Anomalies sanguines découvertes chez les personnes atteintes de Covid Long | Jennifer Couzin-Frankel
Jennifer Couzin-Frankel est journaliste à Science, où elle couvre la recherche biomédicale.
Une étude ambitieuse menée sur des personnes touchées par le Covid Long, des symptômes mystérieux et invalidants qui peuvent suivre une infection par le SRAS-CoV-2, a révélé une série d'anomalies dans leur sang. Ces indices viennent s'ajouter à un ensemble de données qui permettent d'identifier les facteurs de la maladie et les traitements potentiels à tester. Ils suggèrent également que, comme de nombreux·ses scientifiques et patient·es l'ont soupçonné, le Covid Long partage certaines caractéristiques avec l'Encéphalomyélite Myalgique/Syndrome de Fatigue Chronique (EM/SFC), une autre affection que l'on pense être consécutive à une infection.
La nouvelle étude, publiée en pre-print la semaine dernière, était de taille modeste, puisqu'elle ne portait que sur 99 personnes atteintes de Covid Long. "Mais elle est allée très en profondeur, elle a abordé des aspects granulaires des cellules T, de la réponse des anticorps", explique Eric Topol, directeur du Scripps Research Translational Institute, qui n'a pas participé aux travaux. "Il s'agit d'une étude exploratoire, mais c'est une base pour des études beaucoup plus importantes".
Les patient·es atteint·es par le Covid Long, dont la plupart souffraient de fatigue intense, de brouillard cérébral et d'autres symptômes, présentaient de faibles taux de cortisol, une hormone du stress qui aide l'organisme à contrôler l'inflammation, le glucose, les cycles de sommeil, etc. Les caractéristiques de leurs cellules T indiquaient que leur système immunitaire combattait des envahisseurs non identifiés, peut-être un réservoir de SRAS-CoV-2 ou un agent pathogène réactivé comme le virus d'Epstein-Barr.
D'autres groupes étudiant des patient·es atteint·es par le Covid Long ont fait état de résultats similaires cette année, notamment dans un article paru en janvier dans Cell, qui a mis en évidence un faible taux de cortisol chez les personnes présentant des symptômes respiratoires de longue durée, et la réactivation de virus chez les patient·es présentant des problèmes neurologiques. Collectivement, ces données "me font penser à d'autres médicaments que nous pourrions tester", comme des anticorps dirigés contre le virus ou des anti-inflammatoires ciblés pour dompter le système immunitaire, déclare Emma Wall de l'University College London et du Francis Crick Institute, qui codirige un vaste essai sur les thérapies potentielles du Covid Long.
Le nouveau projet Covid long a débuté fin 2020, lorsque l'immunologiste Akiko Iwasaki de l'université de Yale a fait équipe avec David Putrino, un neurophysiologiste de l'école de médecine Icahn de Mount Sinai qui s'occupait de patient·es atteint·es. Iels ont voulu comparer ces patient·es avec des personnes qui n'avaient jamais été infectées et avec celles qui avaient guéri. À la surprise de Putrino, "il a été assez difficile de trouver des personnes qui s'étaient complètement remises du COVID". De nombreux·ses volontaires post-Covid-19 se sont décrits comme étant en bonne santé, mais ont ensuite admis, par exemple, que leurs séances d'entraînement en salle de sport, autrefois normales, étaient trop épuisantes pour être reprises. Au final, l'équipe a recruté 39 volontaires ayant récupéré du COVID-19 parmi un total de 116 sujets témoins.
Les faibles taux de cortisol des patient·es atteint·es par le Covid Long, environ la moitié des taux normaux, ne sont pas une totale surprise : Des symptômes tels que la fatigue et la faiblesse musculaire sont associés à une diminution de cette hormone. La cause reste un mystère. L'ACTH, une hormone fabriquée par l'hypophyse qui contrôle la production de cortisol, était à des niveaux normaux dans le groupe Covid Long. De plus, notent Putrino et d'autres, certain·es patient·es du groupe Covid Long qui n'ont pas participé à l'étude ont essayé de prendre des stéroïdes pendant une courte période, ce qui peut traiter un faible taux de cortisol, mais iels disent que cela n'a pas aidé. Ensuite, les chercheur·euses prévoient de suivre les niveaux de cortisol tout au long de la journée dans le groupe Covid Long ; le stéroïde monte et descend selon un cycle quotidien, et la recherche initiale ne l'a testé que le matin.
Les échantillons sanguins de patient·es Covid long étaient également envahis par une catégorie de cellules T "épuisées", reconnaissables à certains marqueurs qu'elles expriment. Ces cellules se multiplient en présence continue d'agents pathogènes, ce qui suggère que "le corps des personnes atteintes par le Covid long se bat activement contre quelque chose", explique Putrino.
Cette lutte produirait une inflammation chronique, qui correspond à de nombreux symptômes du syndrome de Covid Long. En mesurant les niveaux d'anticorps contre les protéines virales libérées dans le sang, l'étude a également noté une réactivation du virus d'Epstein-Barr et d'autres herpèsvirus dont les gènes peuvent rester dormants à l'intérieur des cellules infectées pendant de longues périodes. Iwasaki a été intriguée d'apprendre que le degré d'épuisement des cellules T semblait correspondre à la réactivation du virus d'Epstein-Barr, même si elle ne considère pas ce virus comme le seul coupable potentiel. Selon elle et d'autres chercheur·euses, le SRAS-CoV-2 peut également persister chez les patient·es atteint·es par le Covid Long. La réactivation du virus Epstein-Barr, un faible taux de cortisol et l'épuisement des cellules T ont tous été observés chez certain·es malades de l'EM/SFC.
Cette nouvelle étude montre clairement que le phénomène de Covid Long est loin d'être uniforme - par exemple, seuls 20 à 30 % des patient·es de l'étude présentaient des niveaux très élevés de cellules T épuisées. Mais "le niveau de cohérence est élevé" parmi les études récentes portant sur la biologie des Covid Longs, déclare James Heath, président de l'Institute for Systems Biology, auteur de l'article de Cell qui a mis en évidence un faible taux de cortisol et la réactivation de virus. Il note que l'étude de son groupe a examiné des patient·es environ trois mois après l'infection par le SRAS-CoV-2, alors que la cohorte d'Iwasaki et Putrino avait en moyenne plus d'un an de recul par rapport l'infection par le Covid-19.
Selon Putrino et Iwasaki, il est temps de poursuivre avec de nouveaux essais de thérapies potentielles, qui pourraient également élucider les causes des Covid Longs et déterminer si des sous-groupes de patient·es sont plus susceptibles de répondre à certaines interventions. La liste des thérapies expérimentales souhaitées par Iwasaki est longue et comprend une supplémentation en cortisol, une thérapie ciblant le virus d'Epstein-Barr, le médicament antiviral Paxlovid, maintenant utilisé pour les Covid-19 aigus, et même des thérapies qui épuisent les cellules B, utilisées pour traiter les maladies auto-immunes et calmer le système immunitaire.
"Nous devrions les essayer dès maintenant", dit Iwasaki. "En tant que chercheuse en science fondamentale, j'aimerais bien sûr avoir toutes les pièces du puzzle" avant de lancer des essais. "Mais les patient·es, ell·eux, ne peuvent pas attendre."
Publication originale (16/08/2022) :
Science