Déclaration sur les droits à l'intersection du genre et du handicap face au COVID-19
// En parallèle des perspectives autonomes et des initiatives d’entraide, nous vous proposons une traduction de cette déclaration qui présente une liste claire de revendications aux acteurs institutionnels face au Covid-19, à l’intersection des problématiques de genre et de handicap. Mais en n’oubliant pas que “Les femmes, les filles, les personnes non binaires et les minorités de genre handicapées représentent une part importante de la population et connaissent mieux que quiconque leurs besoins et la manière de garantir leurs droits. Ces personnes doivent ainsi être associées à la conception, à la mise en œuvre et au suivi des programmes qui les concernent.” //
Cette déclaration a été rédigée par Women Enabled International en consultation avec Red movimiento estamos todas en acción (META), Disabled Women in Africa (DIWA), CIMUNIDIS, Women with Disabilities India Network, et Lisa Adams.
Women Enabled International (WEI), a été fondée en 2012 pour réduire l’espace entre les droits des personnes handicapées et les droits des femmes.
L'épidémie de COVID-19 et les réponses apportées par les gouvernements et les services de santé à cette crise ont un impact considérable sur les vies dans le monde entier. Il est essentiel que les gouvernements et les responsables de la santé veillent à ce que les droits humains fassent partie de cette réponse. En particulier, ils doivent veiller à ce que les droits des personnes issues de communautés marginalisées - celles qui risquent le plus de voir leurs moyens de subsistance s'évaporer, leurs besoins en matière de santé être négligés et leur vie bouleversée pendant une crise - soient la priorité absolue.
Les États, les entités des Nations Unies, les responsables des droits humains et les organisations de la société civile reconnaissent de plus en plus la nécessité de veiller à ce que les droits liés au genre et les droits des personnes handicapées soient pris en compte dans la réponse au COVID-19. Cependant, les droits à l'intersection du genre et du handicap ont souvent été négligés. Et ce, malgré le fait que les femmes et les filles handicapées représentent plus de la moitié de toutes les personnes handicapées dans le monde et près de 20 % de toutes les femmes dans le monde.
Cette déclaration vise à garantir que les acteurs qui définissent et influencent la réponse au COVID-19 disposent des outils nécessaires pour s'assurer que cette réponse est inclusive des femmes, des filles, des personnes non binaires et des minorités de genre handicapées.
1. La violence sexiste à l'encontre des femmes, des filles, des non-binaires et les minorités de genre handicapées doit être spécifiquement ciblée et prévenue pendant cette crise, et les services liés à la lutte et à la prévention de la violence sexiste sont des services essentiels.
- Les femmes, les filles, les personnes non binaires et les minorités de genre handicapées ont le droit de ne pas être victimes de violence et d'abus, et les États ont l'obligation de les protéger contre la violence et de leur garantir l'accès aux services et à la justice en cas de violence.
- La maison est peut-être un endroit sûr pour la plupart des gens, mais pour beaucoup de femmes, de filles, de personnes non binaires et les minorités de genre handicapées, leur maison est un lieu de peur. Les femmes et les filles handicapées subissent des violences de la part de leurs partenaires et des membres de leur famille au moins deux à trois fois plus souvent que les autres femmes, et pendant les confinements, les ordonnances de maintien à domicile et les autres périodes d'isolement obligatoire ou recommandé, ces personnes seront encore moins en mesure d'échapper à la violence, en particulier si leurs soutiens habituels ne sont pas disponibles pour elleux. Les personnes handicapées placées en institution courent un risque supplémentaire de violence en raison de leur isolement, qui augmente lorsque les visiteur·ices et les accompagnant·es ne sont pas autorisé·es à entrer. Les services de soutien et les mécanismes de justice sont également souvent inaccessibles aux personnes handicapées, une situation qui peut être encore exacerbée par la crise.
- Les États doivent déclarer que les services liés aux violences et les mécanismes de justice sont essentiels et doivent clairement indiquer que les personnes peuvent et doivent quitter leur domicile et rechercher des soutiens, des services et des mécanismes de justice à la suite d'actes de violence, même en cas de confinement ou d'autres formes d'isolement social. Ils doivent également veiller à ce que des moyens de transport accessibles restent ouverts et disponibles, car ils sont essentiels pour que de nombreuses femmes, filles, personnes non binaires et les minorités de genre handicapées puissent quitter des situations de violence ou accéder à des services.
2. Les États doivent assurer les besoins fondamentaux de tous·tes pendant cette crise et maintenir l'accès aux revenus et à l'éducation.
- Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant, ce qui inclut le droit de voir ses besoins fondamentaux satisfaits, notamment en matière d'eau, d'hygiène, d'alimentation et de logement. Les femmes et personnes handicapées ont également droit à une protection sociale sans discrimination, et les États doivent en particulier veiller à ce que les femmes et les filles handicapées aient accès à des mesures de protection sociale leur assurant un niveau de vie suffisant. En outre, les femmes et personnes handicapées ont également droit à l'éducation sur la base de l'égalité avec les autres et sans discrimination, et l'obligation de garantir une éducation accessible et inclusive continue pendant les crises.
- Les femmes, les filles, les personnes non binaires et les minorités de genres handicapées vivent déjà de manière disproportionnée au bord de l'extrême pauvreté, en raison d'importants obstacles à l'accès à l'éducation fondés sur la discrimination liée au genre et au handicap, ainsi que de taux d'emploi plus faibles dans le secteur formel, d'une dépendance à l'égard des secteurs de travail informels et de taux de rémunération inférieurs à ceux des hommes handicapés ou des autres femmes. Le coût de la vie est également plus élevé pour elles que pour les autres femmes, en raison des besoins liés au handicap.
- Pendant cette crise, l'accès à l'éducation sera encore plus difficile pour ces personnes, car les familles et les éducateur·ices risquent de ne pas reconnaître la valeur de l'éducation de ces personnes et de se heurter à des obstacles d'accessibilité encore plus importants en cas de tentative d'éducation virtuelle ou à distance.
- Les femmes, les personnes non binaires et les minorités de genre handicapées sont également susceptibles d'être touchées de manière disproportionnée par les pertes d'emploi, y compris dans le secteur informel, ce qui signifie que toute source de revenu dont elles disposaient pour répondre à leurs besoins fondamentaux peut disparaître, alors qu'elles sont également susceptibles d'avoir moins d'économies en raison de salaires historiquement plus bas et d'un coût de la vie plus élevé.
- Les États doivent de toute urgence fournir une protection sociale - y compris un complément de revenu, des aides au loyer et des moratoires sur les expulsions, des subventions alimentaires, de l'eau potable gratuite et des mesures d'hygiène, y compris l'hygiène menstruelle - pour combler le manque de revenu de toutes les personnes afin qu'elles puissent répondre à leurs besoins fondamentaux. Les États doivent s'efforcer tout particulièrement de faire bénéficier de ces mesures les femmes, les filles, les personnes non binaires et les minorités de genre, notamment par le biais de campagnes fournissant des informations dans divers formats accessibles, et doivent veiller à ce que la protection sociale aille directement à ces personnes plutôt qu'aux familles ou aux partenaires. Les États doivent continuer à faire respecter l'interdiction de la discrimination en matière d'emploi fondée sur le sexe ou le handicap, afin que ces personnes puissent accéder à toutes les possibilités d'emploi formel restantes, et ils doivent également apporter un soutien particulier aux femmes, aux filles, aux personnes non binaires et aux personnes non conformes au genre qui sont handicapées pour qu'elles puissent poursuivre leurs études.
3. Il ne doit pas y avoir de rationnement des soins de santé, y compris des soins de santé vitaux, qui exclut ou pénalise des personnes en raison de leur handicap, de leur sexe ou de leur âge, et toutes les personnes doivent avoir accès au test et au traitement COVID-19 sans discrimination.
- Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé possible. Les droits humains exige que les États garantissent le droit à la santé des femmes et des personnes handicapées, sur la base de l'égalité avec les autres et sans discrimination.
- Le rationnement des soins de santé, y compris des soins de santé vitaux, et la réaffectation de médicaments et d'équipements de santé pour exclure des personnes en raison de leur handicap, de leur sexe ou de leur âge, perpétuent l'idée que les personnes appartenant à ces catégories - y compris les femmes, les filles, les personnes non binaires et les minorités de genre handicapées - mènent une vie de moindre valeur. Cette idée est fausse, discriminatoire et constitue une violation de leurs droits humains et de leur dignité.
- Les gouvernements sont responsables de la garantie du droit à la santé pour tous·tes, notamment en assurant des informations, des biens et des services de santé accessibles, acceptables et de qualité. Pour ce faire, les États doivent exiger que les biais et les stéréotypes à l'intersection du sexe, de l'âge et du handicap ne puissent pas influencer les décisions en matière de santé et veiller à ce que les établissements et les professionnel·les de santé soient sensibilisés à ces obligations. Les États doivent également s'assurer que le traitement du COVID-19 soit accessible à tous·tes sans discrimination, tout en veillant à ce que les médicaments ou les équipements dont les personnes handicapées ont besoin pour répondre à leurs besoins de santé ne soient pas réaffectés au traitement du COVID-19 pour les autres.
4. Les services de santé sexuelle et reproductive sont des services essentiels et doivent être assurés sans discrimination.
- Les droits humains prévoit que les femmes, les filles, les personnes non binaires et les minorités de genre handicapées doivent avoir accès aux informations, aux biens et aux services de santé dont ielles ont principalement besoin en raison de leur genre et/ou de leur handicap. Cela inclut l'avortement, la contraception, les services de santé maternelle et les dépistages des cancers du système reproductif, ces soins sont tous essentiels pour permettre aux personnes handicapées de protéger leur santé et leur intégrité physique et d'exercer leur autonomie corporelle. L'obligation en matière de droits humains de garantir l'accès à ces services ne faiblit pas en période de crise.
- Le besoin de biens et de services de santé sexuelle et reproductive - y compris la contraception, l'avortement et les services de santé maternelle - ne diminue pas en temps de crise et peut même augmenter en raison d'une augmentation des violences sexuelles. Cependant, les services de santé sexuelle et reproductive peuvent être particulièrement difficiles d'accès pour les personnes handicapées, même dans les meilleures périodes, en raison de l'inaccessibilité de ces services, de la stigmatisation entourant le handicap et la sexualité, ou d'autres stéréotypes que partagent les professionnel·les et d'autres personnes sur les personnes handicapées.
- Le travail, l'accouchement et la période post-partum sont des moments de vulnérabilité pour toutes les personnes concernées. Les politiques qui empêchent les personnes de soutien ou les partenaires d'accompagner les personnes enceintes pendant cette période sont cruelles et inhumaines. Elles ont également un impact disproportionné sur les personnes handicapées, qui peuvent avoir besoin du soutien d'une personne supplémentaire pour se faire entendre et faire valoir leurs besoins.
- Les gouvernements doivent veiller à ce que les services de santé sexuelle et reproductive soient disponibles, accessibles et de haute qualité pour tous·tes cell·eux qui en ont besoin, et ils doivent en particulier veiller à ce que les personnes handicapées puissent continuer à recevoir le soutien dont elles ont besoin pour accéder à ces services. Les politiques d'accès à la santé, y compris à la santé sexuelle et reproductive, doivent permettre aux personnes handicapées d'être accompagnées de personnes de soutien afin de garantir qu'elles puissent exercer leur autodétermination en matière de santé.
5. Les services de soutien aux personnes handicapées sont des services essentiels et doivent être maintenus pendant cette crise.
- De nombreuses personnes handicapées ont besoin d'aide pour accomplir les tâches de base d'une vie autonome, notamment la préparation et la consommation de nourriture, l'hygiène personnelle et la sortie de leur domicile. D'autres personnes handicapées peuvent avoir besoin d'aide pour se déplacer dans des environnements inaccessibles ou pour communiquer avec d'autres personnes, y compris les professionnel·les de la santé.
- Pour les femmes, les filles, les personnes non binaires et les minorités de genre handicapées, ces services de soutien peuvent faire la différence dans la possibilité d'accéder aux services de santé nécessaires, y compris les services de santé sexuelle et reproductive et les services de prise en charge du COVID-19, et le fait de souffrir seul·e chez soi. Si une femme handicapée doit s'en remettre à son partenaire ou à un membre de sa famille pour effectuer ces tâches, cette dépendance la rend vulnérable à la violence et aux abus. Des services extérieurs constituent un réseau de soutien pour les femmes handicapées, qui leur permet d'être indépendantes et leur donne la possibilité de quitter un environnement familial violent, ce qui est particulièrement important en période d'isolement et de violence accrus.
- En outre, sans ces services de soutien, les personnes handicapées sont plus susceptibles d'être placées dans des institutions de soins résidentiels à long terme, en violation de leur droit à une vie autonome. Les femmes, les filles, les personnes non binaires et les minorités de genre peuvent être particulièrement vulnérables, car leur vie est considérée comme ayant moins de valeur que celle des hommes cis handicapés dans de nombreux contextes et, par conséquent, la famille peut être moins disposée à leur apporter du soutien. Lorsqu'elles sont institutionnalisées, ces personnes sont également plus vulnérables à la violence et aux abus.
- Les gouvernements doivent veiller à ce que les services d'aide aux personnes handicapées continuent de fonctionner et à ce que les personnes qui y travaillent disposent d'équipements de protection individuelle (EPI) pour assurer leur sécurité.
6. Les femmes, les filles, les personnes handicapées non binaires et les minorités de genre doivent être incluses dans les mesures d'intervention liées au COVID-19.
- Les femmes, les filles, les personnes non binaires et les minorités de genre handicapées représentent une part importante de la population et connaissent mieux que quiconque leurs besoins et la manière de garantir leurs droits. Les États sont tenus, en vertu des droits humains, de veiller à ce que ces personnes soient associées à la conception, à la mise en œuvre et au suivi des programmes qui les concernent. Cela inclut les mesures d'intervention liées au COVID-19.
- Les gouvernements doivent veiller à ce que les femmes, les filles, les personnes non binaires et les minorités de genre handicapées soient consultées tout au long de la crise sur la manière de répondre à leurs besoins, notamment en matière de santé, de prévention des violences sexistes et de satisfaction des besoins fondamentaux. Ils doivent également s'assurer que les informations relatives à cette crise sont disponibles dans une variété de formats accessibles, y compris des formats faciles à lire, en langue des signes et en braille, et que des mesures spéciales sont prises pour s'assurer que les femmes, les filles, les personnes non binaires et les minorités de genre handicapées reçoivent ces informations afin qu'elles puissent défendre leurs droits et s'assurer que leurs besoins sont respectés.
Publication originale (09/04/2020) :
Women Enabled International