisée" - autrefois largement tournée en dérision sous le nom de stratégie du "laisser-faire" - du statut de théorie autrefois cantonnée aux cercles de droite à celui de pilier central de la politique libérale en matière de pandémie. Pour comprendre la longue chaîne de déductions qui nous a conduits à ce point, il est utile de commencer par ces idées qui ont récemment pris de l’ampleur et de remonter jusqu'à leur source.
Une approche ciblée
L'un des nouveaux arguments percutants pour « en finir avec le Covid » est l'idée que nous disposons désormais d'outils pour cibler nos interventions de santé publique sur les plus vulnérables. Selon David Leonhardt, rédacteur du bulletin d'information du New York Times, "une approche ciblée - lever les restrictions tout en prenant des mesures spécifiques pour protéger les personnes vulnérables - peut maximiser la santé publique." Dans l'article déjà mentionné de Yascha Mounk, paru dans The Atlantic et intitulé "Tout Ouvrir", il adopte un ton encore plus dédaigneux : "Les personnes immunodéprimées et les personnes âgées restent en grand danger sans que ce soit leur faute... C'est tragique. Mais ce n'est pas une raison suffisante pour changer de façon permanente notre société d'une manière qui la rende moins libre, moins sociable et moins joyeuse." Dans ces discours, l'abandon des protections contre la pandémie est imaginé comme un moyen d'équilibrer la "fatigue" et le "malaise" actuels liés à la pandémie, et présenté comme une simple question de calcul bénéfices/risques : quel fardeau le public "sain" est-il prêt à supporter pour protéger le public vulnérable ?
Plus important encore, ces affirmations reposent sur l'idée que les personnes médicalement vulnérables vivent toujours déjà séparées de la société. C'est comme si les personnes immunodéprimées étaient structurellement interdites, non seulement d'être en communauté avec d'autres, mais aussi de travailler ou de vivre avec des personnes qui travaillent ; comme si les personnes sous chimiothérapie, ou souffrant de maladies auto-immunes, ou encore les personnes greffées, vivaient dans une enclave séparée. L'avenir, pour ces personnes vulnérables, est ouvertement imaginé comme un état d'urgence perpétuel par des gens comme Leana Wen, figure de la santé publique souvent citée, lorsqu'elle écrit : "Bien sûr, je ne conseille pas de jeter toute précaution par la fenêtre. Nombreux seront ceux qui ne pourront pas baisser la garde, notamment les personnes immunodéprimées et les parents de jeunes enfants. Ils choisiront de rester prudents et limiteront volontairement leurs activités."
Cette approche poserait déjà question si les personnes médicalement vulnérables étaient les seules pour qui la propagation continue et incontrôlée du Covid représente un risque pour la santé (une erreur sur laquelle nous reviendrons plus loin). Mais même si les personnes immunodéprimées et autres étaient les seules personnes à risque, l'économie politique de la santé aux États-Unis structure et reproduit socialement la vulnérabilité. En l'absence d'un système fédéral universel de paiement unique ou d'un service national de santé, des millions de personnes aux États-Unis ne sont pas assurées ou sont sous-assurées. Cela rend encore plus absurde l'affirmation selon laquelle les personnes vulnérables se doivent d'être plus prudentes dans les mois et les années à venir : beaucoup entendront ces messages et supposeront qu'ils sont destinés à d'autres personnes, ignorant leur propre vulnérabilité. Parallèlement à cela, nous ne disposons même pas d'un chiffre national consensuel sur le nombre de personnes immunodéprimées aux États-Unis. Il est donc particulièrement facile d'affirmer, comme le font des personnalités telles que Wen, Mounk et Leonhardt, que les personnes vulnérables constituent un petit sous-ensemble de la population qui ne mérite pas de faire l'objet d'efforts de santé publique.
Ezekiel Emanuel, conseiller en matière de coronavirus auprès de l'équipe de transition de Biden et plus connu pour sa conviction que la vie n'a plus la même valeur passé 75 ans, a utilisé cet argument de manière explicite lors d'une apparition sur MSNBC le 18 février, en déclarant : "Je pense que nous devons reconnaître leurs craintes ... mais il y a 330 millions d'Américain·es, environ 7 millions sont immunodéprimé·es, soit environ 2,5%. Les autres 97,5% d'Américain·es ne peuvent pas continuer à porter des masques juste pour les protéger." Le problème là dedans est qu'Emanuel utilise la définition la plus restrictive possible de l'expression "immunodéprimé" lorsqu'il cite la taille de la population comme étant de 2,5%, soit 7 millions de personnes. Selon l'analyse du Dr Amanda Stevenson des données de l'enquête nationale sur la santé de 2020, le chiffre est probablement plus proche de 38 millions de personnes (soit 11 % de la population).
La normalisation du Covid repose entièrement sur des postulats aussi fragiles que ceux-ci, qui s'effondrent même sous l'examen le plus léger. L'idée que nous pouvons protéger les personnes vulnérables par une "approche ciblée" contient elle-même plusieurs de ces postulats. Wen et Leonhardt ont tous deux récemment publié des communiqués faisant des déclarations similaires sur ce à quoi ressembleraient ces approches ciblées, et tous deux sont avares de détails. Tous deux mobilisent les quelques points de discussion que les partisans de la normalisation du Covid semblent utiliser chaque fois que quelqu'un·e pose des questions sur les personnes vulnérables ou immunodéprimées. Il s'agit surtout d’augmenter le nombre des dépistages du Covid, sans aucune explication sur la manière dont cela est censé aider les personnes vulnérables dans l'espace public partagé. La suggestion de Wen est de "faire un test avant de rendre visite à un grand-parent à risque", avant de fournir un lien utile pour commander les quatre tests gratuits du gouvernement.
Dans la lettre d'information de Leonhardt et dans les apparitions de Wen sur CNN, tous deux embrassent également les vertus du "masque à sens unique", une idée popularisée par J.G. Allen (par ailleurs connu pour avoir, dès octobre 2021, défendu bruyamment l'abandon le plus rapidement possible du port du masque dans les écoles). Le "masque à sens unique" est l'idée que les personnes immunodéprimées ou autrement vulnérables peuvent se protéger entièrement en portant des masques de haute qualité, même si personne d'autre autour d'elles ne porte de masque. Personne n'explique jamais comment tous ces masques sont censés être payés et par qui, en supposant, comme le suggère le discours de normalisation, que les personnes vulnérables seraient probablement masquées pour interagir avec la société, de quelque manière que ce soit, à perpétuité. De plus, comme l'a écrit Abdullah Shihipar, le masque à sens unique n'est pas une proposition sérieuse de santé publique ; l'affirmation selon laquelle "le masque à sens unique fonctionne" n'est pas étayée par des preuves. Comme le note Shihipar, nous semblons avoir parcouru un long chemin depuis la norme bien comprise du début de la pandémie selon laquelle "mon masque te protège".
Enfin, et c'est le plus inquiétant, Wen, Leonhardt et bien d'autres avec eux s'empressent de souligner l'existence du nouveau médicament de Pfizer, le Paxlovid, qui offrirait une nouvelle protection ciblée pour les personnes immunodéprimées. Même ceux qui sont en faveur du maintien de certaines mesures, comme le port du masque obligatoire, mentionnent occasionnellement le Paxlovid comme une lueur d'espoir dans une situation naturellement sombre. Ce que presque personne ne mentionne à propos du Paxlovid, c'est que les directives de traitement du NIH pour le médicament découragent son utilisation concomitante avec les immunosuppresseurs, ce qui signifie que de nombreuses personnes vulnérables ne pourront (ou ne devraient) finalement pas utiliser ce médicament.
Retour à Great Barrington
Ce qui est pire que la superficialité des arguments actuels en faveur de l'abandon des protections face au Covid, c’est la source de cette idée d'adopter une "approche ciblée" de la santé publique, une idée qui ressemble plus que de loin à celle de "protection focalisée". Le terme a été proposé pour la première fois par un groupe se faisant appeler "La Great Barrington Declaration" après une réunion organisée en octobre 2020 par l'American Institute for Economic Research (AIER), un think tank conservateur situé à Great Barrington, Massachusetts, bien connu pour être le champion des "droits individuels", du "choix du consommateur", du "petit gouvernement" et des "marchés ouverts".
L'expression "protection focalisée" était nouvelle. Elle n'existait pas avant la pandémie en tant que concept dans la littérature de santé publique. Pour la Great Barrington Declaration, cependant, la "protection focalisée" décrit une réponse - hypothétique et impossible à appliquer à une pandémie - visant à mettre à l'abri les personnes vulnérables tout en permettant aux personnes "ordinaires" et "saines" de poursuivre leur vie normale.
Les propos de la Great Barrington Declaration présentent une ressemblance frappante avec ce qui est devenu l'opinion dominante dans les récits des médias et l'écrasante majorité des messages du gouvernement fédéral. "Ceux qui ne sont pas vulnérables devraient immédiatement être autorisés à reprendre une vie normale", ont-ils écrit. "Les écoles et les universités devraient être ouvertes pour l'enseignement en présentiel. Les activités extrascolaires, comme le sport, devraient être reprises. Les jeunes adultes à faible risque devraient travailler normalement, plutôt qu'à domicile. Les restaurants et autres commerces devraient ouvrir. Les arts, la musique, le sport et les autres activités culturelles devraient reprendre." Qu'en est-il alors des personnes vulnérables ? Des personnes à haut risque ? Les auteurs de la déclaration se contentent de dire : "Les personnes les plus à risque peuvent participer si elles le souhaitent, tandis que la société dans son ensemble bénéficie de la protection conférée aux personnes vulnérables par celles qui ont développé une immunité collective."
Cela a indigné à juste titre les libéraux à l'automne 2020, notamment parce que les membres de la Déclaration de Great Barrington ont rapidement rencontré des responsables de l'administration Trump, Alex Azar et Scott Atlas. Il sera également révélé plus tard qu'une discussion avec Sunetra Gupta, co-auteure de la Great Barrington Declaration, a conduit le Premier ministre britannique Boris Johnson à "écarter le confinement" à l'automne 2020. La "protection focalisée" a été largement décriée comme une stratégie du "laisser faire", permettant à une propagation incontrôlée d'entraîner des morts, des symptomes débilitants et des handicaps indicibles pour la population, tout en condamnant les personnes vulnérables à choisir entre un isolement indéfini et la mort. L'école de santé publique T.H. Chan de l'université d'Harvard a publié un article sur son blog pour se réjouir de l'abondance de mentions dans les médias de professeurs qui réfutent ce modèle. Fin novembre 2020, Rochelle Walensky, aujourd'hui directrice du CDC, s'est exprimée dans The Lancet : Respiratory Medicine expliquant pourquoi la protection focalisée était une "erreur dangereuse non fondée sur des faits scientifiques". La Great Barrington Declaration, a-t-elle affirmé, "repose sur l'idée que l'on sait qui va tomber malade et que l'on peut, d'une manière ou d'une autre, les isoler et les protéger, mais il n'y a absolument aucune preuve que nous en sommes capables."
Il est frappant de constater que nous poursuivons aujourd'hui la même stratégie, et qu'au lieu de repousser ces idées, les voix les plus influentes sur le Covid s'en réjouissent. Dans une récente tribune du Washington Post, Leana Wen a présenté les opinions de deux partisans de l'"Urgence de la normalité", un document qui utilise explicitement le langage de la "protection focalisée" pour plaider en faveur de la fin du port du masque dans les écoles. Monica Gandhi, une autre experte en matière de Covid et une source fréquente pour la newsletter du New York Times de Leonhardt, a publié une lettre ouverte en décembre 2021 demandant à l'administration Biden d'adopter une stratégie de "protection focalisée" dans la planification de la prochaine phase de la pandémie. Gandhi a été citée si fréquemment par Leonhardt qu'elle apparaîtra en mars lors d'un événement organisé par le NYT avec Leonhardt, intitulé "The Morning at Night", une émission "où la newsletter du New York Times animée par David Leonhardt prend vie". Dans ce contexte, il est difficile de considérer le langage des interventions "ciblées" comme fortuit, et non comme une nouvelle tournure rafraîchie et réhabilitée d'une idée eugéniste éprouvée.
La Stratégie Beyblade
Les partisans de cette "approche ciblée" feront valoir que leur idée diffère de la "protection focalisée" dans la mesure où cette dernière idée est apparue avant la vaccination. Alors que les inquiétudes des personnes médicalement vulnérables sont balayées d'un revers de main, on imagine sans cesse que les personnes non vaccinées sont les seules à mourir, un point de vue qui permet aux gens de ne pas se soucier du nombre stupéfiant de décès en cours. Mounk affirme, par exemple, que "les non-vaccinés sont, implicitement, la principale justification des restrictions actuelles, car le camp pro-restriction met en avant le nombre élevé et persistant de décès dus au Covid-19 et ces décès sont fortement concentrés parmi les non-vaccinés. ... Nous n'avons pas besoin de mettre nos vies en suspens pour un temps indéterminé parce que d'autres ont décidé de risquer les leurs."
Cette attitude n'est pas propre aux rédacteurs d'opinion généralistes comme Mounk. This Week In Virology, une table ronde de virologues animée par le professeur Vincent Racaniello de l'université de Columbia, qui a gagné une grande popularité parmi les libéraux au cours de la première année de la pandémie, a commencé à présenter cet argument à plusieurs reprises. Dans un épisode récent, Racaniello a déclaré : "Au début de la pandémie, lorsque nous n'avions pas de vaccins, j'étais tout à fait favorable au port du masque... [mais] il y a des gens qui ont pris la décision de ne pas se faire vacciner, je n'ai pas particulièrement envie de changer ma vie pour eux. Pourquoi ne changeraient-iels pas leur vie pour nous ?"
Racaniello a ensuite émis une mise en garde, qui repose sur l'idée que les personnes vulnérables sont totalement isolées de la société. "Exception faite - il y a deux cas où un masque peut être indiqué. Tout d'abord, bien sûr, les personnes de moins de 5 ans qui ne peuvent pas être vaccinées, et les personnes très âgées, et peut-être aussi les personnes immunodéprimées, nous devons être prudents en leur présence. Mais dans ma classe à Columbia, nous ne sommes pas face à ces cas de figure et je pense qu'il est mieux d'être tous sans masques." Racaniello suppose dans cette déclaration que ses étudiant·es de l'université ne pourraient pas se compter parmi les personnes vulnérables.
La centralité de ces affirmations - elles sont également fréquemment invoquées par Leonhardt et d'autres - montre à quel point de nombreux experts ont adhéré au scénario de la "pandémie des non-vaccinés" sur lequel l'administration Biden s'appuie depuis juillet dernier. Ces affirmations reposent sur l'hypothèse que seuls les non-vaccinés meurent du Covid, que tout a été fait pour améliorer les taux de vaccination honteusement bas des États-Unis et que, par conséquent, la mort frappe les non-vaccinés uniquement en raison de leurs propres actions et non d'une menace sanitaire publique plus importante. Comme l'a dit Biden lui-même en septembre 2021, "C'est une pandémie des personnes non vaccinées. Et elle est causée par le fait que [...] nous avons encore près de 80 millions d'Américains qui ne se sont pas fait vacciner. "
En décembre 2021, le message de Biden s'était transformé en menace : "Nous allons devoir faire face à un hiver de maladies graves et de décès – pour les non-vaccinés - pour eux-mêmes, leurs familles et les hôpitaux qu'ils vont bientôt submerger. " Selon un rapport de CNN, le changement de ton est intervenu lorsque les conseillers de Biden lui ont demandé d'insister sur le poids du Covid pour les personnes non vaccinées et de détourner l'attention de l'augmentation du nombre de cas - et dans le cadre d'une concertation en cours à la Maison Blanche, selon le secrétaire du HHS Xavier Beccera, sur "la manière de détourner l'attention du public du nombre total de cas vers la gravité de la maladie".
Mais ce n'est pas ainsi que fonctionne la santé publique. Le Covid n'est pas seulement une menace pour les personnes non vaccinées ou immunodéprimées. C'est une menace pour nous tous·tes. Depuis que le CDC a supprimé sa page affichant des informations sur les cas de personnes entièrement vaccinées qui sont néanmoins mortes du Covid, @wsbgnl a catalogué les décès signalés par les départements de santé des États et des comtés. À la date du 12 février 2022 - même si certains États ne communiquent pas ces informations et que d'autres ne communiquent que des informations incomplètes ou périmées - plus de 41 000 décès dont ont été enregistrés parmis cette population.
Des études récentes ont suggéré que 40 à 44 % des cas d'infection par le Covid-19 hospitalisés concernaient des personnes immunodéprimées. Bien que certain·es puissent penser que cela signifie que ce sont principalement les personnes déjà vulnérables qui souffrent de symptômes graves suite aux flambées de contaminations, comme l'a suggéré Walensky au début du mois de janvier, ce chiffre montre également que plus de la moitié des hospitalisations qui suivent ces contaminations concernent des personnes qui ne sont, de fait, pas immunodéprimées. Nous sommes donc tous·tes soumis·es à une tragique pièce de moralité jouée par des acteurs qui non seulement n'ont pas conscience des conséquences, mais promeuvent activement une vision du monde dans laquelle la mort, les symptomes débilitants et le handicap induits par le Covid ne sont pas seulement décorrélées de l'inaction de l'État et de la collectivité, mais n'ont plus aucun sens.
La stratégie centrale de l'administration Biden en matière de pandémie, et ce que réclame d’une même voix le chœur des experts libéraux, est de "laisser faire". Et bien que M. Walensky ait promis que l'administration prendrait des "mesures" pour protéger les personnes vulnérables, il est en effet inquiétant de constater que, ces mesures n'ayant pas été annoncées, il est peu probable que l'administration se sente poussée à ne serait-ce que poursuivre la composante "protection" de la "protection ciblée".
Il n'est pas étonnant que de nombreuses personnes immunodéprimées se demandent : "Quel est exactement le plan pour nous ?". Il n'est pas étonnant que de nombreuses personnes vulnérables sur le plan médical ne se sentent pas les bienvenues dans la société ou estiment que leur place dans le monde a été "davantage compromise" par le Covid.
La production sociologique de la "fin de la pandémie" signifie un rejet total des droits sociaux pour les personnes médicalement vulnérables, mais elle signifie aussi la création d'innombrables nouvelles personnes médicalement vulnérables. Cela signifie non seulement accepter des dizaines ou des centaines de milliers de décès supplémentaires du au Covid chaque année dans un avenir plus que probable, mais c'est aussi nier que ces décès sont des choix. Ce n'est pas le moment d'abandonner la lutte contre le Covid. Si nous le faisons, la pandémie sera peut-être terminée, mais les morts seront toujours là.
Publication originale (22/02/2022) :
The New Inquiry